Le Président Emmanuel Macron s'est rendu à la Grande Loge de France, ce lundi 5 mai 2025.
À l’approche du 120e anniversaire de la loi de séparation des Églises et de l’État, le Président de la République a réalisé sa première visite présidentielle au sein de l'obédience de la Grande Loge de France.
Le chef de l’État a réaffirmé l’esprit de liberté qui fonde la loi de 1905 afin que chacun puisse se reconnaître en République.
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5 mai 2025 - Seul le prononcé fait foi
Discours du Président de la République à la Grande Loge de France.
Monsieur le préfet de région, Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités.
Je suis heureux de me retrouver parmi vous aujourd'hui. Et je viens, en quelque sorte, d'entendre la parfaite synthèse de toutes ces raisons d'être heureux, je vais essayer d'y revenir. L'une d'entre elles étant sans doute que, comme vous l'avez rappelé, et c'est là une forme d'incongruité, c'est la première fois qu'un Président de la République vous visite, répondant à votre invitation. Et je vous en remercie très chaleureusement, de même que pour les mots que vous venez de prononcer. Cela, d'abord, parce que le dialogue entre la République et la franc-maçonnerie est une conversation polie par des siècles de combat, par la communion de pensée et par une connivence qui n'a rien d'un complot. Les francs-maçons, dont la naissance est contemporaine de l'émergence de l'esprit des Lumières, en sont les enfants tout naturels. Et avec eux, avec vous, a émergé cette idée républicaine sur laquelle je vais revenir, et vous rappeliez d'ailleurs cette antériorité du triptyque républicain au choix même fait ensuite par la Troisième République, bien après, dans vos propres textes : Liberté, Égalité, Fraternité.
Liberté, d'abord, celle de l'usage public de la raison pour faire triompher la science, faire avancer le progrès dans la société. Égalité est d'abord celle des droits, qui est universelle, commune au genre humain, égalité révolutionnaire, proclamée par la déclaration de 1789. Fraternité, naturellement, et ce beau mot résonne avec un poids particulier, j'en ai conscience, dans ce Temple. Alors que la franc-maçonnerie était l'atelier de la République, en quelque sorte, c'est un fait historique. Je l'ai rappelé devant vos frères et sœurs du Grand Orient au mois de novembre 2023. En effet, tout au long du XIXème siècle, l'idée républicaine a été transmise, protégée dans des loges quand elle était réprimée, menacée, combattue ou réprimée ailleurs. Elle a survécu parce que se sont levés partout des Maîtres et des apprentis pour bâtir l'édifice républicain.
Alors, je sais que prendre place ici, dans ce décor, dans cette forêt de symboles dont parlait le poète, nourrira quelques commentaires. Vous y êtes habitués, je crois que moi aussi. Mais je sais qu'ici, vous ne confondrez pas les commentaires de l'après avec le verbe du commencement. Ce verbe qui vous a tous conduits à être présents ici, en ce Grand Temple, où se mêle à votre présence visible la présence symbolique de ceux qui vous ont précédés, pour peu que l'on sache élever son regard vers la lumière. Présence de Pierre Brossolette, le socialiste et le résistant qui préféra donner sa vie plutôt que de perdre des camarades, sa cause et son honneur, qui donna sa vie à la France et offre aussi son nom à ce Temple où nous nous trouvons. Présence de Gustave Mesureur, premier président du parti radical socialiste, au sein duquel furent tracés des plans parmi les plus importants de notre histoire française de progrès. Présence de ces visages qui incarnent la devise de la République, devise qui est aussi la vôtre : Liberté, Égalité, Fraternité.
Et la liberté, ici, a le visage de Pierre Simon, ce médecin qui fut aussi votre Grand-Maître, que vous convoquiez à l'instant, et qui a tant fait pour faire avancer la liberté : liberté des femmes, grâce à la contraception d'abord, le droit à l'avortement ensuite, en faveur duquel il s'engagea aux côtés de Simone Veil. L'égalité a le visage des frères communards de la Loge de la justice qui incarne avec Jules Vallès cette promesse d'égalité au cœur de la République. Égalité entre les hommes, entre les genres, entre les conditions. Égalité comme instrument de libération des tyrannies, des privilèges, des assignations comme des superstitions. Et la fraternité a le visage d’Hubert Germain, le dernier des compagnons à nous avoir quittés, dont le regard brûlait toujours vivace de l'espérance en l'humanité. La fraternité aussi a le visage d'Arnaud Beltrame, dont l'amour du prochain puisait sa source, si je puis dire, dans tant d'origines spirituelles, ses familles de pensée et d'espérance qui composaient en lui une si haute conception de l'homme qu'elle le mena jusqu'au sacrifice. Ce sont tous ces noms que je cite parmi d'autres et qui forment sous les hautes voûtes du Temple Pierre Brossolette une compagnie héroïque, une fraternité française. À l'évocation de ces noms surgissent des destins, des valeurs, l'histoire de la construction de l'édifice républicain, qui s'est faite aussi ici, entre ces piliers et les ombres lumineuses qui les peuplent. Toute cette histoire montre que la République en franc-maçonnerie est plus que chez elle. Elle est dans son foyer et dans son cœur. Et à tous ces noms-là aussi, peut-être me permettrez-vous d'ajouter un plus hétérodoxe, celui du professeur Choron, parce qu'il fut de l'aventure de Charlie Hebdo et de Hara-Kiri qui furent et demeurent des lieux de cet esprit français. Notre esprit français qui lézarde aussi par le rire les dogmes, par l'insolence et les blasphèmes les puissances et les fanatismes.
Voilà la première raison de ma présence ici, dans cette grande loge qui se trouve aussi, je le crois, par rapport aux autres obédiences, dans une place particulière, peut-être pétrie de ce même esprit de liberté que j'évoquais, car la quête de liberté est une affaire trop sérieuse pour être confiée à des frères qui ne seraient que sérieux. C'est aussi une affaire d'irrévérence. Le frère Montesquieu lui-même ne s'amusait-il pas à surnommer « le pasteur des aiguilliers » l'un des fondateurs de la franc-maçonnerie, de « grand Belzébuth de tous les maçons » ? Alors parler devant vous et à travers vous, au fond à la nation toute entière, s'avère d'autant plus nécessaire que la franc-maçonnerie est aux avant-postes de la bataille, la bataille qui importe si nous voulons façonner le siècle pour le bien de l'humanité. Un signe est sans doute le fait que la franc-maçonnerie a toujours été la cible des complotistes, des obscurantistes, qui lui attribuent une influence la mettant ainsi à l'honneur. Un organe de presse nous a récemment fait procès de vouloir peser sur les débats relatifs à la fin de vie, usant au passage d’une iconographie qui était oubliée depuis Vichy.
Je vous le dis ici, soyez-en fiers. Que, comme les autres grandes familles spirituelles, les francs-maçons s'emparent de ce débat fondamental, la fin de vie, je le dis aussi ici, est une bonne chose. Je n'ai pas prévu sur ce sujet d'être trop long. Et vous avez travaillé, je le sais, longuement sur celui-ci. J'ai reçu vos textes et je veux vous en remercier. Je lis aussi tout ce qui s'écrit ou se dit sur ce sujet. Ce n'est pas là un sujet. C'est un vertige qui touche chacune et chacun d'entre nous. Mais le débat résolument ne peut être réduit à la question de savoir si on est pour la vie ou contre la vie, ou si, d'un côté, il y aurait un humanisme qui voudrait le traitement et, de l'autre, l'abandon à la mort, simplement. Non. Comme vous l'avez bien posé, c'est la question du rapport à la mort aussi, à la souffrance et à la dignité humaine jusqu'à la dernière seconde. Et j'ai peur que, parfois, dans nos débats, les choses se précipitent, qui oublient l'épaisseur et la grande difficulté, parfois, aussi, de simplement penser le moindre mal. Car face à certaines situations, il n'y a plus le bien d'un côté et le mal de l'autre, mais simplement à choisir, dans des situations concrètes, dans la solitude de celui qui a à mourir, de sa famille, de son médecin, le chemin singulier qui respecte à chaque instant la dignité de chacun.
Que les francs-maçons portent cette ambition de faire de l'homme la mesure du monde, le libre acteur de sa vie, de la naissance à la mort, qui peut s'en étonner ? Pour ma part, je m'en félicite, car plus le débat pour la nation sera à ce degré d'intensité et d'élévation, plus le choix des Français se fera éclairer et le consensus large. Mais je faisais référence à ces attaques contre vous, elles ne sont pas neuves. Elles participent d'ailleurs d'un même air du temps où s'exhibent les pulsions de haine, la rage antisémite, la fureur des algorithmes. À travers la franc-maçonnerie, au fond, est visé le projet de révolution et d'émancipation dont vous êtes, avec d'autres, les gardiens. En effet s'articule aujourd'hui un projet né aux États-Unis, mais qui essaimera à n'en pas douter ici, en Europe et en France, ce projet explicite des Lumières noires qui tente à effacer l'héritage de 3 siècles au moins de progrès humain. À la liberté des Hommes, ces lumières noires veulent opposer la force des choses, à l'égalité des naissances, la hiérarchie des conditions, à la fraternité universelle, le règne des guerres et des prédations. Ce projet idéologique, il existe, et à travers des femmes et des hommes, il entend gouverner. Il s'ajoute à tous les ennemis des Lumières qui, depuis que ce mouvement de la conscience et de la connaissance existe, s'y opposent. Je pense aux idéologies de haine qui veulent séparer en raison de l'origine, du genre, de la religion, et qui, en cela s'en prennent à ces piliers de la raison et de la pensée républicaine, à tous ceux qui suivent consciemment ou non ces idéologies, qui passent à l'acte, qui lèvent la main, qui agressent, frappent, tuent même en raison de ces pulsions odieuses et de ces mobiles haïssables. Alors ici, dans ce Temple, devant vous qui savez la puissance du verbe, pour initier la concorde nécessaire à l'établissement de l'universelle harmonie que vous appelez de vos vœux, je veux dire la force de la République, la force de celles et ceux qui y croient, et tout particulièrement la force de notre laïcité.
Avec vous et parmi vous, je souhaite vous entretenir de ce qui nous occupera à la fin de cette année : la commémoration du 120e anniversaire de la loi de séparation du 9 décembre 1905. Et rappeler des vérités simples que trop souvent le débat public efface. La loi de 1905 n’est pas un édit de tolérance, c’est une loi de liberté. C’est une loi qui reconnaît et protège la liberté de conscience, la liberté de culte mais aussi la liberté de s’abstenir de toute pratique cultuelle, liberté de croire et de ne pas croire, liberté de prier, de philosopher, liberté du dogme, liberté de l'esprit. La loi de 1905 est la loi des droits fondamentaux de l'être humain. Et la République a pour devoir de permettre à chacune et chacun, en conscience, de penser et exprimer son point de vue dans toutes les sphères de son existence, dans l'intimité, cela va de soi, mais aussi dans la sphère publique, cela va de soi aussi, à condition de s'imposer le même devoir que celui que s'impose la République, respecter et faire respecter les droits de l'autre, tout autant que l'on demande le plein respect des droits que l'on se reconnaît et que nous reconnaît la République. Ainsi, quelles que puissent être ces croyances, chacune et chacun peut se reconnaître en République, dans la liberté, l'égalité et la fraternité. Ainsi sommes-nous fidèles de l'enseignement d'Aristide Briand : la loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi. Et au sein de cet espace public laïque, nul n'est identifié, nul n'est assigné, nul n'est enchaîné à une identité politique, religieuse, sociale ou culturelle. C'est un espace où chacun d'entre nous reconnaît l'autre comme son frère en République.
La loi de 1905, à cet égard, parachève et complète la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. La fraternité n'est donc pas une identité, mais une affinité. Le chemin fraternel est le plus sûr moyen d'accéder à l'universel. Et je pense qu'ici, en cette enceinte où chacun d'entre vous cherche les voies qui lui sont tracées, personne ne peut en douter véritablement. Voilà pourquoi, en cette année de commémoration de la loi de séparation de 1905, comme je l'ai déjà demandé aux responsables des cultes, je vous demande d'être des ambassadeurs de la fraternité. C'est ainsi que nous démontrerons collectivement que la loi de 1905 n'est pas une loi d'exclusion, mais de réunion. Votre obédience, si je puis dire, est depuis longtemps convertie à ce point de vue. Je sais que vous accueillez parmi vous et que vous reconnaissez comme tels des frères de tous horizons religieux : catholiques, protestants, juifs, musulmans, mais aussi libres penseurs, agnostiques, athées, de même que vous accueillez en fraternité tous ceux qui proviennent d'horizons politiques, sociaux, culturels divers, pour peu que chacun d'entre eux recherche dans la Fraternité, la Liberté et l'Égalité, l'universelle harmonie, sans laquelle il ne peut y avoir de prétention à l'humanité. Ambassadeur de bonne volonté de la fraternité, donc de la laïcité, je vous demande d'aller partout répéter, sans cesse et sans vous lasser, que le seul mot qui s'accorde avec celui de laïcité est le mot de liberté. Oui, la laïcité est liberté, la liberté est laïcité, elles sont indissociables, inséparables. Comme Briand, je vous demande d'être fidèles à l'enseignement de Jaurès, je cite : « la loi de séparation n'est pas la victoire d'un groupe sur d'autres groupes, mais l'œuvre commune et l'honneur commun de tous les Républicains » En vérité, l'État républicain n'a pas vocation à laïciser la société. Ce n'est ni sa vocation, ni sa fonction. Et c'est dans cet esprit qu'il nous faut commémorer la loi de 1905 et au-delà, la faire vivre.
Prenons garde à ce titre, au piège que préparent ceux qui voudraient faire de la loi de 1905 une lecture identitaire sous prétexte de laïciser la société, dans le seul but de s'attaquer à des religions ou croyances, en particulier au nom de leur prétendue incompatibilité avec les valeurs de la République. Cette lecture ne peut être celle de la République fidèle à l'universalisme des Lumières et à l'esprit de 1789. Gardons-nous tout autant de ceux qui entendent faire de la laïcité un instrument de repentance contre la République, ceux qui ciblent les excès de 1793 pour s'attaquer à l'héritage de 1789, socle de notre histoire républicaine. La loi de séparation nous protège de tous ceux qui prétendent inscrire dans la Constitution des prescriptions à vocation identitaire au nom d'une lecture univoque du passé. La France laïque est la fille naturelle de la République, fruit de cette exigence absolue de liberté qui est si française et, oserais-je dire, qui commence d'avant la Révolution. Et cette fidélité est aussi à penser.
Dans ce Temple, dans cette maison de liberté, je souhaitais réaffirmer cela. Alors, portez sans cesse cette ambition, d'autres avant vous que j'ai cités furent des ambassadeurs de la fraternité, en portant avec elle la laïcité. Ils furent des ambassadeurs par l'étude, comme vous l'êtes en vos travaux, mais ils le furent en combattant résolument pour le progrès humain. Ils le furent le visage découvert et dans l'arène. Au fond, ne craignez rien d'autre que le renoncement, ne succombez à aucune peur, à aucune honte, à aucune tentation d'effacement. Soyez les vigies de cette grande loi de 1905, comme ceux qui veulent l'effacer, la trahir ou la détourner. Cette loi n'a pas 120 ans, elle est d'hier, elle est d'aujourd'hui. Elle est plus que jamais de demain parce qu'elle est empreinte de cette force toujours vive qui est celle des femmes et des hommes de bonne volonté, sans autre distinction. Au fil du lien séculaire qui noue l’idée républicaine à la force de la franc-maçonnerie, faisons vivre donc ce compagnonnage heureux, sans rien confondre, sans rien dissimuler. Alors la République vivra et la laïcité avec elle. Mais au-delà de cela, soyez conscients chaque jour du rôle important que vous jouez dans notre République.
Car dans les temps que nous vivons, et nous l'évoquions à l'instant ensemble, tant et tant de nos concitoyens, de nos concitoyennes, sont plongés dans une intimité qui n'existe plus et ouverte en quelque sorte à tous les vents par les réseaux sociaux, intimité bouleversée par les algorithmes qui pensent à notre place et ce faisant détournent nos esprits, et sont plongés face à une multitude convoquée à chaque instant, dans sa violence, sans phrases, sans mots, sans verbes, avec la brutalité des images et parfois l'absurdité des événements, pour cheminer et bâtir l'avenir. Re-distinguer l'intime du collectif est indispensable, mais bâtir du commun dans nos sociétés suppose en effet d'écouter, de comprendre, de douter, d'échanger et, ce faisant, de poursuivre le chemin qui est celui de la République et, dès avant lui, je le crois très profondément, celui de la nation française, qui est précisément le chemin du progrès à l'échelle humaine. Très Respectables Grands-Maîtres et vous tous ici, sous ces colonnes, je crois que j'ai dit, Vive la République et vive la France.