7 mai 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing, par Jean-François Kahn pour "Les Nouvelles Littéraires", sur la politique culturelle, Paris, Palais de l'Élysée, jeudi 7 mai 1981.

QUESTION.- Si vous êtes élu, serez-vous disposé à revenir sur l'arrêté Monory libérant le prix du livre ?
- LE PRESIDENT.- Les auteurs, les éditeurs et les libraires sont intervenus à de nombreuses reprises auprès de moi, dans les dernières semaines, pour me faire part de leurs inquiétudes sur les conséquences de la libération des prix du livre. Ils m'ont indiqué que cette mesure aurait eu pour effets un ralentissement de l'activité éditoriale, un ralentissement de l'activité des libraires, des effets déjà perceptibles sur la création littéraire, enfin un dérapage des prix. Je suis très attentif à leurs inquiétudes, mais qu'en est-il en réalité ?
- 1. L'activité des maisons d'édition a augmenté de volume, c'est-à-dire au-delà de la hausse des prix, au-cours de chacune des deux dernières années £ le nombre des titres enregistrés au dépôt légal a augmenté de 6 % en 1980.
- 2. Des enquêtes réalisées à l'initiative des organisations représentatives des libraires ont mis en évidence de bons résultats de vente en 1980.
- 3. De l'avis des journaux spécialisés, notamment du vôtre, la saison littéraire 1980 a été marquée par un renouveau des ouvrages d'inspiration littéraire, renouveau en rupture avec les années récentes, où s'était développée une mode des livres à succès.
- 4. Il est exact que les prix du livre non scolaire ont augmenté plus que l'indice général en 1980, mais sur cinq ans le prix des livres a augmenté moins vite que l'ensemble des prix.\
`Réponse`
- Je ne prends pas du tout à la légère les signes d'inquiétude du monde des lettres, de l'édition et des libraires, mais je constate que jusqu'à présent les craintes qu'il exprime ne se sont pas vérifiées dans les faits.
- Je pense toutefois qu'il faut rester très attentif. Il faut éviter que la libération des prix, appliquée au livre, conduise à une harmonisation de la culture écrite et à un appauvrissement de la création littéraire, ce qui en fin de compte réduirait en effet la liberté de création. Je souhaite en-particulier que les activités d'édition les plus risquées comme l'édition de textes littéraires ou poétiques, l'édition bilingue des textes anciens, certaines formes d'édition scientifique, ne souffrent en aucune manière du régime économique du prix du livre, quel qu'il soit. Je n'exclus donc pas, si certaines des évolutions que redoutent aujourd'hui auteurs et éditeurs apparaissent, d'aménager ou de modifier la réglementation mise en place en application d'une politique générale, qui est celle de la libération des prix.\
QUESTION.- Seriez-vous prêt à réduire la taxe de 33 % qui frappe les disques ?
- LE PRESIDENT.- Il est facile de promettre des réductions d'impôt, surtout dans des périodes telles que celle-ci. Il est plus difficile de trouver ensuite des ressources fiscales de substitution, qui n'en sont pas moins nécessaires, surtout lorsqu'on promet une augmentation des interventions de l'Etat dans tous les domaines.
- Le disque est un moyen important de développement de la culture, tant classique que populaire. Compte tenu des difficultés qu'elles connaissent depuis deux ans, l'édition et la production phonographiques méritent une attention particulière. J'ai déjà indiqué que j'étais favorable à l'examen par le gouvernement de la situation des industries phonographiques et audiovisuelles, qui doivent aujourd'hui faire face à une succession accélérée d'innovations techniques et à une évolution très rapide des habitudes de consommation. Tous les aspects de ce problème devront être étudiés, et la fiscalité ne sera pas exclue de cet examen. Je ne crois pas cependant que l'abaissement du taux de la TVA soit de -nature à apporter une solution durable au problème de développement des industries phonographiques. Ce taux s'applique depuis plusieurs décennies, et n'a nullement empêché la production et la vente de disques de progresser d'une manière spectaculaire et continue jusqu'en 1979. Le tassement constaté depuis deux ans n'est pas imputable à cette forme d'imposition, dont je rappelle qu'elle est totalement neutre puisqu'elle s'applique dans des conditions identiques aux produits importés et qu'elle est annulée à l'exportation.\
QUESTION.- Quelle est la part du budget de l'Etat que vous comptez consacrer à la culture ?
- LE PRESIDENT.- Il faut bien entendu maintenir et accroître les crédits consacrés à la culture. Vous savez qu'en France la politique culturelle ne revient pas exclusivement au ministère de la culture : elle imlique d'autres ministères comme celui de l'éducation et les universités et d'autres organismes comme les sociétés de programme de télévision par exemple.
- Préoccupation désormais quotidienne d'une grande partie des Français, la culture est un enjeu également partagé par les collectivités locales, par les associations. Autrement dit, le rôle de l'Etat en-matière culturelle est double : faire lui-même et appuyer ceux qui font par eux-mêmes. Le septennat qui s'achève se caractérise par la profonde transformation des mentalités qui a abouti à ce nouvel équilibre dans lequel l'Etat est un acteur parmi les autres de la politique culturelle au sens classique du terme (conservation, diffusion création).\
`Réponse` En sept ans, parmi les dépenses de la France et des Français, celles qui ont enregistré une des plus fortes croissances ont été les dépenses culturelles. Il n'y a donc pas un désengagement comme prétendent certains, au contraire. En revanche, une modification d'ordre qualificatif s'est produite. L'Etat s'est efforcé quant à lui de tirer les conséquences de ce qui précède. Et d'abord sur-le-plan des méthodes de travail et des modes de pensée de grandes administrations.
- C'est ainsi que les services du ministère de la culture et de la communination ont été regroupés en entités plus fortes en même temps que voyait le jour le réseau des directions régionales des affaires culturelles.
- C'est ainsi que chacun des autres ministères, qui n'avaient jusqu'à présent que des responsabilités mal identifiées en-matière culturelle, s'est doté progressivement d'un nouveau regard, d'une vision culturelle des problèmes posés. C'est ainsi que les sociétés de programme de radio et de télévision ont été incitées à considérer la culture comme un atout populaire.
- Cette réorganisation opérée, la voie est libre pour affecter en priorité des moyens supplémentaires à des objectifs culturels. S'agissant du patrimoine, vous savez que cet effort est très engagé. Il sera maintenu et poursuivi avec, je l'espère, cet élan et cette communauté de vues qui se sont manifestés au-cours de l'année du patrimoine.\
`Réponse`.
- Il est des domaines dans lesquels il faut sans doute accroître les crédits de l'Etat, mais la façon de dépenser l'argent doit être soigneusement pesée. Que diriez vous d'un ministère de la culture qui disposerait de 2 ou 3 % du budget de l'Etat et qui dissiperait ses crédits pour faire fonctionner un appareil bureaucratique omniprésent, tâtillon et indiscret, ou qui l'utiliserait à la pénétration d'une culture officielle d'Etat ?
- Aux interventions précises les crédits supplémentaires, et non pas aux frais de fonctionnement ! C'est d'ailleurs la voie dans laquelle je me suis engagé depuis sept ans en affectant les augmentations de crédits dont à bénéficié le ministère de la culture et de la communication à des actions aussi concrètes que la mise en oeuvre du centre Georges-Pompidou `Beaubourg`, le renouveau de l'Opéra de Paris, le soutien à l'enseignement de la musique, la remise en oeuvre de nos grands musées, etc. Autres exemples : de 1974 à 1981, la part des crédits du ministre de la culture dépensée en faveur des collectivités locales a augmenté de 340 % atteignant pour la première fois un milliard de francs cette année. Il ne suffit donc pas de postuler simplement des augmentations de crédits, encore convient- il de bien les dépenser, c'est ce que je m'efforcerai de faire au-cours du prochain septennat.\
QUESTION.- Etes-vous favorable à la construction d'un nouvel Opéra permettant l'accueil de 3 à 4000 spectateurs afin de rentabiliser les représentations ?
- LE PRESIDENT.- Un immense effort a été fait en faveur de l'Opéra, et il sera poursuivi et développé. Il faut souligner que les spectateurs assistant aux représentations du palais Garnier ne constituent plus à l'heure actuelle qu'une faible partie du public réel.
- A-titre d'exemple, plus de 5000000 de télespectateurs ont vu Don Giovanni de Mozart présenté en direct de l'Opéra de Paris. 5000000 personnes ont écouté la 9ème Symphonie de Beethoven, interprétée par l'Orchestre national de France dirigé par Lorin Maazel. Plus de cent opéras et ballets ont été présentés à la télévision en cinq ans.
- Ce dont Paris a besoin au-cours des prochaines années, c'est d'un véritable ensemble musical. J'ai fait étudier dans le parc de la porte de Pantin, à proximité du futur musée des Sciences et des Techniques, l'implantation d'un tel ensemble.\
QUESTION.- Estimez-vous nécessaire une réforme et une modernisation du musée du Louvre ? Seriez-vous favorable à ce que les réserves du Louvre soient distribuées à des musées de province ?
- LE PRESIDENT.- La loi programme sur les musées (1978 - 1982) accorde au Louvre des crédits considérables qui vont substantiellement le transformer.
- Tout d'abord, l'installation des collections en-cours d'enrichissement du musée du XIXème siècle dans l'ancienne gare d'Orsay, projet que j'ai personnellement décidé, permettra de doter le Louvre d'un chainon essentiel qui n'était jusqu'à présent constitué que des quelques centaines de mètres carrés du musée du Jeu de paume.
- Le musée d'Orsay sera donc un prolongement du Louvre. La place dégagée au Louvre permettra d'affecter les espaces supplémentaires à la présentation des oeuvres et à l'accueil du public. Et le Louvre sera doté d'une entrée digne de son prestige, enfin à la mesure du flot des visiteurs qui s'y pressent.
- Il s'agit du musée le plus important du monde, qui regroupe en réalité six ou sept musées d'importance nationale. Il était donc normal que le Louvre bénéficie de cet effort sans précédent pour les musées que représente la loi programme.
- Les réserves du Louvre ne sont pas cette caverne d'Ali Baba dont se plaisent à parler certains. En vérité, si l'on excepte les collections d'objets sans valeur artistique proprement dite (séries de vestiges archéologiques, archives, etc), les réserves du Louvre ne sont importantes qu'en tableaux. Or, ces tableaux sont pour la plupart déjà déposés dans les musées de province.
- Sur les 16000 tableaux du Louvre, seuls 4000 sont exposés à Paris : 2000 vont pouvoir l'être grâce aux nouveaux aménagements prévus par la loi programme. Le reste - 10000 - est déposé dans les musées de province. Et je rappelle que sur les 6000 tableaux détenus au Louvre plus du dixième se trouvent hors des murs, parce que prêtés à des expositions en France ou à l'étranger.\
QUESTION.- On vous reproche d'avoir favorisé le patrimoine au détriment de la création, qu'en pensez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Aucun créateur n'a jamais été à l'opposition du patrimoine. Il est vrai qu'en terme d'action administrative, les problèmes ne se posent pas de la même manière d'un domaine à l'autre.
- Le patrimoine est là : les éléments qu'il compose nous sont très proches : les problèmes de sauvetage et de mise en valeur posés sont pressants. C'est la raison pour laquelle un peuple comme le peuple français est naturellement enclin à s'intéresser très concrètement à la signification et au sort d'un patrimoine qui constitue un legs essentiel de son histoire. Le succès de l'année du patrimoine repose sur cette sympathie immédiate.
- La création est d'un ordre beaucoup plus mystérieux, moins social aussi : le créateur n'est-il pas avant tout et irréductiblement un homme seul ? A l'évidence, on ne peut appliquer à la création les recettes banales qui se résument à peu de choses : plus de mètres carrés, plus d'argent, plus de fonctionnaires... Il faut donner aux créateurs les possibilités de s'exprimer librement dans une société en mutation rapide, une société qui voit se transformer ses structures, ses techniques, ses modes de pensée. Je souhaite que mon prochain septennat puisse s'attaquer de front à ces grandes questions posées par la création. C'est assurément avec le problème de l'éducation un des défis les plus importants des années qui s'annoncent.\
QUESTION.- Quels sont vos goûts en-matière d'art ? Etes-vous sensible à l'art moderne ?
- LE PRESIDENT.- En-matière d'arts plastiques, comme en-matière de musique, mes goûts me portent au classicisme. Je ressens un vif intérêt pour la sculpture antique £ je suis sensible à l'ensemble des grandes traditions de la peinture figurative, des primitifs italiens à l'impressionnisme et au symbolisme. Je suis aussi très attentif aux oeuvres de certains artistes modernes, tels Magritte, Chirico, Picasso.\
QUESTION.- Faut-il, selon vous, encourager une renaissance des langues régionales ?
- LE PRESIDENT.- Dans une nation aussi ancienne et aussi unie que la nation française, je considère que la pratique des langues régionales correspond à un souci de diversité et de pluralisme culturels, et je ne peux qu'être favorable à leur transmission et à leur pratique. Je ne pense pas, cependant, que la pratique de langues régionales, c'est-à-dire le bilinguisme français - langue régionale, soit une pratique courante ou une aspiration majoritaire, dans quelque région de France que ce soit. Il faut donc favoriser l'apprentissage et l'usage des langues régionales en tenant compte du fait qu'elle est une pratique culturelle minoritaire.
- J'ai eu le souci, vous le savez, que l'usage de ces langues soit accepté, reconnu, et représenté. Il est reconnu par la loi puisqu'il est licite de satisfaire aux examens nationaux en utilisant les langues régionales ou de libeller certains actes commerciaux ou bancaires dans ces langues.
- Il est également représenté, puis qu'il y a des émissions radiophoniques en occitan provençal et languedocien, en béarnais, en catalan : des émissions radiophoniques et télévisées en basque, en alsacien, en breton et en corse. Je crois que ces émissions dans leur fréquence et dans leurs programmation, sont représentatives de l'usage réel de ces langues régionales et qu'elles peuvent concourir, plus que toute autre initiative, à leur renaissance. La vie des langues régionales dépend de leur usage effectif et quotidien et de la vie associative qui s'attache à les perpétuer.\
QUESTION.- Pensez-vous que l'on pourrait donner aux régions la maitrîse totale de leur politique culturelle ?
- LE PRESIDENT.- Je vous rappelle que la politique culturelle n'est pas un monopole. D'ores et déjà, les collectivités locales, les associations, les entreprises, même, participent, à leur mesure, au développement culturel. Il en a de même des régions. Elles sont libres, dans le respect de leurs attributions et des règles de fonctionnement qui les régissent, de faire porter leur effort sur tel ou tel aspect qui les intéresse et donc sur la politique culturelle. Constatant d'ailleurs l'intérêt qu'elles portaient aux préoccupations de cet ordre, le gouvernement vient de les autoriser à mettre en oeuvre des programmes culturels pour la sauvegarde et pour la mise en valeur du patrimoine, pour les orchestres régionaux, pour les maisons de la culture et pour les centres de rencontre. D'ailleurs, les expériences culturelles vécues sur le terrain, comme par exemple l'année patrimoine ou la politique des festivals, révèlent des personnalités régionales très affirmées et librement déterminées. Cependant, l'Etat doit poursuivre son effort en jouant son rôle de conseil, de garant de la qualité scientifique ou artistique, de dispensateur de formation, de soutien, enfin à l'innovation.
- A cet égard, je voudrais rappeler que le septennat qui s'achève à battu tous les records précédents en ce qui concerne les interventions de l'Etat en faveur des associations et des expériences innovantes.
- C'est un fait reconnu à l'étranger, où l'expérience française est souvent considérée comme une référence en-matière de politique culturelle.\
QUESTION.- La plupart des partis ont critiqué la mainmise accrue du pouvoir sur l'information audiovisuelle. Quelles initiatives prendriez-vous pour alléger le poids de l'Etat sur l'information radio et télévisée ?
- LE PRESIDENT.- L'information audiiovisuelle est aujourd'hui ce qu'elle doit être dans une grande démocratie moderne : à la fois libre et responsable. Avec la création de trois sociétés de programme tout à fait autonomes dotées de journaux télévisés ayant chacun leur personnalité, leurs équipes rédactionnelles et leurs réseaux d'information, l'évolution libérale de ces dernières années a associé à l'information télévisée une diversité et une impartialité certaines. Beaucoup a été fait également pour améliorer encore l'accès des familles politiques à la télévision, notamment avec l'ouverture des tribunes libres et l'introduction en 1979, du droit de réponse des oppositions aux communications du gouvernement. Malgré les allégations ou les nostalgies de certains, il ne se pose plus aujourd'hui ce problème de l'information télévisée qui a empoisonné pendant longtemps notre vie publique.\
`Réponse`
- Les Français et les Françaises et une enquête récente effectuée par un de vos confrères oeu suspect de sympathie excessive envers le gouvernement, l'a montré - font pleinement confiance à leur information télévisée, et c'est un bel hommage à la valeur professionnelle des journalistes des sociétés de programme, qui savent concilier liberté et responsabilité. La dignité de ces professionels est en effet d'être bien conscients de la formidable responsabilité que constitue le fait de présenter chaque jour les nouvelles à quinze, à vingt millions de téléspectateurs. Certains ont tendance à vouloir faire de l'information audiovisuelle un enjeu du débat politique, alors que la radio et la télévision en sont de simples témoins. Sous l'autorité de leurs conseils d'administration, où le Parlement est représenté, les sociétés nationales de programme remplissent leur mission d'information et assurent un égal accès à l'expression des principales tendances de pensée et des grands courants de l'opinion. Il est indispensable qu'elles puissent continuer d'exercer cette mission de service public sans céder aux provocations ni aux pressions qui émanent précisément de ceux qui font profession de les dénoncer.\
QUESTION.- Accepteriez-vous que des commentateurs critiques à l'égard de votre politique puissent s'exprimer à la radio et à la télévision ?
- LE PRESIDENT.- Ecoutez-vous parfois la télévision et la radio ? Si vous avez le sentiment que les commentaires critiques n'y sont pas admis, sans doute pas.
- QUESTION.- Etes-vous partisan du maintien du monopole tel qu'il fonctionne actuellement ?
- LE PRESIDENT.- Il n'existe pas en France de télévision d'Etat mais un monopole de la télévision. Cela est très différent. La télévision n'est pas faite par l'Etat pour le compte de l'Etat, comme cela se passe dans certains pays. Par contre, la radio et la télévision répondent à un besoin d'intérêt général. C'est un service public, et c'est pour cela qu'a été institué le monopole.\
`Réponse`
- Mais il faut bien voir qu'en réalité ce monopole a trois composantes :
- - le monopole de diffusion, qui doit être rigoureusement préservé. Il s'agit là d'une question d'utilisation des ondes. Or, celles-ci sont rares et les fréquences font donc l'objet d'attribution dans-le-cadre d'accords internationaux tels que les traités de Genève ou de Stockholm. Ainsi sont évitées les pertubations et les confusions de programmes. Il faut également que le fonctionnement de certains services ne soit pas désorganisé par une utilisation anarchique des ondes, c'est pourquoi il a été décidé récemment que la "Citizen Band" ne pourrait être utilisée que sur certaines fréquences £
- - le monopole de production n'est pas en vigueur dans un pays libéral tel que la France. Il s'agit dans ce domaine que puisse s'exprimer la libre initiative créatrice. Ainsi chacune des trois sociétés de télévision dispose de ses propres moyens de production, mais elles peuvent également passer des commandes à la SFP ou à des sociétés privées, aussi bien dans le domaine des émissions de télévision que dans celui du cinéma £
- - plutôt que de monopole de programmation, il vaudrait mieux parler de service public, lequel, grâce aux cahiers des charges que doivent respecter les sociétés de télévision, apporte la garantie d'une télévision de qualité et permet aux nouveaux talents de s'exprimer. Le service public constitue en même temps un rempart contre les puissances d'argent et limite les ressources d'origine publicitaire, lesquelles permettent le développement de la presse écrite. Le service public peut et doit être vivant, et il a su faire preuve tous ces derniers temps de sa capacité d'adaptation. Je pense en-particulier aux expériences de nouvelles radios conduites par Radio France, qui ont montré que le service public était capable d'apporter à de nouveaux besoins de communication, d'origine locale ou émanant de publics particuliers une réponse compatible avec les exigences de qualité et de pluralisme d'un pays comme la France.\
QUESTION.- Continuera-t-on, si vous êtes élu, à s'opposer à la naissance de radios libres ?
- LE PRESIDENT.- Je ne laisserai pas s'installer l'anarchie sur les ondes, pas plus l'anarchie venue de l'extérieur que celle venue de l'intérieur. Il y a en effet derrière toute cette affaire un enjeu capital pour l'avenir de la liberté et du pluralisme de la presse dans notre pays. Le déferlement de multiples radios financées par la publicité porterait un coup mortel à des centaines de titres de la presse écrite, et d'abord à toute une série de petits journaux dont l'équilibre financier est souvent précaire, et qui sont la meilleure expression de la diversité des opinions et des préoccupations des Français.
- Pour faire prendre conscience de cette menace, je ferai remarquer que la dernière radio pirate dont il a été question à Paris envisageait de faire deux heures de publicité par jour. Une telle ponction sur les recettes de la presse aurait été fatale à de nombreux journaux.
- Il y a aussi un enjeu de société important : car je suis persuadé que très vite, comme pour la monnaie, la mauvaise radio chasserait la bonne et, loin d'assister à un enrichissement de la communication, nous risquerions de voir se multiplier des radios se réduisant à un défilement de messages publicitaires et de musiquettes ou chansonnettes, généralement d'origine anglo-saxonne, le tout relié par les boniments d'un "disc-jockey".\
`Réponse`
- Le gouvernement a fait preuve ces dernières années de son souci de chercher les réponses à apporter à des besoins nouveaux de communication, que ceux-ci soient d'origine locale ou émanent de publics particuliers.
- Il a voulu faire de la manière la plus responsable, en cherchant une réponse compatible avec les exigences de qualité et de pluralisme d'un pays comme la France £ et de la manière la plus économique, en associant pleinement le Parlement à cette réflexion.
- C'est pourquoi après plusieurs débats à ce sujet, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, le gouvernement a décidé au printemps 1980 de lancer trois expériences de radios décentralisées, conduites dans-le-cadre du service public par Radio France dans la région lilloise (Fréquence Nord), en Mayenne (Radio Mayenne), et à Melun (Melun FM).
- Ces radios expérimentales ont su trouver un "ton nouveau" répondant à l'attente d'un nombreux public, comme en témoignent des indices d'audience très satisfaisants. Toutes les garanties apportées à la presse écrite ont été respectées : pas de publicité, pas de pillage rédactionnel, pas d'informations de service concurrentielles de celles diffusées par la presse écrite.
- Ces trois radios ont également fait preuve d'un très grand pluralisme et ont été ouvertes à tous les courants d'opinion. J'en citerai pour preuve les voeux unanimes émis par les conseils généraux de la Mayenne et du Nord (ce dernier n'étant pas spécialement favorable au gouvernement !) pour le maintien de ces radios, au-delà de la période expérimentale. Le véritable bilan de ces expériences devra être tiré par la Commission nationale d'évaluation et c'est à la lumière des -enseignements très riches fournis par ces expériences que pourra être organisé devant le Parlement le grand débat que mérite l'avenir de la radio dans notre pays. C'est à cette approche responsable et démocratique que cherchent à s'opposer quelques "apprentis sorciers" qui dissimulent mal derrière leur discours pseudo-libéral leurs intentions partisanes ou mercantiles. Je ferai appliquer la loi sur la protection du service public de la radio et de la télévision. On ne laissera pas se créer de fait accompli, et l'évolution de la radiodiffusion sera conduite avec le souci de préserver les grands équilibres entre les médias.\
QUESTION.- Prendrez-vous des initiatives pour empêcher, dans la presse écrite, le développement des concentrations ? Etes-vous favorable à ce que plusieurs titres soient placés sous le contrôle du même homme ?
- LE PRESIDENT.- Il est effectivement souvent question dans le secteur de la presse d'un phénomène de concentration présente comme irréversible.
- Les évolutions technologiques et la situation économique peuvent certes pousser à des regroupements, mais ceux-ci restent limités et ne menacent pas le pluralisme indispensable de la presse écrite. J'observe que Paris reste la grande capitale du monde où l'on recense le plus grand nombre de quotidiens, lesquels expriment d'ailleurs une gamme d'opinions et d'idées extrêmement étendue.
- D'une manière générale, le secteur de la presse a connu en 1980 une vitalité incontestable, puisqu'il s'est créé plus de deux mille titres, alors que la moyenne annuelle est en général de mille six cents à mille huit cents. Le solde entre créations de titres et disparitions est largement positif. En 1980, la capacité d'expression de la presse a donc progressé dans notre pays et cela a été particulièrement vrai pour la presse spécialisée, qu'elle soit culturelle, scientifique, professionnelle, économique, technique ou industrielle.
- Je ferai également remarquer que la France est un des rares pays du monde où l'Etat, tout en respectant parfaitement l'indépendance de la presse écrite, apporte un soutien réel au pluralisme de la presse écrite. C'est notamment l'objet des aides très diverses attribuées par l'Etat pour alléger les charges de fabrication des journaux d'information.
- Un nouveau progrès va d'ailleurs être fait pour le soutien de la presse d'opinion avec la mise en place d'un mécanisme tout à fait original d'aide aux quotidiens politiques à faible capacité publicitaire. La France aura ainsi un système d'aide au pluralisme de la presse écrite parmi les plus efficaces et les plus imaginatifs qui soient dans le monde.\
`Réponse`
- S'agissant de la deuxième partie de votre question, certains affirment que l'ordonnance du 26 août 1944 sur l'organisation de la presse française comporte des dispositions qui, si elles étaient appliquées, permettraient de s'opposer avec efficacité aux opérations, soit de prise de contrôle d'entreprises de presse par d'autres groupes, soit de fusion de titres. La réalité est bien différente : j'observe en effet que l'ordonnance du 26 août 1944 n'a pas directement pour objet de freiner la concentration de la presse. Les dispositions relatives à la désignation du directeur de la publication et à l'interdiction du cumul de direction devraient théoriquement empêcher que plusieurs titres soient placés sous le contrôle d'une même personne. Mais si la loi interdit à une personne de cumuler deux directions de quotidiens, elle ne peut toutefois empêcher les opérations de fusion. Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la Libération ont adopté une attitude souple et libérale dans l'application de l'ordonnance : au reste, pour s'assurer de sa stricte observation, l'administration aurait dû se livrer à des investigations permanentes qui auraient été taxées d'atteintes intolérables à la liberté de la presse.\
`Réponse`
- Toutefois, les services publics chargés des problèmes de la communication oeuvrent pour la -recherche d'une meilleure connaissance statistique des entreprises de presse. Cette volonté a rencontré, je me plais à le souligner, un accueil favorable de la part des organisations professionnelles de la presse.
- La politique actuellement mise en oeuvre dans ce secteur ne devra pas s'arrêter. Elle devra être perfectionnée, sans devenir tracassière, car les investigations seraient là encore ressenties comme une atteinte à la liberté de la presse. L'apparition de nouveaux médias, je pense à la télématique, ne doit pas déstabiliser la presse. Elle doit participer à l'évolution des nouvelles technologies. Ainsi, pour faire face à cette évolution, il ne me paraît pas anormal que des organisations de taille comparable à celle des grands groupes étrangers se constituent dans le domaine de la communication, conformément au libre jeu du droit des sociétés. C'est le seul moyen de pouvoir faire face aux investissements importants que nécessitent les satellites et la télématique à un moment où l'identité culturelle de la France implique également de grands efforts financiers dans le domaine de l'édition et de la création.
- Mais si cette évolution me paraît nécessaire, je n'accepterai pas sans réagir que de telles concentrations puissent porter atteinte au pluralisme de la presse, qui est une condition essentielle de la liberté de l'information.\
QUESTION.- Quels sont les écrivains modernes que vous appréciez le plus ?
- LE PRESIDENT.- Parmi les écrivains contemporains, ma préférence va à Marguerite Yourcenar.
- QUESTION.- Quels sont vos poètes préférés ?
- LE PRESIDENT.- Je lis avec plaisir Apollinaire, les symbolistes et certains poèmes de l'époque romantique.
- QUESTION.- Que comptes-vous faire en faveur de la poésie ?
- LE PRESIDENT.- Malgré les efforts des éditeurs qui ont multiplié les collections et les éditions de poche, malgré l'aide attentive et régulière qu'accorde le Centre national des lettres aux éditeurs et aux poètes, la poésie me paraît aujourd'hui être devenue un art en quête de lecteurs. Cela tient-il à un excès de facilité des lecteurs et des spectateurs, à un excès de raffinement de la recherche poétique, qui rendrait celle-ci obscure ?
- Cette forme de création est devenue fragile en devenant confidentielle. Il faut donc aider les poètes à être lus, entendus, et publiés. Il est sans doute possible de réaliser d'excellentes transpositions ou mises en scène d'oeuvres poétiques pour la télévision : il conviendra d'encourager de tels projets. Il faudrait aussi seconder les éditeurs, plus encore qu'au-cours des dernières années, qui s'attachent à faire imprimer et diffuser les poètes vivants. Autant que possible, puisqu'ils ont fréquemment du mal à exercer leurs activités, il faut privilégier les poètes dans l'attribution des bourses et aides que le Centre national des lettres accorde aux écrivains. Il faut enfin encourager le développement des collections de poésie pour enfants, si l'on veut voir renaître et se développer la poésie en France. Mais c'est une tâche difficile, et d'ailleurs aléatoire, puisqu'il faut compter avec la sensibilité de l'époque où nous vivons et avec l'attraction qu'exercent des formes de création moins exigeantes pour le lecteur ou pour le spectateur.\
QUESTION.- De quel philosophe vous sentez-vous le plus proche ?
- LE PRESIDENT.- Je citerai, parmi lees maîtres actuels, Raymond Aron et Claude Levi Strauss, représentatifs l'un et l'autre d'une philosophie concrète qui s'attache à éclairer en profondeur les phénomènes de société et de civilisation. Parmi les philosphes de la tradition, ma préférence va évidemment à Descartes, non parce qu'il est Français, mais parce qu'il a instauré le rationnalisme moderne, fondé sur l'examen critique, la rigueur et la volonté d'aboutir, je l'apprécie aussi pour ce qu'il a dit du bon sens, dont vous savez qu'il le présente à la fois comme la vertu la plus répandue et comme l'art le plus difficile. C'est une réflexion qu'il me paraît utile de méditer.\
QUESTION.- Vous intéressez-vous à la chanson ? Quels sont dans ce domaine vos artistes préférés ? Ecoutez-vous parfois de la musique rock ?
- LE PRESIDENT.- Je suis tout à fait sensible à la chanson, qui est le reflet d'une sensibilité populaire. J'apprécie particulièrement les oeuvres de tradition française qui sauraient établir une teinte et une mélodie.\
QUESTION.- Etes-vous favorable à une relance, grâce à une aide accrue, de la politique des maisons de la culture ?
- LE PRESIDENT.- Les maisons de la culture, les centres d'action culturelle, ont joué un rôle important dans le développement culturel de la France. Il convient de s'appuyer sur ces organismes qui ont des structures très typées, tout en tirant les conséquences des évolutions du contexte culturel et social qui est le nôtre.
- Rares, au début de la Vème République, les associations culturelles se sont multipliées, dans tous les secteurs, du patrimoine à la création en passant par la diffusion et l'animation. Les villes elles-mêmes, les collectivités locales se sont dotées de plans d'ensemble de développement culturel comprenant souvent des éléments aussi originaux qu'ambitieux.
- QUESTION.- Quelle place doit être celle des institutions d'action culturelle dans ce nouveau contexte ?
- LE PRESIDENT.- Il n'est bien entendu pas question de laisser ces organismes dériver vers une situation morale et institutionnelle qui leur serait fatale.
- Plus que jamais, il convient de traduire en actes dans leur gestion et dans leurs activités les notions d'innovation, d'interdisciplinarité et de création. C'est la raison pour laquelle le nouveau ministre de la culture devra, en liaison avec les partenaires (municipalités, associations, directeurs), définir les nouvelles missions qui doivent être imparties à ces établissements, pour qu'ils participent à cette politique culturelle d'ensemble que je souhaite mettre en oeuvre.
- les maisons de la culture et les centres d'action culturelle devront se retrouver à la pointe de l'innovation et de l'exploration des nouvelles voies de la création : pour ce faire, il faut qu'ils retrouvent leur souplesse et leur intelligence initiales, et l'Etat sera là auprès d'eux pour aider à la réalisation de leurs projets et pour partager avec les villes sa tutelle et son soutien financier.\