Il y a 80 ans, le 27 mai 1943, se tint à Paris, au 48 rue du Four, la première réunion clandestine du Conseil National de la Résistance, sous la présidence de Jean Moulin, délégué par le général de Gaulle.
Pour en arriver à cette réunion, il avait fallu plus d’un an de pourparlers, de rencontres secrètes, de prises de risques, depuis ce mois de janvier 1942 où Jean Moulin avait été parachuté en France, muni d’un ordre de mission reçu à Londres des mains mêmes du Général : unir au sein d’un même mouvement résistant les droites et les gauches, les gaullistes et les socialistes, les communistes et les radicaux, les francs-maçons et les catholiques, les protestants et les libres penseurs, les civils et les militaires, les chefs de réseaux et les politiques de la IIIe République.
La tâche semblait impossible. En ce 27 mai, elle trouva pourtant son plus complet accomplissement, et son plus éclatant symbole. Dans cet appartement prêté par le résistant René Corbin, autour d’une seule et même table, se retrouvèrent les représentants des neuf branches de la Résistance, des six grands partis politiques français, des deux grands syndicats : toutes les forces du renouveau, du travail et de la jeunesse, assemblées enfin au sein de la même organisation, et qui toutes désignèrent Jean Moulin président du CNR.
Face au danger mortel que couraient les idéaux républicains, il n’y avait plus de faction qui tînt. Les résistants de l’intérieur se rassemblèrent derrière l’homme de Londres, les convictions de droite s’accordèrent à celles de gauche derrière l’ancien préfet du Front populaire, les sensibilités de tout bord s’unirent pour sauvegarder ce qui était vital à leurs yeux, la liberté de notre pays.
Refusant Hitler et Vichy, l’horreur et le malheur, ils voulaient rendre la France à elle-même, lui donner les moyens de rebâtir son avenir, fixant des caps vers lesquels nous sommes toujours orientés. Autour de cette table furent prononcées des paroles qui donnèrent forme à la France d’aujourd’hui. Le CNR, dès son origine, portait l’ambition prophétique d’une quatrième République qui instaurerait un vrai suffrage universel, ouvert aux femmes, nationaliserait l’énergie, fonderait la sécurité sociale, libérerait la presse des forces de l’argent. Tout cela germa avec la parution de leur programme, adopté à l’unanimité en mars 1944. Sans Jean Moulin et le CNR, De Gaulle n’aurait pas pu imposer son gouvernement provisoire aux Américains qui entendaient mettre la France sous tutelle lors de la Libération, pas plus que notre pays n’aurait pu recueillir, le 8 mai 1945, la capitulation de l’Allemagne nazie. Sans l’élan du 27 mai 1943, nous aurions été dépossédés de la République, et nous ne serions pas ce que nous sommes 80 ans après, libres, indépendants, et souverains.
Nous sommes les héritiers du CNR, et de celui qui lui donna naissance, au prix de sa vie. Un mois après la réunion fondatrice, Jean Moulin était arrêté, incarcéré à la prison de Montluc, torturé, assassiné, sans avoir parlé ni trahi aucun des membres de l’assemblée clandestine de la rue du Four.
Le Président de la République s’incline devant la mémoire de ceux qui firent vivre et grandir cet esprit de Résistance qui est l’âme de la France, et que nous ne cesserons de raviver, de génération en génération, à la lueur de leurs braises ardentes.