26 juin 2012 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de M. François Hollande, Président de la République, et Mme Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix et députée au parlement birman, sur la situation politique en Birmanie, à Paris le 26 juin 2012.

LE PRESIDENT -- Mesdames, Messieurs, Madame, c'est la première fois qu'arrivant à une conférence de presse, mon invitée est applaudie. C'est vous dire si nous sommes fiers de vous accueillir ici à Paris, dans ce palais de l'Elysée, où nous recevons beaucoup de chefs d'Etat et où aujourd'hui je reçois une grande personnalité. Une personnalité qui a combattu pour non seulement sa liberté mais celle de son pays, les droits de la personne humaine et qui a permis, au prix du sacrifice de tant d'années, privée de liberté, un processus de transition démocratique en Birmanie.
François MITTERRAND lorsqu'il avait écrit la préface de votre livre, en compagnie de Vaclav HAVEL, au moment où vous aviez été lauréate du Prix Nobel et que vous n'aviez pas pu aller le recevoir, avait parlé de vous comme d'une « irréductible » et vous l'avez démontré. Irréductible en français, cela veut dire une personne qui ne lâche rien, qui ne cède rien, qui ne renonce à rien et qui suit son chemin parce qu'elle sait qu'au bout de ce chemin, il y a la liberté et quel qu'en soit le prix, il convient de tenir bon.
Je veux donc vous dire que votre voix a porté bien au-delà de votre pays, dans le monde entier et en France tout particulièrement. Ici, en France, parce que nous avons une haute idée de ces valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité qui ont fait notre identité. En France, parce que nous sommes attachés à des valeurs universelles que vous avez défendues et portées vous-même dans votre propre pays. Donc je réaffirme ici que la France soutiendra l'ensemble des acteurs de la transition démocratique en Birmanie et fera tout ce qu'il est possible de mener avec l'Union européenne pour que ce processus aille jusqu'à son terme, c'est-à-dire à une démocratie pleine et entière.
Il y a encore beaucoup de problèmes qui demeurent en Birmanie. Des prisonniers politiques, des droits syndicaux qui ne sont pas reconnus, des minorités qui ne sont pas respectées. C'est ce combat-là qui se poursuit et dont vous êtes vous-même une des plus grandes voix pour l'exprimer. La France sera vigilante sur tout ce qui est la transparence des transactions financières et du comportement des industries que l'on appelle extractibles. Il est bon que la Birmanie reçoive des investissements mais il est indispensable que ces investissements soient regardés à la fois pour ce qu'ils apportent au peuple birman et pour ce qu'ils rapportent à ces investisseurs. Donc une très grande vigilance sera accordée à ce que l'on appelle la transparence des transactions financières et des projets industriels.
J'ai su que vous aviez fait de la jeunesse le thème de votre démarche politique et comme ici aussi nous en avons fait une priorité, je veux dire toute la confiance que nous portons à la jeunesse birmane parce que c'est elle qui sera à la fois la génération qui poursuivra le combat qui est le vôtre et qui en sera la bénéficiaire. Voilà pourquoi, elle ne doit pas avoir peur. C'est vous-même qui aviez, dans votre livre, souhaité que la Birmanie se libère de la peur, et bien je souhaite que la Birmanie à travers vous, retrouve l'espoir.
MME AUNG SAN SUU KYI -- Merci beaucoup, je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui, car aujourd'hui est un moment très important pour la Birmanie. Il y a maintenant de nouvelles opportunités pour nous et il est important que ces nouvelles opportunités soient saisies de manière appropriée. Ce que nous souhaitons, que tout soit fait pour la Birmanie de manière à renforcer les fondements des institutions démocratiques et que ces véritables fondements des institutions démocratiques sont le peuple et nous avons besoin d'autonomiser notre peuple d'abord en renforçant ses capacités tout en créant de nouvelles opportunités. Nous disons que la Birmanie est arrivée au début d'une nouvelle route, et bien de nouveaux acteurs descendront cette route. Si ce sont les anciens acteurs, nous pourrons conclure que le processus des réformes en Birmanie ne prendra pas la direction que nous souhaitons. Nous souhaitons que la Birmanie puisse être un pays où le pouvoir est partagé par toutes les parties prenantes c'est-à-dire toutes celles et tous ceux qui sont intéressés par les réformes socio-politiques. Le président a déjà parlé de transparence notamment lorsqu'il s'agit d'industries extractives. Il est évident qu'il ne s'agit pas uniquement d'industries extractives, il s'agit de tous les secteurs économiques. Mais nous avons parlé d'industries car c'est là où il y a de gros revenus, c'est le secteur où un grand nombre d'entreprises étrangères sont intéressées par la Birmanie. Il faut aider les jeunes à se préparer à l'avenir, à un avenir que nous souhaitons forger pour eux. Nous appartenons à l'ancienne génération, nous pouvons lancer les fondements de la démocratie mais c'est à eux de maintenir cette démocratie et veiller à ce que ces fondements ne s'écroulent pas. C'est la raison pour laquelle nous mettons tellement l'accent sur l'éducation, pas uniquement l'enseignement primaire mais également la formation professionnelle et également une éducation pour tous ces jeunes qui ont souffert d'un système éducatif tout à fait inapproprié. Vous savez en Birmanie, ils ne sont pas préparés pour avoir un emploi, le système a été si mauvais que les jeunes en Birmanie quittent l'université avec un diplôme certes mais sans aucune capacité pour faire face à tous les défis de la vie. L'université ce n'est pas uniquement une question de diplôme mais c'est surtout la capacité de faire face aux défis qui se poseront à eux. Un des défis qui se posent à nos jeunes, c'est la mise en place d'institutions démocratiques. Il nous faut la démocratie, il nous faut aussi un développement économique. Le développement n'est pas un substitut à la démocratie, non il faut l'utiliser pour renforcer les fondements de la démocratie. Le développement de notre pays au plan politique, économique, financier, tout cela doit aller ensemble si nous voulons devenir une société saine et forte. Cela ne sera pas facile, nous avons connu trop d'années de pouvoir autoritaire et il est si encourageant, malgré toutes ces années d'autoritarisme, que nos jeunes soient prêts à relever le défi et assumer une responsabilité pour l'avenir. J'ose espérer que lorsque vous poserez des questions, et je crois qu'il y en aura, vous vous concentrerez sur ce qui pourrait être fait pour promouvoir le processus des réformes en Birmanie et ce qui à votre sens devrait être fait pour poursuivre notre processus de démocratisation.
QUESTION -- Bonjour, j'ai une question pour le président. Monsieur le président, vous avez déclaré que vous reconnaissez le changement et la transition, que vous vous félicitez de cette transition, vous êtes maintenant un nouveau président, que fera la politique étrangère et y aurait-il des mesures pour suivre tout ce processus de transition dans ce pays ?
LE PRESIDENT -- Oui j'ai reconnu ce processus. Nous devons le conforter, le soutenir, ne pas le considérer comme étant définitivement établi et donc avoir la vigilance indispensable pour qu'il aille jusqu'à son terme. Ce processus, ce sont des élections libres. Ce processus, ce sont des libertés politiques, syndicales. Ce processus, c'est aussi la possibilité pour les minorités d'être respectées, c'est la fin de ces régimes d'exception qui conduisent des personnes à être en prison pour leurs idées et la France avec l'Europe devra faire toutes les pressions nécessaires mais aussi les accompagnements en termes de coopération. C'est ce dont nous avons parlé avec Mme AUNG SAN SUU KYI, c'est-à-dire la coopération pour le développement, pour l'éducation, pour la santé qui est un thème très important. Et faire en sorte que l'aide qui peut être apportée, l'aide nécessaire soit également contrôlée pour qu'elle aille bien là où elle est attendue et qu'elle soit bien identifiée pour que nul ne puisse se l'accaparer. Et enfin, et cela a été un de nos thèmes de discussion également, la question de la transparence, vouloir un processus démocratique, c'est aussi qu'il y ait de bonnes pratiques, des bonnes pratiques d'entreprises, des bonnes pratiques en termes de financement et qu'il y ait donc le souci de demander aux entreprises qui investissent, qui placent un certain nombre de capitaux de bien donner toutes les informations indispensables aux Birmans et à la communauté internationale.
QUESTION -- A ce moment précis, avez-vous des contacts, des projets ou des promesses échangées avec des pays avec lesquels vous souhaitez travailler et coopérer ?
MME AUNG SAN SUU KYI --Nous avons reçu quelques assurances quant à ce soutien et l'enthousiasme marqué pour cette coopération. Tout cela est fondé sur un engagement de démocratisation donc je suis très touchée par ces engagements, je pense que ces paroles ne sont pas vides de sens, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de donner des noms mais le président lui-même a déclaré qu'il ferait tout ce qui était possible pour soutenir ce processus de réformes, veiller à la transparence financière notamment lorsqu'il s'agit d'entreprises extractives mais également de manière plus générale.
QUESTION -- Je voulais savoir quel rôle vous allez jouer sur la scène politique birmane en tant qu'opposante au régime actuel ? Est-ce que ce sera une opposition frontale ou serez-vous prête à accepter un compromis avec le régime actuel, avec ceux qui vous ont mise en prison et en résidence surveillée pendant des années ?
MME AUNG SAN SUU KYI -- Le fait que nous ayons décidé de participer au processus électoral veut dire que nous sommes non seulement prêts au compromis mais que nous l'avons déjà mis en pratique. Nous comprenons que les négociations, c'est après tout, prendre et donner, il ne s'agit pas uniquement de donner ou de prendre, ce que nous voulons pour nous-mêmes mais trouver ensemble les meilleures solutions pour l'ensemble du pays. C'est ce que nous avons dit pendant si longtemps au régime militaire, donner ou prendre ne veut pas dire qu'un côté va tout prendre et l'autre côté va tout donner. Je pense que les deux partis doivent prendre et donner. Et je n'en veux pas au régime militaire, je ne pense jamais au régime militaire comme celui qui m'a mise sous assignation à résidence, ce n'est pas comme cela que nous allons pouvoir nous réconcilier. Moi je les considère comme étant des personnes avec qui j'ai envie de travailler pour apporter des réformes à mon pays.
QUESTION -- Tout d'abord un mot pour vous saluer et vous dire mon admiration et je pense pouvoir dire notre admiration pour le combat que vous avez mené durant toutes ces années. Est-ce que vous faites confiance, Madame, aux gens qui vous ont oppressée pendant si longtemps pour conduire le processus démocratique jusqu'au bout ou est-ce qu'il faudra une autre personne, comme vous, pour accompagner la démocratie en Birmanie ? Et monsieur le président, est-ce que vous comptez envoyer rapidement, prochainement une invitation au président birman à venir en France ?
MME AUNG SAN SUU KYI -- Est-ce que je fais confiance à ceux qui se sont engagés dans le processus de réformes ? Je ne pense pas qu'il faille parler de confiance mais de travail, nous devons beaucoup travailler pour veiller à ce que ce processus de réformes soit maintenu. Je ne sais pas quel est le degré de sincérité de tous ceux qui se sont engagés et je ne peux pas parler au nom de ceux ou tous ceux qui se sont engagés. Je pense que le président est sincère mais je ne peux pas m'exprimer au nom de tous. Ce qui est important, c'est qu'il faut soutenir ce processus de réformes et veiller à ce qu'il ne déraille pas. Il faut veiller également à ce que l'armée soit également engagée. Nous devons travailler ensemble et il faut que l'armée comprenne que ces réformes sont pour l'ensemble du pays pas uniquement pour ceux qui veulent la démocratie, pas pour un petit secteur de la société. Cette réforme, elle est pour toutes et tous. J'ai cru comprendre que les chauffeurs de taxi me soutenaient ce qui me semble être un très bon signe.
LE PRESIDENT - Vous parlez des chauffeurs de taxi français ou birmans ...
MME AUNG SAN SUU KYI -- Oh taxis français... taxis anglais !
LE PRESIDENT - C'est vrai que c'est un indicateur les chauffeurs de taxis, je l'avais moi-même ressenti dans la campagne présidentielle, la mienne. Pour ce qui concerne la question que vous avez posée, nous soutenons tous les efforts qui peuvent être engagés pour la réussite de cette transition et la France doit être au service de la démocratie. Tout ce qui peut être fait pour appuyer ou parfois faire pression sera fait. Avec le président birman qui a été présenté par Mme AUNG SAN SUU KYI comme un homme qui est sincère dans le processus qui a été engagé, s'il veut venir, il viendra.
QUESTION -- Bonjour, Mme SUU KYI. Vous avez parlé du chemin qui reste à accomplir pour la transition politique en Birmanie. Quand vous êtes en déplacement en Europe, vous êtes honorée comme une quasi chef d'Etat.
Est-ce que vous ne sentez pas un décalage par rapport à l'enthousiasme des capitales occidentales, par rapport à ce que vous vivez concrètement dans la réalité politique birmane ? Ou, pour être plus direct, est-ce que vous êtes aussi enthousiaste que vos homologues ou vos contacts politiques occidentaux ?
MME ANG SAN SUU KYI - Il y a beaucoup plus d'enthousiasme en Birmanie ! Il m'aurait fallu des heures pour aller de la gare à l'hôtel. Alors qu'en France, j'y suis arrivée quand même assez rapidement. En Birmanie, l'enthousiasme déferle de par les rues et tout le monde est tout à fait solidement derrière nous.
Je remercie l'Europe mais la route, elle doit être prise par ceux de mon pays. Vous savez, les routes ne sont pas comme en France et en Europe : nos routes sont encore très accidentées et très basiques. Nous allons pouvoir utiliser et descendre ces routes par tous les temps.
QUESTION -- Je voudrais poser ma question en birman. (Adresse en birman).
Je traduirai ma question en anglais : Mme ANG SAN SUU KYI demande un investissement responsable et je lui ai posé la question de savoir s'il y avait un secteur particulier dans lequel elle se féliciterait de l'investissement de la France et de l'apport de la technologie également à la Birmanie ?
MME ANG SAN SUU KYI - (réponse en birman puis traduite)
J'ai déjà répondu à cette question : la technologie est bienvenue, qu'elle vienne de France ou d'ailleurs. Et avant de commencer à réfléchir à quelle technologie pourrait être apportée par des investissements français, il faut commencer par réfléchir au cur de ces financements, c'est-à-dire les bonnes pratiques et la transparence.
QUESTION -- Quelle mesure préconisez-vous pour résoudre la crise actuelle dans l'Etat du Rakine et notamment toutes les atrocités qui ont été commises envers le peuple Roinga ?
MME ANG SAN SUU KYI - Si nous parlons des problèmes dans le Rakine, il va falloir se concentrer sur la prééminence du droit, l'Etat de droit. C'est vrai qu'il y a beaucoup de difficultés religieuses, culturelles, tous ces problèmes ne peuvent pas être réglés en un jour. Il va falloir apporter une véritable harmonie entre Musulmans et Bouddhistes dans cette partie du pays.
Mais c'est l'Etat de droit qui est important. Et à cela il y a deux aspects dans le Rakine. Il y a d'abord le fait que les lois sur la citoyenneté soient en phase avec des normes internationales. Il faut les mettre en place de manière équitable et efficace. C'est la raison pour laquelle je vous parle de l'Etat de droit, de la règle de droit. Il y a beaucoup de litiges quant à la question de savoir qui est citoyen de Birmanie et qui ne l'est pas ? Et ceci ne peut être réglé que par des lois sur la citoyenneté et la manière dont celles-ci seront mises en place.
La corruption est un énorme problème. Le ministère de l'immigration est corrompu, on le sait. Il y a beaucoup de frontières traversées. Si la fonction publique était plus efficace, si les lois étaient mises en place de manière plus efficace, cela réduirait quelques tensions et quelques problèmes immédiats. Mais vous comprendrez que les problèmes des communautés ne peuvent pas être réglés en 24 heures. Cela prend du temps et ce n'est qu'à partir du moment où on aura l'impression que l'on aura véritablement accès à la justice que ces problèmes pourront également être réglés.
QUESTION -- Mme, M. le Président, nous avons beaucoup parlé il y a quelques années de Total en Birmanie, qui était accusé de pratiques qui ne respectaient pas les droits de l'Homme.
Aujourd'hui vous semblez accepter tous les investissements. Que pensez-vous aujourd'hui de la conduite de Total en Birmanie ? Cette question est posée à vous, Madame et à vous, Monsieur le Président.
MME ANG SAN SUU KYI - Je ne peux pas dire que j'accepte tous les investissements. Ce que j'ai dit très clairement, ce sont des investissements dans le respect de la démocratie et des droits de l'Homme. Il faudra un fondement solide de bonnes pratiques : protection de l'environnement et des droits de l'Homme.
Quant à Total, je sais qu'il y a eu beaucoup d'accusations mais je ne veux pas non plus être marquée par le passé. Il faut préparer l'avenir. Et en toute honnêteté, je dois vous dire que Total a fait des efforts pour offrir des compensations à toutes celles et ceux qui ont été déplacés et faire également tout ce qui était possible pour les employés.
Nous voulons donner une opportunité pour investir, ce qui va également renforcer le processus de démocratisation. Si nous voulons être toujours marqués par le passé, nous n'arriverons jamais à une réconciliation nationale.
LE PRESIDENT -- Total est présent en Birmanie depuis plusieurs années. Il y a eu à un certain moment des mises en cause et aujourd'hui il y a de la part de cette entreprise des pratiques qui ont changé et qui sont respectueuses des droits de l'Homme. Et qui doivent respecter aussi les normes environnementales et les normes sociales.
Mme ANG SAN SUU KYI a d'ailleurs eu des rencontres avec des dirigeants de Total et nous-mêmes, à chaque fois que nous avons à poser des principes, nous veillons à ce qu'ils soient respectés. Ça vaut pour toutes les entreprises, et notamment Total, et c'est le cas aujourd'hui en Birmanie. Et si, il advenait qu'il n'y ait pas ce respect, Mme ANG SAN SUU KYI pourra à tout moment me joindre pour que nous puissions y mettre bon ordre.
QUESTION -- Je vous avais interrogée chez vous, à Rangoon, en septembre 1995. Il ne s'est pas passé un jour sans que j'espère ardemment vous voir libre. Vous êtes ici en France dans un pays qui glorifie la Révolution française et vous, vos valeurs sont à rechercher plutôt du côté de la compassion universelle.
J'aimerais que vous expliquiez en un instant au pays du poing levé, comment le salut peut parfois venir de la maîtrise de son souffle ?
MME ANG SAN SUU KYI - Merci d'avoir pensé à moi tous les jours, je vous en remercie. Ça aide ! Je suis persuadée que les pensées nous parviennent et nous aident, quel que soit le combat dans lequel nous nous sommes engagés. C'est la base même de la compassion : si vous comprenez la souffrance des autres, c'est le début d'une véritable compassion. Dans l'école du bouddhisme du nord, il est nécessaire de toujours s'attacher à la sagesse et à la compassion. Sans compassion, on ne fera jamais rien pour ceux qui souffrent mais sans sagesse, vous ne saurez jamais que faire pour ceux qui souffrent. Nous ne pouvons pas uniquement nous concentrer sur la compassion, non. Il faut également se concentrer sur une compassion volontariste, il faut comprendre la souffrance et il faut essayer de l'atténuer. C'est ce que nous essayons de faire dans notre pays lorsque nous parlons de démocratie et de droits de l'Homme.
Pour nous c'est une question d'ordre pratique: lorsque nous parlons des droits de l'Homme, nous parlons des droits de celles et de ceux qui se protègent de lois injustes. Nous parlons du besoin de se protéger, d'être mis en prison sans procédure équitable et d'être obligé de rejoindre l'armée quand on est très jeune. Je pense également au travail forcé, je pense à toutes ces personnes déplacées.
Nous parlons également de questions pratiques, nous ne parlons pas uniquement d'idées abstraites de la justice. Et, à moins que vous n'ayez cette compassion, cette empathie pour toutes celles et ceux qui auraient été privés des droits les plus fondamentaux qui leur donnent la sécurité et la liberté, on ne peut pas vraiment dire que l'on pratique la compassion.
C'est ce que signifie la démocratie pour nous : un équilibre entre la sécurité et la liberté. Nous voulons les deux et trop souvent les gouvernements autoritaires se concentrent sur la sécurité et nous privent de notre liberté. Mais il nous faut les deux et il faut s'attacher à travailler sur les deux, sur la base de la compassion.
QUESTION -- Comment ne pas saluer votre présence ici, bien sûr, Madame, à Paris ? J'aimerai simplement vous poser cette question : que représente la France à vos yeux ?
MME ANG SAN SUU KYI - La France représente de nombreuses choses à mes yeux, à commencer par Victor HUGO et jusqu'à la soupe à l'oignon ! Donc, c'est très difficile pour moi de résumer en quelques mots ce que la France représente pour moi. L'esprit révolutionnaire de la France a toujours été important pour moi dans ma lutte politique. Mais la culture française, pas uniquement la langue française, que j'ai toujours peur d'employer mais que j'aime beaucoup écouter, cette langue signifie beaucoup pour moi.
L'étude du français m'a permis de passer des heures et des heures agréables durant ma détention. Et j'ai pu passer des heures à travailler pour comprendre un livre en français. Donc c'est vraiment quelque chose de quotidien. La France et la culture française ne sont pas des choses vers lesquelles je me tourne occasionnellement. J'essaye chaque jour de lire quelques mots de français, je suis donc en permanence en contact avec la France. Les idées, les pensées qui ont fait de la France l'un des représentants des symboles de la liberté dans le monde.
LE PRESIDENT -- En citant Victor Hugo, vous avez répondu à la question philosophique. C'est-à-dire que Victor HUGO a été capable de concilier le poing levé et le souffle spirituel. Tout son parcours a été celui de la confluence entre une passion qu'était la sienne pour la liberté, qui a pu emprunter les voies du romantisme et de la foi, et en même temps de l'aspiration démocratique qui fait que ce que vous défendez, c'est une valeur universelle, qui vaut partout, quelle que soit l'inspiration.
QUESTION -- Mme, quel rôle peuvent jouer les religieux dans le processus démocratique, en particulier ceux de Schwedagone et, si un jour vous accédiez au pouvoir dans des délais que nous espérons courts, tous, le Myanmar redeviendrait-il la Birmanie et Rangoon sa capitale ? Merci Madame.
MME ANG SAN SUU KYI - J'espère que Rangoon restera la capitale de la Birmanie car je n'aimerai pas avoir, comme d'ailleurs tous les diplomates, à me rendre à chaque fois dans cette nouvelle capitale.
Le rôle de la religion est important parce que c'est lié à la spiritualité. Je ne parle pas d'une religion ou d'une autre en tant que telle mais je parle de l'élément spirituel de l'être humain et je crois que c'est une facette importante de l'être humain, le développement de l'esprit. J'ai parlé, j'ai dit qu'une véritable révolution était une révolution de l'esprit. C'est pourquoi je tiens tellement à Victor HUGO car il comprend que toute véritable révolution part de l'intérieur. Et il faut que ceux qui ne sont pas encore engagés en faveur des réformes le comprennent. Une révolution au sein d'eux-mêmes, c'est la meilleure façon d'améliorer la situation dans notre pays. Et une acceptation superficielle de ce qui se produit actuellement n'est pas suffisante. Donc la religion pour moi signifie la culture de l'esprit. Quelle que soit la façon dont on le conçoit. C'est quelque chose de très personnel : on peut choisir une religion ou une autre mais en cultivant l'aspect spirituel de la personne. Bien entendu, il ne faut pas pour autant porter atteinte aux autres £ la religion doit être synonyme de tolérance, la religion doit reposer sur une compréhension de la relation de personne à personne.
LE PRESIDENT - Est-ce que quelqu'un veut poursuivre ce débat spirituel ? Parce qu'il est rare, Madame, que nous ayons dans des conférences de presse que je pratique depuis peu de temps, une aussi grande élévation d'esprit. Donc je vais remercier peut-être tous les journalistes qui sont venus pour vous, ils sont venus pour vous saluer et vous interroger.
QUESTION -- En 1990, je suis venu vous voir dans votre maison où vous étiez entourée de vos tambours de pluie, pour recueillir votre voix qui n'arrivait pas à porter au-delà des grilles de votre villa. Donc nous sommes très heureux aujourd'hui de vous voir en France.
Je voudrais juste vous poser une petite question : est-ce que vous avez le sentiment que vous pouvez ou vous allez devenir une sorte de Che GUEVARA féminin du XXIème siècle, représentant une icône de la démocratie pour toute une jeunesse qui ne l'a pas toujours ?
MME ANG SAN SUU KYI - Est-ce que Che GUEVARA était spirituel ? Je ne pense pas que je me perçoive comme un Che GUEVARA au féminin ou quoi que ce soit au féminin d'ailleurs. Je ne me perçois que comme étant moi-même et je ne souhaite absolument pas promouvoir le culte de la personnalité. J'ai pour autant conscience que les mouvements ont besoin d'un visage, j'en parlais au demeurant avec des journalistes, il y a quelques heures. Et en général les gens se rassemblent plus au sein d'un mouvement lorsque ce mouvement a un visage humain. Et je crois que je représente ce mouvement pour la démocratie en Birmanie. On doit en rester là, je ne souhaite absolument pas devenir une figure culte. Lorsque les gens parlent de moi comme d'une icône, ça me gêne énormément car en général les icônes ne font pas grand-chose et croyez-moi, moi je travaille beaucoup !
LE PRESIDENT - Bien, bon travail alors pour la suite. Et puis je pense qu'on peut saluer Mme ANG SAN SUU KYI.