
Le chef de l’État a présidé, ce samedi 23 novembre 2024, la cérémonie du 80e anniversaire de la Libération de Strasbourg ainsi que la découverte du camp de concentration Natzweiler-Struthof, seul camp de concentration sur le sol français.
À cette occasion, le Président de la République a effectué une visite dans quatre lieux emblématiques de la Seconde guerre mondiale dans la région de Strasbourg, faisant ainsi le lien entre l’Histoire, la mémoire et les futures générations.
Il a débuté cette journée mémorielle à Strasbourg avec une cérémonie militaire sur la place Broglie, où il a décoré de la légion d'honneur quatre vétérans présents.
Revoir la cérémonie :
Il s'est ensuite rendu à l’aula Marc Bloch du Palais universitaire pour prononcer un discours, dans lequel il a annoncé la panthéonisation de l'historien et résistant Marc Bloch, assassiné par les nazis en 1944.
Revoir l'intégralité du discours :
23 novembre 2024 - Seul le prononcé fait foi
Discours du Président de la République à l’occasion des 80 ans de la Libération de Strasbourg.
Mesdames et messieurs,
Strasbourg. 23 novembre 1944.
Un soldat français grimpe quatre à quatre les escaliers de la cathédrale, parvient au sommet, contemple un instant la capitale alsacienne.
Libre depuis quelques heures, Strasbourg à ses pieds, la flèche à portée de main, Maurice Lebrun, du premier régiment des spahis marocains accroche un drapeau confectionné à l’improviste par Emilienne Lorentz, drapeau fait d’un bout de tablier bleu, de drap blanc, d’étendard nazi rouge.
Bleu blanc rouge.
Soudain le ciel tricolore par-dessus les toits.
Soudain l’affront et la souffrance effacés.
Soudain le défi jeté trois ans plus tôt à la face du Reich accompli.
Cette flèche tricolore perçant le ciel d’Alsace quelques hommes en avaient dès 1941. Car cette cathédrale de pierre dressée à Strasbourg avait d’abord été une cathédrale de songes sculptée à Koufra.
Koufra, ce fort tenu par l’Italie fasciste qu’une poignée de Français libres avaient assiégée, après avoir traversé trois cent kilomètres de mauvaises pistes, sans cartes sûres, sans assez de carburant pour revenir, sans d’autres puissance de feu que leur ruse et leur audace.
Koufra ce nom aussitôt rentré dans la légende, en même temps que celui qui avait ainsi forcé le destin : Philippe Leclerc de Hautecloque.
Oui, ce jour de mars 1941 à Koufra, à peine l’impensable accompli, Leclerc demanda à ses hommes de viser encore plus haut, de tenter sans frémir l’impossible.
« Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ».
Oui former une espérance encore plus grande, encore plus belle, encore plus forte. Opposer le rêve à la solitude, l’ambition à la soumission, réaliser l’impossible. Viser la cathédrale.
Silhouette de sa flèche comme point de fuite d’une folle épopée qui mena les soldats de la deuxième DB de Koufra à la Libye, de la Méditerranée à la Normandie, de Paris enfin libéré à la Bourgogne où ils rejoignirent l’armée du général de Lattre remontant de Provence.
Horizon plein d’espoir et d’attente, quand, en novembre 1944, nos armées purent contempler la ligne bleu des Vosges, les étoiles et la pointe là-bas de la cathédrale qui les attendait du haut de ses mille ans d’histoire.
A la lisière de ces terres de l’Est dépositaires de l’honneur de la Nation, pas un de ces soldats ne l’oubliait. Avec à l’esprit l’espérance de Strasbourg et Metz, leur serment de Koufra, la mémoire de l’arrachement de 1870 et de la liesse de 1918. Pourtant l’élan de nos armées faillit être freiné, car nos alliés américains préféraient concentrer l’effort plus au nord contre le Reich.
La cathédrale brillait dans toutes les têtes, l’attente était trop grande et le général de Gaulle exigea et obtint que Strasbourg fût délivrée de toute urgence par nos armées. Commença dans les vallées, de Belfort à Mulhouse, la bataille d’Alsace, une campagne âpre et douloureuse tant les nazis s’acharnaient.
Alors que les lignes allemandes tenaient désespérément, il fut encore une fois confié à Leclerc le soin de réaliser l’impossible. Franchir les Vosges en différents points totalement illogiques pour l’adversaire. Leclerc choisit les routes les plus inconcevables et donc les moins défendues. Salerne et Phalsbourg enlevés à l’audace et à la bravoure. Strasbourg, enfin, enlevé à la cavalcade. La cathédrale pavoisée. L’honneur restauré de notre armée.
Comme le proclama général de Gaulle, le Blitzkrieg de la Deuxième DB lavait l’affront de la défaite de quarante. Quand quelques semaines plus tard la contre-offensive allemande menaça d’enlever la ville, à nouveau l’impossible fut réalisé. Le général de Lattre désobéit aux consignes de repli des Alliés, et ses hommes venus de toute l’Afrique, du Tchad à Madagascar, mais aussi du Maghreb, d’Afrique ou du Pacifique, tous ceux-là fortifièrent nos lignes enneigées.
Dans « des bois d’Alsace parmi les cris des moutons de tabors », avec « leurs bazookas de Corrèze », les hommes de la Brigade Alsace-Lorraine conduite par le colonel André Malraux se portèrent « à la rencontre des chars de von Rundstedt lancés de nouveau contre Strasbourg ».
Strasbourg avait tenu bon. Notre drapeau français put flotter encore sur la cathédrale. Immarcescible.
Alors de cette flèche, se dessinaient les vallons alsaciens blanchis de givre où les combats se poursuivaient, jusqu’à la libération de Colmar en février. Saison de mort et de sacrifices sur ces terres orientales de la France. Jamais, dira le général, l’Alsace et la Lorraine n’avaient été plus près du cœur de la Nation. Pourtant les Nazis avaient voulu déraciner de notre cœur ces terres d’Alsace et de Moselle, mus par une irrépressible soif de vengeance, tel Hitler rentrant dans Strasbourg et s’exclamant « et il aurait fallu renoncer à cela ? ».
Déraciner, et forcer toute une population à renoncer à la liberté, lui interdire l’usage du français, expulser les Juifs et les Tziganes d’Alsace-Moselle, avant d’organiser la déportation systématique des Juifs de France, mettre en place un endoctrinement de masse et des camps de rééducation, appliquer comme en Allemagne la loi totalitaire sous la coupe d’un Gauleiter.
Alors oui, plus près du cœur, l’Alsace et la Moselle, avec l’ampleur de leur martyre, de leur calvaire, cette annexion de fait, unique sur notre territoire. Plus près du cœur, nos compatriotes d’ici, leurs réseaux de Résistance, permettant les filières d’évasion, l’action clandestine, et bientôt la libération de la zone.
Plus près du cœur, ces milliers d’Alsaciens et de Mosellans morts pendant cette guerre, morts parce que chacun à leur façon ils étaient de France, fraternellement, indissolublement et nous lirons au Mémorial chacun de leurs noms.
Plus près du cœur, l’Alsace et la Moselle.
Et lorsque l’Allemagne nazie incorpora de force notre jeunesse d’Alsace et de Moselle comme des enfants du Reich alors qu’ils étaient des enfants de France, commettant-là un crime de guerre, ces « Malgré nous », incorporés de force vécurent un supplice, dans le froid du front soviétique où ils furent projetés, où 40 000 d’entre eux moururent, dans les combats ou plus tard en captivité.
Ces enfants d’Alsace et de Moselle furent capturés, habillés d’un uniforme qu’ils détestaient, au service d’une cause qui les faisaient esclaves, instruments d’un crime qui les tuaient aussi, menacés de représailles s’ils tentaient de fuir. Ceux-là comprirent parfois aussi dans leur rang des enfants perdus qui endossèrent la cause néfaste du Reich.
Il nous faut reconnaître les souffrances que les premiers subirent, celles que les seconds dans leur petit nombre causèrent, cette souffrance dont la responsabilité première incombe au régime nazi.
Plus près de nos cœurs, comme une déchirure, ces « Malgré nous », enfants incorporés d’Alsace et de Moselle dont la tragédie doit être nommée, reconnue et enseignée car elle est celle de notre Nation.
Plus près du cœur, toutes les victimes des Nazis en Allemagne, ceux passés par le camp de Natzweiler-Struthof.
Ces cohortes de prisonniers venus de toute l’Europe. Ces Résistants arrêtés sous la règle du décret Nuit et Brouillard, chefs de file de la lutte contre l’Occupant tels le général Frère ou le général Delestraint, prisonniers de droit commun allemands, Juifs, tsiganes, homosexuels.
Tous captifs, affamés, maltraités, accablés du froid de la montagne vosgienne et de ce camp de Natzweiler-Struthof. Des milliers d’entre eux moururent d’épuisement, quand d’autres furent menés vers les camps de la mort ailleurs dans le Reich, et quand certains même connurent là l’extermination dans la chambre à gaz aménagée en contrebas du camp.
Ces femmes et ces hommes, ces victimes, dont nous honorerons tout à l’heure la mémoire en ravivant la flamme des déportés.
Oui ce chemin à travers la barbarie nazie, nous le prendrons tout à l’heure les yeux ouverts, les yeux ouverts sur cette maison de la mort que fut le Struthof, les yeux ouverts sur ce passé de notre Europe, les yeux ouverts sur notre présent où l’antisémitisme rode et frappe.
Plus près du cœur, l’Alsace et la Moselle, assurément.
Terres d’espérance, où l’impossible devient possible.
Que l’impossible s’appelle souveraineté et République avec Kléber et Rouget de Lisle, liberté et patrie avec Leclerc et Malraux, Europe et paix entre les peuples, avec Jean Monnet, Robert Schuman, René Cassin.
Car après-guerre, la France et l’Allemagne bâtirent un nouvel espace fait de paix, de liberté, de progrès, et si nous sommes tous aujourd’hui les enfants de cette espérance, notre Europe est née ici dans ce berceau, sur les rives du Rhin, passage et pont entre deux pays fraternellement unis.
Comme pour Koufra, il fallut pour faire advenir ce beau et grand rêve, de l’audace et de l’effort, du courage et de la lucidité, au fond, une volonté.
Prendre la parole ici, dans cette enceinte de l’université, nous rappelle que le fil de cette volonté française ne doit jamais se perdre, de générations en générations, d’une jeunesse l’autre. Pour tisser cette irrésistible volonté, il faut chaque fois des éclaireurs, des passeurs, des professeurs des braves voire des martyrs.
Parmi ces sentinelles de l’esprit, ces courageux de l’armée des ombres, Marc Bloch. Volonté française incarnée, par sa lucidité, par son courage. Enfant de l’universalisme français, enfant de ces Juifs d’Alsace, qui exprimèrent la volonté en 1870 d’adopter notre République, celle qui émancipe et protège. Professeur, à son tour, pour enraciner en chaque cœur l’amour des Lumières et l’amour de notre patrie. Grand savant, passeur d’une Histoire médiévale qui tisse encore notre imaginaire humaniste d’Europe.
Et, quand Marc Bloch fut témoin du désastre de 1940, il écrivit pour les générations à venir le récit de cette étrange défaite, celle notre volonté française émoussée par le conservatisme, endormie par le conformisme, amollie par la bureaucratie, délaissée par une partie de ses élites.
Lucidité cinglante qui nous frappe aujourd’hui encore. Audace des mots et des idées qui se doubla du courage physique.
Résistant, prenant sa place lui l’homme des Lumières dans l’armée des ombres.
Frère d’armes du réseau Franc-Tireur, arrêté puis torturé. Professeur toujours, enseignant l’amour de la France à ceux comme lui emprisonnés à Montluc, animé de cette volonté française jusqu’à son dernier souffle, jusqu’à l’assassinat par la Gestapo. Car Marc Bloch ne désespéra jamais du ressort de notre peuple, certain que le « courage » n’est pas « une affaire de carrière ou de caste ». Non, jamais il ne désespéra.
Comme si Marc Bloch pressentait par avance ce grand souffle qui passait de Koufra à l’île de Sein, des Glières au Vercors à la Provence, du Conseil National de Résistance à ceux de l’Affiche Rouge.
Ce souffle, cette volonté française que rien n’arrête, qui traverse les déserts, rêve de cathédrales et fonce sur les chemins des Vosges. Oui de la lucidité et de la résistance de Marc Bloch à la libération de Strasbourg, il y a ce cortège des volontés qui ont permis à la France de redevenir libre, cette confiance dans notre peuple dans son audace.
C’est pourquoi, en cette université et en ce jour, pour son œuvre, son enseignement et son courage nous décidons que Marc Bloch entrera au Panthéon.
Et depuis Strasbourg, dans la lumière de ces figures, dans la mémoire du sacrifice de ceux tombés pour la patrie, nous échoit un autre serment, celui que nous forgeons aujourd’hui, relever cette volonté française, rêver d’autres cathédrales, vouloir toujours l’Europe, imaginer d’autres victoires et choisir à chaque instants la volonté de faire des grandes choses contre l’étrange défaite.
Vive l’Europe,
Vive la République,
Vive la France,
Et vive Strasbourg libéré.
Il a également remis la légion d'honneur à Daniel Bloch, fils de Marc Bloch et résistant.
A l’issue, il s'est rendu sur le site de l'ancien camp de concentration Natzweiler-
Revoir le dépôt de gerbe :
Ce déplacement était l’occasion d’honorer différentes mémoires :
- le serment de Koufra des hommes de la 2e Division Blindée de ne déposer les armes que lorsque le drapeau français flottera sur la cathédrale de Strasbourg ;
- la résistance du peuple alsacien ;
- l’armée d’Afrique qui a participé à libérer la France avant la bataille d’Alsace-Moselle ;
- les incorporés de force d’Alsace-Moselle ;
- les changements de nationalités successives en Alsace-Moselle ;
- la figure de Marc Bloch, qui fut notamment professeur à l’Université de Strasbourg ;
- l’horreur nazie du seul camp de concentration située sur le territoire français.
Le chef de l’État a ainsi clôturé à Strasbourg l’année commémorative 2024, qui débuta en avril par le 80e anniversaire des combats des Glières.