Michel Piccoli a tiré sa dernière révérence en quittant la scène du monde. En sept décennies d’aventures sur les planches et d’audaces sur les écrans, il aura été au théâtre et au cinéma français l’un des plus grands explorateurs des plis et replis du cœur et de l’esprit.
C’est très tôt, à neuf ans, que Michel Piccoli eut la révélation de sa vocation, lorsqu’il présenta pour le spectacle de fin d’année de son pensionnat de Compiègne un conte d’Andersen. Cet enfant taciturne qui écoutait beaucoup mais parlait bien peu découvre émerveillé un espace où il peut s’exprimer librement, raconter des histoires, s’inventer de nouveaux visages.
A dix-huit ans, il est resté fidèle à cet appel qui l’a étreint si jeune et dont la lecture passionnée de la revue Comoedia, chaque semaine, ravivait la flamme. Il suit donc des cours d’art dramatique puis fait ses débuts au théâtre en jouant du Courteline, du Pirandello et du Strindberg. Il ne quittera jamais les planches, y reviendra toujours, même quand le cinéma aura pris le dessus. Il aura ainsi servi les plus grands auteurs de théâtre – Shakespeare, Molière, Racine, Claudel, Koltès – sous la direction des plus talentueux metteurs en scène de son temps – Jacques Audiberti, Jean Vilar, Jean-Marie Serreau, Peter Brook, Patrice Chéreau ou encore André Engel.
Ses premières apparitions sur les écrans datent de la fin des années 1940 et ses premiers vrais rôles des années 1950, chez Jean Renoir et René Clair. Mais c’est au début des années 1960, après plus de quinze ans de métier, que le public français découvre ce grand brun aux sourcils broussailleux dans Le Mépris de Jean-Luc Godard, où le couple qu’il forme avec Brigitte Bardot se fracture sur un mur de petites lâchetés et de grands malentendus.
Alain Resnais, Agnès Varda, Jacques Demy, Claude Chabrol, Jacques Rivette, Costa-Gavras, Louis Malle, et même Alfred Hitchcock… Les plus grands orfèvres du septième art le réclament. Sous leur caméra d’or, son talent va étinceler. Il devient l’un des emblèmes des comédies et drames de la bourgeoisie de Claude Sautet, de l’inspiration surréaliste de Luis Buñuel, du cinéma de la démesure de Marco Ferreri, et de la foisonnante créativité de Manoel de Oliveira.
S’il a su se glisser sous tous ces regards, se couler dans tous ces univers, c’est parce que Michel Piccoli était l’un des acteurs les plus complets, les plus éclectiques du cinéma français. Il savait tout jouer. La séduction, comme dans le Don Juan qu’il incarna en 1965 pour la télévision. La tendresse, comme dans cette scène mythique du Mépris où il admire chaque parcelle du corps nu et alangui de BB. La candeur comme dans Milou en mai de Louis Malle. La provocation et l’extravagance, comme dans La Grande Bouffe de Marco Ferreri, film scandaleux de l’excès rabelaisien et du débordement nihiliste. Il excellait encore dans l’énigme et le mystère, dans le cynisme, caustique ou désabusé, dans la colère aussi, les colères froides et les colères folles. Il se fondait dans tous les registres, le drame bourgeois et la satire féroce, la farce et la tragédie, la gravité et la fantaisie, l’outrance et la retenue, et pouvait endosser tous les costumes, les habits de ministre, la blouse blanche du docteur, la redingote de l’inspecteur, la palette et les pinceaux du peintre ou la soutane papale.
C’est ainsi, avec cet immense pouvoir de métamorphose et au gré de plus de deux cents films et de dizaines de pièces de théâtre, que Michel Piccoli aura pris presque tous les visages de l’homme, percé ou épaissi ses mystères, et incarné son époque.
Le Président de la République et son épouse saluent un géant du cinéma français. Ils adressent à ses proches et à ses millions de spectateurs leurs condoléances émues.