Elle fut une figure du « Monde », où elle croquait, « Sur le vif », et en dernière page du quotidien du soir, les rumeurs de la ville et les personnages de la vie parisienne. Journaliste, écrivaine, Claude Sarraute était dénuée d’esprit de sérieux, et avait bâti, sans le rechercher, une carrière et un personnage qui lui valaient l’affection du grand public. Sa disparition le mardi 20 juin est celle d’une femme éprise de liberté qui a traversé son siècle avec humour, talent et une infinie curiosité.

Claude Sarraute vit le jour le 24 juillet 1927 à Paris. Ses deux parents étaient alors avocats : Raymond, et Nathalie, qui commençait la rédaction de « Tropismes », premier jalon sur une route littéraire au cours de laquelle elle renouvellerait le roman français. Radiée du barreau à la suite des lois antisémites de Vichy, Nathalie Sarraute dut se cacher avec les deux sœurs de Claude loin de Paris. Cette dernière demeura dans la capitale avec son père, traversant ces années d’Occupation, dans une ambiance qu’elle n’évoqua, plus tard, que par bribes. A la Libération, et après une scolarité à l’Ecole alsacienne et des études de droit et de lettres, l’adolescente voulut conquérir sa liberté. Car si sa mère l’enjoignait au travail et à l’indépendance, Claude Sarraute avait le goût de l’évasion et l’esprit de contradiction. Eblouie par sa première expérience de spectatrice au cinéma devant « Blanche Neige », elle forma le projet de devenir actrice et multiplia les auditions pour le théâtre. Pendant quatre ans, elle incarna des seconds rôles, dans des pièces de Romain Weingarten ou Roland Dubillard, auteurs d’avant-garde qui exigeaient des comédiens un phrasé décalé. « Comme je parlais faux, j’étais prise », commenta Claude Sarraute avec l’auto-dérision qui était sa marque de fabrique.

Au début des années 1950, Claude Sarraute fut, presque par hasard, embauchée au « Monde ». Sa connaissance du théâtre lui valut d’être affectée aux annonces des programmes des salles parisiennes. Mais, la jeune employée de rédaction rêvait d’être une journaliste à part entière. Pendant vingt ans, par sa gouaille, son charisme, sa fausse décontraction dissimulant un grand perfectionnisme, elle fraya peu à peu son chemin dans l’immeuble du boulevard des Italiens, reprenant la rubrique « Variétés » puis « Télévisions », accompagnant une nouvelle génération de femmes journalistes au « Monde » : Colette Godard, Yvonne Baby, Jacqueline Piatier.

En 1983, le nouveau directeur du journal, André Laurens, souhaita modifier l’image de sérieux uniforme du quotidien. Il confia alors le billet de dernière page à la journaliste, contre l’avis de l’ensemble des chefs de service. Soutenue par quelques autres grandes plumes, dont Jacques Amalric, chef du service étranger, Claude Sarraute inventa presqu’aussitôt un style et un format, un rendez-vous espéré et plébiscité par 300 000 lecteurs. Son « Sur le vif » mêlait les anecdotes glanées au comptoir, ou sur le trajet de la journaliste entre son domicile et les locaux du boulevard des Italiens ; transformait un serveur, un taxi, ou l’un de ses collègues en héros de son épopée quotidienne ; croquait François Mitterrand (« Mimi ») ou « Jacques Chirac (« Chichi ») en pleine cohabitation. Le succès de la « Madame Tout-le-monde » du journal « Le Monde » fut immense et dura jusqu’au 11 juillet 1992 et au dernier billet de Claude Sarraute, intitulé « A bientôt ». Claude Sarraute fut ensuite conviée, par Philippe Bouvard, au micro des « Grosses têtes », de 1985 à 1995, où ses mots d’esprits répondaient à ceux de Jean Yanne ou d’Olivier de Kersauson. Elle rejoignit ensuite les rangs de la « bande » de Laurent Ruquier au fil de ses différentes émissions de radio et de télévision, incarnant bien volontiers un personnage faussement naïf, aux yeux clairs, qui lui fit gagner les cœurs du plus grand nombre.

Mariée pendant dix ans avec le physicien Christophe Tzara, Claude Sarraute épousa en 1967 le philosophe et écrivain Jean-François Revel. Pendant presque quarante ans, ils formèrent ensemble un couple soudé par l’humour, le goût des mots, une passion commune pour l’esprit de liberté.

Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire de celle qui fut une figure de la presse et de l’audiovisuel français. Ils adressent à ses enfants, Laurent, Martin, Nicolas et Véronique, à toute sa famille, à ses proches, leurs condoléances émues et à ses fidèles lecteurs et auditeurs, leurs pensées attristées.

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers