Fait partie du dossier : 80 ans de la Libération.

Le Président Emmanuel Macron s'est rendu en Corse du mercredi 27 au vendredi 29 septembre 2023.

Ce déplacement était l’occasion pour le chef de l’État de poursuivre le cycle mémoriel consacré à la résistance comme manifestation de la résilience du peuple français. Le Président de la République a rendu hommage lors de ces cérémonies à l’ensemble des résistants qui ont libéré la Corse, Français et étrangers, partageant tous le même combat universaliste contre le nazisme

Ce déplacement intervient un an après le lancement par l’État d’un cycle de discussions avec le collège d’élus corses pour passer en revue la mise en œuvre des politiques publiques et apporter des solutions aux spécificités du territoire.

Le chef de l’État a annoncé, dans la lignée de son discours de 2018 sur l’avenir de la Corse dans la République, que la Corse devait être inscrite dans la Constitution. Pour ce faire, un texte constitutionnel et organique préparé par le gouvernement sera soumis à l'accord de l'Assemblée de Corse d'ici six mois.

Revoir le discours :

28 septembre 2023 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS DU PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON DEVANT LES ÉLUS DE L'ASSEMBLÉE DE CORSE.

Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Monsieur le Président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Madame la présidente de l’Assemblée de Corse, Messieurs les préfets, Monsieur le recteur, Mesdames et Messieurs les conseillers exécutifs, conseillers parlementaires, Mesdames et Messieurs les maires, Madame la présidente du CESEC, Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités. 

Je veux vous remercier, Madame la présidente, pour votre invitation à m'exprimer devant cet hémicycle, devant vous, devant ce cœur battant de la démocratie en Corse. 

Et si nous sommes ici réunis avant toute chose, Monsieur le président, vous venez de le dire à l'instant et vous l'avez rappelé par vos propos, Madame la Présidente, c'est bien parce que voilà huit décennies, partout dans l'île, les combattants de la flamme française se sont dressés et que la Corse a été le premier territoire libéré de France métropolitaine. 

J’irai tout à l'heure à la citadelle d'Ajaccio, dans laquelle Fred Scamaroni écrivit de son sang sa fidélité à l'esprit de résistance. Nous rendrons hommage aussi à Maurice Choury et Danielle Casanova, deux figures communistes de cet esprit de résistance. Cet après-midi, nous serons sur la place Saint-Nicolas de Bastia où, après les efforts des troupes italiennes ralliées au camp des Alliés, entrèrent les troupes marocaines et les patriotes corses qui mirent fin au joug nazi sur la ville et sur toute l'île. 80 ans après, demeure ce roman de courage et d'engagement, celui du sous-marin Casabianca, celui de Jean Nicoli, celui de la bataille de Levie, où Trajan De Peretti et ses hommes repoussèrent les colonnes allemandes à coups de chevrotines ou de fusils Lebel ramenés de la guerre de 14, celui d'Ernest Bonacoscia, guidant à 13 ans les goumiers sur la route des cols, celui des résistants de Bonifacio et d'ailleurs, celui de tant d'autres figures de cette histoire corse et française. 

L'insurrection de la Corse n'était ni prévue, ni organisée au moment où l'effort de guerre contre les nazis se concentrait en Sicile. Pourtant, la Corse avait déjà démontré sa capacité de résister. Ici, aucun juif ne fut dénoncé et les Corses les ont protégés, demeurant fidèles à la République et à ses valeurs, quand d'autres les trahissaient. Le soulèvement de la Corse de septembre 1943 prit de court les alliés, comme les autorités de la France libre. Très vite, devant la bravoure irrépressible de la Corse, les uns et les autres firent parvenir sur l'île des renforts d'Alger et d'ailleurs, avec sa force, avec toutes les forces de la Corse, des communistes aux gaullistes, des maquis du Cap à l'Alta Rocca, l'île rassemblée bouscula les lignes et changea le cours de notre histoire. Par un élan irrésistible, la Corse avait précédé les plans d'état-major pour se libérer et rejoindre la République. 

Alors, que la nation va, dans les mois à venir, replonger dans la mémoire de la Libération, venir parmi vous, ce n'est pas seulement s'en tenir à la chronologie historique. C'est rendre hommage à cet élan irrésistible de la Corse vers la République, à cette exigence vivante, impatiente parfois, intranquille sans doute, qui nous lie. Exigence d'une promesse républicaine et de courage lucide. 

Cette exigence tresse depuis des décennies les relations entre l'Etat et la Corse autour de cette même impatience, autour de ce même caractère pionnier de l'île. Ainsi, la Corse fut la première région décentralisée, en 1982, la première collectivité territoriale à statut particulier, dès 1991. Et aujourd'hui, la Corse est la Collectivité métropolitaine qui bénéficie des compétences les plus larges dans notre pays. 

Et c'est ici, devant cet hémicycle où vivent les valeurs démocratiques de la Corse, que je suis venu faire droit à cet élan renouvelé qui suppose ambition commune et reconnaissance nouvelle.

Lors de mes déplacements précédents, à Furiani en 2017 en tant que candidat et à Bastia en 2018 en tant que chef de l'Etat, je m'étais d'abord engagé à donner à la Corse les moyens de son développement économique, social et culturel. Et il est juste de dire que, conformément à ses engagements, le Gouvernement a fait sa part et que nous avons ensemble beaucoup fait et cheminé avec un objectif simple et concret : rendre la vie des Corses meilleure. 

D'abord, pour assurer la sécurité de nos concitoyens. C'est le premier pilier de la promesse républicaine. En Corse, comme ailleurs, nous sommes intraitables avec cette délinquance du quotidien qui mine la tranquillité de l'île. Intraitables avec un trafic de stupéfiants qui, comme ailleurs, connaît un essor préoccupant. Les services de police et de gendarmerie, sous l'autorité des magistrats et des préfets - et je salue ici l'engagement de chacun - ont connu de vrais succès qu'il s'agit de poursuivre et d'amplifier. 

L'État n'aura non plus jamais aucune indulgence, ni aucune faiblesse face aux actions violentes et parfois clandestines liées à la criminalité organisée. Quatre personnes ont été assassinées au cours du seul mois d'août. Ce sont autant de familles endeuillées et ce sont les principes même de ce qui nous rassemble, ici, la force de la loi, le caractère fondamental de l'ordre républicain et démocratique qui en sont meurtris. Alors, il faut agir contre le racket, les stratégies de pression et d'intimidation. Il nous faut, ensemble, opposer un front du refus uni et intraitable. Car toute l'île dit non à cette violence, à cette criminalité insidieuse, invisible et dont les éruptions sont chaque fois plus destructrices. Et je veux ici saluer tout particulièrement l'engagement de nombre d'associations qui se mobilisent avec courage contre ce fléau. Aux côtés de toute l'île, l'État est là. Nous avons augmenté les moyens de la justice, comme des forces de sécurité intérieure. Nous avons adapté l'organisation des services d'enquête, nous avons renforcé notre présence et renforcé, en particulier, nos services d'enquête pour la police comme pour la gendarmerie. Les polices judiciaires sont aujourd'hui les troisièmes les plus importantes au niveau national et, rapportées à la population, les plus importantes de France. 

En matière de santé, l'État assume, aussi, pleinement son devoir de solidarité avec la Corse. Il l'a fait pendant l'épidémie de Covid et il continuera, notamment pour assurer l'accès aux soins. Nous menons à bien un plan de rattrapage des EHPADs. 171 millions d'euros ont été engagés pour le centre hospitalier d'Ajaccio, mis en service au début de l'année, mais nous irons plus loin encore, conformément à ce que nous devons faire. La maternité de Porto-Vecchio sera maintenue et confortée et je veux que Bastia dispose, dans les prochaines années, d'un centre hospitalier à la hauteur des besoins des habitants. 

Au-delà de la sécurité et de la protection des populations, nous avons avancé ensemble aussi dans l'efficacité et le dialogue pour changer le quotidien des Corses et préparer leur avenir. L'écologie, vous l'avez rappelé, est un combat historique de la Corse. Bien avant nombre d'autres territoires, vous avez, ici, protégé la nature et ses trésors et la biodiversité. Et depuis 2018, l'État et la Collectivité se sont d'abord fortement engagés pour permettre à la Corse de changer de modèle énergétique, de délaisser les énergies fossiles afin d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. L'approvisionnement en électricité de l'île doit être sécurisé. La future centrale du Ricanto à Ajaccio ouvrira d'ici la fin 2027 et l'État sera également présent aux côtés des Collectivités pour opérer leur bascule vers une électricité et une énergie durable, pour mieux isoler les bâtiments et pour sécuriser les interconnexions électriques en Méditerranée. 

Il est impossible d'avoir de l'ambition en matière d'environnement sans évoquer la lancinante question des déchets, primordiale en termes d'environnement, en termes même d'autorité et d'efficacité des pouvoirs publics et dans la confiance que les citoyens leur portent. Voilà quatre ans, l'État a autorisé l'édification de l'Écopôle de Viggianello, qui a permis d'éviter une crise majeure dans ce domaine. 

Dans un esprit de coopération et de vrai partenariat, l'État a pris la décision de financer, à hauteur de 80 %, un premier centre de tri et de valorisation, à Monte, et s'engagera sur un deuxième centre. 

C'est dans la droite ligne de l'engagement que j'avais pris devant les maires à Cozanno, au moment du grand débat. Parler des rapports entre l'État et la Collectivité, c'est par excellence évoquer la continuité territoriale. Promesse irréfragable de la République, nécessité vitale pour les Corses et leurs familles, levier de développement et d'emploi. En plus de la dotation annuelle de 187 millions d'euros, cette année, l'État a ajouté 33 millions d'euros, dans un contexte de surcoût et a supporté une partie importante, 50 millions d'euros, de la pénalité décidée au terme d'un long contentieux avec un opérateur maritime. 

Et puis l'État, vous le savez, soutient l'investissement des Collectivités de Corse qui exprimaient des attentes légitimes en la matière. Pendant 20 ans, le plan exceptionnel d'investissement a permis de financer deux milliards d'euros de rattrapage d'équipements dans un travail mené avec l'ensemble des Collectivités. En 2018, avec le plan de transformation et d'investissement de la Corse, le PTIC, doté de 500 millions d'euros, j'ai souhaité une concentration sur les chantiers les plus structurants, ceux qui permettent de créer des emplois, de sauvegarder le patrimoine, d'améliorer la qualité de vie en Corse. Cet effort de tous les pouvoirs publics, construit en partenariat, porte ses fruits, transforme le quotidien de nos concitoyens, protège les paysages de l'île. Et je veux que pour les prochaines années, un PTIC de nouvelle génération renforce à son tour le développement économique et social de l'île et que nous puissions rester engagés aux côtés de toutes les Collectivités qui le souhaitent. 

Le PTIC représente le changement de méthode que j'avais annoncé à Bastia et mis en œuvre depuis cinq ans. Un engagement fort et entier de l'État, mais d'abord et avant tout, en soutien aux Collectivités de l'île, en vue d'améliorer le quotidien et de préparer l'avenir. Et plus que jamais, cette entente et cet esprit de responsabilité doivent nous guider pour aborder les domaines sur lesquels les attentes, comme les défis, demeurent, qu'il s'agisse de l'emploi - car même si aujourd'hui nous avons, ici, un des taux les plus bas du territoire national et un des taux de chômage historiquement les plus bas, nous savons que l'enjeu demeure de diversifier l'économie, de pérenniser en particulier le modèle agricole et d'assurer un avenir à la jeunesse. Ou qu'il s'agisse du logement, nous savons combien ce sujet est un sujet de préoccupation majeure pour tous les Corses qui doivent affronter tout à la fois des loyers extrêmement élevés, une pénurie de biens, une pression foncière insoutenable, un encadrement normatif bien plus contraignant qu'ailleurs. 

Mais je voulais commencer mon propos en rappelant tout cela, tout ce que nous avons fait ces dernières années ensemble et en disant, qu'au fond, la mission qui est la nôtre a un caractère historique, politique. Je vais y revenir dans un instant. Mais que nous devons toujours avoir chevillée au corps, une exigence d'efficacité de service de nos concitoyens et que cette efficacité dépasse parfois les débats institutionnels car il est même arrivé que sur des compétences qui n'étaient plus celles du Gouvernement, nous ayons fait des investissements massifs. Et nous avons eu raison, dans ces moments-là, je l’assume, de ne pas céder au juridisme, mais simplement d’avoir cet objectif d’intérêt général. En commençant à évoquer le quotidien des Corses et le travail mené avec l’ensemble des maires de l’île, et je veux, ici, les saluer chaleureusement, tout ce qui a été accompli sur ces priorités, nous savons aussi que le quotidien de la Corse est marqué par sa relation à l’Etat et la République. Vous l’avez dit, cher président, c’est un sujet éminemment politique et il exige une réponse politique. Je suis convaincu que nous sommes à un moment historique. Nous le sommes parce que nous avons su cheminer sur tous les sujets que je viens d’évoquer ces dernières années. Nous le sommes parce que vous appartenez, ici, à la tribune, comme au balcon, à des sensibilités et des formations politiques diverses, mais à des générations qui avaient connu le pire. Nous le sommes parce que, ces derniers mois, tous ensemble, vous avez su éviter le retour du pire, avec un esprit de responsabilité et un sens du devoir qui interdisent l'indifférence ou le statu quo. Nous sommes à un moment historique car je pense qu'il y a une conscience collective précisément pour pouvoir avancer. 

Et laissez-moi sur ce sujet vous dire ma conviction : la Corse est enracinée dans la France et dans la République. Elle a même souvent été pionnière. Songeons à la Constitution de 1755 de Pascal Paoli, de sa modernité démocratique. Et la Corse a aujourd'hui besoin de davantage de liberté, de la reconnaissance de son identité, de sa singularité insulaire et méditerranéenne. Et c'est cet enracinement dans notre histoire commune et cette reconnaissance qu'il faut tenir ensemble pour sortir de cette situation d'incompréhension et de confrontation, de défiance et de ressentiment. Et il y a souvent eu de l'incompréhension, parfois de l'indifférence, qui ont nourri le ressentiment qui peut conduire jusqu'à la violence. C'est pourquoi le moment que nous vivons impose une véritable reconnaissance. Pour sortir du face-à-face, il faut épouser la complexité de cette histoire et ouvrir une page nouvelle. 

Je suis favorable à ce qu'une nouvelle étape soit franchie. 

Cette étape a été préparée par le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, et je veux l’en remercier tout particulièrement, qui, depuis plus d'un an, a mené à Paris, ou ici en Corse, avec vous — et vous avez rappelé, Président, le texte que vous avez signé ensemble, dès mars 2022, puis ce travail associant toutes et tous, un premier site de discussions avec les responsables politiques et les élus de l’île, s’est conduit et je mesure et je salue aujourd’hui votre engagement sincère et le courage pour dépasser les clivages et la volonté d’être cette génération de responsables déterminés à favoriser la sérénité et la prospérité de l’île. Disons-le clairement, au moment où je vous parle, tout ce travail étant reconnu, le statu-quo serait notre échec à tous. 

J'avais donné mandat au ministre d'identifier avec les élus insulaires l'ensemble des obstacles et des freins au développement de l'île afin de proposer les voies et moyens susceptibles de l'élever. Et ceci dans un seul et unique souci : offrir à nos compatriotes vivant en Corse un horizon apaisé. Dès le début de cette démarche, le Gouvernement a pris un certain nombre d'engagements. Les membres du commando Érignac encore détenus, ont été transférés au centre pénitentiaire de Borgo. Souscrivant à une demande ancienne de leurs proches, l'Inspection générale de la justice a publié un rapport et les parlementaires ont conduit des travaux importants, faisant toute la lumière, sans tabou ni déni, sur les conditions de l'assassinat d'Yvan Colonna. Cette page tragique de notre histoire commune doit être définitivement refermée dans le respect et la force de la vérité. 

En début d'année, je suis moi-même venu à la rencontre de la délégation corse à Beauvau. C'est à cette occasion que j'ai demandé à la délégation de m'adresser, avant le 14 juillet, des propositions. Ce qui a été fait par la présentation de plusieurs résolutions devant votre assemblée et le vote largement majoritaire de l'une d'entre elles, le 5 juillet dernier. 

Pour ancrer pleinement la Corse dans la République et reconnaître la singularité, son insularité méditerranéenne, ce rapport au monde et son rôle dans l'espace qui est le sien, nous devons avancer. Et il faut pour cela l'entrée de la Corse dans notre Constitution, c'est votre souhait, je le partage et je le fais mien, car je respecte et je reconnais l'histoire, la culture, les spécificités corses dans la République. Ce lien entre cette terre, cette mer, cette ambition enracinée. La vocation de la Corse ne peut pas s'enfermer dans un texte, mais l'inscription dans un texte, et en particulier celui de notre Constitution, désormais la plus vieille et la plus durable de notre histoire. Et ce geste de reconnaissance indispensable et de la construction d'un cadre respectueux de la singularité insulaire et méditerranéenne. 

Je ne veux ici préempter aucun des débats démocratiques que mèneront les forces vives en Corse et la représentation nationale. Je suis favorable à ce que les spécificités de la communauté insulaire Corse soient reconnues dans la Constitution au sein d’un article propre, celle d’une communauté insulaire, historique, linguistique et culturelle. Ces mots, je le souhaite, seront ceux de notre texte fondamental, des mots de respect et de reconnaissance. 

Fort de cette reconnaissance constitutionnelle inédite, je souhaite que la langue corse puisse être mieux enseignée et placée au cœur de la vie de chaque Corse. Un service public de l'enseignement, en faveur du bilinguisme, sera mis en œuvre. Il nous faut donner plus de place à la langue corse dans l'enseignement comme dans l'espace public. L'insularité et l'attractivité de la Corse ont aussi conduit à créer des situations immobilières et foncières insoutenables pour les habitants et créant, ce faisant, des difficultés d'accès au logement dans certains territoires. Pour cela, il importe que puissent être établis des dispositifs, notamment fiscaux, régulant le marché immobilier et luttant efficacement contre la spéculation, tout en respectant notre droit européen, auquel, vous l'avez rappelé, vous êtes aussi profondément attachés. Je crois que cela n'est en rien ébrécher nos valeurs et nos principes. Au fond, c'est toute la politique du logement, son cadre réglementaire, qui suppose un effort considérable d'adaptation en vue d'une production plus massive et d'une lutte contre les spéculations. 

C'est pourquoi, au-delà de ce sujet du logement, et parce que tant d'entre vous, combien de maires encore ce matin m'ont souligné, en quelque sorte, les blocages et les incapacités d'adapter, parfois, la loi de la République, quand la loi Littoral vient se superposer à la loi Montagne pour ne prendre qu'un de ces exemples bien connus. Je souhaite que la Corse bénéficie d'un cadre lui permettant de définir certaines normes et de mieux en adapter d'autres. Il s'agit d'abord de rendre plus simple et plus effectif le droit d'adaptation et le droit d'habilitation. Ils existent déjà dans le statut actuel, pourtant ils n'ont jamais été mis en œuvre. Nous devons donc regarder ces blocages. Ils sont liés au fait que, parce qu'il n'y a pas d'accroche constitutionnelle reconnaissant cette singularité, il n'y a pas une adaptation suffisante. Il nous faut là-dessus bouger. Il faut aller plus loin et je suis favorable à ce que soit étudiée la possibilité pour la Collectivité de Corse de définir des normes sur des matières ou des compétences transférées. Cette capacité normative devra évidemment s'exercer sous le contrôle du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel. C’est un vrai pouvoir de choix démocratique et une grande confiance ici faite. Il s’agit d’ouvrir la possibilité d’une gouvernance responsable et libre d’un territoire. Ce qui est non seulement compatible avec le mot et l’esprit de la Constitution, mais qui rendra également la République plus forte, plus concrète, plus efficace. La progressivité et l'évaluation régulière devront accompagner ce nouveau fonctionnement. 

Il nous faut, en la matière, je le crois profondément, sortir de l'importation de tel ou tel référentiel, en miroir d'autres îles et régions de Méditerranée et d'Europe, pour bâtir un référentiel qui soit pleinement Corse, celui de la Corse dans la République. Pour répondre au besoin de reconnaissance et éviter de nouvelles confrontations, allons au-delà des totems pour les uns, des tabous pour les autres. Au fond, ayons l'audace de bâtir une autonomie à la Corse, dans la République. 

Cette autonomie doit être le moyen pour construire, ensemble, l'avenir sans désengagement de l'État. 

Ce ne sera pas une autonomie contre l'État, ni une autonomie sans l'Etat, mais une autonomie pour la Corse et dans la République. 

Le moment exige des uns et des autres un esprit de responsabilité et de dépassement. C'est ainsi que notre jeunesse de Corse continuera de croire en la démocratie et de croire en la République. L'enjeu est bien celui-là : tracer un cap d'espoir et bâtir un équilibre stable pour les prochaines générations. 

Au cours des discussions menées sous l'égide du ministre de l'Intérieur, d'autres sujets ont été évoqués pour favoriser l'indispensable convergence entre les acteurs politiques de la Corse, que ce soit sur la réforme du mode de scrutin pour les élections territoriales, de l'assouplissement de la législation relative à l'organisation administrative insulaire, de la métropolisation de la communauté d'agglomération d'Ajaccio, du renforcement de la Chambre des territoires. Sur chacun de ces grands thèmes, le Gouvernement est aussi disposé à avancer, à retenir des propositions qui amélioreront la démocratie locale et la gouvernance publique. 

Je suis prêt, vous l'avez compris, à mener cette étape à son terme. Pour y parvenir, il faut le rassemblement le plus large de toutes les forces vives de la Corse. C'est l'autre leçon, au fond, de 1943. Car la Corse a incarné aussi la fédération de toutes les volontés patriotes, je le rappelais, au-delà des clivages et au-delà des partis, au-delà des affinités particulières. Aussi pour cheminer dans de bonnes conditions et obtenir l'accord du Parlement pour modifier la Constitution, il est nécessaire que les différents sujets institutionnels que je viens d'évoquer fassent l'objet d'un accord des groupes politiques de l'Assemblée territoriale de Corse, cœur battant de la vie démocratique de l'île. 

Je souhaite, donc, que le travail avec le Gouvernement puisse mener à un texte constitutionnel et organique, ainsi soumis à votre accord, d'ici six mois. Et c'est bien sur la base de celui-ci que nous pourrons engager le processus de révision constitutionnelle, puis organiser la consultation en Corse, et à l'issue préparer le projet de loi organique qui mettra en œuvre cette nouvelle étape. 

Pour construire cet accord entre le Gouvernement et vous, il n'y a pas de ligne rouge, il y a l'idéal de la République et la volonté de chacun de se dépasser dans ce chemin commun. 

Je vous le dis avec franchise, c'est seulement si un tel accord est conclu que par sa force et sa légitimité, et je m'y emploierai avec engagement avec la présidente de l'Assemblée nationale et avec le président du Sénat, que nous serons en mesure d'engager avec une chance de succès la réforme constitutionnelle auprès du Congrès. 

Au terme de cette révision constitutionnelle, comme dans l'intervalle qui nous en sépare, je souhaite que l'État et la Collectivité de Corse continuent leur travail commun avec engagement et exigence. 

Mesdames et Messieurs, la nouvelle étape institutionnelle que je vous propose est un changement profond dans la relation entre l'État et la Corse. 

Et je veux que nous l'abordions avec l'esprit que j'évoquais, celui qui guidait les pas de nos aînés, de la liberté et de l'élan sincère vers la République et la reconnaissance de ce qu'est la Corse. Nos aînés, avant nous, ont porté l'idée d'une République suffisamment forte pour triompher de la fatalité. Je crois profondément que la République est suffisamment forte pour accueillir, mieux qu'elle ne le fait aujourd'hui, en tout cas différemment, cette aspiration intranquille, cette volonté de trouver sa place et de s'emparer de son destin qu'exprime aujourd'hui la représentation politique de l'île. Je crois à cette République suffisamment forte pour relier différemment l'île au continent sans renier ses principes. 

C'est une étape historique à laquelle nous devons collectivement œuvrer. 

Ce discours est une main tendue et un chemin à parcourir ensemble pour construire un avenir d'espoir et de prospérité pour la Corse. 

C'est ainsi que nous refermerons une page marquée par des heures sombres et que nous pourrons en ouvrir une autre, celle d'un nouvel élan vers la République et la liberté, vers la Méditerranée et vers l'avenir. Car l'inscription en Méditerranée de la Corse doit composer une part majeure de son destin. La Corse, par sa beauté, par l'accumulation de civilisations et d'ouverture reçues en legs des siècles passés, par la fièvre créatrice de sa jeunesse et de ses artistes, a toute sa place dans cette ambition essentielle pour nos intérêts stratégiques, dans nos relations avec toutes les rives de la Méditerranée. 

La nouvelle étape institutionnelle que nous voulons lancer doit permettre à la Corse de conserver son âme et son identité tout en restant dans les bornes de la République et de continuer ainsi à bénéficier de la solidarité nationale. Notre priorité, c'est d'aider la Collectivité à répondre aux attentes des Corses, l'aider à bâtir l'espoir et la sérénité. 

Ce choix, que nous faisons ensemble, c’est un choix de confiance. C'est la confiance qui reconnaît le génie propre de la Corse. C'est la confiance dans notre capacité au dépassement. Dans ce génie propre, il y a eu parfois une pulsion de mort qui l'a emporté sur la pulsion de vie. Cette pulsion de mort s'est toujours nourrie d'un ressentiment, d'incompréhension, de portes fermées. Je veux que par cette confiance dans le génie propre de la Corse, nous sachions aller vers la pulsion de vie et l'espérance et bâtir pour notre jeunesse et les générations à venir. 

Ce choix qui existe, le seul, qui est un choix d'avenir. Ce choix, c'est celui que notre jeunesse mérite pour que les prochaines générations combinent à leur tour cette richesse et cette force d'être Corses et Français. Corses parce que Français, Français parce que Corses, Européens et de Méditerranée, tout cela à la fois. 

Je vous remercie. Vive la Corse, vive la République et vive la France ! 

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