Fait partie du dossier : 80 ans de la Libération.

Le Président de la République s'est rendu au Havre dans le cadre des cérémonies commémoratives des 80 ans de la Libération de la ville, ce jeudi.

Après avoir rendu hommage, en juin dernier à Saint-Lô, aux victimes civiles frappées par les bombardements alliés, le chef de l’État a honoré la mémoire des Havrais tombés durant la libération de la dernière ville normande occupée, marquant symboliquement la fin de la bataille de Normandie.

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12 septembre 2024 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de la République à l'occasion des 80 ans de la libération du Havre.

Merci, Monsieur le maire, pour ces mots. Monsieur le ministre,
Monsieur le Premier ministre, donc, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mon général, Madame l'ambassadrice, Monsieur le préfet,
Monsieur le président du Conseil départemental, Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités, Chers Havrais.

C'est à vous que je devrais laisser la parole, au fond, à vous, à cette dame du Parc, Monsieur le maire, porteuse anonyme de mémoire, à toute cette génération qui a vécu la Libération de septembre 1944. Et c'est en votre hommage que je voudrais, en ce jour, ici m'exprimer. Vous qui portez très profondément, au creux de vous-mêmes, une ville de souvenirs, derrière Le Havre moderne, dans le geste triomphant d'Auguste Perret et des architectes qui l'accompagnaient, se dessine un Havre ancien qui n'existe plus qu'en vous. Ports normands, ruelles pavées enserrés de fortifications de pierre où vous aviez grandi, étudié ; d'un côté, le cadre de votre enfance, de l'autre, celui de votre maturité.

Entre ces deux villes, entre ces deux âges, une déchirure que 8 décennies n'ont jamais totalement apaisée. Entre ces deux villes, entre ces deux âges, le Havre de l'Occupation, sans cloche, sans drapeau, sous la chape de fer allemande, devenue, à son corps défendant, nœud stratégique des armées ennemies, citadelle du mur de l'Atlantique, hérissée de mitrailleuses, de canons, de mines. Et à l'heure où Brest, Lorient, Saint-Nazaire, Calais étaient encore occupés, où l'armée américaine avait atteint les faubourgs de Metz, où les hommes de Leclerc et ceux de De Lattre venaient d'opérer leur fusion, il fallait aux Alliés un grand port en eau profonde, suffisamment protégé de la ligne de front du Rhin pour assurer le ravitaillement de leurs armées en essence et en munitions. Il leur fallait Le Havre et Le Havre libre, débarrassé de l'étau nazi. « La forme d'une ville, hélas, change plus vite que le cœur d'un mortel » écrivait Baudelaire, sans doute quelque part entre Paris et Honfleur. Alors depuis 8 décennies, tout a changé autour de vous. Mais au fond de vous résonnent toujours les échos terribles de ce mois de septembre 1944.

Je sais que nombre d'entre vous voient toujours le ciel se couvrir de croix noires. La nuée de bombardiers Lancaster lançait sa pluie de bombes, précédée de fusées de balisage rouge. Je sais que vous êtes toujours saisis, certaines nuits, par la vision de ces flammes de 200 mètres de haut, la mer qui paraît en feu, le métal qui fond sous le goudron, la fumée qui rentre jusque dans les entrailles de la ville. Je sais que tant d'entre vous n’oublieraient jamais le fracas de cette semaine terrible, de ce 5 septembre à 17h30 où, au-dessus du centre-ville, le bombardement se fut déluge de feu. Les 40 000 Havrais qui n'avaient pas encore quitté leur ville, descendirent dans les caves, les souterrains, les abris pour se protéger comme ils le pouvaient. Hommes, femmes, enfants, dans la promiscuité et l'angoisse. Et cette mère qui chante pour endormir l'enfant qu'elle allaite, mécaniquement, les yeux hagards, berceuse de paix scandée par la pulsation des bombes et ces milliers de bombes explosives et incendiaires larguées en l'espace de 2 heures.

Quand les survivants sont ressortis des caves, ils se sont trouvés debout dans une ville qui gisait. Ils ont cru que la nuit n'était pas finie, que leurs hallucinations d'angoisses continuaient, que c'était encore leur cauchemar qui se prolongeait. Ils ont erré, hébétés, dans une ville qui avait perdu en quelques heures sa substance. Une ville qui avait la couleur et l'aspect de la cendre, broyée, pulvérisée. Un magma de matière qui rappelait Coventry ou le Londres de 1940. Cataclysme de l'histoire où se sont joués le déchaînement des éléments, la colère et le désespoir des hommes. L'Hôtel de ville avait disparu et l'église Saint-Michel et l'église Saint-Joseph et le Grand Théâtre, les hôtels, les musées. Sous les ruines du théâtre gisaient des FFI qui s'y étaient cachés en attendant l'heure d'agir au grand jour, gisaient aussi plus de 2 000 civils, des femmes, des hommes, des enfants, des vieillards. Et la façade aveugle de l'église Notre-Dame, les rosaces crevées, ravagées, contemplaient la mer par-dessus un champ de ruines. Mais les bombardements continuèrent.

Le lendemain, le surlendemain, les jours suivants encore sans fin. Le 10 septembre, les troupes alliées donnèrent l'assaut à la ville. Ils furent alors rejoints par les FFI français qui prenaient les armes avec eux, guidaient les troupes, attaquaient les véhicules nazis français de tous âges et de toutes conditions. Le groupe Morpain, le groupe Hervé Lagache, devenu L'heure H, derrière Jean-Thomas, le groupe France avant tout et tant d'autres, traqués, dénoncés, arrêtés, déportés.

Depuis 4 ans au milieu de la collaboration, du pétainisme, de l'indifférence coupable qui fit le jeu de la barbarie nazie qui laissa déporter plus de 100 Havrais pour la simple raison qu'ils étaient nés juifs, résistants, traqués, dénoncés, déportés et pourtant toujours présents, inlassables, car toujours, une nouvelle génération se lève pour relever le flambeau des disparus. Les benjamins de la Résistance havraise, le groupe Vagabond bien aimé, portaient fièrement sur leur brassard à Croix de Lorraine cette devise qu'ils reprenaient de GUYNEMER : « On n’a rien donné tant qu'on n'a pas tout donné ». Ils donnèrent tout, en effet, jusqu'à leur vie. Ceux qui fondèrent ce groupe n'étaient encore qu'adolescents. Jean MALTRUD, Louis PELLERIN, Jean LANGLOIS rêvaient de gagner l'Angleterre, mais c'est au plus près de leur quotidien qu'ils trouvèrent à servir le pays. Ils imprimèrent des tracts par milliers, fondèrent un journal résistant, le Patriote, organisèrent des sabotages d'usines, coupèrent les lignes téléphoniques de la Kommandantur. À la poste du Havre, les trois frères LEHAUT interceptaient les lettres de dénonciation adressées aux nazis, repérant les adresses à l'écriture malhabile, contrefaite. Des dessinateurs prenaient les relevés des fortifications ennemies, des mères de famille cachaient des parachutistes. Toute une vie souterraine qui se dressa au grand jour et qui fut l'honneur de votre ville.

Quand les nazis abandonnèrent le terrain le 12 septembre, après avoir fait sauter les quais, la ville n'était plus qu'une vision d'apocalypse mais libre, enfin. Ici, la Libération ne fut pas cette liesse que connut Paris. L'entrée des troupes anglo-canadiennes fut teintée de gravité. Il y avait, entre eux et vous, ce pourquoi lancinant, sans réponse. La sidération de cette escalade tragique qui avait mis aux prises deux puissances militaires dans un huis-clos de remparts et de mers, et dont les historiens n'ont pas fini de sonder l'engrenage vertigineux. Il y avait, entre les Havrais et les libérateurs, mêlée à la gratitude, cette souffrance infinie d'une ville sacrifiée pour libérer son pays.

Après Dieppe, après Saint-Lô, après Caen et Rouen, et tant d'autres villes normandes, le Havre rejoignait la litanie des martyrs de la guerre. Alors, en ce jour, à vos côtés, je m'incline avec émotion devant cette souffrance, comme je m'incline devant le courage, la force de ceux, ici, qui ont résisté, et devant le courage et la force de ceux qui, ensuite, ont reconstruit. Le Havre, capitale des ruines ; Le Havre, capitale de la reconstruction, exemple pour un pays tout entier, car dès le lendemain, les habitants, pourtant affaiblis par les privations, les pénuries, se mettent debout.

En un an, les gravats sont déblayés, les transports reconstruits. En 5 ans, Le Havre a retrouvé son tonnage d'avant-guerre, réparé ses quais, ses dragues, ses hangars et son outillage. En 20 ans, la ville nouvelle est sortie de terre. Miracle français d'énergie et de travail qui fait d'un port en ruine, avec 80 000 sans-abris, un fleuron du patrimoine mondial de l'humanité. Et au milieu de cette ville du XXe siècle, inspirée par l'antique, hymne à la raison cartésienne et à l'essor industriel, aux rues larges, aux arêtes nettes, Auguste PERRET redresse vers le ciel le clocher de l'église Saint-Joseph comme un phare du souvenir. Car oui, la forme d'une ville change, mais la mémoire, toujours, demeure.

Les maires se sont succédé, animés d'un même dévouement passionné pour les Havrais. Émile Sicre, Pierre Voisin, Pierre Courant, Eugène Gas, Léopold Abadie, René Cance, Robert Monguillon, André Duroméa, Daniel Colliard, Antoine Rufenacht, Luc LEMONNIER, Jean- Baptiste GASTINNE et vous, vous-même, Monsieur le maire, cher Édouard PHILIPPE. Et de même que toutes les forces politiques s'étaient unies dans la résistance havraise comme partout ailleurs, toutes les forces politiques ont œuvré à cette renaissance. Grâce à eux, grâce à vous, grâce à chaque habitant, Le Havre est devenu une métaphore vive.

Parabole du renouveau, du regain et de la continuité. Ville réinventée, la mer réconciliée avec la pierre sous ce ciel de Normandie. Car au fond, il n'y a pas deux villes du Havre, l'ancienne et la moderne, avant et après la Guerre, il n'y en a qu'une. Cette ville qui fut autrefois délivrée des Anglais au terme de la guerre de Cent Ans et cette même ville qui fut délivrée par les Anglais à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette ville, fortifiée sous l'Ancien régime, reconstruite ensuite puis transformée. Et cette place où nous sommes, qui fut jadis la place Louis XVI, qui prit un temps le nom de place Gambetta et qui s'appelle aujourd'hui place du Général de Gaulle. Le Havre est là, la France est là.

Dans cette chaîne des temps, la France qui a vibré au Sacre de Reims, à la fête de la Fédération, à la ferveur de la Libération. La France qui sait se réunir dans le danger, dans l'ombre de la Résistance ou au grand jour des batailles, qui sait s'unir encore pour reconstruire ensemble, rassemblée dans les larmes comme dans la gloire, rassemblée dans la reconnaissance, aussi, du martyre ici subi. Et ce que nous dit votre ville, c'est que Le Havre reste Le Havre. Qu'il soit bâti en colombages ou en béton, s'il sait rassembler ses habitants, rester fidèle aux promesses de ses bâtisseurs, ancré dans son siècle, tourné vers le grand large et vers le monde.

C'est que la France reste la France si elle n'oublie pas d'où elle vient et si elle trouve chaque jour en chacun de ses habitants la force de se détourner du pire, de vouloir, de dessiner et de bâtir. Telle est la leçon du Havre au nom de ce que chaque cœur français recèle d'immortel. Soyez-en remerciés. Vive Le Havre ! Vive la République ! Vive la France !

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