1 juillet 2018 - Seul le prononcé fait foi
Hommage solennel de la Nation à Simone Veil au Panthéon
Le 5 juillet dernier, lorsque j’ai annoncé, à l’issue de l’hommage qui lui était rendu dans la Cour des Invalides, que Simone VEIL reposerait au Panthéon au côté de son époux, cette décision ne fut pas seulement la mienne.
Ce ne fut pas non plus celle de sa famille qui, cependant, y consentit.
Cette décision fut celle de tous les Français.
C’est intensément, tacitement, ce que toutes les Françaises et tous les Français souhaitaient.
Car la France aime Simone VEIL.
Elle l’aime dans ses combats, toujours juste, toujours nécessaire, toujours animée par le souci des plus fragiles où elle s’engagea avec une force de caractère peu commune.
La France l’aime plus encore parce qu’elle a compris d’où lui venait cette force mise au service d’une humanité plus digne.
Ce n’est que tardivement, lorsque Simone VEIL passé 50 ans que la France découvrit que les racines de son engagement plongeaient dans la noirceur absolue, innommable des camps de la mort. C'est là qu'elle trouva en elle pour survivre cette part profonde, secrète, inaliénable qu'on appelle dignité. C'est là que malgré les malheurs et les deuils, elle conçut la certitude qu'à la fin, l'humanité l'emporte sur la barbarie.
Toute sa vie fut l'illustration de cet invincible espoir. Nous avons voulu que Simone VEIL entre au Panthéon sans attendre que passent les générations, comme nous en avions pris l'habitude, pour que ses combats, sa dignité, son espérance restent une boussole dans les temps troublés que nous traversons.
Parce qu'elle a connu le pire du XXème siècle et s'est pourtant battue pour le rendre meilleur, Simone VEIL reposera avec son époux dans le 6ème caveau.
Elle y rejoindra quatre grands personnages de notre histoire : René CASSIN, Jean MOULIN, Jean MONNET et André MALRAUX. Ils furent comme elle des maîtres d'espérance. Comme eux Simone VEIL s'est battue contre les préjugés, l'isolement, contre les démons de la résignation ou de l'indifférence sans rien céder, parce qu'elle savait ce qu’était la France.
Comme eux, elle a bravé l'hostilité, agi en précurseur, embrassé des causes qu'on croyait perdues pour rester fidèle à l'idée qu'elle se faisait de la République et à l'espoir qu'elle plaçait en elle.
Il est beau aujourd’hui que cette femme rejoigne en ce lieu la confrérie d'honneur à laquelle, par l'esprit, par les valeurs, elle appartient de plein droit et dont elle eut toute sa vie les combats en partage.
Comme René CASSIN, Simone VEIL s'est battue pour la justice.
En 1948, CASSIN avait fait ratifier par l'Assemblée générale des Nations unies la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Simone VEIL savait cependant que dans ce noble combat des droits humains, la moitié de l'humanité continuait obstinément d'être oubliée : les femmes.
Elle avait vu leur soumission et leurs humiliations, elle-même avait affronté des inégalités qu'elle jugeait absurdes, dépassées. Alors elle se bâtit pour que justice soit faite aux femmes, à toutes les femmes.
Justice pour les femmes détenues dans des conditions indignes, qu'elle s'efforça quand elle était magistrate d'améliorer, justice pour les femmes, leur indépendance financière, leur autonomie conjugale, leur égalité dans l'autorité parentale.
Justice pour que leur qualités et talents soient reconnus et utilisés dans tous les domaines.
Pour les femmes meurtries dans leur chair, dans leur âme, par les faiseuses d'anges, pour les femmes qui devaient cacher leur détresse ou la honte, et qu'elle arracha à leur souffrance en portant avec une force admirable le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse, à la demande du président Valéry GISCARD D’ESTAING et avec le soutien du Premier ministre Jacques CHIRAC.
Justice pour les femmes incertaines de leurs droits et de leur place dans la société, pour les femmes reléguées par les lois, les clichés, les conventions. Justice pour toutes ces femmes qui, partout dans le monde, sont martyrisées, violentées, vendues, mutilées.
Avec Simone VEIL entrent ici ces générations de femmes qui ont fait la France, sans que la nation leur offre la reconnaissance et la liberté qui leur était due. Qu’aujourd’hui par elle, justice leur soit à toutes rendue.
Et qu’en ce jour, nos pensées aillent plus particulièrement à l’une d’elles, à une femme résolue, forte, douce qui, dans les conditions indicibles des camps de la mort soutint ses deux filles de toute la force de son amour. Elle aurait désiré pour elle une vie d’insouciance, mais pendant de longs mois, son destin tragique voulut que le spectacle de leur souffrance ajoutât à la sienne, jusqu’à son épuisement final, jusqu’à sa mort.
Je salue ici la mémoire de la mère tant aimée de Simone VEIL, Madame Yvonne JACOB, née STEINMETZ, morte à Bergen-Belsen au mois de mars 1945, dont l’exemple inspira le combat de Simone VEIL pour les femmes.
Comme Jean MONNET, Simone VEIL s’est battue pour la paix et, donc, pour l’Europe.
Elle qui avait vécu l’indicible expérience de la sauvagerie et de l’arbitraire savait que seul le dialogue et la concorde entre les peuples empêcheraient qu’Auschwitz ne renaisse sur les cendres froides de ses victimes.
Elle se fit combattante de la paix, elle se fit combattante de l’Europe. Elle voulut l’Europe par réalisme, non par idéalisme ; par expérience, non par idéologie ; par lucidité, non par naïveté.
Elle n’était pas tendre pour les fadeurs iréniques et les complications technocratiques qui, parfois devenait le visage de cette Europe, car elle était de cette génération pour laquelle, notre Europe n’était ni un héritage ni une contrainte, mais une conquête de chaque jour.
Comme parlementaire, comme présidente du Parlement européen, comme citoyenne engagée, elle ne cessa d’en raviver la flamme originelle et d’en incarner l’esprit fondateur.
Jean MONNET disait que l’Europe serait la somme des solutions à porter à ces crises. Nous devons à Simone VEIL de ne pas laisser les doutes et les crises qui frappent l’Europe atténuer la victoire éclatante que depuis 70 ans, nous avons remportée sur les déchirements et les errances des siècles passés.
Rien ne serait pire que renoncer à l’espoir qui a fait naître l’Europe des ruines où elle s’était ensevelie et où elle aurait pu périr.
Nous sommes aujourd’hui les dépositaires de ce défi aux vieilles nations qu’elle ne cessa de vivifier. Ce défi est le nôtre, celui de la jeunesse de France et d’Europe, alors que les vents mauvais à nouveau se lèvent. Il est notre plus bel horizon.
Comme André MALRAUX, Simone VEIL s’est battue pour la civilisation.
Née avant la guerre, dans une civilisation qui se croyait encore immortelle, elle en vit l’effondrement rapide et cruel. Elle vit les repères moraux de l’humanité disparaître. Elle vit des S.S martyriser le jour des enfants dans les camps, avant de retrouver les leurs le soir venu autour de la tablée familiale.
Elle savait dans sa chair qu’Auschwitz avait bouleversé durablement l’idée même de civilisation. Elle partageait avec MALRAUX le triste constat qu’il n’y avait plus de « signification de l’homme » et plus de « signification du monde ». Mais elle savait aussi qu’on pouvait rebâtir une civilisation nouvelle.
Eprise d’art et de littérature, elle continua de croire que la culture grandit l’homme et l’éclaire sur son destin. Elle reposera à quelques mètres de son cher Jean RACINE, que son père André JACOB avait si bien su lui faire aimer, qui est enterré en l’église Saint-Etienne-du-Mont, dont elle occupa le fauteuil à l’Académie française.
Œuvrant pour l’éducation, la réhabilitation des prisonniers ou comme ministre, pour la protection des plus fragiles, elle savait que les civilisations se tissent de ces liens organiques, de ces mille fils invisibles.
Engagée dans l’amitié entre les peuples européens, elle le fut aussi dans le dialogue entre Israéliens et Palestiniens, parce que l’humanité ne s’arrête pas à nos frontières.
Elle croyait en ce destin commun qu’on appelle nation, et dans cette aventure exaltante qu’on appelle civilisation, elle savait que chaque jour qui passe est un nouveau combat contre la barbarie.
Comme Jean MOULIN, Simone VEIL s’est battue pour que la France reste fidèle à elle-même.
Trahie par un Etat français qui pactisait avec l’occupant nazi, elle aurait pu retourner contre son pays la douleur de son épreuve et de ses deuils, elle n’en fit rien.
Et lorsqu’elle décida de témoigner de sa déportation, ce fut d’abord pour rendre hommage aux Justes de France. Elle se leva contre ceux qui dressaient le portrait d’une France gagnée par les délires antisémites de HITLER, de PETAIN et de LAVAL, pour rappeler le courage inouï et spontané de ces familles françaises qui, au péril de leur vie, avaient caché des enfants juifs, les sauvant de la persécution et d’une mort atroce.
Elle rappela ce temps où des Français fournissaient à leurs concitoyens juifs des faux papiers et des certificats de travail. C’était le temps où l’archevêque de Toulouse, Monseigneur SALIEGE, appelait à l’asile dans les églises, c’était le temps où des pasteurs célébraient secrètement Pourim dans leur temple. C’était le temps où des solidarités souterraines maintenaient la fraternité française.
A gauche du caveau numéro 6, sur le mur de la crypte sont inscrits les noms des Justes.
En ce temps-là, la France restait aussi la France parce que des hommes et des femmes abandonnaient tout pour grossir les rangs de l’armée des ombres. Alors le général DE GAULLE chargeait Jean MOULIN d’organiser la résistance.
C’est pour cette France-là, pour la vraie France, contre la France défigurée dont les collabos exilés continuaient de défendre les crimes que Simone VEIL un jour décida de témoigner.
La France, grâce à elle et quelques autres, regarda en face ce qu’elle n’avait pas voulu voir, ce qu’elle n’avait pas voulu entendre, ce qu’elle avait tant voulu oublier et qui, pourtant, était une partie d’elle-même. Elle comprit que la nation ne doit pas redouter la mémoire blessée de ses fils et de ses filles meurtris, mais l’accueillir et la faire sienne.
Jamais Simone VEIL n’accepta qu’on la décore pour avoir été déportée, et pas davantage elle n’accepta qu’émerge une rivalité des mémoires. La réalité des chambres à gaz et des fours crématoires des camps d’extermination, instruments du crime contre l’humanité, n’atténue en rien l’héroïsme des résistants torturés, fusillés, déportés.
Mais il existe une vérité de l’histoire et la vérité du martyre juif fait aujourd’hui partie intégrante de l’histoire de France, comme en fait partie l’épopée de la Résistance.
Simone VEIL reposera au côté de Jean MOULIN, le héros de la Résistance, le supplicié de Klaus BARBIE qui ne livra aucun secret sous la torture la plus abjecte. Elle, Simone VEIL qui martyrisée par les S.S ne renonça jamais à sa dignité.
Ils sont pour nous deux exemples d’humanité profonde, lui héroïque dans son sacrifice, elle admirable par son courage et par son témoignage. Elle qui, sur le bras gauche, portait le stigmate de son malheur, ce numéro de déportée à Birkenau dont un jour un Français lui demanda si c’était son numéro de vestiaire. Ce numéro 78651 était le viatique de sa dignité invulnérable et intacte. Il sera gravé sur son sarcophage, comme il avait été tatoué sur sa peau d’adolescente. Car en Simone VEIL, c’est enfin la mémoire des déportés raciaux, comme le disait elle-même, des 78.500 juifs et tziganes déportés de France qui entre et vivra en ces lieux.
Demain, elle rejoindra les quatre chevaliers français qui dorment dans ce caveau. Simone VEIL pourra en entrant les regarder fièrement de ce regard minéral, toujours inquiet. Elle pourra leur dire : « j’ai fait ma part ».
Elle sera accueillie en égale dans cette famille unie par les idéaux et le courage qu’on appelle « les héros français ».
Elle nous appelle à faire nous aussi notre part.
Un autre chevalier les aura rejoints, un chevalier servant, car il n’était pas pensable de désunir ce que la vie avait si fortement soudé, dans la joie mais aussi dans ces deuils terribles que furent la perte de la sœur de Simone VEIL, Madeleine dite Milou, survivante des camps comme elle, disparue dans un accident de voiture ; et la mort de son fils Claude-Nicolas, terrassé en 2002 par une crise cardiaque.
Il n’était pas pensable que Simone repose sans Antoine. Cette compagnie lui aurait manqué.
Antoine, le haut fonctionnaire doué pour la vie qui apporta à la jeune rescapée l’élégance et l’humour qui lui permirent de revivre. Antoine qui rêvait de politique et à sa sortie de l’ENA avait commencé à s’en mêler en libéral européen. Antoine qui eut l’intelligence de comprendre que sa femme, elle, apportait à la politique non le simple désir de changer les choses, mais l’âpre volonté de combattre pour l’essentiel.
Il mit alors son talent, son amour au service des batailles menées par Simone, qu’il soutint jusque dans les heures difficiles où ses adversaires maniaient l’injure immonde et la menace physique.
Leur dialogue ne cessa jamais, ponctué de rires et parfois de mélancolie, égayé par une famille de trois fils : Jean, Claude-Nicolas et Pierre-François et bientôt douze petits-enfants. Ce dialogue fut interrompu seulement par la mort d’Antoine en 2013, lui qui semblait fait pour vivre toujours, tant jamais le goût de la vie ne l’avait quitté.
Le Panthéon désormais bruissera du murmure de leurs conversations.
Votre œuvre Madame fut grande, parce qu’elle s’est nourrie de vos deuils et de vos blessures, de vos fidélités et de vos intransigeances, mais aussi parce que vous l’avez entièrement vouée à la France et à la République.
Tout ce que vous avez fait, vous l’avez fait aussi parce que la République vous y appelait, vous y portait, vous y encourageait. Vous avez cru en la République et la République a cru en vous. La grandeur de l’une a fait la grandeur de l’autre. C’est parce que de toutes vos forces, vous l’avez honorée qu’aujourd’hui, elle vous honore.
Votre œuvre cependant n’est pas achevée. Elle entre ici dans l’histoire et dans la postérité. Puisse vos combats continuer à couler dans nos veines, à inspirer notre jeunesse et à unir le peuple de France. Puissions-nous sans cesse nous montrer dignes comme citoyens, comme peuple des risques que vous avez pris et des chemins que vous avez tracés, car c’est dans ces risques et sur ces chemins, Madame, que la France est véritablement la France.
Au soir de votre vie, vous avez souhaité qu’un kaddich soit dit sur votre tombe, votre vœu fut exaucé par votre famille le 5 juillet 2017, au cimetière du Montparnasse.
Aujourd’hui, la France vous offre un autre chant, celui dont les prisonnières de Ravensbrück avaient brodé les premiers mots sur des ceintures de papier ; et qu’elles chantèrent le 14 juillet 1944 devant les S.S médusés. Ce chant que les déportés, chacun dans leur langue, entonnaient lorsque leur camp était enfin libéré, car ils le connaissaient tous par cœur. Ce chant dont le monde a résonné lorsque la barbarie de nouveau a montré chez nous sa face hideuse.
Ce chant c’est celui de la République, c’est celui de la France que nous aimons et que vous avez faite plus grande et plus forte. Qu’il soit aujourd’hui, Madame, le chant de notre gratitude et de la reconnaissance de la nation que vous avez tant servie et qui vous a tant aimée.
Ce chant c’est la Marseillaise.
Vive la République, vive la France.
À consulter également
Voir tous les articles et dossiers-
7 octobre 2024 Résolution sur les situations de crise, de sortie de crise et de consolidation de la paix dans l’espace francophone
-
7 octobre 2024 Déclaration de solidarité avec le Liban.
-
7 octobre 2024 Déclaration de Villers-Cotterêts.
-
4 octobre 2024 Appel de Villers-Cotterêts - Pour un espace numérique intègre et de confiance dans l’espace francophone.