Dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la Libération, le Président Emmanuel Macron est allé ce dimanche sur le plateau des Glières et à la Maison d’Izieu. 

En se déplaçant aux Glières pour la seconde fois depuis 2017, le chef de l’État a rendu hommage à la diversité des combattants, Français « de naissance » – montagnards de la région, militaires de carrière, réfractaires du STO… – et « de préférence », militants antifranquistes notamment, qui se levèrent sous une même devise, « Vivre libre ou mourir », pour combattre le nazisme et défendre les valeurs de la République.

Revoir la cérémonie :

Dans la continuité de l’hommage rendu le 8 mai 2023 à la prison de Montluc où ils furent enfermés avant leur déportation, le Président de la République a honoré une nouvelle fois la mémoire des enfants d’Izieu, raflés et déportés au printemps 1944 par pure haine antisémite.

À cette occasion, a été célébré l’engagement de ceux qui se sont dressés contre le nazisme en accueillant les victimes des persécutions, et de ceux qui ont opposé à l’abomination les valeurs républicaines, en traduisant le bourreau Klaus Barbie devant un tribunal, et en rendant justice au nom du peuple français.

7 avril 2024 - Seul le prononcé fait foi

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Hommage aux combattants du maquis des Glières et cérémonie en mémoire des enfants d'Izieu.

Emmanuel MACRON

Madame la présidente de l’Assemblée nationale,

Madame et messieurs les Ministres,

Monsieur le Préfet,

Mesdames et messieurs les Parlementaires,

Monsieur le président du conseil départemental,

Mesdames et messieurs les Maires,

Messieurs les officiers généraux,

Monsieur le président de l’association des Glières,

Mesdames et messieurs les présidents des associations patriotiques, Messieurs les représentants des cultes,

Mesdames et messieurs les Porte-drapeaux,

Mesdames et Messieurs,

Chers enfants, 

Au printemps 1944, voilà huit décennies, le nom de Glières fit éclater le silence. Quand le lieutenant Tom Morel, deux mois plus tôt, était monté sur le plateau, pieds glacés de neige, avec les 120 premiers maquisards, pour la plupart des jeunes réfractaires du STO, il avait fait de cette enclave de glaces un foyer ardent de la Résistance. À 1400 mètres d’altitude, au-dessus d’elle-même, la France s’élevait. Elle vivait, telle qu’elle n’aurait dû jamais cesser de vivre, telle qu’elle ne devrait jamais cesser d’exister , telle que ses trois couleurs la rappelaient à elle-même, hissées dans le bleu de l’aube, chaque jour, alors que cela était interdit partout ailleurs.

9000 hectares de France libre, au creux des cimes, choisie par le général de Gaulle comme terrain de parachutage pour équiper la Haute-Savoie en armes, en vivres, en faux papiers. Mais ce qui aurait pu n’être qu’un point logistique devint, par la valeur des hommes qui le tenaient, un centre névralgique de la Résistance.

Une armée disciplinée, entraînée, rigoureuse, forgée par ces anciens du 27e bataillon de chasseurs alpins, qui se regroupèrent au pied de la croix de Lorraine, et ces jeunes qui n’avaient jamais fait leur service et devinrent à leur suite des soldats de la liberté, et ces montagnards qui maniaient naguère la faux et prirent le fusil, et ces FTP communistes qui avaient décidé de défendre la patrie des droits de l’homme alors en danger, et ces maquisards espagnols venus des Pyrénées, qui rejoignirent dans les Alpes l’armée des neiges. Ouvriers, professeurs, paysans, notables, juifs comme catholiques, communistes, socialistes ou gaullistes, anarchistes et officiers, français et étrangers, unis dans le même combat face au nazisme, combat pour la liberté, combat universel qui est devenu celui de la France. Voilà l’esprit des Glières, celui qui nous rassemble aujourd’hui comme il nous rassemblait il y a 5 ans, au même endroit, et comme il vous rassemble chaque année ici. Nous qui n’oublions pas et serrons au creux de notre main, cet idéal.

Je retrouve vos visages, vos voix, à vous tous, vestales et porteurs de ce souvenir vivace ; vous qui entretenez comme un feu sacré le récit des hauts-faits dont ce plateau fut le théâtre. Malgré tout, ces cinq années passées ont marqué nos traits et frappé nos rangs.

Le dernier résistant du maquis des Glières, Jean-Isaac Tresca, n’est plus des nôtres. À 104 ans, fermant ses paupières derrières lesquelles il revoyait toujours les combats du 26 mars 1944, il a rejoint ses camarades.

Valette d’Ossia, le chef de l’Armée secrète, qui sauta, menotté, d’un train en marche pour échapper aux griffes allemandes. Théodose, dit Tom Morel, l’âme des Glières, qui fit de ces 500 hommes des combattants, et des ces combattants des frères. Maurice Anjot, dit Bayart, qui accepta une mission qu’il savait désespérée, un contre cinq, parce qu’il se battait non pour le succès d’une bataille mais pour l’honneur d’un pays. Et Bernard, le garde mobile qui avait déserté son unité vichyste pour la Résistance ; et Launnoy, l’étudiant de 19 ans qui ne finit jamais ses études ; et Francis Favre, le cultivateur mort en héros ; et Chocolat, l’électricien qui, avant de mourir sous les balles allemandes, eut l’énergie désespérée de saboter son arme ; et Gilbert Lacombe, le cheminot ; et Charles Palant, le militant anarchiste ; et François de Menthon, le démocrate-chrétien qui devint ministre à la Libération ; et les Espagnols, Marin Manuel, Ponzan Vidal, qui attaquaient les Allemands et les Italiens mais qui refusèrent toujours, hors légitime défense, de tirer sur les Français de Vichy, par respect symbolique pour l’hospitalité de la France.

Oui, le dernier d’entre eux s’en est allé et c’est à nous désormais de raconter qui ils étaient, de rappeler qu’ils refusèrent la fatalité, à l’heure où d’autres ployaient l’échine, où Pétain signait l’armistice, où Darnand et Henriot instauraient l’État milicien, et où des Français collaboraient avec l’occupant.

Et c’est bien là notre tragédie française : qu’il n’y ait pas eu d’un côté les Français, de l’autre des Nazis. Quand le lieutenant Tom Morel perdit la vie à Entremont, le 9 mars 1944, ce fut une balle française qui l’abattit, tirée par le commandant d’un Groupe mobile de réserve vichyste. Quand, le 26 mars 1944, le général nazi Karl Pflaum lança ses 2800 hommes à l’assaut du plateau des Glières, il comptait parmi eux, aux côtés des chasseurs de montagne de la Wehrmacht et des grenadiers allemands, des miliciens français et des groupes mobiles de réserve du régime de Vichy.

Des Français emprisonnèrent des Français. Des Français assassinèrent des Français, dans la folie d’un pays qui ne formait plus Nation, et depuis trop d’années ne s’aimait plus lui-même. Les divisions et les trahisons de ces années 40 procédaient de cet esprit de défiance et de défaite qui venait de loin. Les 129 martyrs des Glières ont contribué à sauver l’honneur de la France, signifiant cette fraternité universelle jaillie, au milieu de la division nationale, de cet étendard tricolore plus déchirant encore, parce que déchiré.

Le 23 mars 1944, trois jours avant l’assaut final, alors que l’étau se resserrait sur les hommes des Glières, ils reçurent un ultimatum. Le chef de la Milice offrait un sauf-conduit aux membres de l’Armée secrète, en échange de la livraison des communistes et des apatrides. Son message n’obtint, pour toute réponse, qu’un « non » parce qu’il n’y avait plus alors précisément aux Glières aucune division ; il n’y avait que des enfants d’un même peuple de l’ombre. Leur nom à tous était la France, leur cause à tous était la liberté, leur grandeur partagée était les Glières.

Non, personne, ou presque, ne connaissait ce nom de Glières, avant qu’il ne devienne l’alias de la France au combat. Personne, ou presque, ne connaissait le visage de ses héros, avant qu’ils ne deviennent icônes d’un peuple qui les dépassait. Et bien peu, trop peu, se souvenaient avant eux de cette devise que clamaient les gardes nationaux et les députés de l’an I, ces quatre mots que le burin du sculpteur avait gravés au cœur du Panthéon, et qui, de bouche en bouche, de génération en génération, de l’abolition des privilèges à la lutte contre l’esclavage, s’étaient transmis aux régiments savoyards de la guerre de 70 : « Vivre libre ou mourir ». Cri de ralliement, depuis l’aube de la République, de tous ceux qui craignent la servitude plus que le sacrifice. Vivre libre, ou mourir.

Ils sont morts, en effet, ceux des Glières, tombés une nuit de mars 1944 dans la neige en deuil. Mort aussi, Tom Morel, reposant au creux de nos mémoires, comme dans la chapelle ardente tendue de parachute tricolore que lui ont bâtie ses camarades, au son du glas affolé des églises qui monte de la vallée.

Mais la mort n’a pas vaincu la liberté.  Elle l’a élevée à la hauteur de la France ; à la dimension de la postérité ; à la grandeur de l’éternité. Par eux, par leurs volontés unies, dépassant leurs différences, le nom de Glières est désormais celui de l’universel, et de l’immuable. Leur sacrifice a percé le silence, et ouvert une brèche.

« Vivre libre ou mourir. » Voilà les quatre mots que répétait sans cesse Tom Morel, debout devant ses murailles de montagnes et de sapins, face aux visages sans âge et sans ombre de ceux qui l’avaient rejoint, de tous les horizons, pour devenir avec lui des frères, fils de la même liberté. « Vivre libre ou mourir. » Mots toujours portés par le 27e BCA et ceux qui le conduisent, en fidélité, à tous égards. « Vivre libre ou mourir. » Tel est notre viatique, pour hier, aujourd’hui et demain.

Pour que vive la République et que vive la France.

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