Le Président Emmanuel Macron a présidé ce jeudi, la cérémonie du 80e anniversaire du débarquement de Provence à la nécropole nationale de Boulouris.
Dans la continuité de son discours prononcé à l’occasion du 75e anniversaire de la Libération de Provence, le Président de la République a commémoré, en présence de chefs d’État et de gouvernement, les trois mémoires de ce débarquement : franco-africaine, franco-américaine, et française, en honorant tout particulièrement les soldats de l’armée B, de toutes origines et confessions, tombés au combat.
À cette occasion, le chef de l'État a remis la Légion d'honneur à la résistante Thérèse Dumont, au caporal Français Pierre Salsedo et au combattant marocain Larbi Jawa.
Pour que la France vive libre, ils se sont hissés au-delà de la souffrance et des risques.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) August 15, 2024
Reconnaissance éternelle de la Nation. pic.twitter.com/QYABv7lxnl
Revoir la cérémonie :
15 août 2024 - Seul le prononcé fait foi
Discours du Président de la République lors de la cérémonie des 80 ans de la libération et le débarquement de Provence.
Votre Altesse,
Messieurs les chefs d’Etat et de Gouvernement,
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mon général,
Monsieur le préfet,
Monsieur le président du Conseil régional,
Monsieur le président du Conseil départemental,
Monsieur le maire,
Mesdames et messieurs en vos grades et qualités,
Chers vétérans,
Mesdames et messieurs,
Aux premières heures de la nuit du 15 août 1944, la côte méditerranéenne encore sous occupation allemande était plongée dans les ténèbres. Soudain, au Canadel, le chef de gare fut tiré de son sommeil par une voix pressante. « Qui est là », demanda-t-il, craignant d’être arrêté sur le champ par la Gestapo. A travers les volets, la voix, celle du capitaine Albert Thorel, lui répondit : « Ouvrez ! C’est l’Armée d’Afrique ». L’Armée d’Afrique. Le chef de gare ouvrit, incrédule, bouleversé.
Certes, deux mois après le Débarquement de Normandie, alors que les armées du Reich refluaient en catastrophe, beaucoup s’attendaient à une attaque des Alliés en Provence, pour s’emparer des ports de Méditerranée en eaux profondes et prendre les armées du Reich à revers.
Certes, même retardée, l’opération Dragoon se préparait depuis des semaines sur des maquettes bâties grâce aux renseignements de la Résistance française. Elle avait été engagée, à partir du 9 août, lors de l’embarquement des centaines de milliers de soldats français, anglais, américains, à Tarente, Oran ou Brindisi. Et plus personne ne pouvait en douter depuis que la plus grande flotte jamais vue en Méditerranée, deux mille navires américains et britanniques, croiseurs, destroyers, contre-torpilleurs, avisos, transporteurs de troupes, s’était rassemblée au large de la Corse.
Certes, aussi, les jours précédents, les raids aériens des Alliés avaient été si nombreux que les églises de la côte, à Saint-Maximin ou au Lavandou, avait renoncé par avance à célébrer la messe du 15 août. Pourtant, cette nuit-là, l’émotion étreignait le chef de gare et le capitaine Thorel. L’attaque avait commencé.
Une opération aux proportions épiques : quatre-vingt-dix mille soldats bientôt jetés à l’assaut du rivage de France, sur ce chapelet de minces plages, de calanques, de falaises défendues par plusieurs dizaines de milliers d’hommes de la Wehrmacht.
Pour permettre son succès, il fallait profiter de la nuit impénétrable, cette poignée d’heures entre minuit et l’aube. Pour les éclaireurs et les commandos chargés de détruire les premières défenses ennemies, la nuit la plus courte.
Sur l’île du Levant, et à Port-Cros, verrous de la rade de Hyères, que les commandos américains et canadiens investirent à l’heure zéro. Au pied du Cap Nègre, où les commandos d’Afrique furent projetés et où ils durent grimper la falaise à mains nues, afin de neutraliser les batteries allemandes.
Sur une autre plage, enfin, celle de l’Esquillon, entre le Trayas et Théoules, où les hommes du Groupe Naval de la marine préférèrent continuer à avancer dans un champ de mines plutôt que de rebrousser chemin.
Grâce à ces avant-gardes, à l’aube, sur les plages Alpha à l’ouest, à Ramatuelle et Cavalaire, sur les plages du secteur Delta, à Sainte-Maxime, les premières divisions américaines foulèrent le sable jonché de mines et de torpilles.
Bientôt sous les bombes allemandes et les tirs des bunkers érigés par Rommel, « l’extraordinaire carrousel » des barges de débarquement se mit en mouvement. File ininterrompue d’hommes et de tanks, de machines et de bataillons. Parfois repoussée, comme sur le secteur Camel, sur la plage de Fréjus -Saint-Raphaël que les hommes du général Patch délaissèrent pour poser finalement le pied au Dramont et à Agay.
Alors à midi, sur le sémaphore de Sainte-Maxime flottait un drapeau américain. Place des Lices, à Saint-Tropez, les soldats allemands arrêtés défilaient les mains en l’air.
Le lendemain, la jonction s’opérait à travers les collines des Maures, avec les plus de neuf mille Américains et Canadiens du général Frederick parachutés dans la plaine de l’Argens, sur une zone dégagée par la Résistance.
« Il y avait eu le 6 juin en Normandie, mais ce jour-là, ce n’était pas la même chose », confia l’un des hommes du général de Lattre. Ce n’était pas la même chose car ici, en Provence débarquèrent deux cent trente mille soldats français, solidement armés et préparés par nos alliés américains. Un grand nombre d’entre eux, spahis, goumiers, tirailleurs africains, Antillais, marsouins du Pacifique n’avaient jamais foulé le sol de la métropole et découvraient un littoral de rochers rouges.
D’autres s’étaient au contraire évadés de France, comme ce marin de la France Libre, débarqué plage des Sardinaux, sans nouvelles de sa famille depuis quatre ans, qui se dirigea vers sa maison de Sainte-Maxime et tomba dans les bras de son père. Beaucoup, comme Yorgui Koli, né au Tchad ou Mohamed Bel Hadj, venu d’Algérie, tous deux faits Compagnons de la Libération après-guerre, s’étaient déjà illustrés pour leur bravoure dans les batailles de Tunisie et d’Italie. Certains, sur le croiseur américain Parker pavoisé du drapeau tricolore, entonnèrent avant l’assaut une inoubliable « Marseillaise ».
Leurs éclaireurs, comme le lieutenant-colonel Bouvet, l’un des héros de l’ascension du Cap Nègre, prirent une minute dans la nuit pour porter à leurs lèvres un peu de sable des plages varoises, le sable de la France retrouvée. Parmi eux, Hubert Germain lui-même débarquant sur ces côtés racontait avoir pris une poignée de cette terre, terre et sable mêlée, tant attendue et désirée, pour la porter à son visage.
Des centaines connurent ce sol de France pour quelques heures seulement –tel Albert Thorel, l’homme de la gare du Canadel, tombé le lendemain à l’assaut de la pointe de la Fossette, en même temps que son ordonnance, Mohammed Ben Bakr. Ces hommes de l’armée française s’appelaient François, Boudjemah, Ari, Pierre, Niakara. Ils venaient de Corse et du Poitou. Du Pacifique et d’Algérie. Du Sénégal et des Ardennes. Officiers de l’Empire ou enfants du Sahara, natifs de la Casamance ou de Madagascar. Anciens poilus de Verdun ou jeunes hommes précipités dans l’étrange défaite.
Ils n’étaient pas de la même génération, ils n’étaient pas de la même confession, ils n’étaient pas de la même condition. Ils étaient pourtant l’armée de la Nation. Armée la plus bigarrée et la plus fervente. Ils étaient pour leur chef le général de Lattre de Tassigny à la fois les « Grognards » passés par Monte-Cassino ou la Libye, et des cœurs encore jeunes pleins de « l’enthousiasme des Volontaires de 1792 ».
Soldats comme ceux de l’An II. Soldats de l’acte II de la Libération du pays. Soldats convaincus que lorsqu’il s’agit de défendre l’intérêt vital de la Nation, tous ceux qui se reconnaissent comme Français ont vocation à être ensemble.
Et dès le 16 août, parce que nos alliés Américains voulurent leur laisser l’honneur de reconquérir leur patrie, les hommes de la première armée française foncèrent vers Toulon, vers Marseille qu’Hitler avait ordonné de défendre jusqu’à la dernière cartouche.
« Ouvrez ! C’est l’armée d’Afrique » avait dit le capitaine Thorel. Et les portes de la liberté s’ouvrirent en effet sur leurs pas. Portes des batteries de Mauvanne, conquises par les commandos d’Afrique, et celles du Golf Hôtel sur la route d’Hyères enlevées par la première division des Français Libres. Celles des villages du Gapeau, enfoncées par les assauts des tirailleurs sénégalais et des blindés des chasseurs d’Afrique, lors d’une bataille au corps au corps, couteau contre poignard, dans les rues provençales.
Celles de Toulon que l’armée allemande avait l’ordre de tenir et qui cédèrent le 28 août au prix d’un siège d’une semaine mené par les tirailleurs algériens et sénégalais, épaulés par les hommes du Choc, rejoignant dans les décombres les Résistants toulonnais.
Portes de Marseille gardées sur les collines par des massifs de calcaire, par le verrou d’Aubagne, où les goumiers et les tabors mirent en fuite les Allemands le 22 août. Ces portes que les armées françaises franchirent enfin, sur une inspiration pleine d’audace du général de Monsabert, Marseille fidèle à son esprit de Résistance, Marseille entrée en insurrection contre l’occupant, Marseille révoltée de l’Estaque aux Réformés, Marseille libérée quand les derniers allemands baissèrent les armes au Frioul ou sur les contreforts de Notre-Dame-de-la-Garde.
Avec une avance de plus d’un mois sur les prévisions, ce furent aux portes de Nod, près d’Autun, en Bourgogne, le 12 septembre, qu’un officier de la deuxième division blindée du général Leclerc serra la main d’un officier de la première division des Français libres du général Brosset. Le premier venait du Nord et avait débarqué en Normandie, le second venait du sud et avait accosté en Provence.
Les deux armées se donnaient la main. Geste de reconnaissance et de fraternité. Serment de poursuivre le combat jusqu’à la victoire, dans les Ardennes et pendant l’hiver suivant, des batailles terribles, jusqu’à la libération de Strasbourg et au-delà, jusqu’à la capitulation de l’Allemagne nazie que signa pour la France le général de Lattre de Tassigny le 8 mai 1945.
Et c’est le même geste de reconnaissance, de fraternité, d’espérance pour l’avenir que la Nation accomplit aujourd’hui.
Ici, dans cette nécropole de Boulouris, cimetière marin qui garde les tombes de quatre-cent soixante-six héros parmi les milliers passés là. Français pieds-noirs d’Algérie, du Maroc, de Tunisie. Français des outremers, des Antilles au Pacifique, secondés par les Français de la Résistance intérieure. Américains, Britanniques, Canadiens, qui loin de leur pays natal, ont trouvé la mort sur un chemin de Provence, sur une plage de Méditerranée.
Africains. Ces soldats français et d’Afrique dont certains des vétérans se tiennent devant nous. La part d’Afrique en France c’est aussi ce legs qui nous oblige et je salue aujourd’hui la présence des Présidents du Cameroun, de Centrafrique, des Comores, du Gabon, du Togo, à vos côtés mon seigneur, honorant cette mémoire monégasque, aux côtés de Monsieur le Premier ministre du Maroc et la présence des représentants de Côte d’Ivoire, de Madagascar et du Sénégal, et de jeunes lycéens de Thiaroye. Comme la France n’oublie rien des sacrifices des Congolais, des Béninois, ni celle des peuples du Burkina Faso, du Mali et du Niger et de tant d’autres. Non, rien de la plus belle mémoire de ces hommes n’est oublié. Leurs noms doivent continuer d’être donnés à nos rues, à nos places pour inscrire leur trace impérissable dans notre Histoire.
Huit décennies après, revenir en Provence au matin, à l’heure bleue où eut lieu le Débarquement, c’est conjuguer au présent cette reconnaissance, cette fraternité, cette espérance. C’est ne rien oublier de leur courage et leur combat. C’est rappeler comme vous venez de le faire Monsieur le Président. L’importance en effet de ne rien céder de ces valeurs et de ces batailles. Celles pour le droit international, le refus de quelque double standard que ce soit, la volonté de défendre partout l’attitude et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, leur souveraineté, leur intégrité territoriale, la volonté farouche de continuer d’avoir un monde et des institutions plus justes, plus équilibrées. De nous habituer à rien. Ce message d’espérance que vous venez de porter à l’instant, c’est l’espérance, en ce 15 août, comme tous les matins du monde, dans la victoire universelle du droit et de la paix.
Fraternité pour les peuples du monde aujourd’hui en lutte pour leur liberté et le droit à disposer par eux-mêmes de leur destin.
C’est la reconnaissance indéfectible pour les héros du 15 août dont certains se tiennent devant nous. Tous ont accompli ce jour-là et les suivants une œuvre dont ils connaissaient et dont ils connaissaient alors les immenses périls. Et pourtant, ils l’ont fait, avec cette audace bravache et avec cette force irrécusable. Leur rendre hommage aujourd’hui c’est saluer ces hommes qui sont nos héros parce qu’ils se sont hissés au-delà des falaises du Cap Nègre, au-delà de la peur et de l’impossible, au-delà de la souffrance et des risques. Ils l’ont fait, conscients de se battre pour une cause bien plus grande que les falaises, les périls, et même leurs vies. Prêts à s’effacer pour que la France vive libre dans ce songe d’une nuit d’été et chaque jour ensuite.
Sur leurs visages et les visages de nos vétérans, sur les tombes des héros, dans ce tremblement des pins, passe aujourd’hui un souffle venu de Provence. Ce souffle, c’est celui du sacrifice, de la volonté, de l’unité. Il rend l’impossible possible, il donne son sens à l’effort, il dessine toujours pour la Nation la voie d’un « invincible été ». Ce souffle du 15 août, qui nous anime et fait encore de nous un peuple irréductiblement libre. Celui qui ce jour là fut libéré aussi par cette armée d’Afrique.
Nous n’oublions rien.
Vive la République.
Vive la France.
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