9 octobre 2012 - Seul le prononcé fait foi

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Point de presse conjoint de MM. François Hollande, Président de la République et Ban Ki-Moon, Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, sur la situation au Mali et en Syrie, le nucléaire iranien et sur les relations franco-africaines, à Paris le 9 octobre 2012.

LE PRESIDENT
Mesdames, Messieurs,
J'ai été heureux d'accueillir à l'Elysée, pour la première fois en ce qui me concerne, le Secrétaire général des Nations Unies. J'avais eu, dès mon entrée en fonction, l'occasion d'avoir des échanges approfondis avec le Secrétaire général. Je l'avais également écouté avec beaucoup d'attention, lors de l'Assemblée générale des Nations-Unies. Nous avions même dîné ensemble mais aujourd'hui il est en France. C'est pour nous un honneur car nous avons grand respect, grande considération pour les Nations Unies et pour son Secrétaire général.
Nous avons évoqué trois sujets dans notre entretien de ce matin.
Le premier, c'est le Sahel. C'était la suite logique de l'initiative qui avait été prise à New-York, par le Secrétaire général et à laquelle j'avais participé. Elle doit déboucher sur une nouvelle résolution du Conseil de sécurité permettant de mettre un terme à ce qui est aujourd'hui l'installation d'un groupe terroriste sur une base territoriale, de mettre également un terme à la division du Mali et de casser un processus fondé sur les trafics -- trafic de drogues, trafic d'armes, trafic des êtres humains -- et qui risque de déstabiliser l'ensemble de la région.
La France a, une nouvelle fois, confirmé auprès du Secrétaire général, qu'elle était prête, non seulement à voter cette résolution, mais à appuyer sur le plan logistique, sur le plan politique, sur le plan matériel, l'initiative qui serait prise par les Africains. Nous en connaissons les difficultés. Il y a aura surement un calendrier à respecter. Mais l'intention ne peut pas être mise en cause. Le but c'est d'éradiquer le terrorisme, dans l'intérêt du Mali, dans l'intérêt de l'Afrique et dans l'intérêt également de la stabilité du monde.
Le second sujet, c'est celui de la Syrie. La dégradation est visible, de jour en jour, à l'intérieur comme à l'extérieur. Il y a eu de très graves incidents aux frontières avec la Turquie. Une escalade aurait été possible. Si elle a été évitée, c'est parce que la Turquie elle-même a fait preuve de réserve, mais pour combien de temps ? Il y a aussi des risques de déstabilisation du Liban, de la Jordanie... La position de la France, celle que j'ai une nouvelle fois évoquée auprès du Secrétaire général, c'est de renforcer les sanctions afin que le régime cède, que Bachar Al-Assad quitte la place et qu'il puisse y avoir une transition politique. Des propositions ont été faites : celle de la Turquie qui a laissé penser que le vice-président syrien pouvait être une solution. Si elle était acceptée, pourquoi pas ? Le Secrétaire général a lui-même, il y reviendra, fait une proposition : un cessez-le-feu unilatéral. Tout ce qui peut être engagé pour protéger les populations, arrêter les massacres et permettre la transition ira dans le bon sens du point de vue de la France.
Le troisième sujet, que nous avons abordé, c'est la réunion de Kinshasa, le sommet de la Francophonie, à laquelle les Nations Unies prêtent une grande attention car cette organisation est consciente de l'intérêt, de la diversité, de la pluralité culturelle et linguistique. Il y a des relations de très haut niveau entre l'organisation internationale de la Francophonie et les Nations Unies. Les buts sont d'ailleurs les mêmes : permettre la conciliation, développer un système démocratique, porter des valeurs, donner à la culture toute sa place. Mais ce sommet aura lieu à Kinshasa, en RDC, avec deux préoccupations que j'ai personnellement à l'esprit. La première, c'est la situation dans ce pays, qui est tout à fait inacceptable sur le plan des droits de la démocratie et de la reconnaissance de l'opposition. La seconde, c'est l'agression, dont ce pays est l'objet, venant de l'extérieur, sur ses frontières et notamment au Kivu. C'est pourquoi je soutiens l'opération engagée par les Nations Unies pour permettre la protection des frontières de la RDC, qu'il conviendra de renforcer s'il en était besoin.
Voilà le sens des échanges que nous avons eus, en tout cas des propositions que j'ai faites, et qui ont permis au Secrétaire général, comme il va vous le rappeler à l'instant, d'exprimer la position de son organisation.
LE SECRETAIRE GENERAL
Merci monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs de la presse, bonjour.
Je suis très heureux d'être à nouveau en France. Durant mon bref séjour à Paris, j'ai eu des entretiens très fructueux avec le Président François HOLLANDE, le Premier ministre Jean-Marc AYRAULT et aussi le ministre des Affaires étrangères, Laurent FABIUS.
Je félicite le président HOLLANDE de montrer la voie. J'ai eu des très bonnes discussions avec le Président, comme il l'a expliqué, suite au dîner que nous avons eu à ma résidence à New-York, il y a tout juste deux semaines.
Nous sommes tous préoccupés par la situation en Syrie. Nous sommes d'accord pour dire qu'il faut faire cesser la violence et la fourniture d'armes, qu'il faut mettre en place, dès que possible, une transition conduite par les Syriens. L'escalade du conflit, le long de la frontière entre la Syrie et la Turquie et les répercussions que la crise a sur le Liban et les autres voisins de la Syrie, sont extrêmement dangereuses. Il s'agit d'une catastrophe régionale qui a des ramifications mondiales. Je demande, une fois encore, à toutes les parties concernées de faire preuve de la plus grande retenue et de s'employer à trouver une solution politique, c'est la seule issue possible à la crise.
Je suis reconnaissant à la France de soutenir le représentant spécial, monsieur Lakhdar BRAHIMI.
Nous avons également parlé du Mali et du Sahel. Je partage les préoccupations de la France et je sais que des Français sont retenus en otage au Sahel depuis 2010. Je demande qu'ils soient immédiatement libérés, de même que tous les autres otages. Nous sommes en train d'élaborer une stratégie globale portant sur les problèmes transfrontaliers du Sahel : les armes, les réfugiés et le terrorisme. J'ai proposé au Conseil de sécurité de nommer monsieur Romano PRODI, l'ancien Premier ministre d'Italie, en tant qu'envoyé spécial pour le Sahel. Il ordonnera son action avec les parties prenantes et communiquera avec d'autres, notamment avec l'envoyé spécial de la France, monsieur Jean FELIX- PAGANON.
En ce qui concerne le Moyen-Orient, j'ai fait part de mon inquiétude face au blocage du processus de paix. Je salue le leadership de la France, je remercie la France d'avoir dégagé 10 millions d'euros supplémentaires pour l'autorité palestinienne. J'espère que d'autres suivront cet exemple. La formule des deux Etats est la seule qui puisse mener à une paix durable.
J'ai également salué la campagne internationale que la France a lancée pour mettre fin à la peine de mort.
Enfin, j'ai été profondément attristé par les incidents antisémites qui se sont produits récemment, ici en France. Les Nations Unies se dressent contre tout acte de haine ou d'intolérance religieuse. Je me félicite de constater que les autorités françaises ont exprimé, publiquement, leur rejet catégorique de tout antisémitisme et annoncé des mesures pour renforcer la sécurité.
A l'heure où le monde fait face à tellement de problèmes, nous devons tous refuser la discorde et faire cause commune.
Je remercie tous les dirigeants que j'ai rencontrés, de l'immense appui que la France apporte à l'Organisation des Nations Unies. Dans l'action que mène l'ONU, la France est en première ligne. A l'issue des entretiens que j'ai eus ici, je sais que cet engagement est plus fort que jamais. Je vous remercie, monsieur le Président.
QUESTION : Sur la Syrie, on a l'impression que la communauté internationale baisse les bras -- même si vous dites ce que vous dites -- et surtout qu'il y a une division de la communauté internationale, pas seulement du côté russe et chinois, mais aussi du côté américain, français et britannique, en ce sens que les américains ne veulent pas donner des armes aux syriens, ne veulent pas d'intervention avant l'élection présidentielle américaine. Monsieur le Président, est-ce que vous pensez que l'élection présidentielle américaine va changer les choses en Syrie ?
LE PRESIDENT : Je répondrai rapidement. La difficulté que nous rencontrons ne tient pas à l'élection américaine, mais à la division du Conseil de sécurité pour prendre des décisions qui pourraient être immédiates au bénéfice du peuple syrien. Mais ce n'est pas parce qu'il y a ce blocage -- je souhaite qu'il soit levé -- que nous ne pouvons pas agir. Nous pouvons renforcer les sanctions, nous pouvons aider davantage l'opposition à se fédérer -- c'est la proposition française d'un gouvernement alternatif -- et lui prodiguer toutes les aides nécessaires. Et puis aussi, nous pouvons faire que, dans les zones libérées, il y ait une protection qui soit assurée. Il peut y avoir même des initiatives comme celle du Secrétaire général pour un cessez-le-feu unilatéral. Il y aura une rencontre des « Amis de la Syrie » prochainement, au Qatar, pour que l'opposition puisse enfin trouver une solution, par elle-même, c'est-à-dire par la force politique qu'elle doit représenter et par sa capacité de proposer une transition. Les élections américaines sont une échéance que nous regardons donc, bien sûr, avec beaucoup d'intérêt et pas simplement sur ce dossier. Mais ce n'est pas l'élément qui doit nous empêcher d'agir.
QUESTION : Ce matin la presse israélienne fait état d'un ralentissement du programme nucléaire iranien. Je voulais avoir votre réaction là-dessus. Je voulais également savoir votre position sur les frappes israéliennes et sur la possibilité de les retarder. On estime aujourd'hui que ce risque est retardé de 8 mois comme on en parle ce matin. Et également votre position sur la crise économique que traverse l'Iran. Je voudrais savoir si, selon vous, les sanctions ont marché, si vous vous en félicitez et si vous pensez que les récentes manifestations, suite à la fermeture du bazar en Iran, c'est la solution, c'est d'imposer un renversement par une émeute populaire ?
LE PRESIDENT : Je crois à l'utilité et à l'efficacité des sanctions. C'est dur pour un peuple de subir ces contraintes et je sais que le peuple iranien n'y est pour rien et qu'il souffre. Mais c'est l'une des voies -- je pense la seule voie même -- qui doit permettre de trouver la solution. Je n'ai pas d'informations, par ailleurs, sur un ralentissement quelconque du programme nucléaire iranien. J'attendrai, pour vous répondre, d'avoir confirmation de ces éventuels éléments de la part de l'AIEA qui est la seule autorité qui peut nous donner ces confirmations.
QUESTION : Vous venez de dire, Monsieur le Président HOLLANDE, que le Secrétaire général de l'ONU pourrait proposer un cessez-le-feu unilatéral en Syrie. Qu'est-ce qui vous fait croire que le régime de Damas pourrait effectivement respecter un cessez-le-feu ? Est-ce que c'est possible ? Et puis, Monsieur HOLLANDE, vous avez dit qu'il serait possible d'assurer la protection des zones libérées. Comment le faire sans résolution de l'ONU ? Est-ce que cela implique des moyens militaires ? Est-ce que la France est prête à engager des moyens militaires pour assurer la protection des zones « libérées ». Dernière question sur le Mali. Est-ce qu'il est possible de voter une résolution sur le Mali, permettant donc d'avancer vers une solution, alors qu'il y a blocage au Conseil de sécurité ? Est-ce qu'il est possible que cette résolution soit votée prochainement ?
LE PRESIDENT : Sur le Mali, je réponds que toutes les conditions sont réunies pour qu'une résolution puisse être votée dans un délai raisonnable, c'est-à-dire bref. Deuxièmement, j'approuve la décision prise par le Secrétaire général de désigner un envoyé spécial et le nom qui est proposé me parait le bon -- Monsieur PRODI. Sur la Syrie, le cessez-le-feu unilatéral doit être un point de départ, pas un point d'arrivée. L'objectif n'est pas simplement de séparer les belligérants, c'est de trouver une solution pour la Syrie. Le cessez-le-feu, c'est donc le préalable pour que d'autres décisions soient prises et parmi ces décisions, la protection des zones libérées.
QUESTION : Sur le Mali, Monsieur BAN Ki-moon dit qu'il y a besoin de clarifications. Quels sont les points qui posent problèmes pour une intervention au Mali ? Cela fait maintenant plusieurs mois que la situation perdure sur place et que les islamistes, au nord, s'installent. Monsieur le Président vous dites que toutes les conditions sont réunies pour une intervention à brève échéance...
LE PRESIDENT : Une résolution !
QUESTION : ... une résolution, pardon. La question est à quelle échéance voyez-vous une intervention ?
LE PRESIDENT : Sur la résolution, je pense que nous convergeons avec le Secrétaire général pour penser que ça peut se faire dans un délai court, car aucun membre du Conseil de sécurité notamment -- les cinq qui ont le droit de veto -- ne s'oppose à une intervention dès lors qu'elle est demandée par le pays, en l'occurrence le Mali, soutenue par l'organisation régionale, en l'occurrence la CEDEAO et portée par l'Union africaine. Après, l'intervention elle-même, ce sera aux Africains de s'organiser -- ils y travaillent déjà -- pour qu'elle ait lieu dans de bonnes conditions, à la fois rapidement mais efficacement. C'est là qu'il y a certains préalables à lever.
QUESTION : Monsieur le Président, vous allez entamer une tournée en Afrique à la fin de la semaine. Je voulais savoir -- au-delà de ce que vous allez dire à Kinshasa -- quels messages vous comptez délivrer lors de ce voyage et si vous mettez un point d'honneur à délivrer un message différent de ceux de vos prédécesseurs ?
LE PRESIDENT : Je ne vais pas en Afrique pour me différencier. Je vais en Afrique pour porter un message, celui de la France, aux Africains. Un message de confiance en leur avenir, un message de solidarité par rapport à leur développement et un message d'amitié car nous avons besoin d'une Afrique dynamique. Je vais m'adresser aussi à la jeunesse africaine qui est un atout, nullement un fardeau. Je vais le faire à Dakar parce que le Sénégal est un pays qui a fait la démonstration, ces dernières années, de sa capacité à faire vivre la démocratie. Et puis, je vais me rendre à Kinshasa, parce que c'est le lieu qu'a choisi l'organisation de la francophonie pour sa réunion. Je vais m'adresser, à la fois, à tous les francophones mais aussi aux Africains. En leur disant que la francophonie, ce n'est pas simplement une langue. C'est d'ailleurs une langue qui n'est pas celle de la France, qui est aussi celle de l'Afrique. Dans quelques années, c'est en Afrique que l'on parlera le plus le français. Et je vais m'adresser à eux pour leur dire que cette langue leur appartient mais qu'elle suppose aussi d'être une langue qui soit celle de valeurs, de principes. Et parmi ces valeurs et ces principes, il y a la démocratie, il y a bonne gouvernance, il y a la lutte contre toutes les corruptions. Je le ferai à Kinshasa, dans un pays qui est marqué par un certain nombre de difficultés démocratiques mais aussi, je l'ai dit, à ses frontières. Pour de plus amples informations, vous attendrez mon déplacement !
Je voudrais juste terminer en remerciant le Secrétaire général pour les paroles qu'il a prononcées concernant la lutte contre la haine, la discorde et l'antisémitisme. C'est une cause mondiale et trop de pays sont frappés. Je voudrais aussi lui exprimer toute ma gratitude pour les propos qui ont été les siens pour la libération de nos otages.