(Re)voir la déclaration à la presse du Président Emmanuel Macron avec Jens Stoltenberg, Secrétaire général de l'OTAN :

28 novembre 2019 - Seul le prononcé fait foi

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Transcription du propos liminaire du Président Emmanuel Macron lors de la conférence de presse avec M. Jens Stoltenberg, Secrétaire général de l'OTAN

Bonjour Mesdames et Messieurs,

Je tenais avant toute chose à remercier le secrétaire général de l’OTAN pour sa venue à Paris en préparation du sommet de Londres. C’est la troisième visite qu’il effectue ici à Paris, à chaque fois pour qu’il puisse y avoir les échanges et la coordination nécessaire. Et je tiens aussi à le remercier pour l’expression de ses condoléances à l’égard de la nation française et de nos 13 soldats morts au Mali en début de semaine.

Le sommet de Londres a vocation à célébrer les 70 ans de l’Alliance, mais nous en sommes d’accord, il doit aussi être l’occasion d’une véritable discussion stratégique entre nous sur ce que signifie aujourd’hui l’Alliance atlantique, ses objectifs et ses moyens d’action. Il y a pour moi trois sujets prioritaires que nous avons discutés pendant plus d’une heure ensemble, et dont j’ai pu discuter d’ailleurs avec plusieurs autres dirigeants européens, ces dernières heures et ces derniers jours.

Le premier sujet fondamental est de savoir comment assurer la paix et la stabilité en Europe. C’est le sens initial, historique, vital de l’Alliance atlantique, créée, je le rappelle, en 1949 pour arrimer les Etats-Unis à l’Europe de l’Ouest et la protéger contre la menace soviétique. Le monde a changé, le rideau de fer est tombé. Nous avons célébré il y a quelques jours le 30è anniversaire de la chute du mur de Berlin. Le Pacte de Varsovie a disparu. L’Alliance est, quant à elle, restée debout pour être le garant de notre sécurité collective. Cela implique aujourd’hui de revenir sur quelques sujets essentiels en la matière. D’abord, un dialogue avec la Russie lucide, robuste et exigeant. J’assume d’avoir porté la volonté de redonner une dynamique à ce dialogue. J’assume aussi de l’avoir fait sans jamais aucune naïveté, ni aucune complaisance. Notre Alliance a une histoire, elle a aussi une géographie. Et donc, la relation avec la Russie ne peut pas être en son sein un impensé, parce que la Russie fait partie géographiquement de l’Europe. Je respecte très profondément les préoccupations et les intérêts de sécurité de tous nos partenaires européens et je les fais entièrement miens. Je les défendrai toujours en priorité. Et je sais aussi ce que cela représente pour leur histoire. Ils le savent. C’est le sens par exemple de notre engagement concret dans la posture de dissuasion et de défense de l’OTAN dans les pays Baltes ou en mer Noire, constamment réaffirmé. Nous sommes et nous resterons intraitables quand notre souveraineté ou celle de nos partenaires est en jeu. Mais l’absence de dialogue avec la Russie a-t-elle rendu le continent européen plus sûr ?  Est-ce dans l’intérêt de la stabilité européenne de ne pas aborder de front la question des conflits gelés ou de laisser la situation en Ukraine s’enliser ? Je ne le crois pas. C’est dans l’intérêt de la paix et de la stabilité en Europe qu’à cet égard, nous tiendrons avec la chancelière, le 9 décembre, un sommet Normandie ici même, pour avancer concrètement dans la mise en œuvre des accords de Minsk. Et c’est parce que je crois en une souveraineté européenne plus forte que je pense qu’il nous faut aussi construire une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe qui passe par la clarification de nos relations avec la Russie, en posant nos conditions. Pour les mêmes raisons, dans l’intérêt de la paix et de la stabilité en Europe, qui je le rappelle pour moi est le premier objectif, nous devons engager la discussion sur la maîtrise des armements. Nous avons eu un long échange sur ce point. Ces questions sont couvertes par plusieurs traités multilatéraux. Elles étaient aussi historiquement couvertes par des traités bilatéraux entre les Etats-Unis d’Amérique et la Russie. Nous avons eu l’occasion d’exprimer nos regrets quant à la décision américaine de mettre fin au traité dit FNI. Les traités aujourd’hui entre les Etats-Unis et la Russie, négociés durant la guerre froide, n’existent plus. Le traité FNI a été dénoncé par les Etats-Unis, mais je le rappelle, c’est notre sécurité qui est en jeu. C’est celle des alliés européens. Et nous ne pouvons pas rester dans une situation où, ayant fait les meilleurs efforts pour éviter d’abord la violation de ces traités par la Russie, puis cette décision américaine, nous serions simplement là pour constater que nous ne sommes plus couverts par cet accord bilatéral. C’est pourquoi il est à mes yeux impérieux, là aussi, dans le cadre de nos travaux et dès nos discussions de la semaine prochaine, d’aborder de front de ce sujet au sein de l’Alliance, d’abord et avant tout dans le dialogue entre l’Europe et la Russie pour recréer les conditions de notre sécurité dans le monde réel, c’est-à-dire, celui d’aujourd’hui. Et la nouvelle génération d’accords que je souhaite, qui remplacera le traité FNI, doit faire l’objet d’un très gros travail et d’une coordination au sein de l’Alliance et tout particulièrement entre les pays de l’Europe, mais elle suppose une implication des Européens dans ce futur traité. Nous ne pouvons pas déléguer notre sécurité à un accord bilatéral ou aucun Européen n’est partie prenante. Et, deuxième chose, elle suppose de mieux protéger là aussi certains pays européens. Certains pays, comme la Pologne, n’étaient pas protégés par le traité FNI comme il se devait. Et je souhaite que dans ce cadre que nous construisons, nous puissions prendre tous les intérêts de sécurité en compte, en particulier ceux qui sont le plus à la frontière et le plus proche de la Russie. Sur ce sujet - nous y reviendrons peut-être pendant les questions -, beaucoup d’échos ces derniers jours se sont éveillés suite à la réponse française à la lettre du président Poutine : je préfère être clair sur ce point. D’abord, la France a eu la courtoisie de partager sa lettre de réponse au président Poutine avec l’ensemble des Alliés. Ce qui n’a pas été le cas de tous les Alliés. Je pense que c’est une bonne méthode. Ensuite, nous n’avons absolument pas accepté le moratoire proposé par la Russie ou l’offre de moratoire. Mais nous avons considéré que, comme base de discussion, il ne fallait pas la chasser d’un revers de main : parce que c’était une base de discussion et parce que ce qui était proposé constatait la fin d’un traité, sans rien d’autre. Soyons sérieux. Il s’agit là encore de la sécurité de l’Europe.

Le deuxième grand sujet à mes yeux, qu’il nous faut résoudre, pas simplement lors de ce sommet, mais dans les prochains mois, c’est précisément de savoir comment et face à quels risques l’OTAN s’organise. L’OTAN est une organisation de défense collective, contre quoi ? Contre qui s’exerce-t-elle ? Qui est notre ennemi commun ? Quels sont nos sujets communs ? Cette question mérite des clarifications. Et vous le voyez, c’est une question éminemment stratégique. Est-ce que, comme je l’entends parfois, notre ennemi aujourd’hui est la Russie ? Est-ce que c’est la Chine ? Est-ce la vocation de l’Alliance atlantique de les désigner comme ennemis ? Je ne le crois pas. Notre ennemi commun à tous, au sein de l’Alliance, me semble-t-il, c’est le terrorisme qui a frappé chacun de nos pays. C’est contre les groupes terroristes que les militaires français se battent au Sahel et que nous avons eu à subir les pertes que j’évoquais au début de mon propos. L’engagement de la France au Sahel se fait au service de notre sécurité collective. C’est cela, agir pour la sécurité de ses alliés, être à la hauteur de ses responsabilités militaires et opérationnelles. Mais la clarification de cette question suppose d’avoir une définition commune de ce qu’est le terrorisme, de qui sont les groupes terroristes, et de comment agir de manière coordonnée face à eux. Je le dis là aussi de manière très claire : proclamer son attachement à la sécurité collective ne suffit pas. Il se démontre. Une véritable alliance, ce sont des actes, ce sont des décisions, pas des mots. Je souhaite donc que nous ayons une véritable discussion entre Alliés sur notre engagement concret dans la lutte contre le terrorisme, au Sahel comme au Levant, où l’intervention militaire menée il y a quelques semaines par la Turquie dans le Nord-Est syrien a posé de vraies questions, qu’il faut là aussi regarder en face.

Et c’est là le troisième enjeu que je souhaite aborder au sommet, et qui porte au fond sur les droits et devoirs des Alliés les uns envers les autres. Une Alliance, c’est aussi cela, la solidarité entre Alliés. Si elle a un sens, c’est d’abord de ne pas prendre seul, sans concertation, sans coordination, des décisions qui ont un impact direct sur la sécurité des autres. Je respecte les intérêts de sécurité de notre allié turc, qui a eu à subir de très nombreuses attaques terroristes sur son sol. Mais on ne peut pas dire d’un côté que nous sommes alliés, exiger à cet égard de la solidarité, et de l’autre mettre ses alliés devant le fait accompli d’une intervention militaire qui met en péril l’action de la coalition contre Daech dont l’OTAN, je le rappelle, est membre. Je souhaite donc que nous menions à Londres un véritable travail, un dialogue avec la Turquie, là aussi, entre alliés, sur ce sujet comme sur la compatibilité entre l’acquisition de systèmes d’armement, les S-400, et la défense anti-aérienne de l’OTAN, car l’interopérabilité entre nos armées est la valeur ajoutée militaire la plus incontestable de notre organisation. Je salue les propos que le Secrétaire Général a sur ce point tenu ces dernières semaines à l’égard de nos alliés turcs.

Monsieur le Secrétaire Général, vous le savez et nos Alliés le savent, ils peuvent compter sur la France, sur son engagement, sur son armée pour défendre leur sécurité. C’est cela qui fait de la France un allié fiable. Et c’est cela aussi qui justifie que la France soit un allié exigeant, qui demande dans les moments clés que les questions stratégiques soient dûment posées et dûment discutées. Nos militaires savent ce que signifie très concrètement d’être alliés sur le terrain. Et donc quand les chefs d’État et de gouvernement se réunissent, nous devons être à la hauteur de ceux qui mettent leur vie en jeu pour notre sécurité, en abordant la réalité des enjeux, toute cette réalité. Et c’est parce que je crois très profondément en la pertinence de notre alliance que je veux les aborder, sans en oublier aucun, aujourd’hui, comme nous l’avons fait à Londres et dans les prochaines semaines et les prochains mois, par le travail de revue stratégique profond que nous entendons lancer.

Je vous remercie encore, Monsieur le Secrétaire Général pour votre présence aujourd’hui à Paris et surtout la qualité de l’échange et du dialogue, que nous avons eus ensemble.

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