Le Président de la République Emmanuel Macron a commémoré le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier.  

Il s'est d'abord rendu à l'Institut de France où il a prononcé un discours. 

Revoir le discours du Président Emmanuel Macron : 

 

5 mai 2021 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE À L’OCCASION DU BICENTENAIRE DE LA MORT DE NAPOLÉON IER

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,
Chères lycéennes, chers lycéens.
Merci beaucoup, Monsieur le Chancelier pour cette invitation malgré tout, et la délicatesse qui vous a conduit à faire les travaux nécessaires pour l’accueil donc de cette commémoration. Je suis heureux de vous retrouver en ce lieu. 

« Les vraies conquêtes, les seules qui ne donnent aucun regret, sont celles que l’on fait sur l’ignorance. » Si je cite ces mots, ce n’est pas simplement parce qu’ils furent écrits par Napoléon BONAPARTE le jour-même de son élection ici à l’Institut, le 25 décembre 1797. Mais parce qu’ils décrivent en quelque sorte ce qui nous réunit sous cette coupole, chacune et chacun ce soir, à l’occasion de ce bicentenaire. 
La lutte contre l’ignorance.
L’amour du savoir et de l’Histoire.
La volonté de ne rien céder à ceux qui entendent effacer le passé au motif qu’il ne correspond pas à l’idée qu’ils se font du présent.
Non.
Napoléon BONAPARTE est une part de nous.
Il l’est parce que dire son nom continue de faire vibrer partout mille cordes d’imaginaire : les canonnades de la campagne d’Italie, l’entrechoquement des sabres d’Austerlitz, les suppliques grelottantes des soldats de la Grande armée engagés dans la campagne de Russie.
Napoléon BONAPARTE est une part de nous parce que l’action et les leçons du guerrier, du stratège, du législateur autant que du bâtisseur, portent encore jusqu’à notre siècle.
Il l’est, car à mesure que son mythe s’est construit, il devint cette part de France qui a conquis le monde. Chateaubriand, dont vous avez rappelé, l’un et l’autre, la relation tumultueuse avec l’Empereur, a saisi en quelque sorte, dans ces termes qui résonnent encore aujourd'hui, ce paradoxe : « vivant, il a manqué le monde. Mort, il le possède ! »
Vous êtes lycéens, lycéennes. L’institution-même du lycée, la forme d'université, nous connaissons parfois la grande école que vous rejoindrez dans les mois ou les années à venir, nous en devons quelque chose à Napoléon. 
Pour venir ici à l'Institut de France, vous avez traversé Paris. Sans doute êtes-vous passés devant l'Arc de Triomphe, l'église de la Madeleine, la colonne Vendôme, peut-être avez-vous traversé le pont d'Austerlitz ou d'Iéna, parcouru la rue de Rivoli. Ces chefs-d'œuvre d'architecture et d'urbanisme, toutes ces références, nous les devons aussi à Napoléon. 
C'est là. Vivant. Bien peu de destins, il faut le dire, ont façonné autant de vies au-delà de la leur. C'est ce qui fait que nous sommes rassemblés ce jour.
Non pas pour nous livrer à une célébration exaltée comme le fit en 1840 le peuple de Paris au retour des cendres de l'Empereur ; 
Mais pour une commémoration éclairée.
Pour regarder notre Histoire en face et en bloc.
Dire, comme Nation, ce que Napoléon dit de nous et ce que nous avons fait de lui. 

NAPOLÉON en 1802, vous l'avez là aussi évoqué, a rétabli l'esclavage que la Convention de 1794 avait aboli.
En 1848, avec Victor SCHŒLCHER, la Deuxième République a réparé cette faute, cette trahison de l'esprit des Lumières. 
Elle a honoré au Panthéon ceux qui, comme Toussaint LOUVERTURE ou l'Abbé Grégoire, portèrent alors le flambeau de l'universel.
Napoléon, dans ses conquêtes, ne s'est jamais véritablement préoccupé des pertes humaines. Chateaubriand ira jusqu'à l'accuser d'avoir sacrifié avec force exagération, il faut bien le dire, 5 millions de Français. GOYA immortalisa le massacre cruel de civils espagnols en mai 1808. Nous avons ensuite, et depuis lors, placé la valeur de la vie humaine plus haut que tout, que ce soit dans les guerres ou dans les pandémies. 

NAPOLEON, ainsi fidèle à l'esprit de 1789, a gravé dans le marbre l'égalité civile entre les hommes dans le Code civil, la protection de la loi pour tous avec le Code pénal.
Nous avons poursuivi cette œuvre de progrès en agissant pour l'égalité entre les femmes et les hommes et en retirant du Code pénal le plus cruel des châtiments, la peine de mort. 
Comme nous avons aussi élargi le chemin de mérite tracé avec le baccalauréat, en ouvrant progressivement notre système éducatif au plus grand nombre. 

Au fond, de l'Empire, nous avons renoncé au pire, et de l'Empereur nous avons embelli nos meilleurs. 

Commémorer ce bicentenaire, c'est dire cela. Simplement. Sereinement. Sans céder jamais à la tentation du procès anachronique qui consisterait à juger le passé avec les lois du présent. Mais en retraçant ce que nous sommes nous, Français.
Une société historique. 
 
Un pays de temps long qui avance sans effacer, sans nier ni renier, mais en réinterprétant sans cesse, en reconnaissant, en cherchant à comprendre.
Une Nation-palimpseste qui reçoit les héritages sans testament.
En peuple libre. 
« De Clovis au Comité de salut public, j’assume tout » disait-il lui-même. Aujourd’hui encore, nous assumons tout. 

Mais la vie et l'œuvre de NAPOLÉON ne valent pas seulement pour ce que nous en avons fait en tant que Nation.
Si sa portée est sans frontières, si son éclat résiste à l’érosion des années, c’est parce que, charriant l’universel, sa vie porte en quelque sorte en chacun de nous comme un écho intime faite de vertus anciennes et de paradoxes si contemporains. 

La vie de NAPOLÉON est d’abord une ode à la volonté politique.
À ceux qui jugent les destins figés, les existences écrites à l’avance, le parcours de l’enfant d’Ajaccio devenu maître de l’Europe démontre qu’un homme peut changer le cours de l’Histoire.
Supprimez ses choix, son génie militaire, son énergie, ses options tactiques à Toulon, Austerlitz, Friedland ou Wagram, le visage du monde d'hier comme celui d'aujourd'hui en eut été changé. Imaginez réussies les tentatives d'assassinat de la rue Saint-Niçaise ou de Vienne, le destin de la France n'aurait pas été le même.
On aime NAPOLÉON parce que sa vie a le goût du possible.
Parce qu'elle est une invitation à prendre son risque, à faire confiance à l'imagination, à être pleinement soi. 

La vie de NAPOLÉON est aussi un chant de la raison.
Sans doute est-ce en effet l'un de ceux qui poussa le plus loin en pratique l'héritage des Lumières, la confiance en la science, l'art de l'organisation et tout cet héritage du 18ème siècle. Dans le mémorial de Sainte-Hélène sont décrites ces dispositions hors normes en mathématiques, les traités d'arithmétique et de physique dévorés, les jours et les nuits passés sur des ouvrages de stratégie militaire. Gaspard GOURGAUD, un autre de ses compagnons d'exil, dira même de l'Empereur qu'il était un « système de Spinoza ».
Mais au-delà de sa construction personnelle, NAPOLÉON voulut que la raison, la science, la technique puissent irriguer le pays dans son entier pour l'emmener sur le chemin du progrès. Ce fut ainsi la réforme de l'Ecole polytechnique qui donna et donne encore à la France des générations d'ingénieurs au plus haut niveau.
Ce fut, pour l'art militaire, Saint-Cyr, qui forma et forme toujours des Officiers de génie. NAPOLÉON voulut aussi à chaque fois lui-même contribuer à la progression du savoir scientifique et de la recherche. La campagne d'Égypte, pour ne citer qu’un exemple. Plus encore qu’une entreprise militaire de conquête, fut une exposition scientifique.
Depuis l’Institut où il se montrait assidu, NAPOLÉON convainquit plus de cent-cinquante mathématiciens, chimistes, géomètres, architectes, médecins, botanistes parmi les plus en vue de son temps pour rejoindre une Commission des sciences et des arts qui eut la charge d’étudier la civilisation, la faune, la flore, les techniques d’administration de l’Egypte. 
Ils le firent. Ramenèrent une somme de connaissances saluée de tous. 

Sa vie enfin est une épiphanie de la liberté.
Malgré tous ces paradoxes et tout ce que vous avez parfaitement restitué de son rapport à celle- ci quand il s’agit de la liberté des autres.
Mais si NAPOLÉON est le premier des romantiques, ce n’est pas seulement parce qu’il fascina GOETHE lors de leur rencontre à Erfurt, parce que STENDHAL l'adorait, parce qu’HUGO n'eut pas assez de mille alexandrins pour le célébrer, ou parce que Antoine-Jean GROS le peignit, au pont d'Arcole, visage émacié, cheveux au vent en cet arrangement avec l'Histoire que vous évoquiez à l'instant, non.
Mais parce qu'à chaque instant et en tous aspects, il réinventa son existence et fut infiniment libre. Une force qui va.
Ainsi de ses amours, qu'il mena toujours selon son cœur jusqu'à divorcer après avoir été couronné par le pape et avoir noué le Concordat.
Ainsi, de son génie militaire fait d'une grande maîtrise des stratégies autant que d'un art du mouvement et de la surprise, d'un écart avec les schémas classiques qui lui permirent d'atteindre des sommets.
Ainsi, du panache des Cent Jours et de ses clameurs inouïes.
Ainsi aussi de ses faiblesses, de la mélancolie de Sainte-Hélène.
Ainsi de ses contradictions : individualiste rassembleur, lucide inconscient, despote éclairé, NAPOLÉON, cela a été écrit, était capable de «hauteurs ubuesques», de «modesties provocantes », de « réussites de rêve » comme de ces « chutes qui l'accompagnent ».
Aigle et Ogre, Alexandre et Néron, incarnation de la liberté autant que de la répression policière, il pouvait en effet être à la fois « l'âme du monde » décrite par HEGEL à Iéna et le démon de l'Europe.
Revers funeste de sa liberté sans limites. 

Ce que NAPOLÉON représente dans la construction de la Nation, ce que NAPOLÉON charrie d'universel est là.
De là où je suis enfin, NAPOLÉON est l'homme qui a donné corps à notre organisation politique et administrative, qui a donné forme à cette souveraineté tâtonnante qui sortait de la révolution. Là encore, nulle volonté de juger les conditions d'accès au pouvoir : Sieyès, le 18 brumaire et l'Orangerie du parc de Saint-Cloud. 
Nulle volonté non plus de dire si NAPOLÉON a concrétisé ou au contraire dévoyé les valeurs révolutionnaires. Je me garderai bien de m'aventurer sur ces terres. D'abord devant beaucoup plus experts que moi et parce que ce débat divisa les historiens dès l'instant où il rendit son dernier souffle et les agite encore aujourd'hui. 
Non.
Mais le fait est qu'après des mois d'échec, de France assiégée, de violence latente, NAPOLÉON sut incarner l'ordre.
Le fait est qu'après des mois de tâtonnements et d'hésitations, il sut donner une forme durable à la géniale intuition révolutionnaire de souveraineté nationale.
Comment ? 
NAPOLÉON comprit très vite la nécessité de répondre au vertige de la fin du droit divin, en le substituant par une autre légitimité, une autre transcendance. Ce fut pour lui, le peuple français. Tout ce qui est fait sans le peuple est illégitime. Mais derrière le peuple français ainsi déclaré, ainsi installé comme nouveau foyer d’une souveraineté nationale, d’une transcendance ainsi trouvée, il n’y avait évidemment pas les libertés démocratiques. Il y avait tout de suite encore la forme de l’État. L’État, au travers entre autres des préfets et des maires qui se déployèrent bientôt partout dans le pays et permirent à la Nation de rester Une. L’État à travers les grandes institutions mises en place alors. 
NAPOLÉON comprit alors qu’il devait rechercher sans cesse l’unité et la grandeur du pays.
Il le fit par la guerre, en trouvant à la France des ennemis communs comme l’Angleterre, en répondant aussi à la soif française d’universel par une projection du modèle révolutionnaire à l’échelle de l’Europe.
Il le fit en apaisant les relations avec les grandes religions, par le Concordat au Grand Sanhédrin. Il le fit par les arts.
Il le fit en veillant à réconcilier aussi ceux que la Révolution avait opposés dans le sang. S’il ne renonça jamais au principe de mérite et d’égalité d’accès aux charges, Napoléon fut ainsi l’artisan de l’amnistie d’une partie des royalistes, d’une unité incarnée jusque dans son Gouvernement ; au fond l’acteur résolu d’une synthèse nationale concrétisée jusque dans les symboles utilisés lors de son sacre : la main de Justice, les abeilles mérovingiennes, le collier de l’Ordre de la Légion d’honneur.
Car son ultime intuition fut de vouloir combler le vide laissé par la figure du roi le 21 janvier. La solution de celui qui devint en 1802 Consul à vie fut radicale : confiée dans un oxymore extraordinaire, « la République a un Empire » en devenant Empereur des Français. Ambition personnelle, assurément. Façon de prévenir toute tentation de retour à l'état antérieur et d'ancrer la révolution dans la durée, certainement.
« Les Français, en 1789, ont fait », écrit Tocqueville, « le plus gros effort auquel se soit jamais livré aucun peuple : couper en deux leur destinée, se séparer par un abîme de ce qu'ils avaient été jusque-là de ce qu'ils voulaient être désormais ».
Le génie de Napoléon fut d'aider les Français à rompre définitivement avec ce qu'ils avaient décidé d'abandonner en 1789 et de franchir cet abîme.
Il ne pouvait cependant tout à la fois ancrer la Révolution et interdire aux Français le goût de la liberté dont elle était porteuse.
En cela, 1789 fut plus fort que Napoléon. 

Vous êtes lycéens. Comme Français, vous vous inscrivez dans cette histoire. Vous n'en êtes ni les responsables, ni les gardiens. Vous pouvez l'aimer comme la critiquer. Encore faut-il l'apprendre, la connaître. Mais elle est là. Elle vous construit. Viatique pour affronter ce siècle, elle fait partie de vous. Vous avez à la continuer. 
Alors sans doute l'œuvre totale de Napoléon tout en clair-obscur, n'a-t-elle pas livré encore tous ses secrets.
Mais incontestablement, elle continue de nous forger.
Le soleil d'Austerlitz brille encore. 
Vive la République. Vive la France. 

 

Avec cette commémoration, le Président regarde l'histoire en face. « De l’Empire nous avons renoncé au pire, de l’Empereur nous avons embelli le meilleur. » 

Commémorer ce bicentenaire, ce n'est pas juger le passé avec les lois du présent mais retracer ce que nous sommes nous, Français. 

Après son discours, le Président de la République s'est rendu aux Invalides pour déposer une gerbe au pied du tombeau de Napoléon. 

Revoir la cérémonie : 

Le bicentenaire en images : 

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