Fait partie du dossier : 80 ans de la Libération.

Le Président de la République s'est rendu à Tulle et Oradour-sur-Glane ce lundi, dans le cadre des commémorations du 80ème anniversaire de la Libération.

Il a rendu hommage aux victimes des exactions allemandes lors de la retraite de la division Das Reich en 1944. 

Le 9 juin marque en efftet les 80 ans du massacre du Tulle, durant lequel 99 hommes ont été pendus et 149 déportés vers Dachau.

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En milieu de journée, le chef de l'État a accueilli Franck-Walter Steinmeier, Président de la République fédérale d’Allemagne. 

Ils ont tous les deux assisté à la cérémonie qui s'est tenue au Mémorial d'Oradour-sur-Glane.

Il s’agit du premier anniversaire en présence d’un chef d’État allemand et également de la première commémoration décennale après la disparition du dernier témoin, Robert Hébras, disparu en février 2023.

Revoir la cérémonie : 

10 juin 2024 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de la République lors de la cérémonie au Mémorial d’Oradour-sur-Glane.

Mesdames et Messieurs.
Monsieur le Président, cher Frank-Walter STEINMEIER, merci pour vos mots, leur profondeur et leur sincérité et merci ici de les avoir dits en français.

Vous l'avez aussi exprimé : « Dans le silence d'Oradour, toute parole semble inutile », parce que la mémoire est visible et que le lieu est discours. Et ce village couleur de suie et de cendres, ces maisons aux embrasures dévorées comme sans paupières, tout porte le rappel des flammes, des détonations, des hurlements, de l'horreur brute.

Derrière la vision de cauchemar, on peut encore deviner le village français de jadis, celui que vous avez demandé d'imaginer aux enfants, avec son maire, son instituteur, son coiffeur, son charron et ses commerçants, son fourmillement quotidien, l'odeur du pain frais, de la boulangerie et les enfants qui jouaient, et les cloches qui marquaient le temps.

Mais les cloches se sont tues, et le temps s'est arrêté pour jamais à 14h00, un 10 juin, il y a 80 ans, jour pour jour, l'heure où un détachement de la division Das Reich a encerclé soudainement le village, cette même unité SS qui, la veille, avait pendu 99 hommes au balcon de Tulle avant d’en déporter 149 autres. Elle forme un étau qui se resserre méthodiquement depuis la lisière du village, rabat hommes, femmes, enfants et vieillards sur la place du champ de foire. Ceux qui ne peuvent pas marcher sont abattus. Les hommes sont séparés des femmes et des enfants, poussés dans des granges dans lesquelles les SS installent des mitrailleuses pour les fusiller. Les femmes et les enfants sont regroupés dans l'église, bientôt mitraillée, dynamitée, incendiée ; le sacré bafoué doublement, outrageant la foi de ceux qui croient en Dieu comme la foi de ceux qui croient en l'homme. Les corps éliminés par le feu, jetés dans des charniers pour rendre leur identification impossible, pour prolonger la terreur par l'interdiction du deuil.

643 suppliciés dont 207 enfants et 246 femmes. Non pas simplement victimes, mais bien martyrs parce qu'ils ont été pris pour bouc émissaire de la liberté. Martyrs parce qu’Oradour avait accueilli par centaine les exilés, les réfugiés et les révoltés, républicains espagnols chassés par le franquisme, évacués alsaciens, expulsés mosellans, réfugiés du Nord et du Pas-de-Calais, de Montpellier et d'Avignon, juifs de la région parisienne, de Meurthe-et-Moselle ou de Bayonne, ou de l'étranger, fuyant les persécutions. Oradour était devenue une petite France, avec ses racines et ses ramures, son ancrage et sa vocation à l'universalité.

Les massacres d'Oradour sont de l’ordre de l’impensable, l’indicible, l'imprescriptible. Et les vers du poète Jean Tardieu résonnent : « Oradour n'est plus qu'un cri. Nom de la haine des hommes, nom de la honte des hommes. » Il a fallu 10, 20, 50, 80 ans pour qu'Oradour, nom de la honte, devienne aussi nom de la mémoire et nom de la réconciliation. Que ce nom de la haine des hommes, nom de leur deuil, soit à nouveau prononcé avec des accents de paix et c'est bien avec ces accents que nous prononçons aujourd'hui ce nom d'Oradour.

Et votre présence aujourd'hui à nos côtés, monsieur le Président, votre présence fraternelle, nous parle de ce dialogue que nous avons renoué par-dessus les tempêtes, que nous ne cessons de faire vivre et que nous avons encore approfondi il y a deux semaines ensemble en Allemagne.

Nos deux peuples regardent en face Oradour main dans la main, côte à côte. Comme sont côte à côte aujourd’hui, la petite-fille allemande d'Adolf Heinrich, l'un des Waffen-SS qui a participé au massacre et la petite-fille française du dernier témoin, celui à qui nous pensons tant aujourd'hui, Robert Hébras. Elles n'ont pas peur ; elles n'ont pas peur aujourd'hui de regarder l'histoire en face. Elles n'ont pas peur ; pas peur de se connaître, de s'estimer, de dialoguer, de témoigner, de raconter ensemble, inlassablement. Et ce sont elles, aujourd’hui, qui nous tendent ce flambeau de la mémoire qu'elles ont repris. Et à leur suite, nous n'aurons pas peur d'aller de l'avant et de construire.

Vous en avez parlé plus tôt ce matin, je le sais. Il y a dans ce village des murs qui ont tenu, quelques-uns qui ont survécu et ce chêne de 1848, qui jamais ne s'est abattu. Mais au-delà de cette vie qui a survécu, avec l'innocence qui l'accompagne, il y a le chemin qui n'est pas moins glorieux et si difficultueux de la mémoire et de la réconciliation. Il y a le chemin que Robert Hébras, et plusieurs autres à ses côtés, que vos associations, que vous, Monsieur le maire, et nombreux de vos prédécesseurs, et que tant d'entre vous, habitants d'aujourd'hui, avez mené : celui de connaître et de ne pas oublier, et celui de nous réconcilier.

Parce que dans cette réconciliation se tient l'amitié entre l'Allemagne et la France, et se tient notre Europe, projet si singulier, fou, de paix. Le pardon est la promesse, disait Hannah Arendt. Mais il n'y a dans ce projet rien d'évident, rien de spontané, rien de naturel. Il y a le courage des générations qui l'ont vécu et il doit y avoir le même courage et la même détermination de leurs petits-enfants, comme celui que vous nous avez montré, Mesdames, à l'instant. C'est ce chemin qu'il nous faut emprunter.

Alors oui, nous nous rappellerons d’Oradour, toujours. Parce que l'histoire jamais ne recommence, qu'elle soit choisie, qu'elle soit parfois subie. Et c'est dans ce souvenir, dans les cendres d'Oradour que nous devons faire renaître la force de cette réconciliation ,la sève de notre projet européen et notre volonté encore bien présente de liberté, d'égalité et de fraternité. Merci, Monsieur le Président d'être à nos côtés en ce jour, d'avoir tenu ces mots. Et merci, mes chers compatriotes, d'être là, dans le silence de ce village où nous n'oublions rien, mais où nous voulons, fraternels, Français, bâtir notre avenir. Vive la République, vive la France.

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