17 juillet 2012 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. François Hollande, Président de la République, et Moncef Marzouki, Président de la République tunisienne, notamment sur les relations franco-tunisiennes, à Paris le 17 juillet 2012.


LE PRESIDENT -- Bien, M. le Président, Messieurs les Ministres qui êtes présents, c'est un grand honneur pour le Président de la République française d'accueillir le Président de la République tunisienne.
D'abord parce que c'est la Tunisie, avec laquelle nous sommes liés par l'histoire, par la géographie, par les relations humaines, par la politique et aussi par l'admiration que nous avons pour la révolution tunisienne. Mais aussi parce que c'est M. MARZOUKI qui est président de la République et que nous avons des relations anciennes avec lui. Ou plus exactement, il en a avec la France, puisque défenseur intransigeant des droits de l'Homme, puisque opposant au régime de la dictature, il était venu contre son gré mais aussi avec notre assentiment, ici, en France, pour défendre sa conception de la liberté.
Il avait donc été accueilli, accompagné par beaucoup de ceux qui se trouveront au dîner de ce soir £ et qui se souviennent du militant qu'il était, qui ne se désespérait jamais, qui ne se décourageait jamais, qui savait qu'à un moment le temps viendrait où les Tunisiens eux-mêmes prendraient leurs responsabilités et renverseraient un régime corrompu.
Ce moment est arrivé, il est le Président de la République de la Tunisie.
Il est à la tête d'un pays qui fait sa transition, qui, après une révolution, est engagé dans sa reconstruction. Nous nous avons fait il y a déjà longtemps notre révolution et la reconstruction a été longue. Mais aujourd'hui tout s'accélère. Après le temps de la révolution, il faut assurer le temps de la transition. C'est ce que vous êtes en train de traverser. Et la France doit être à vos côtés. A vos côtés ça veut dire répondre à toutes les demandes que vous voudrez bien nous adresser sur la question de la dette, sur la question de l'aide, sur la question aussi des relations économiques, commerciales. Etre à vos côtés, je vais le faire à cet instant, c'est dire à nos concitoyens français qu'ils peuvent passer de bonnes vacances en Tunisie et que c'est joindre l'agréable à l'utile sur le plan démocratique que de donner à la Tunisie toutes ses chances pour son propre développement, quand on sait que à peu près un Tunisien sur cinq vit du tourisme.
Etre à vos côtés c'est aussi répondre à toutes les coopérations en matière de reconstruction de l'Etat, d'affirmation du droit, de restauration de la démocratie. Etre à vos côtés c'est aussi lutter contre la corruption, permettre aux Tunisiens de retrouver l'argent qui leur a été volé. Etre à vos côtés c'est vous recevoir et c'est vrai que c'est une visite exceptionnelle, qui fait plaisir à beaucoup. Je disais aux Français mais aussi aux Tunisiens qui vivent en France, qui ont parfois la double nationalité. Ça fait plaisir aussi à une ville que vous allez visiter : Marseille. Ça va aussi être une visite exceptionnelle puisque vous allez délivrer un discours à l'Assemblée nationale, ce que je ne peux pas faire moi-même...Et vous allez être écouté parce que ce qui se passe en Tunisie est essentiel pour la Tunisie mais aussi pour l'ensemble du monde arabe. Parce que vous êtes une référence, vous êtes un exemple. C'est de là qu'est parti le Printemps arabe.
Et votre réussite doit être celle de votre pays mais aussi de cette aspiration démocratique, que nous retrouvons également, en Syrie puisque un dictateur, là encore, empêche qu'un peuple puisse retrouver une conception de la liberté qui pourrait être partagée avec la vôtre. Et donc nous devons, y compris par rapport à ces pays-là, montrer une solidarité et offrir votre exemple. En Libye, votre proche voisin, des élections viennent d'avoir lieu et ont pu là encore s'inspirer des vôtres et permettre qu'il y ait une étape supplémentaire qui puisse être franchie.
Voilà tout le sens que j'accorde à votre déplacement ici en France, toute la fierté qui est la nôtre et toute l'amitié qui nous relie. Merci.
M. MARZOUKI -- M. le Président, tout à l'heure quand l'avion est arrivé à Paris, j'ai eu un souvenir de la 1ère fois où je suis arrivé dans cette ville. J'avais 17 ans, et je venais pour recevoir à la Sorbonne, à l'époque j'avais été lauréat du concours général du lycée français à Tanger au Maroc, et je venais donc pour la 1ère fois recevoir ce prix. Et c'était la 1ère découverte de Paris et de la France.
Je n'aurai jamais imaginé que 50 ans plus tard, je reviendrais pour représenter mon pays, pour représenter mon peuple et pour dire à quel point, nous, Tunisiens, nous aimons la France. A quel point nous lui devons, à quel point nous considérons que notre révolution est l'écho de sa révolution à elle. Que, personnellement pendant ces 50 ans, ce demi-siècle donc d'apprentissage de la culture, de vie, de travail ici, à quel point les idées et les idéaux de la France m'ont habité et ont habité des milliers et des milliers de Tunisiens. Et ceci est quelque chose de tout à fait exceptionnel.
Aujourd'hui la Tunisie est en train de s'émanciper, aujourd'hui la Tunisie, avec la révolution, est en train de retrouver à la fois sa dignité, à la fois sa place dans le club des pays démocratiques, à la fois aussi les chances d'un vrai développement économique £ son intégration dans l'espace maghrébin, son intégration dans l'espace euro-méditerranéen. Mais par-delà tous ces acquis, la Tunisie a retrouvé sa fierté, sa dignité. Parce que pendant toutes ces années, nous avons vécu sous une dictature abjecte, qui nous a vraiment salis. Nous nous sentions déconsidérés, par les autres et par nous-mêmes. Ce que nous avons obtenu avec la révolution, c'est notre propre respect, le respect de nous-mêmes, le respect des autres, notre dignité humaine et notre foi dans un avenir que nous pouvons construire en tant qu'homme libre, avec tous les hommes libres et avec tous les pays libres, dont le vôtre.
M. le Président, pour moi c'est un grand moment. Un grand moment pour tous les Tunisiens aussi, parce qu'à travers moi, cet accueil chaleureux et fraternel que vous m'avez réservé, va par-delà ma personne à tous les Tunisiens, les 10 millions de Tunisiens.
En leur nom je vous dis un grand merci.
Je sais que vous allez être à côté de nous dans cette phase difficile de reconstruction du pays où nous allons vraiment avoir besoin de tous nos amis et vous êtes probablement les meilleurs, en tout cas ceux qui ont été toujours de notre côté et je peux vous assurer, M. le Président, que cette visite ne fera que renforcer des relations qui sont déjà tellement solides. J'ai toujours dit que, quelles que soient les politiques, quels que soient les régimes, les relations entre la Tunisie et la France sont tellement solides, sont tellement imbriquées, sont tellement denses, que peu importe qui vient au pouvoir. Qui peut bloquer le mouvement des plaques tectoniques ?
Mais en tout cas, modestement, vous et moi, à ces plaques tectoniques nous pouvons donner une petite impulsion et ça sera à la fois mon honneur, mon plaisir et j'imagine, le vôtre. Encore une fois, merci pour cette extrême et chaleureuse hospitalité, qui me va droit au cur. Et j'ose espérer que nous n'allons pas nous arrêter aux bons sentiments, même si les bons sentiments sont extrêmement importants entre les êtres humains, mais que nous allons aussi traduire tout cela en actes, qui peuvent être bénéfiques aussi bien pour la France que pour la Tunisie. Encore une fois merci, merci et merci.
LE PRESIDENT -- Merci. J'en ajoute un de plus ! Est-ce qu'il y a des questions ? Allez-y.
QUESTION POUR LE PRESIDENT FRANÇAIS -- Comment comptez-vous relancer les relations euro-méditerranéennes ? Y-a-t-il des visites prévues dans les pays du Maghreb ?
Et question à M. le Président tunisien, en arabe : l'ancien Président BEN ALI, par la voix de son avocat, a dit hier qu'il était tout à fait prêt à ce qu'une certaine partie des avoirs du peuple, qui sont détenus en Suisse, reviennent au peuple tunisien. Qu'est-ce que vous en pensez M. le Président ?
LE PRESIDENT -- Je vais répondre à la 1ère question. J'ai compris la 2nde ! Mais je ne peux pas agir, même si je peux faciliter.
Sur la 1ère, oui, Laurent FABIUS était encore hier en Algérie. Je reçois le Président tunisien et nous voulons rouvrir d'une autre manière que par la passé, le dialogue entre l'Europe et la Méditerranée. Des formules ont été utilisées, elles n'ont pas toujours donné le résultat escompté. Donc faisons simple, pratique et essayons d'accélérer la marche. C'est la raison pour laquelle nous allons engager ce qu'on appelle le processus « 5+5 ». Cinq d'un côté de la Méditerranée, cinq de l'autre côté. Une réunion va se tenir début octobre à la Valette, à Malte, et nous pensons que c'est la bonne manière de faire.
Commencer modestement mais commencer. Sans qu'il y ait des problèmes qui viennent interférer. Nous les connaissons. Et avoir des projets concrets.
Tout à l'heure, le Président disait les bons sentiments, c'est bien. Mais il nous faut des actes. Et avoir des ambitions communes que nous pourrions porter. Nous avons l'énergie, que nous pouvons développer dans nos pays, nous avons un certain nombre de projets industriels, nous avons aussi des projets culturels. Nous pouvons avoir des échanges universitaires et c'est de cette manière-là que nous pourrons faire. Et le Maghreb sera bien sûr partie prenante. Je sais qu'il y a une réunion importante qui va se tenir aussi à l'automne, sur l'Union du Maghreb, sujet difficile £ et qui donnera à la Tunisie à mon sens, un rôle très important.
M. MARZOUKI -- Sur la question BEN ALI, je vais commencer en Français et puis je m'exprimerai en arabe.
Oui, j'ai été très surpris par la proposition de M. BEN ALI de nous rétrocéder une partie. Sauf que nous ne voulons pas une partie, nous voulons le tout ! Nous estimons que ce que cet homme et sa famille a volé à la Tunisie, se chiffre en milliards de dollars. Et que c'est la totalité de cette somme qui doit revenir à la Tunisie et si M. BEN ALI n'a rien à se reprocher, qu'il se présente en Tunisie, je peux lui garantir sa sécurité physique et je peux lui garantir qu'il aura un procès équitable.
Les fonds qui ont été pillés, qui ont été volés par M. BEN ALI et sa famille doivent retourner à la Tunisie : nous en avons un besoin urgent, afin de pouvoir utiliser ces fonds, pour lutter contre la pauvreté, pour lutter contre le chômage, pour lutter contre le sous-développement. Si M. BEN ALI a la conscience tranquille, il peut tout à fait revenir en Tunisie, nous sommes tout à fait prêts à lui garantir sa sécurité physique et à être jugé de façon honnête.
QUESTION -- Une question pour M. MARZOUKI : dans la transition démocratique que vous conduisez, comment allez-vous convaincre les Salafistes de respecter le jeu démocratique ?
M. MARZOUKI -- Les Salafistes, c'est la partie insoluble de l'islamisme dans la démocratie. Donc je ne pense pas que nous puissions les convaincre. Encore que, une fraction des Salafistes a demandé un parti politique et on va le leur accorder, si ce n'est déjà fait. S'ils veulent jouer le jeu de la démocratie, et tant mieux, tout le monde y sera gagnant. Mais il y a une fraction qui restera toujours absolument rétive au jeu démocratique et celle-là il va falloir y faire face de façon sécuritaire et ici le ministre de l'intérieur en sait quelque chose. Sauf que nous sommes décidés à y faire face dans le respect de la loi, pour ne pas recommencer les errements de l'époque BEN ALI et la loi soit disant contre le terrorisme, la torture, ça on en veut pas.
Mais encore une fois il faut bien se comprendre : derrière le Salafisme, il y a aussi un phénomène social. Il y a aussi une partie de la population, qui est la plus pauvre, la plus misérable, celle qui n'a pas accès à la culture, certaine passait par la case criminalité etc. Donc il faut voir au-delà du problème idéologique, au-delà du problème sécuritaire, le problème social et aller le chercher là où il se trouve et à ce moment-là on pourra couper l'herbe sous les pieds de tous les extrémistes.
QUESTION -- Ma question s'adresse à M. HOLLANDE. Vous aviez déclaré lors de votre visite en Tunisie en mai 2011, je vous cite : « si j'accède à la Présidence de la République française, je m'efforcerai de faciliter les échanges culturels et économiques et à jeter les fondements d'une coopération d'égal à égal ». Vous aviez aussi proposé que la dette tunisienne soit convertie sous forme de don par la communauté internationale. Qu'en est-il concrètement aujourd'hui ?
LE PRESIDENT -- Je suis d'accord avec le candidat qui était présent en Tunisie l'année dernière. Nous avons à augmenter encore le niveau de nos échanges culturels, universitaires, commerciaux, économiques et nous en parlerons tout au long de ce séjour du Président tunisien. Et nous avons évoqué la question de la conversion de la dette, tout à l'heure. La proposition qui est faite, c'est celle de convertir une dette en projet de développement. Nous y souscrivons, à certaines conditions, car nous ne voulons pas que la dette tunisienne puisse être affectée de quelque manière que ce soit par cette opération. Qu'il y ait un doute des marchés, des opérateurs, par rapport à la qualité de la signature de la Tunisie.
Donc nous allons trouver les mécanismes les plus subtils, les plus ingénieux, pour que nous puissions avoir cette conversion dans les meilleures formes et dans le plus grand intérêt pour nos deux pays. Car nous voyons bien l'avantage, c'est de pouvoir créer une activité économique qui serait utile à la Tunisie, qui en serait le réceptacle, qui en serait le terrain et en même temps à la France qui pourrait apporter le savoir-faire de ses entreprises.
Donc nous recherchons la forme et nous allons la trouver, pour la bonne utilisation de cette dette.
QUESTION -- Ma question s'adresse à vous deux : est-ce que vous avez évoqué au cours de votre entretien l'extradition extrêmement polémique de l'ancien Premier ministre libyen, sur laquelle, si je ne me trompe pas, M. HOLLANDE, vous ne vous êtes pas exprimé ?
Et 2ème question, vous avez parlé des biens mal acquis et l'argent de l'ancien clan au pouvoir. Est-ce que vous pouvez préciser le calendrier et les modalités concrètes, parce qu'il existe une convention qui permet la restitution de ces biens. Est-ce que la France compte s'appuyer là-dessus ?
Merci.
M. MARZOUKI -- L'extradition du Premier ministre libyen a été une affaire assez grave. Elle a failli mettre vraiment à mal la coalition. En fin de compte elle s'est bien terminée parce que la voie de la sagesse l'a emporté. Il faut que la troïka continue, mais j'ai établi avec le chef du Gouvernement une espèce de contrat à la fois moral et politique, pour que dorénavant nous évitions tout ce qui peut mettre en danger ce gouvernement qui a besoin de stabilité pour pouvoir mener le pays aux élections.
Les élections normalement devront avoir lieu en mars 2013 et il y a un sentiment de responsabilité de la part de tous les acteurs politiques pour éviter de telles confrontations. Parce que vous savez dans une troïka où il y a des partenaires qui n'ont pas tous les mêmes conceptions idéologiques, qui n'ont pas tous le même sens des priorités, il est normal qu'il y ait des frictions, qu'il y ait des difficultés. Ce que nous allons mettre en place est un mécanisme justement pour éviter que de tels conflits puissent dégénérer.
Donc je peux vous dire que la crise est derrière nous et on en a tiré un certain nombre de conclusions et je peux vous rassurer sur la solidité du gouvernement actuel.
Pour ce qui est de la restitution des biens mal acquis : oui, effectivement pour nous, c'est une question à la fois économique et surtout une question politique, et je dirais même une question morale. Il faut que les dictateurs sachent à partir de maintenant qu'ils seront poursuivis non seulement devant le CPI si il le faut, non seulement par les tribunaux mais que l'argent mal acquis aujourd'hui, nous allons mettre à tous les niveaux des mécanismes pour pouvoir faire en sorte qu'ils n'en profitent pas. Parce que c'est quand même quelque chose d'assez inacceptable sur le plan éthique que des gens qui ont saigné à blanc des pays puissent une fois qu'ils ont quitté le pouvoir profiter de cet argent mal acquis et trouvent des complices.
Je suis très heureux de savoir que, en tous cas au niveau de la France il n'y pas de telles complicités et ceci est très rassurant mais ce que nous allons demander à nos amis français c'est qu'ils puissent nous aider avec leur technicité à repérer un peu la façon dont cet argent s'est évaporé parce que, c'est cela le problème. C'est qu'effectivement le dictateur peut dire je n'ai aucun sous sur mon compte, sauf que les milliards de dollars, lui, il a su les cacher. Et donc pour pouvoir retrouver la trace de ces milliards de dollars nous avons besoin de technicité, de banquiers, de grands détectives littéralement, de détectives financiers et cela il n'y a que des pays développés comme la France qui sont capables de nous les donner.
Alors, Monsieur le Président, c'est une demande on ne peut plus pressante.
LE PRESIDENT -- Je vais répondre et à vous et à Madame, nous avons parlé de ces deux sujets ensemble. Nous souhaitons que des dictateurs et ceux qui ont participé à des régimes à la fois corrompus et sanguinaires puissent être traduits devant la Cour Pénale Internationale. Cela vaut partout. Et cela vaut pour tous. D'autant que pour la personne concernée par votre question il y avait sûrement des informations à obtenir d'elle qui seraient utiles pour connaître un certain nombre de flux. Je n'irai pas plus loin. Donc nous avons regretté qu'il y ait eu cette extradition dans ces conditions-là. Sur la question de la technicité nous mettrons tout en uvre pour qu'il y ait effectivement tous les moyens qui soient mis à disposition de la Tunisie pour retrouver l'argent qui a été capté, volé mais qui n'a pas été placé en France. Car la subtilité dont vous parlez fait que ces dictateurs, en tous cas celui-là n'a pas mis ses économies dans les banques françaises avec son nom et sur un dépôt rémunéré. Donc nous avons quelques millions d'euros sur lesquels nous pouvons avoir prise et pour le reste nous mettrons toutes les compétences, qui sont grandes chez nous pour que nous puissions aider la Tunisie à retrouver ce dont elle a été privée.
QUESTION -- La crise au Sahel est grave et touche de nombreux pays. La Tunisie n'est pas épargnée par la circulation des armes. Est-ce que vous avez parlé entre vous de cette aide française par rapport à cette question majeure ? Et on sait aujourd'hui, que le sud Tunisien est déclaré comme une zone militaire.
M. MARZOUKI -- Nous en avons parlé, oui effectivement il y a des menaces sur la sécurité. C'est pour cela d'ailleurs que, dans la délégation, le ministre de l'intérieur m'accompagne. Nous sommes inquiets parce qu'effectivement on a l'impression que la Tunisie est en train de devenir une zone de passage entre les armes libyennes et puis ensuite l'endroit où elles sont destinées, à savoir le nord du Mali. Et pour nous, il faut absolument assainir cette région qui pourrait devenir un abcès de fixation dangereux pour tout le Maghreb, pour l'Algérie, pour la Tunisie £ pour la Libye. Et donc je suis heureux de dire nous avons pratiquement le même point de vue sur cette question, sur la façon dont il faut la traiter aussi bien sur le plan sécuritaire que sur le plan politique.
LE PRESIDENT -- Je confirme que nous en avons parlé, que nous coopérerons autant qu'il sera possible pour éviter que le Sahel devienne une zone de trafics. Trafic d'armes, trafic de drogues et également où le terrorisme pourrait trouver là des moyens d'agir. Donc nous sommes conscients que pour la Tunisie c'est un problème puisqu'il peut être une zone de transit et que pour l'Afrique de l'Ouest, c'est une menace. Et que nous avons engagés, là encore avec le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense, un certain nombre de procédures pour que, d'abord les Maliens eux-mêmes, puissent retrouver un gouvernement stable, ouvert et avec une force pour permettre de préserver l'intégrité du Mali.
QUESTION -- Monsieur le président, vous avez dit que cette visite officielle s'inscrit sur une nouvelle page dans les relations entre les deux pays particulièrement après la façon dont le régime précédent du président Sarkozy a traité avec la révolution tunisienne et ses conséquences. Vous avez dit que la France à l'époque de l'ancien président n'a pas accordé à la révolution tunisienne l'importance qu'elle méritait et ce qu'elle signifiait. Comment est-ce que la France, la nouvelle France va agir à l'égard de cette révolution tunisienne ?
Comment allez-vous traiter le problème d'un certain nombre de tunisiens qui ont quitté la Tunisie de façon illégale et dont un certain nombre se retrouvent ici en France ? Vous avez dit par ailleurs que vous étiez le président de tous les Tunisiens.
Comment la France peut-elle être à côté de la Tunisie, surtout sachant que la France ainsi que l'Union européenne font face à une crise économique mondiale ?
M.MARZOUKI - En ce qui concerne les relations franco-tunisiennes, la page précédente a été tournée. Elle a été tournée de façon définitive parce que bien évidement ce gouvernement ne peut pas supporter les conséquences de ce qu'a dit ou de ce qu'a fait le gouvernement précédent et la présidence précédente. Avec nos amis aujourd'hui nous travaillons et sommes déterminés à aider la Tunisie à tous les niveaux. Nous avons effectivement abordé tous les problèmes y compris les jeunes tunisiens qui sont ici en France de façon illégale et il y a un accord pour traiter cette affaire de façon plus humaine. Nous avons également abordé un certain nombre de sujets, l'endettement et sommes en train de réfléchir sur le rééchelonnement ou l'injection de cette dette dans un certain nombre de projets productifs. Le président HOLANDE a ouvert cette porte, c'est un sujet sensible et nous l'en remercions. Nous avons également abordé le sujet des tunisiens par exemple qui touchent leur retraites en France et qui ont des difficultés à être payés, à toucher vraiment ces sommes, et qui ressentent douloureusement ces problèmes. Nous sommes en train de travailler ensemble pour résoudre cet aspect-là. Je pense que les relations seront excellentes et dans l'intérêt des deux pays et des deux peuples.
QUESTION -- Au sujet de la Syrie, on est à un jour du vote du Conseil de Sécurité demain et la Croix Rouge parle à présent de guerre civile, j'aimerais savoir quelle sera la stratégie de vos deux pays au cas où la Russie ou la Chine mettrait un veto ?
Et j'ai une autre question pour vous aussi, M. le Président : des informations de presse font état de la présence du général TLASS à Paris, pouvez-vous nous le confirmer ?
LE PRESIDENT -- Je réponds à la question sur les relations entre la France et la Tunisie. Aujourd'hui la page est tournée par rapport au passé et je ne veux pas y revenir. Chacun sait ce qui s'est passé ou ce qui n'aurait pas dû se passer. Mais nous avons une responsabilité, c'est de réussir dans nos deux pays respectifs France et Tunisie à traduire les engagements que nous avons pris devant nos peuples. Et nous avons la volonté de créer une activité, une croissance supplémentaire. Il y a des projets qui peuvent nous lier. Et qui peuvent avoir cet objectif commun. Reste des questions sociales £ humaines. Vous avez évoqués des jeunes tunisiens qui seraient venus en France dans une période troublée et qui n'ont pas nécessairement vocation à y rester £ et qui doivent revenir. Le Président MARZOUKI a souhaité qu'il y ait des mécanismes qui puissent être mis en place ou tout simplement confirmés pour que ces jeunes puissent rentrer en Tunisie.
Il a également et il n'est pas le seul d'ailleurs, puisque Laurent FABIUS avait été également le réceptacle de cette proposition, en Algérie, c'est-à-dire que les retraites puissent être payées sans qu'il soit besoin d'avoir des mécanismes extrêmement lourds pour les bénéficiaires. Donc il y a une négociation qui est en cours et j'espère qu'elle aboutira pour qu'il y ait un allègement d'un certain nombre de formalités, tout en ayant les contrôles nécessaires par rapport aux ayants-droit.
Sur la crise financière, économique, elle est là. Elle touche l'Europe. Est-ce qu'elle doit mettre en cause des engagements que nous avons pris à l'égard des pays du Printemps arabe ? C'est ce qu'on a appelé le processus de Deauville, d'ailleurs nous ne sommes pas seuls en cause, il y a l'Europe, il y a également les Etats-Unis, d'autres pays qui se sont associés à cette démarche. Ce sont ceux qui veulent contribuer à la réussite de la transition. Malgré la crise, nous tiendrons les promesses que nous avons faites mais il faut que, de manière bilatérale, nous puissions les traduire concrètement.
Sur la Syrie, il y a, pour l'instant, une réticence, pour ne pas dire davantage, notamment des Russes par rapport à une résolution au Conseil de sécurité qui pourrait renforcer les sanctions. Ce que j'explique aux Russes, que le ministre des Affaires étrangères ne cesse de dire, c'est que si les Russes veulent qu'il y ait un retour à l'ordre, à la stabilité en Syrie, s'ils veulent éviter la guerre civile et le chaos, le mieux est d'assurer la transition politique qui passe par le départ de Bachar EL-ASSAD. Nous continuerons autant que c'est nécessaire à faire ce travail de conviction et à faire pression parce que c'est insupportable, intolérable qu'il puisse y avoir, chaque jour, des massacres. Cela met, non seulement la Syrie, mais l'ensemble de la région dans une forme d'instabilité qui est nuisible aux intérêts de tous.
Je sais que dans les pays arabes, nous en avons parlé. Il y a une mobilisation et les Russes doivent comprendre qu'ils ne peuvent pas être regardés comme étant les seuls ou presque à empêcher qu'il y ait cette recherche d'une solution. Nous travaillons, je crois, dans le même esprit, Tunisie et France pour aboutir au même résultat. L'aspiration d'un peuple à la liberté est irrépressible. Ça prend du temps, c'est douloureux mais l'issue est inéluctable.
Sur la présence en France du Général TLASS, effectivement nous sommes aujourd'hui informés de cette situation.
M. MARZOUKI -- Je voudrais juste ajouter un mot sur la Syrie, pour dire qu'il faut absolument que le calvaire du peuple syrien se termine. Tout le monde sait qu'on ne peut pas avoir la paix sans le départ de Bachar EL-ASSAD, c'est une nécessité absolue. Nos amis russes et nos amis iraniens doivent le comprendre et doivent savoir que la seule façon d'arrêter l'hémorragie, c'est le départ de cet homme. La constitution d'un gouvernement d'union nationale, de transition entre les gens du pouvoir et les gens de l'opposition et que cette transition se fasse le plus pacifiquement possible pour amener le peuple syrien à se prononcer librement. Les Iraniens sont nos amis. Les Russes sont nos amis. La Tunisie tient absolument à l'amitié de ces deux grandes nations, de ces deux grands peuples. Mais il faut absolument qu'ils comprennent qu'ils ne doivent pas avoir seulement des amis en Syrie. Je dois dire aussi bien pour les Iraniens que pour les Russes, ils doivent comprendre qu'ils doivent aussi prendre l'amitié de toute la nation arabe en considération et que, aujourd'hui, dans le monde il y a une opinion publique et cette opinion publique est extrêmement montée dans cette affaire. L'arbre ne doit pas cacher la forêt. Les intérêts aussi bien de l'Iran que de la Russie doivent être considérés dans leur totalité, c'est-à-dire sur l'ensemble du monde arabe et pas seulement en fonction du régime syrien. J'espère que la sagesse prévaudra pour que nous puissions tous ensemble, Européens, Arabes, Russes, Iraniens travailler de concert pour que cette tragédie cesse. Parce que, malheureusement, elle n'a que trop durée, jamais révolution arabe n'a eu un prix aussi prohibitif : 17 000 morts et des dizaines de milliers de blessés. C'est la responsabilité morale de tout un chacun y compris de nos amis iraniens et russes de faire partie de ceux qui éteignent l'incendie et pas du tout de ceux qui continuent à souffler dessus.
QUESTION -- Bonjour M. le Président. Une question pour M. MARZOUKI. La Tunisie accueillera au mois de septembre un sommet de chefs d'Etat du Maghreb. Est-ce que vous avez eu la confirmation de présence de tous les chefs d'Etat du Maghreb ? Quels sont les grands sujets qui seront abordés ?
Une question pour M. HOLLANDE. Vous avez reçu dernièrement le Roi du Maroc et vous allez commencer bientôt une visite en Algérie. Est-ce que vous allez jouer un rôle pour le rapprochement qui a commencé entre le Maroc et l'Algérie. Quelle est votre position par rapport au conflit du Sahara entre le Maroc et l'Algérie ? Merci beaucoup.
M. MARZOUKI -- C'est en octobre en principe que nous allons avoir le sommet de l'Union maghrébine. J'ai fait moi-même le déplacement dans les quatre pays. Tous les présidents et Sa Majesté ont donné leur accord. Il va se tenir à Tunis en octobre. Maintenant le projet est très simple. Il est de redonné vie à une institution qui était moribonde avant les révolutions arabes et tout le monde sait que c'est l'intérêt de tous les peuples aujourd'hui de réactiver cette union. Nous avons ici le grand exemple de l'Union européenne qui a bien montré que, en fait, c'est dans l'unité que les peuples avancent et pas du tout dans la division.
Maintenant qu'est-ce que nous en espérons, encore une fois mettre en place un processus dont il faudra identifier sa vitesse en fonction des uns et des autres. Nous ne voulons pas faire avancer les gens plus vite qu'ils ne peuvent aller mais nous voulons mettre en place un processus pour que, disons dans 5 ans, cette union du Maghreb soit une réalité et non pas ce qu'elle est actuellement, beaucoup plus une promesse qu'autre chose.
LE PRESIDENT -- C'est aux dirigeants du Maghreb, aux peuples du Maghreb de décider de leur union et de leur avenir. Ce n'est pas à la France de dire quel est le rythme ou quelle est la méthode et quel peut être le contenu. Je fais confiance aux dirigeants eux-mêmes pour se retrouver au mois d'octobre et définir la meilleure procédure et le meilleur calendrier. Mais c'est vrai que c'est une belle idée : l'union du Maghreb, une grande idée qui ferait qu'il y aurait des projets qui naîtraient, des forces qui se constitueraient, des espoirs qui se lèveraient. Mais je vous le dit, c'est au Maghreb lui-même de définir les conditions de son union.
Pour la place de la France, il se trouve qu'elle a de bonnes relations avec tous les pays. Avec la Tunisie, nous en faisons la démonstration. Avec l'Algérie, je vais me rendre, à mon tour, en Algérie dans les prochains mois, après que nous ayons travaillé, réfléchi à la meilleure façon de nouer notre relation, ce partenariat. Et puis nous avons de bonnes relations avec le Maroc. Alors, nous essayerons de faire passer ce message, c'est-à-dire si tous ces pays ont de bonnes relations avec la France, ces pays peuvent avoir de bonnes relations entre eux aussi.