Le saut dans l’inconnu n’effrayait pas cet homme toujours coiffé de son béret rouge de parachutiste. Il n’avait pas hésité à s’y jeter corps et âme pour rejoindre le général de Gaulle et devenir le premier engagé militaire secret des Forces françaises libres. Edgard Tupët-Thomé, l’un des quatre derniers Compagnons de la Libération, s’est éteint aujourd’hui à l’âge de 100 ans.
Sa soif d’absolu l’avait d’abord conduit à étudier la théologie. Mais c’est une autre vocation qu’il se découvre à l’âge de dix-huit ans : cet enfant des Ardennes veut servir son pays par les armes et s’engage dès 1938 au 8e régiment de zouaves de Mourmelon. Son baptême du feu, Edgard Tupët le vit en Belgique, sous les balles des avions allemands en mai 1940, puis à Dunkerque sous les tirs de l’artillerie ennemie, alors que son régiment aide les troupes anglaises à embarquer.
Fait prisonnier le 4 juin, il lui est impossible de se résigner à la défaite.
Pour libérer son pays, il se libère d’abord lui-même, s’évade, parcourt des kilomètres caché dans un camion, rejoint ses Ardennes natales à pied et à bicyclette, puis rallie l’Angleterre par la mer depuis Lisbonne en août 1941. Le jeune homme n’a alors que 21 ans, il n’a même pas entendu le message du Général de Gaulle le 18 juin sur les ondes de la BBC : il répond à un élan propre, à un appel intérieur qui résonne en lui depuis la défaite.
Il ne manquait plus que la voie des airs à cet aventurier affranchi qui aurait voulu devenir aviateur. Désormais membre de l’état-major particulier du Général de Gaulle, Edgard Tupët, qui prend alors le pseudonyme Thomé, ne sera pas pilote mais parachutiste. Lui qui creusait des tranchées au début de la guerre, le voici qui trace sa voie dans le ciel français en décembre 1941 dans le Berry, en mission auprès de la Résistance intérieure, puis dans le ciel breton trois ans plus tard.
Le parcours en zone occupée de ce parachutiste, membre du Special Air Service, a des airs d’épopée victorieuse, presque mythique. Il mène une guerre de commandos avec une trempe d’acier : à la tête de sa section de douze soldats, il attaque la Kommandantur de Daoulas dans le Finistère forte de soixante hommes, puis la garnison allemande de Landerneau, et libère la ville avec l’aide des Américains et des FFI. Parachuté dans le Jura, il prend Clerval dans le Doubs et défend la commune avec cinquante combattants contre plus de vingt chars et voitures blindées ennemis. Son audace folle faisait de lui l’incarnation parfaite de la devise des parachutistes SAS : « Qui ose gagne ».
À travers ses faits d’armes se dévoile la personnalité d’un homme habité par sa responsabilité envers son pays, envers ses compatriotes, ce qui lui faisait toujours préférer les actions ciblées aux bombardements trop meurtriers pour les populations civiles. « Chacun est seul responsable de tous » écrivait Saint-Exupéry. Cela aurait pu être la devise d’Edgard Tupët-Thomé, lieutenant « tombé du ciel » comme se serait exclamé le Petit Prince, en découvrant ce parachutiste blessé à la tête lors d’un de ses atterrissages sur le sol français.
La France libérée distingua son courage en le nommant Compagnon de la Libération dès le 17 novembre 1945. Mais elle ne put retenir le fougueux aventurier qui avait pris goût au défi, à l’inconnu, et avait du mal à trouver sa place dans la France de l’après-guerre. Ayant quitté l’armée, Edgard Tupët-Thomé s’envola alors vers la Tunisie, où il fut successivement administrateur des colonies et directeur d’une coopérative viticole, puis il prit le large outre-Atlantique et s’installa au Canada pour y vivre de l’élevage et de l’agriculture. Rentré en France en 1955, sa carrière le mena ensuite des usines Panhard à l’École des ponts et chaussées où il fut inspecteur des études.
Lui qui était si modeste, si discret, à propos de ses exploits sortit néanmoins de sa réserve pour participer à l’écriture de cette histoire, faire vivre cette mémoire, en prenant la plume pour publier son autobiographie en 1981, et en répondant toujours présent aux cérémonies de commémoration. Lorsque ce « para » s’avançait, les regards étaient attirés par le cordon vermeil de Grand-Croix de la Légion d’honneur qui côtoyait entre autres, sur sa poitrine, le rouge fendu de vert de la Croix de Guerre de 1939-1945, le bleu strié d’écarlate de la Médaille commémorative des Services volontaires dans la France libre, et le violet doublé de blanc de la Croix militaire britannique. C’étaient les couleurs de son héroïsme. Celles, aussi, de notre liberté.
Le Président de la République salue ce résistant de la première heure, qui fut jusqu’à son dernier souffle un homme engagé, prêt à opposer aux mauvais vents de l’histoire le souffle de l’idéal. Il adresse à sa famille, ses proches, ses camarades de combat et ses compagnons de la Libération ses condoléances attristées.