Il avait placé sa vie dans le compagnonnage des grands auteurs du siècle. Raphaël Sorin, l’éditeur de Charles Bukowski et de Michel Houellebecq, est mort ce 16 mai. 

Né en Savoie durant la guerre, d’un père bijoutier et d’une mère traductrice, il avait pour cousin un prix Nobel de littérature, l’écrivain d’expression allemande Elias Canetti. Ainsi plongé dans le grand bain des lettres françaises et étrangères dès son plus jeune âge, il étudia la littérature à la Sorbonne et à l’École pratique des hautes études, où il suivit avec passion le séminaire de Roland Barthes. 

À 20 ans, il publia Serge à trois temps aux éditions du Seuil, son premier roman. Le dernier aussi. Car Raphaël Sorin n’écrivit plus ensuite que sur ce qu’écrivaient les autres. Il devint éditeur dans la maison qui l’avait édité, puis à Champ libre, l’agora littéraire des penseurs révolutionnaires non maoïstes qui publièrent Guy Debord, et au Sagittaire, qu’il reprit avec deux comparses. Dans les grandes maisons littéraires qu’il servit ensuite, Albin Michel, Flammarion ou Fayard, à force de lectures patientes et d’intuitions fulgurantes, Raphaël Sorin s’affirma comme l’un des grands éditeurs de son temps. 

D’autant que ce lecteur perspicace se doublait d’un critique pénétrant, qui livrait ses impressions et ses analyses dans les pages littéraires du Monde, du Matin de Paris, de l’Express ou de Libération, comme sur les ondes de France Inter et de France Culture, ou sur les écrans, dans « Droit de réponse » chez Michel Polac ou dans « Apostrophes » chez Bernard Pivot, dans la « Boite aux lettres » sur France 3 et dans « Rive droite / Rive gauche » sur Paris Première.

Raphaël Sorin était curieux de toutes les littératures, mais il avait une prédilection pour les romans populaires et policiers. Il avait surtout un flair hors du commun pour débusquer parmi mille manuscrits celui qui portait une voix et un regard nouveaux. C’est ainsi qu’en un jour et une nuit, il lut d’une seule traite le second roman d’un auteur encore méconnu : Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq. Il le savait, il venait de lire un chef d’œuvre. Un livre sombre et désespéré, mais un livre puissant qui empoignait comme aucun autre les affres de la modernité. Cette clairvoyance lui valut de publier les premiers succès de celui qui allait devenir l’écrivain français le plus lu en France et dans le monde, Les Particules élémentaires donc, mais aussi Plateforme et La Possibilité d’une île

C’est Raphaël Sorin aussi qui dénicha ou révéla au grand public Charles Bukowski, Jean-Louis Costes, Eric Holder, Vincent Ravalec ou Laurent Obertone. Ces dernières années, l’éditeur qui militait jadis dans les rangs de l’extrême gauche avait basculé à l’autre extrémité du spectre politique, jusqu’à prendre les rênes de la sulfureuse maison Ring, connue pour ses brûlots conservateurs sinon réactionnaires. C’est que Raphaël Sorin n’aimait rien tant que les auteurs qui empruntent des chemins de traverse. En empêcheur de penser en rond et de publier en ligne droite, il ne se lassait jamais d’explorer les marges et les recoins de la littérature, et ne cachait pas ses affinités électives pour les auteurs maudits, ni son goût prononcé de la provocation et du scandale. 

Le dilettantisme de façade qu’il affectait ne trompait personne. Lecteur vorace, passionné d’histoire des lettres, travailleur acharné, il avait raconté ses soixante années de voyage à travers la littérature contemporaine dans trois ouvrages publiés aux éditions Finitudes, Produits d'entretiens, Vingt et un Irréductibles et Les Terribles, anthologies de ses plus belles rencontres et de ses meilleurs articles. Parce que son existence se confondait avec ses lectures, ces carnets de bibliophile étaient comme un portrait en creux de lui-même, presque le journal intime d’un homme qui passa sa vie à lire et à faire vivre les livres.

Le Président de la République et son épouse saluent un grand éditeur français et adressent à sa famille, ses amis, aux écrivains qu’il a portés, aux lecteurs qui ont aimé les lire, leurs respectueuses condoléances. 

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