10 mai 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing dans "le Pélerin" daté du 10 mai 1981.

QUESTION.- Monsieur Giscard d'Estaing, on a coutume de dire qu'une fois élu, le Président de la République devient le Président de tous les Français. Dans la réalité, est-ce possible ?
- LE PRESIDENT.- Une fois élu, le Président de la République devient, en effet, le Président de tous les Français. Il l'est d'abord par -nature, puisque les institutions lui confèrent la mission d'incarner au-delà des partis la continuité et la permanence de la France. C'est l'esprit même de notre Constitution, à laquelle j'ai toujours adhéré quant à moi sans réserves.
- Il l'est aussi parce qu'un Président, conscient de l'intérêt du pays, ne peut accepter une France durablement coupée en deux. J'ai montré durant sept ans ma volonté de rassembler les Français en réunissant les conditions favorables à un large dialogue sur les grands problèmes.
- L'unité des Français est d'autant plus nécessaire aujourd'hui que le pays doit faire face à la dure épreuve que la crise économique mondiale lui impose. Dois-je rappeler que le projet de mon adversaire `François Mitterrand` qui se réfère à un prétendu "peuple de gauche" se fonde sur le postulat de la division des Français, qu'il se propose en fait d'approfondir ? Je compte, pour ma part, fidèle à mes convictions libérales, conduire la France, avec tous les Français, sans exclusive, sur la voie de l'indépendance nationale, de la prospérité économique et du progrès social.\
QUESTION.- Les résultats que vous venez d'obtenir au premier tour de cette élection ne peuvent-ils pas être interprétés comme un vote "sanction" de ce point de vue ?
- LE PRESIDENT.- En me plaçant en tête au premier tour du scrutin, une majorité de Françaises et de Français ont signifié qu'ils jugeaient positif le bilan du septennat écoulé et qu'ils préféraient mes propositions à celles des autres candidats. Si vous employez l'expression "vote sanction", appliquez-la donc plutôt aux scores de mes concurrents.
- J'observe ensuite que, lors des précédentes élections présidentielles, aucun candidat n'a obtenu la majorité absolue au premier tour. Rien n'est plus normal, puisque le premier tour est l'occasion pour les électeurs d'affirmer leurs préférences partisanes, leurs préoccupations catégorielles, leurs aspirations socio-culturelles. C'est ainsi que certains ont voulu manifester leur inquiétude devant le poids croissant des charges sociales et fiscales, leur crainte devant les conséquences de la crise économique internationale, leur attachement à la préservation de l'environnement naturel. De tout cela, je tiens et je tiendrai le plus grand compte.
- Le choix politique décisif, les électeurs le feront au second tour du scrutin. Les Français repousseront alors la société collectiviste, dirigiste et bureaucratique que ne manquerait pas d'instaurer François Mitterrand. Ils opteront pour la société de liberté, de responsabilité et de solidarité que je leur propose.\
QQUESTION.- Si vous êtes élu, vous vous appuierez, vous l'avez dit, sur la même majorité. Comment pensez-vous concilier la nécessité d'être soutenu, sans défaillance, par cette majorité, et le devoir d'être à l'écoute de cette moitié de la France qui n'aura pas voté pour vous ?
- LE PRESIDENT.- Je m'appuierai, bien entendu, sur la majorité qui m'aura élu. Cette majorité comprendra en premier lieu les familles politiques qui composent la majorité actuelle et qui me soutiennent toutes contre le candidat du parti socialiste `PS` alors que celui-ci bénéficie du soutien déclaré du parti communiste `PCF`.
- Je dois ajouter, et ce n'est pas nouveau de ma part, que j'entends rester attentif aux aspirations de tous les Français quelles que soient leurs options politiques.
- Vous avez constaté comme moi que les gains de M. Mitterrand ont été obtenus pour l'essentiel dans l'électorat communiste. Les électeurs du centre, au contraire, ont presque unanimement soutenu mon action.
- C'est ainsi que j'arrive en tête dans de nombreuses villes ouvrières (Saint-Etienne, Thionville, Epinal, Nîmes) ou dans les villes où la sensibilité dominante est de centre gauche (Perpignan, Châteauroux, Agen, Maubeuge, La Rochelle).
- Je ne vois aucune contradiction entre le fait d'être soutenu par une majorité et mon souci de répondre à l'attente de l'ensemble des Français. J'ajoute aussi qu'une campagne `campagne électorale` comme celle-ci permet de mieux percevoir les grands mouvements de l'opinion française. En l'occurence, je relève que plusieurs des objectifs que j'avais définis ont rencontré un accord presque général. Je pense en-particulier à l'emploi des jeunes, à la -défense des classes moyennes, à l'extension des libertés communales, au développement des associations, à la préservation du -cadre de vie, à l'élargissement de la participation des citoyens à la vie publique.
- J'y vois le signe que les principaux thème de "Démocratie française" font leur chemin.\
QUESTION.- Reconnaissez-vous à votre adversaire de ce second tour les qualités qui en feraient, s'il était élu, un Président pour tous les Français ?
- LE PRESIDENT.- Il ne m'appartient ni de dresser le portrait psychologique de mon adversaire, ni à plus forte raison de procéder à des attaques personnelles. Je combats des idées et non une personne.
- De ce point de vue, je dois dire que l'examen des propositions de M. Mitterrand me conduit à mettre en garde les Français. Je constate que le "projet socialiste" dont il s'inspire, la stratégie qu'il a adoptée et qui le lie au parti communiste `PCF` conduiront nécessairement le pays au désordre, puis, qu'il le veuille ou non, à un type de société fondamentalement différent de celui que souhaite la très large majorité de nos concitoyens, c'est-à-dire une société de liberté de responsabilité et de solidarité.
- L'erreur grave que commet M. François Mitterrand n'est pas la première. Il s'est déjà trompé lourdement quatre fois. D'abord en affirmant que le parti communiste avait changé et en acceptant dans cette perspective d'introduire les communistes dans un grand nombre de municipalités. Les faits depuis 1977 se sont chargés de démentir cruellement son appréciation.
- Il s'est trompé aussi en se prononçant contre les institutions de la Vème République qu'il n'a cessé de combattre depuis 1958.
- Il s'est trompé ensuite en refusant l'effort nucléaire qui permet à la France de conquérir progressivement son indépendance énergétique.
- Il s'est trompé, enfin, en restant un adversaire obstiné de notre effort de défense, auquel il a, avec constance, refusé depuis vingt ans tout crédit.
- Les Français jugeront.\
QUESTION.- Quel geste symbolique souhaiteriez-vous faire, une fois élu, qui marquerait votre volonté de rassembler les Français ?
- LE PRESIDENT.- L'unité des Français, vous le savez, a toujours été mon souci primordial. Sa réalisation ne saurait être le simple effet de gestes symboliques : elle passe par une action cohérente et continue.
- Ce que j'ai fait pour décrisper la vie politique française, pour favoriser l'expansion du grand groupe central qui est au coeur de notre société, pour réduire les inégalités et rénover notre système d'éducation, tout cela a répondu à ma volonté de renforcer l'unité des Français. C'est là, sans nul doute, une tâche de longue haleine. Elle doit viser à donner aux Français le sentiment de leur appartenance à une communauté solidaire, ouverte aux changements nécessaires, et politiquement stable. Je suis certain que les Français ont conscience au fond d'eux-mêmes que cet objectif a, dans une très large mesure, été atteint. Qui peut contester que le tissu social de la France soit plus solide qu'il ne l'était il y a sept ans ?
- Si je suis réélu, je prendrai toutes les mesures nécessaires pour que soit poursuivi ce mouvement de transformation pacifique et ordonnée de la société française. J'ai la conviction d'être le seul à pouvoir conduire cette politique.\