De l’Histoire, Gilles Perrault tirait des récits, et a concouru par ses livres à en façonner le cours. Disparu le 3 août, il représentait pour beaucoup de Français la figure de l’investigation, de l’écriture engagée et du combat contre la peine de mort.

Comme les hommes de l’ombre qui le fascinait, comme les grands romanciers qu’il chérissait, celui qui était né Jacques Peyroles en 1931 se choisit très tôt un nom de plume. Cette homonymie avec l’auteur des Contes plaça d’emblée la vie de Gilles Perrault sous le signe de l’art du récit. Et en effet, le jeune étudiant à Sciences-Po Paris entama dès l’âge de 25 ans une carrière littéraire, en publiant des romans mêlant aventure et espionnage. De son service militaire en Algérie, il tira ensuite un essai, les Parachutistes, paru en 1961, qui rencontra un premier succès. Dès lors, Gilles Perrault renonça à la carrière d’avocat qu’il avait embrassée, mais retint de cette expérience de cinq ans un goût de la plaidoirie, un idéal de justice, une science des dossiers équivoques. Il avait trouvé sa voie : celle combinant la passion des mots et la recherche de la vérité. Il devint journaliste. Auteur déjà prolifique avant d’avoir trente ans, il se tourna vers l’exploration des énigmes historiques, et les ressorts dissimulés de l’Histoire. Il publia ainsi Le Secret du Jour J et l’Orchestre Rouge, qui s’imposa comme un classique de l’investigation historique.

En 1978, Le Pull-over rouge, sa contre-enquête sur l’Affaire Ranucci transforma l’enquêteur des ombres du passé en figure engagée de son époque. Reprenant le dossier de l’enlèvement et du meurtre de Marie-Dolorès Rambla en 1974, et deux ans après l’exécution de celui qui avait été jugé coupable, Christian Ranucci, Gilles Perrault exposait une version qui concluait à l’innocence de ce dernier. Si l’établissement des faits fut l’objet d’un débat judiciaire et médiatique qui ne cessa jamais, Gilles Perrault devint instantanément l’une des figures du combat pour l’abolition de la peine de mort : avec sa voix claire, son talent de persuasion, cette manière de raconter comme on plaide à la barre. Le livre fut adapté au cinéma l’année suivant sa parution, et l’affaire Ranucci ne s’appela plus, dans la conversation du pays que du titre de cet essai qui alliait la virulence pamphlétaire à l’analyse judiciaire.

Gilles Perrault ne cessa pas ses coups d’éclat : ainsi son ouvrage Notre ami le roi paru en 1990 marqua également l’époque et provoqua de vifs débats. Communiste, auteur multiple, il accumula les engagements et les livres, toujours à l’aune de son idéal humaniste. Fréquemment adapté au cinéma – ainsi de son roman Le Garçon aux yeux gris, par André Téchiné en 2003 sous le titre des Egarés – il fut lui-même scénariste pour Henri Verneuil (Le Serpent en 1973) ou Michel Deville avec Le Dossier 51, tiré de son propre roman et pour lequel il obtint le César du meilleur scénario en 1979. Enfant d’un siècle marqué par les guerres, fasciné par l’espionnage et les ténébreuses affaires, ses essais historiques comme ses romans foraient la même veine du secret, des jeux de pouvoir, de l’action clandestine. Il fut ainsi l’auteur, en 2014, d’un Dictionnaire amoureux de la Résistance.

Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’une plume libre, fidèle à la tradition française de l’engagement en littérature, et résolue à servir des causes humanistes. Ils adressent à ses proches et à ceux qui l’aimaient, ceux qui le lisaient, leurs condoléances émues.

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