9 mai 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Article de M. Valéry Giscard d'Estaing dans "Le Figaro Magazine" du 9 mai 1981, à la veille du deuxième tour de l'élection présidentielle, intitulé "Le véritable enjeu de la France et des Français".

Abusés par une opposition qui ne peut les séduire qu'en dissimulant ses desseins, certains Français, sans le savoir, s'apprêtent à voter contre leur propre liberté. Je me dois, pour eux, de dégager les réalisés suivantes :
Le programme de l'opposition implique que les agriculteurs auront à subir la contrainte d'offices fonciers cantonaux. Que la retraite des cadres sera abolie. Qu'un retour immédiat aux contrôles paralysera les P.M.E. (avec lesquelles, pour sa part, M. Marchais veut en finir). Que le secteur productif aura à supporter le poids, dès le mois de juin, d'une augmentation de 33 % du S.M.I.C. Qu'un service public monolithique d'éducation supprimera la liberté d'enseignement, privant les parents de pouvoir choisir l'école de leurs enfants. Enfin, qu'une augmentation énorme des dépenses de la nation devra se traduire, soit par un triplement de l'impôt sur le revenu, soit par un passage des charges obligatoires de 42 % (ce qui est déjà trop) à plus de 50 %. Telles sont quelques-unes des mesures dûment élaborées, rédigées et publiées, sur lesquelles mon adversaire s'est engagé. Elles sont propres à dilapider en quelques mois l'acquis d'années d'efforts des Français.
Le c¿ur du débat est dans cette simple question : plus d'État, ou moins d'État ? Plus ou moins d'interventions, plus ou moins de bureaucratie, plus ou moins de contrôles, cela signifie : plus ou moins d'impôts, plus ou moins de cotisations sociales, plus ou moins de liberté pour ceux qui produisent, plus ou moins de responsabilités pour les individus.
Et le centre de la bataille est ici : mon adversaire propose davantage d'État, je propose moins d'État.
Si la France est devenue aujourd'hui, avec le Japon, la nation la plus dynamique du monde, elle le doit à l'initiative et l'imagination de ses habitants. Et c'est pourquoi, au lieu de les juguler, nous devons au contraire libérer les forces productives de notre pays. Et, certes, M. Jacques Chirac a eu raison de défendre les idées de liberté, de responsabilité et de lutte contre la bureaucratie. Tous les candidats de la majorité souhaitent une France forte et active. J'ai le devoir de reprendre ces thèmes, et ce m'est un devoir aisé puisque ces thèmes sont les miens.
Si la France est devenue aujourd'hui, avec les Etats-Unis, la première puissance du monde occidental pour l'énergie nucléaire £ la première puissance d'Europe pour l'industrie informatique £ la première puissance d'Europe pour l'industrie aéronautique et spatiale £ la première puissance d'Europe pour l'industrie du verre et du ciment £ la première puissance d'Europe pour l'industrie ferroviaire £ la première puissance d'Europe pour industrie de l'agriculture et enfin la troisième puissance militaire du monde, elle le doit à une forme de société dans laquelle chacun s'éprouve comme infiniment capable de responsabilité et d'initiative.
Je le dis clairement : les propositions pour la France que détient, en les masquant, mon adversaire ne peuvent avoir pour effet que restreindre, laminer, réduire à rien la capacité d'entreprendre des Français. Je remarque notamment que le Projet socialiste (page 237) crée la " section politique d'entreprise " et donne au comité d'entreprise le droit de veto sur l'organisation du travail, le licenciement et l'embauche. Quelle entreprise, dans ces conditions, décidera d'investir et d'engager des jeunes ?
Toujours plus de contraintes, ou toujours moins de contraintes ? Toujours moins. Nous devons sans cesse libérer davantage l'économie. La suppression du contrôle des prix fut décidée en ce sens. Elle est un acquis définitif, et les ordonnances de 1945 seront modifiées en conséquence. Et, en toutes choses, il convient que les formalités soient réduites et la paperasse allégée. A des Français instruits et actifs, on ne saurait proposer que moins de tutelle, moins de contrôles et que plus de confiance.
C'est également dans ce sens que le nouveau gouvernement demandera à l'Assemblée nationale de se saisir d'un projet de réforme de la taxe professionnelle. Je ne suis pas personnellement, attaché à cette taxe. L'Assemblée pourra proposer son remplacement afin que les collectivités locales trouvent une ressource équivalente.
Toujours dans le même sens, nous devons ramener à 40 % le prélèvement social et fiscal qui a été alourdi par les effets de la crise. C'est un chiffre que j'avais moi-même indiqué.
Enfin, pour offrir des emplois, il nous faut aider la création et l'équipement d'entreprises nouvelles. Qu'elles soient artisanales ou industrielles, ces entreprises nouvelles pourront être exonérées durant trois ans de l'impôt sur les bénéfices commerciaux et industriels, de la taxe professionnelle et de certaines charges fiscales.
Certainement, c'est en agissant de la sorte que nous déterminerons un nouveau et puissant mouvement de modernisation.
Malgré la crise, nous avons acquis et maintenu une place éminente dans le monde. Malgré la crise, nous avons réduit les inégalités. Malgré la crise, nous avons amélioré le sort des personnes âgées, le sort des handicapés, le sort des familles, le sort des femmes seules. Nous avons reconnu la place et le rôle des femmes dans la société. Nous avons rendu meilleure la condition des travailleurs manuels. La solidarité, dans ces temps difficiles, doit demeurer notre règle. Nous continuerons à améliorer la situation des plus démunis. Je me suis promis qu'à la fin du nouveau septennat, les derniers îlots de pauvreté qui subsistent dans notre pays, y compris ceux du quart monde, auraient disparu. Je souhaite, avec vous, une France douce aux faibles.
Je souhaite aussi, pour tous, une France où puisse revenir une certaine douceur de vivre. Elle y revient, d'ailleurs. Elle y revient, pour les jeunes ménages qui, dans la proportion des deux tiers, s'installent dans des maisons individuelles dont ils deviennent propriétaires. Elle y revient, au sein de la nature elle-même.
Voilà quelques années encore, nous étions, ou nous nous croyions, condamnés aux grands ensembles peu humains, aux usines polluantes, aux rivières empoisonnées et aux espaces naturels en peau de chagrin. Regardez autour de vous. Aujourd'hui la superficie des espaces naturels protégés dépasse en France celle des zones construites. Notre forêt s'accroît. La pollution de l'air et de l'eau diminuent. Le littoral a été sauvé. Nous désespérions hier, persuadés que le progrès allait tuer la nature. Nous découvrons désormais qu'il peut nous la restituer.
Il nous faut poursuivre dans cette voie. En achevant de supprimer les grandes nuisances (notamment le bruit). En accélérant un programme d'économie d'énergie et de prospection des énergies nouvelles. En permettant à chaque Français de participer à la gestion de son cadre de vie (je suis favorable à l'institution du référendum communal et, à ce que j'ai appelé " le référendum à la Suisse "). Enfin, en encourageant et en facilitant la vie associative.
Quel est, enfin, le v¿u le plus profond des Français ? Vivre dans une société forte et paisible. Leur légitime besoin de sécurité quotidienne exprime, je crois, une aspiration plus essentielle. L'aspiration à retrouver une société française dans laquelle tous vivaient sans peur, confiants et fraternels. C'est une nostalgie. Notre pays a connu, en de rares heures, quelques pierres blanches sur le chemin de l'histoire, cette société forte et paisible. Sous Henri IV et aussi dans la France rurale du XVIIIe siècle et des débuts du XIXe siècle. Puis elle l'a recherchée en vain depuis cent cinquante ans, secouée par des révolutions, ensanglantée et dévastée par des guerres. En paix maintenant depuis trente-cinq ans, va-t-elle retrouver enfin son bonheur ? Eh bien, je crois cela possible, et que la nostalgie peut s'inverser en projet. Le général De Gaulle a créé les conditions politiques d'un tel projet. Le travail de tous les citoyens en a dégagé la possibilité. L'étranger est persuadé que nous allons le réaliser. Il nous est loisible, dans une France rendue forte par sa puissante modernisation, et prestigieuse aux yeux du monde, de revivre la douceur des anciens jours.
L'angoisse m'étreint le coeur quand je pense à ce que nous pouvons à la fois acquérir et retrouver, et à ce que nous risquons de perdre et d'effacer. D'anciens démons têtus nous guettent. Repoussons-les dans la nuit et regardons le jour. Il se lève.