Il était un bretteur gourmand, un éclectique étincelant, un homme dont le nom même signifiait le foisonnement de vies multiples. Journaliste, patron de presse et critique de théâtre, Philippe Tesson s’est éteint hier à l’âge de 94 ans. Avec une curiosité, une tendresse et une liberté constantes, il était, depuis plus de six décennies, un artiste de la presse et un acteur, à tous égards, de la vie publique française.

Né en 1928 dans l’Aisne, d’un père notaire et d’une mère voltairienne adorée, Philippe Tesson fut marqué par cette enfance dans une Thiérache portant les stigmates de la Première guerre mondiale. Pensionnaire au collège Stanislas à Paris, il dut revenir dans sa famille, avec le déclenchement des hostilités en 1939, connut ensuite l’exode et l’occupation allemande. Cette empreinte des drames dessina une enfance sans innocence, et lui donna le goût de comprendre un monde tragique, mêlé à une sensibilité pour la littérature qui devint son refuge et son idéal. Passionné de Stendhal, Gide et Cocteau, il ne quitta jamais ce continent français fait de formules profondes, d’allégresse et d’audace. Il fut aussi sensible au romantisme allemand, dont il fit l’objet de sa thèse en philosophie sur les sources littéraires du nazisme.  

Enfant, il avait appris à se construire un ordre intérieur quand tout volait en éclats autour de lui. Adulte, il prit goût à refaire le monde d’articles en tribunes. Repéré par Henry Chapier et Roger Stéphane, journalistes à Combat, grand journal issu de la Résistance, il en devint le rédacteur-en-chef à compter de 1960. Pendant quatorze ans, Philippe Tesson sut en faire l’un des espaces du débat d’idées des premiers temps de la Ve République. Du retour du Général de Gaulle à la mort de Georges Pompidou, le journal devint la chambre d’écho d’une époque marquée par la reconstruction, la croissance, mais aussi le tumulte et les contestations, qui résonnaient dans les pages du quotidien : un texte de Pierre Boutang, opposé au colonialisme, y côtoyait une chronique de Maurice Clavel, qui fustigeait la rébellion FLN. 

Au combat, Philippe Tesson préférait en effet le débat, la dispute entre observateurs aiguisés qui croisent la plume comme on croise le fer. Après le succès du Quotidien du médecin, créé en 1971 avec son épouse, Marie-Claude Tesson-Millet, il voulut reprendre sa liberté et inventa, en 1974, un nouveau titre : le Quotidien de Paris. Sa ligne éditoriale tenait en un mot : le talent. Qu’ils soient de droite ou de gauche, monarchistes ou anarchistes, tous avaient voix au chapitre et beaucoup y firent leurs débuts : Claire Chazal, Eric Neuhoff, Catherine Pégard, Patrice Carmouze ou Jean-Marie Rouart. Le journal poussa la provocation jusqu’à passer au banc d’essai les confessionnaux de Paris, ce qui valut l’excommunication à Philippe Tesson. A ses yeux, seule la liberté d’expression était sacrée, et l’impertinence du verbe ne devait avoir pour limite que le respect du beau style. Féroce avec Pierre Mauroy sur la scène publique, il était à la ville son ami depuis l’enfance, se gardant de confondre ses convictions, intraitables, avec ses affections, indéfectibles.

Si le journalisme était son métier, c’est le théâtre qui fut sa grande passion. Philippe Tesson y trouvait sans doute d’autres moyens d’explorer la condition humaine et la galerie des masques sociaux, dans un concentré immédiat d’artifice et de vérité, de dédoublement et de sincérité. Spectateur assidu – il voyait en moyenne quatre pièces par semaine –, fidèle critique dramatique au Canard enchaîné, au Figaro Magazine et à la radio sur France Inter, directeur de la maison d’édition L'Avant-scène théâtre et de la revue du même nom, son cœur battait au rythme des trois coups frappés avant le lever du rideau. Le théâtre était littéralement devenu sa seconde maison puisqu’il avait acheté en 2013 le Théâtre de Poche-Montparnasse dont il assurait la co-direction avec sa fille. Ensemble ils perpétuaient la tradition d’ironie intempestive du lieu, héritée de ses fondateurs Renée Delmas et Etienne Bierry, qui y avaient fait jouer Dubillard et Ionesco.

S’il ne fut jamais comédien, les plateaux télévisés furent pour Philippe Tesson de véritables scènes. Volubile et parfois provocateur, dans Ah ! Quels titres sur France 3, au milieu des années 1990, il reçut les écrivains de son temps, avant de donner la réplique pendant huit ans à Thierry Ardisson dans Rive droite / Rive gauche en tant que chroniqueur littéraire et dramatique. Il fut aussi à l’affiche d’émissions dont les titres mêmes semblaient choisis pour s’accorder au ton qui était le sien : Droit de réponse, Esprits libres avec Guillaume Durand sur France 2, On va s’gêner avec Laurent Ruquier sur Europe 1, Langue de bois s’abstenir sur Direct 8, Ça balance à Paris sur Paris Première. A 90 ans, il était encore éditorialiste à Radio Classique, chroniqueur au Point et président du jury du prix Interallié. Il assura, jusqu’à la fin de sa vie, sa chronique théâtrale du Figaro Magazine.

Monument de la presse à la française, Philippe Tesson lança la carrière de dizaines de journalistes, écrivit des milliers d’articles, et était devenu l’une des grandes mémoires du métier, lui qui refusait d’écrire les siennes. Sa carrière durant, il a interprété dans la vie de notre pays, un rôle qui mêlait le jeu et l’engagement, le panache et la réflexion, et se distinguait par le refus des convenances autant que de l’esprit de sérieux.

Le Président de la République et son épouse saluent un homme qui avait fait de la liberté un combat, une pratique, et son destin tout-entier. Ils adressent à ses enfants Sylvain, Stéphanie, Daphné, à ses proches, ainsi qu’à tous les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs qu’il bousculait parfois mais captivait toujours, leurs plus sincères condoléances. 

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