« J’ai vu la place. J’ai vu la France. C’était un moment émouvant. C’était le résultat de tous les efforts que j’avais faits depuis 1943 pour rejoindre les Forces françaises libres ». Ainsi Jacques Lewis, âgé de 25 ans le 6 juin 1944, racontait-il le Débarquement de Normandie, qu’il consentait à évoquer, avec une économie de mots, et seulement au soir de sa vie, convaincu de n’avoir accompli que son devoir. Avec sa disparition, à cent cinq ans, la France perd une figure de la Résistance, un héros de son armée, devenu le doyen de l’Institut national des Invalides.
Né le 1er mars 1919 à Caudéran, Jacques Lewis fut d’abord un élève brillant du lycée Jeanson de Sailly puis poursuivit des études de droit à Sciences-Po. La déclaration de guerre précipita le destin du jeune homme de vingt ans. Mobilisé en novembre 1939, il devint élève-officier au camp d’entraînement d’Auvours. Dans la déroute du printemps, il prit part aux combats d’abord près de Fontainebleau puis sur la Loire. Après l’armistice, Jacques Lewis refusa le chemin de la défaite mais souhaita rejoindre les rangs de la France Libre auprès du général de Gaulle. Traversant les Pyrénées à pied, muni seulement d’une boussole, arrêté à son arrivée en Espagne, se faisant passer pour britannique par sa maîtrise de la langue, il parvint à s’extraire de la prison de Pampelune, monta à bord d’un cargo libérien et entama la traversée de l’Atlantique sous les bombardements allemands.
A Londres, le 21 juillet 1943, Jacques Lewis signa son engagement dans les Forces françaises libres. Parce qu’il parlait l’anglais, et qu’il était un sous-officier de valeur, il fut repéré par le lieutenant-colonel Claude Hettier de Boislambert qui le recommanda pour la mission de liaison militaire. Jacques Lewis servit comme liaison avec la 182e brigade d’infanterie britannique, puis auprès du SHAEF, le commandement central des forces expéditionnaires alliées à Londres. Dans la perspective du débarquement de 1944, il fut enfin placé parmi les rangs de la deuxième division blindée américaine du général Patton, division appelée selon ce dernier à devenir « l’enfer sur roues » pour les Allemands, et auprès du major général Hamon, avec qui Jacques Lewis demeura ami sa vie durant.
Prenant part aux combats sur l’île de Wight, Jacques Lewis apprit le 4 juin 1944 que sa division devrait débarquer sur la plage nommée « Utah » lors du Débarquement. Ses qualités d’interprète le prédisposaient aux missions de reconnaissance. Une fois posé le pied sur le sol de la patrie, il parcourut les marais autour de Carentan et demanda aux habitants de cartographier les lieux, avant l’assaut, de nuit, dans un mouvement de marée, et en pleine lune, qu’il guida. La ville normande fut prise au bout de six jours de combats acharnés.
Jacques Lewis participa ensuite à la rupture de la ligne Saint-Lô, à la bataille de Normandie pendant l’été, et poursuivit, à travers les Ardennes, jusqu’en Allemagne, toujours aux côtés de ses frères d’armes de la division américaine. Lors de la dernière année de la guerre, il joua un rôle déterminant pour aider au rapatriement des prisonniers. De retour à la vie civile, il mena une brillante carrière dans les laboratoires du Docteur Payot.
Passeur de mémoire, la haute silhouette au regard clair de Jacques Lewis était là, pour la commémoration des 75 ans du Débarquement, en 2019, aux côtés d’un autre héros français du jour le plus long, Léon Gautier. Parce qu’il s’était lié indéfectiblement aux Etats-Unis d’Amérique, au long des nuits et des combats, dans les barges du débarquement ou sur les chemins de Belgique, Jacques Lewis était là, aussi, au mois de juin dernier, sous l’Arc de Triomphe, pour accueillir le Président BIDEN.
Le Président de la République et son épouse saluent la figure d’un destin français pétri de courage et d’audace, qui préféra risquer sa vie plutôt que son honneur, et permit à la Nation de retrouver sa liberté. Ils adressent à sa famille, à ses proches, au personnel de l’Institut National des Invalides leurs condoléances émues.