7 décembre 2012 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration conjointe de M. François Hollande, Président de la République, et Mme Eveline Widmer-Schlumpf, Présidente de la Confédération suisse, sur les relations entre la France et la Suisse, à Paris le 7 décembre 2012.

LE PRESIDENT : « J'ai eu grand plaisir d'accueillir ici, à l'Elysée, la Présidente de la Confédération Suisse, Eveline WIDMER-SCHLUMPF. Nous avions convenu depuis déjà plusieurs mois du principe d'une venue de la Présidente. J'ai moi-même répondu, bien volontiers, à l'invitation qui m'a été faite de me rendre en Suisse dans les prochains mois.
Aujourd'hui, je voulais insister sur la qualité de nos relations entre nos deux pays. Elle repose sur l'Histoire, fondée bien sûr sur une géographie que chacun connait. Mais elle se traduit, tous les jours, par des relations économiques, culturelles et scientifiques de haut-niveau.
Pour en rester sur le seul sujet des relations commerciales et économiques, la Suisse est -- avec des entreprises de grande taille -- le troisième investisseur étranger en France. Par ailleurs, notre commerce extérieur est équilibré -- pour la France, c'est un point positif ! Enfin, nous avons près de 200 000 salariés français qui travaillent chaque jour en Suisse.
Nous avons aussi conscience que la Suisse est un pays pas forcément très peuplé -- 8 millions de personnes -- mais qui a une économie dynamique et une industrie forte. Elle offre donc toutes les raisons pour amplifier encore nos échanges.
Nous avons aussi une communauté de langue même si elle n'est pas parlée partout en Suisse. La Suisse fait partie de l'espace francophone. Nous nous retrouvons donc, dans cette organisation, pour porter des valeurs et des principes qui nous unissent profondément.
Si je voulais même remonter loin dans notre histoire commune, je crois que la Suisse est l'un des tous premiers pays avec lesquels la France a eu des relations diplomatiques.
Il y a le passé, il y a le présent -- l'ampleur des échanges économiques, culturels et humains -- et il y a aussi ce que nous avons à faire pour l'avenir. Je pense que nous pouvons multiplier les coopérations universitaires, culturelles et scientifiques. Nous pouvons accroître encore notre partenariat économique pour faire en sorte que nos entreprises puissent travailler davantage ensemble et lever un certain nombre d'obstacles à nos échanges. Et puis nous devons, c'est vrai, régler certaines situations fiscales. Mais elles ne doivent pas être regardées comme le seul enjeu de la relation entre la France et la Suisse.
Parmi les dossiers qui sont les plus souvent cités et que nous avons bien sûr abordés avec la Présidente, il y a l'aéroport Bâle-Mulhouse qui, je le rappelle, emploie 6 500 personnes. Nous sommes là sur la base d'un accord. Il est en train de connaître sa dernière rédaction, notamment pour le droit du travail mais aussi pour la fiscalité. Je peux constater là une véritable convergence de vues et le principe d'un accord.
Sur la convention fiscale concernant l'imposition sur les successions, nous avons eu un long travail. Il est maintenant abouti. Les autorités suisses, selon les procédures qui leur appartiennent, vont permettre maintenant la ratification de cette convention.
Il y a également -- c'était une demande de la France et la Suisse a bien voulu y accéder -- les échanges d'informations fiscales pour lutter contre la fraude. Là encore, nous progressons et je pense que c'est une bonne attitude que nous devons saluer. C'est parce que nous pouvons être capables de régler ces questions que nous pourrons engager un dialogue plus structurel pour mener à bien ces évolutions dans nos relations fiscales.
Nous avons également abordé le sujet de la transition énergétique. La Suisse a pris un certain nombre de décisions par rapport à l'avenir du nucléaire. C'est sa responsabilité mais nous pouvons -- France et Suisse -- multiplier les projets sur les énergies renouvelables et sur la manière d'économiser les énergies. Nous pouvons aussi pleinement nous engager dans la négociation sur le climat car nous portons les mêmes priorités.
S'agissant de l'actualité internationale, nous avons évoqué trois sujets avec le ministre des Affaires étrangères et la Présidente de la Confédération. Le premier, c'est l'Iran pour faire que la pression des sanctions puisse être la plus efficace possible. Le second sujet, c'est la Syrie où nous avons, là aussi, une communauté de vues. Enfin, nous avons donné toutes les explications sur notre position par rapport au Sahel. Vous savez que les choses progressent puisqu'il va bientôt y avoir une résolution votée au Conseil de sécurité. Je sais que la Suisse peut être aussi un facteur de dialogue, de mobilisation et de contact dans cette partie-là de l'Afrique.
Tout cela pour vous dire qu'il y a vraiment -- même si nous n'avons pas occulté les sujets qui sont les plus délicats -- une très bonne entente entre la France et la Suisse, une volonté commune de régler les questions qui ont parfois freiné les relations entre nos deux pays.
Merci Madame »
EVELINE WIDMER-SCHLUMPF : « Merci Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs, je tiens tout d'abord à remercier le Président français, François HOLLANDE, pour l'accueil chaleureux qu'il m'a réservé aujourd'hui. Nous avons pu constater combien les relations franco-suisses sont empreintes de cordialité à tous les niveaux et je m'en réjouis.
En bons voisins, la Suisse et la France entretiennent des relations bilatérales diverses et intenses, notamment dans les domaines de la coopération économique et dans les domaines d'excellence de la recherche et l'innovation. Nous pouvons encore renforcer notre collaboration et mettre à profit leur fort potentiel.
Au plan international, la Suisse et la France portent les mêmes valeurs et les mêmes idéaux : défense des Droits de l'Homme, respect des minorités, défense de l'Etat de droit, lutte contre l'impunité. Là aussi, grâce à nos atouts complémentaires, nous pouvons coordonner nos actions et uvrer plus efficacement à des buts communs. Cela sera particulièrement vrai lorsque la Suisse assumera la présidence de l'OSCE en 2014.
Pour atteindre ces objectifs communs, nous avons convenu d'approfondir nos relations politiques afin de donner les impulsions nécessaires. Les contacts ministériels se sont multipliés ces derniers mois. Il en ira de même -- je l'espère -- dans les mois suivants.
Je me réjouis aussi que le Président HOLLANDE ait accepté, comme il l'a dit aujourd'hui, l'invitation du Conseil fédéral de se rendre en Suisse à une date encore indéterminée. C'est un grand honneur et une joie pour nous de vous voir en Suisse.
Entre voisins et amis, de fréquentes rencontres et un dialogue franc et ouvert sont le signe d'une bonne relation. C'est dans cet état d'esprit empreint de respect et de confiance mutuelle que nous avons aussi abordés, aujourd'hui, les questions fiscales.
Si la presse parle volontiers de frictions ou de tensions entre la France et la Suisse à ce sujet, il me tient à cur, pour ma part, de souligner ce qui rapproche nos deux pays. Nous partageons le souci d'assurer une plus grande équité fiscale et de lutter efficacement contre l'évasion fiscale. C'est là une volonté politique clairement exprimée par la Suisse. Si certaines divergences ont pu apparaître entre nos pays, elles concernent les moyens de réaliser ces objectifs et non leurs finalités. Je suis confiante sur notre capacité, par le dialogue, à trouver des solutions constructives qui tiennent compte de nos approches respectives.
Nous avons enfin fait un tour d'horizon de l'actualité européenne et internationale. Je suis heureuse que la France partage le même souci de maintenir une discussion constructive entre les Suisses et l'Union européenne, afin de trouver des solutions pragmatiques et équilibrées aux questions institutionnelles qui se posent. J'ai souligné lors de notre discussion cette nécessité. C'est là l'intérêt et la volonté de la Suisse. Elle a fait des propositions concrètes et substantielles en ce sens. C'est là aussi l'intérêt de l'Union et de ses membres car la Suisse -- ancrée au cur de l'Europe -- représente avec ses 8 millions d'habitants le deuxième partenaire économique de l'Union.
Encore une fois, Merci beaucoup Monsieur le Président ».
LE PRESIDENT -- « Merci Madame la Présidente. Est-ce qu'il y a des questions ? »
QUESTION -- « Monsieur le Président, maintenez-vous l'idée que vous aviez pendant la campagne de taxer les exilés fiscaux ? Est-il envisageable que la France signe les accords « Rubik » que la Suisse serait très intéressée de pouvoir signer avec vous ? »
LE PRESIDENT -- « Dans la campagne présidentielle, il ne vous a pas échappé que plusieurs candidats avaient parlé de fiscaliser les exilés. J'ai simplement posé un principe : il doit y avoir une coopération entre tous les Etats -- les membres de l'Union européenne comme ceux qui n'en sont pas -- pour que nous puissions avoir des règles fiscales qui nous permettent de lutter contre l'évasion. C'est le sens d'ailleurs des relations que nous avons, par exemple, avec la Suisse, et j'ai également fixé ce même principe avec la Belgique ou avec le Luxembourg. Nous avons des conventions fiscales que nous devons revoir, pour permettre qu'il y ait une appréhension des biens ou des revenus dès lors que nous considérons qu'ils peuvent pour partie être taxés en France. Par exemple -- si je peux en donner un -- la convention fiscale sur les successions doit permettre de mieux taxer un certain nombre d'évolutions de patrimoine, notamment de citoyens français en Suisse.
Concernant les accords « Rubik », vous avez vu les difficultés qu'à l'Allemagne à faire ratifier ce processus, donc avant de nous lancer dans une telle opération nous voudrions d'abord avoir réglé les problèmes que j'ai posé, c'est-à-dire la convention fiscale sur les successions, l'échange d'informations et puis aussi le dialogue qui permettra justement d'aller plus loin dans la coopération fiscale. Nous en sommes là. Il ne peut pas y avoir -- nous en avons d'ailleurs parlé avec la Présidente -- il ne peut pas y avoir d'amnistie fiscale ».
QUESTION -- « Madame la Présidente, Monsieur le Président, vous avez donc abordé la convention fiscale sur les successions. Elle avait soulevé un tollé à peu près général dans les cantons et a relativement peu de chances de passer au Parlement fédéral. Est-ce que cet accord a été modifié ou un peu adouci, notamment par rapport aux Suisses qui vivent en France ? Je vous remercie ».
EVELINE WIDMER-SCHLUMPF -- « Nous avons accepté quelques modifications de la part de la France et maintenant c'est à nous de discuter avec les cantons. Comme vous l'avez mentionné, en Suisse ce sont les cantons qui sont co-responsables avec la confédération en ce qui concerne la taxation, les taxes et aussi cet accord. Après avoir discuté avec les cantons -- et nous nous engageons beaucoup pour ce dialogue avec eux nous devrons discuter avec le Parlement et ce processus prendra quelques mois pour mener ce processus. Cela veut dire si 50 000 personnes le veulent, nous aurons aussi une votation en Suisse sur cet accord. C'est le processus et on doit le respecter ».
QUESTION -- « Concernant la lutte contre l'évasion fiscale, vous êtes parfaitement en harmonie concernant la finalité, mais vous avez dit, Madame la Présidente, que concernant les moyens il y a encore de quoi faire. Pouvez-vous être plus spécifique là-dessus s'il vous plait ? »
Eveline WIDMER -- SCHLUMPF -- Nous avons tous les deux le même but. Nous voulons lutter contre l'évasion fiscale. Nous voulons lutter contre la fraude et la soustraction, nous avons le même but mais nous n'avons pas les mêmes moyens. Mais comme vous le savez, la Suisse a décidé il y a trois ans d'avoir une place financière d'argent propre et nous sommes sur cette voie maintenant. Nous faisons tout pour pouvoir atteindre ce but.
Si vous permettez, je voudrais encore dire quelque chose sur le modèle « Rubik » -- vous avez posé la question. Pour nous, pour la Suisse, c'est important d'avoir une solution - avec tous les pays qui sont nos partenaires économiques -- qui nous laisse régulariser le passé sans amnistie. Nous ne voulons pas voir une amnistie, nous voulons un accord qui nous permette de taxer les contribuables qui ont des comptes en Suisse, taxer avec une amende, ce n'est pas une amnistie, c'est seulement pour clarifier ce que nous voulons faire avec la France ce que nous avons voulu faire avec l'Allemagne, avec l'Italie, le Royaume-Uni, L'Autriche. C'est notre chemin ».
QUESTION -- « Toujours sur cette convention sur les successions est-ce que vous pouvez préciser quelles modifications la France a proposé ? Quelles modifications ont été proposées ? »
LE PRESIDENT -- « C'est plutôt les Suisses qui nous ont proposé des modifications ».
QUESTION -- « Alors quelles modifications la Suisse a proposé ? »
LE PRESIDENT -- « Je laisserai la Suisse en parler, mais nous avons regardé les modifications qui nous étaient demandées. Pour nous il y a un principe que chacun doit comprendre, c'est que dès lors qu'un patrimoine est en France il doit être taxé pour les successions en France ».
Eveline WIDMER -- SCHLUMPF -- « C'est mieux de parler des détails, si nous avons parlé avec les cantons ce sont les premiers partenaires, parce que comme vous le savez c'est un accord qui est paraphé mais qui n'est pas encore discuté. Ce sont seulement quelques éléments qui sont discutés. C'est à nous maintenant d'avoir la discussion avec les cantons ».
LE PRESIDENT -- « Comme je vous l'ai dit, il n'y a pas que les questions fiscales entre la France et la Suisse, même si j'ai compris que ça préoccupait beaucoup et en France et en Suisse. Je pense que nous devons aller dans ce sens du dialogue, de la clarification et du progrès.
Une question qui ne m'a pas été posée mais qui devait l'être, et qui m'a été posée par la Présidente : il semblerait qu'il y ait des interrogations en Suisse sur le fait qu'il pourrait y avoir des agents du fisc français qui viennent passer leurs vacances en Suisse pour surveiller un certain nombre de patrimoines ou de personnes. Eh bien je vous réponds non, il n'y a pas d'agents du fisc français présents en Suisse, dès lors qu'ils n'ont pas été autorisés à l'être par les autorités de ce pays.
Nous ce que nous demandons c'est d'avoir des informations qui nous viennent officiellement et nous n'avons pas à les recherches par d'autres moyens.
Merci beaucoup, si j'ai pu rassurer j'en suis heureux. Si vous voyez des Français ne pensez pas qu'ils viennent passer leurs vacances parce qu'ils sont agents des impôts. C'est parce qu'ils aiment la Suisse tout simplement. »