Le Président de la République a présidé la cérémonie d’hommage national à Léon Gautier.
Conformément à ses vœux et à ceux de sa famille, cet hommage national a pris la forme d’honneurs militaires, et s'est déroulé sur la plage de Ouistreham. À l'endroit même où débarqua le dernier combattant du commando Kieffer le 6 juin 1944 avec ses 176 camarades, aux côtés de leurs frères d’armes britanniques, afin d’ouvrir la voie aux 133 000 soldats alliés.
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7 juillet 2023 - Seul le prononcé fait foi
Discours du Président de la République.
Madame la Première ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le préfet,
Monsieur le maire,
Mesdames et Messieurs les élus, officiers, sous-officiers, officiers mariniers, soldats, marins, aviateurs,
Chères familles,
Mesdames et Messieurs.
Il y a 4 ans, ici même, il fut demandé à Léon Gautier ce qui avait traversé son esprit au petit matin du 6 juin 1944, quelques secondes avant de poser le pied sur la côte normande et d'affronter l’ennemi. « Ce jour-là », disait Léon Gautier, « nous avions décidé que nous ne rembarquions pas ». Ce « nous » désignait les 177 du commando Kieffer, cette troupe d'élite de Français de toutes origines et de toutes conditions, prêtres, instituteurs, banquiers ou postiers, fils d'immigrés italiens ou d'enfants, d'industriels, d'Haïti, du Maghreb ou de Bretagne, des Français, quelques étrangers, qui refusaient l'occupation de leur patrie, celle dont ils avaient hérité ou qu'ils avaient choisie, des hommes simples qui n'avaient qu'un seul dessein, libérer le pays de l'occupant nazi.
Ils avaient voué leurs 20 ans, effacer la défaite de 40. Ils étaient déterminés à faire le sacrifice de leur jeune vie pour qu'une vieille histoire, l'histoire de la France, continue de s'écrire. Et ce 6 juin 1944, mort ou vivant, pas un ne rembarqua. Léon Gautier était l'un de ces Français ordinaires résolus à accomplir l'extraordinaire, incarnation de cet esprit de résistance si français et, au fond, si républicain.
En février 1940, il voulut s'engager pour défendre la France. Alors, âgé de 17 ans, il ne pouvait servir que dans la marine, la seule armée qui acceptait les mineurs. Alors, va pour la marine pourvu qu'il puisse y prouver sa bravoure ! Sur le Cuirassé Courbet, il participa à la défense de Cherbourg. En juin, dans la débâcle, Léon Gautier fut envoyé dans un camp de ralliement à Douvres. Mais entendant l'appel du général De Gaulle, il choisit de le rejoindre. À Londres, dès les premières semaines, Léon Gautier rentra dans les rangs des forces navales françaises libres. Il embarqua d'abord sur le Gallois, navire accompagnant les convois transatlantiques. Et lors de sa première sortie, un autre bâtiment de l'escorte fut touché. Interdiction était faite aux navires d'interrompre leurs courses. Les naufragés étaient abandonnés à leur sort dans les nappes de gazole en flammes. Ses corps à la mer qu'il vit de ses yeux, Léon Gautier ne les oublia jamais.
Volontaire pour le danger, toujours, Léon Gautier fut encore sous-marinier sur le SURCOUF, sous la menace des torpilles allemandes, à bord d'un bâtiment qui pouvait se transformer en cimetière marin. Rejoignant le 1er Régiment de fusiliers marins en janvier 1941, Léon Gautier se rendit au Congo, puis en Syrie. Mais ces théâtres d'opérations étaient trop loin des combats, car par-dessus tout, Léon Gautier voulait combattre. Alors, en juillet 1943, il intégra le 1er Bataillon de fusiliers marins commando. C'était le commando de Philippe Kieffer, le commando de toutes les exigences. La sélection se passait dans un camp d'entraînement. Chaque épreuve, lorsqu’elle était manquée, valait élimination, les exercices étaient à balles réelles. Et dans ces montagnes d’Écosse, les volontaires étaient forcés de contempler des tombes, le cimetière était factice mais les aspirants ne le savaient pas. Après ces semaines intenses de courses, de tirs, de courses encore, Léon Gautier reçut le béret vert des commandos.
L’adolescent qui se destinait au métier de carrossier était devenu l’un des leurs, il était prêt. Ce fut en mai 1944 que les 177 du Number 4 Commando rejoignirent le camp secret de Titchfield dans le sud de l'Angleterre. Ils attendaient la promesse d'une aube, les côtes françaises et la libération du pays. Enfin, ce fut le 6 juin. La veille encore, ils ignoraient où ils débarqueraient. Au petit matin, pourtant, ils allaient deviner les longues plages encombrées de barbelés et de mines, ces dunes estompées dans les vapeurs dissimulant les bunkers de Rommel qui formaient le terrible mur de l'Atlantique. C'était la patrie chez eux, chez nous, nos plages, notre terre.
Il était 7h25 et le jour le plus long commençait. Les Britanniques avaient laissé les deux barges transportant les 177 hommes du bataillon s'approcher les premières des côtes normandes. Car il fallait, signe d’élégance de nos alliés, que les premiers combattants à fouler le sable de Normandie fussent des Français. Des Français qui s'étaient promis de ne pas reculer, d'avancer et avancer encore sous les balles des mitrailleuses sans s'arrêter pour ramasser les blessés, foncer jusqu'au blockhaus, n'abandonner jamais, quitte à mourir puisque l'honneur, le pays et même la liberté du monde progressaient à chaque pas conquis. Non, ne pas rembarquer.
Comme les autres, Léon Gautier avança l'arme au poing et l'esprit fixé sur l'objectif. Il avait appris en Écosse à courir avec un sac de 40 kilos sur le dos. Il racontera ensuite que sous le feu ennemi, il courut plus vite que s'il avait eu le dos libre. À ses côtés, plusieurs de ses frères d'armes tombèrent. L'un d'entre eux s'affaissa sur le sable et lança alors : « Allez-y, les gars ! » avant d'entonner La Marseillaise. Ceux qui l’entendirent eurent les larmes aux yeux et avancèrent et avancèrent encore. Pourtant, à la fin de la journée, le bataillon comptait 10 morts. Mais au soir, le commando Kieffer tenait Ouistreham.
D'autres épreuves alors commencèrent pour Léon Gautier. Pendant 78 jours, il fut de tous les combats du commando, s'enterrant avec ses camarades dans des tranchées et montant la garde. Ce fut là, confiait-il, que ce fut le plus dur. Ce fut là aussi, dans le bocage de Normandie que Léon Gautier peut-être sut qu'il n'avait pas démérité de ceux qui, avant lui, avaient enduré dans les tranchées des Ardennes le pire. Après avoir libéré Saint-Maclou dans l'Eure et rempli tous les objectifs tactiques qui lui avaient été confiés en septembre 1944, le commando Kieffer retourna en Angleterre. Tombés ou debout, la renommée de ces hommes déjà était immense. Ils étaient des Français qui avaient libéré la France, moindres par le nombre, plus grands par la gloire.
Blessé accidentellement, Léon Gautier ne prit pas part à la suite des combats et s’il avait été fidèle à la promesse de ne pas rembarquer, il en avait une autre à tenir. Avant le 6 juin, il avait promis à celle dont il était amoureux, Dorothy Banks, de l’épouser s’il revenait vivant. Le 14 octobre 1944, Léon et Dorothy se marièrent et ces deux acteurs du jour le plus long, elle dans le corps des transmissions britanniques, furent unis aussi longtemps que leurs vies comptèrent de jour. Ils eurent deux filles Jacqueline et Jeannette.
Démobilisé en août 1945, Léon Gautier retourna à la vie civile. Il ne pensait pas être un héros. Il concédait un certain courage quand il avait fallu en avoir. Ce temps-là était passé. Il pouvait aspirer à ce dont il avait été privé jeune homme : la paix. Ouvrier carrossier en Angleterre, Léon Gautier travaillait encore en Afrique avant de reprendre ses études de droit et de devenir expert automobile. Il était enfin un père tranquille. Léon Gautier avait appris au combat à ne jamais regarder derrière lui. Pourtant, peu à peu, il s'efforça d'effacer ce réflexe de soldat. Il voulut partager son expérience, car l'esprit de Résistance qui l’avait animé pendant la guerre lui commandait de bâtir et de transmettre.
Il revint habiter ici, à Ouistreham. Il œuvra pour l'établissement d'un musée consacré au commando numéro 4, le sien. Le temps passant, les honneurs légitimes furent enfin rendus à ceux qui restaient du commando Kieffer. Les décennies s'égrenaient, les anniversaires passaient et Léon Gautier était là, s’accomplissant comme témoin, accompagnant les chefs d'État sur les plages du Débarquement, donnant l'accolade en 2014 à Johannes Börner, ce soldat allemand qui, 70 ans plus tôt, combattait en Normandie ; transmettant le flambeau à son propre petit fils, fusilier marin à son tour, et ajustant encore le béret vert le 6 juin dernier, à Colleville-sur-Mer.
Léon Gautier était là, avec ses sourcils broussailleux, son treillis et son éternel béret vert de commando. Léon Gautier était là, avec son sourire de jeune homme et son humilité non feinte. Il n'avait fait que son devoir et au fond, l'amour de la France était pour lui une évidence. Léon Gautier était là et avec lui, tous les commandos de toutes les générations, ici à Ouistreham ou ailleurs, et la foule des anonymes qui l'appelaient et le célébraient, lui, le dernier des premiers à rester parmi nous. Léon Gautier était là, comme il le fut dès le premier jour. Et Léon Gautier est encore là, qui nous regarde avec la simplicité bienveillante de celui qui a servi la patrie et rétabli la République et avec lui, les 176 autres de Kieffer et au-delà, tous les bérets verts, cette cohorte de bravoure qui, aux côtés de nos alliés, avait libéré la France et qui, depuis, la défend et la sert jusqu'au sacrifice ultime. Léon Gautier est là face à nous et tout son destin nous indique le chemin de salut pour notre patrie.
La légende d'un homme ordinaire, devenant héros en suivant l'appel au service de la France et de ses idéaux, s’offrant à ses devoirs avant de chercher quelques droits, puis revenant, humble et simple, parmi ses compatriotes libres. Léon Gautier est là, ici, sur cette plage où tout avait commencé. Il est devant nous avec sa légende, la nôtre, offerte en modèle, et nous obligeant. Ce 6 juin, ni ses frères d'armes, ni Léon Gautier ne remontèrent dans leur barge. Ils allèrent droit devant. Ils étaient des commandos. À chacun de leurs pas, progressait la République, celle qui rassemble nos destins dans un même élan. À chacun de leurs pas, avançait la France, qui ne renonce jamais à être fidèle à elle-même. Là sont les seuls chemins que nous avons à poursuivre.
Vive la République ! Vive la France !