Enfant de son siècle, né au comble de la tragédie, Henry Kissinger posa son empreinte sur quelques-uns des plus grands évènements de son temps. Ce diplomate qui avait mis son intelligence hors-norme et son sens des réalités au service de son pays était l’expression la plus forte du rêve américain, capable de porter un immigré allemand aux cimes de l’université et de la vie publique. Henry Kissinger s’est éteint le 29 novembre à l’âge de 100 ans. 

Juif, né en Bavière en 1923, Henry Kissinger vit le jour dans une famille qui parvint à fuir l’Allemagne nazie en 1938. L’expérience personnelle de la fragilité des démocraties comme de la brutalité des rapports entre Etats fondèrent la perception qu’Henry Kissinger avait du monde. En 1943, naturalisé américain, l’étudiant brillant et ambitieux fut assigné aux services de renseignement auxquels ses facultés en allemand l’amenaient naturellement. Il fut ensuite envoyé au front en France puis en Allemagne, soldat à vingt ans pour la libération d’un pays qu’il avait dû quitter à quinze, et s’illustrant par ses faits d’armes. De retour à la vie civile, il devint un étudiant puis un docteur remarqué à Harvard, auteur d’une thèse sur Metternich et Castlereagh et à travers eux, sur le Congrès de Vienne, exemple à ses yeux d’un succès diplomatique pérenne bâti sur l’équilibre lucide des forces.

Universitaire sans cesse plus influent en matière de relations internationales, théoricien de la « riposte graduée » pour l’emploi de l’arme nucléaire, il devint expert de Richard Nixon pour sa campagne de 1968 puis conseiller à la sécurité nationale à ses côtés à la Maison Blanche. A ce poste qu’il conserva sept ans et cumula avec celui de Secrétaire d’Etat à partir de 1973, Henry Kissinger imposa sa vision d’un ordre du monde fondé sur la régulation des puissances, à commencer par celle de l’URSS. Il fut l’artisan du traité américano-soviétique de limitation des armements SALT I. Il fomenta puis amena au succès le rapprochement historique entre Washington et Pékin matérialisé par la visite de Richard Nixon en Chine en 1972. Au Moyen-Orient, il prit en main la réponse américaine à la guerre du Kippour et œuvra pour la paix entre Israël et ses voisins, ménageant la voie aux accords de Camp David de 1978. En Europe, il porta l’idée de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe ouverte en 1973, enceinte unique de dialogue entre l’Ouest et l’Est, et dont la déclaration finale, mentionnant les droits de l’homme, eut un effet majeur de soutien aux dissidents du bloc soviétique. Récompensé par le Prix Nobel de la Paix pour son rôle dans le retrait américain du Vietnam engagé par les accords de Paris en 1973, Henry Kissinger fut sans aucun doute, en une seule décennie, le diplomate le plus déterminant de sa génération.

Son personnage brillant, patriote au léger accent allemand, comme sa puissance d’analyse lui valurent d’exercer même après son départ du Département d’Etat en 1977 une autorité pérenne dans son parti, dans son pays, et au-delà. Par ses livres, les cercles de réflexion qu’il animait, ce magistère dura jusqu’à sa disparition. Pessimiste de raison et optimiste par volonté, ce libéral au sens de Raymond Aron, son ami, était devenu à son corps défendant l’incarnation du réalisme dans les affaires internationales. Son œuvre politique, à travers les ombres et les lumières de son siècle, fut, il est vrai, la cible de critiques qui l’atteignirent.

Le Président de la République salue la figure d’un acteur et d’un penseur exceptionnel de l’histoire américaine et mondiale dont la trace est encore présente dans l’ordre du monde. Il adresse à ses proches et au peuple des Etats-Unis d’Amérique ses condoléances.

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