5 mai 1981 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Tribune libre de M. Valéry Giscard d'Estaing dans "Midi Libre" sur l'indépendance militaire, énergétique et politique de la France, Paris, mardi 5 mai 1981.

Au moment où chaque Française et chaque Français va avoir à se prononcer par son vote du 10 mai sur le choix d'un Président de la République, il me paraît important de dire les raisons pour lesquelles j'estime que l'élection de M. Mitterrand serait une mauvaise chose pour les Français, une mauvaise chose pour la France.
- La France ne pourrait pas rester dans le Marché commun, et donc toute l'organisation européenne s'effondrerait. En effet, aucun pays de l'Europe des Dix n'applique une politique semblable à celle que préconise M. Mitterrand. Les pays qui ont le plus de difficultés à s'intégrer ou à se développer dans le -cadre du Marché commun sont ceux qui ont appliqué, dans les années antérieures, une politique économique dont l'inspiration était voisine de celle de M. Mitterrand, c'est-à-dire un secteur public hypertrophié, gravement déficitaire et qui coûte très cher aux contribuables, ce qui n'empêche en rien des licenciements massifs.
- Nos coûts de production s'alourdiraient et nous ne pourrions plus supporter la concurrence. Nous serions obligés de fermer nos frontières et nos voisins ne tarderaient pas à prendre des mesures de représailles. Or, qu'on le veuille ou non, la France a besoin d'un commerce international actif. Comment ferait-elle autrement pour payer le pétrole dont elle a besoin et qu'elle devrait d'ailleurs payer beaucoup plus cher puisque la valeur du franc aurait inéluctablement baissé très sensiblement ?
- La France redeviendrait dépendante. Tout l'effort de la Vème République a tendu depuis 23 ans à redonner à la France son indépendance. Or, avec M. Mitterrand, même si ce n'est pas son intention, la France perdrait son indépendance.\
L'indépendance militaire : M. Mitterrand a toujours refusé de voter les crédits de défense, il s'est toujours opposé à notre effort d'armement nucléaire. Et il est mal placé maintenant pour venir dire que cet effort est insuffisant. Si on l'avait écouté, la France serait aujourd'hui désarmée.
- L'indépendance énergétique : M. Mitterrand s'est opposé à notre effort de développement d'énergie nucléaire. Naturellement, il faut penser à promouvoir d'autres sources d'énergie. La France s'y emploie plus que tout autre pays. Mais elle ne pouvait et elle ne peut se passer de l'énergie nucléaire. Or, M. Mitterrand n'ose pas le dire, mais son idée est de ralentir cet effort. Cela consiste à nous remettre davantage encore sous la dépendance des pays producteurs de pétrole.\
L'indépendance politique : vous savez que M. Mitterrand ne pourrait être élu qu'avec des voix communistes. Certes les électeurs communistes sont des Français comme les autres et je considère que leurs voix valent autant que celles des autres Français. Mais il y a les électeurs et il y a le parti. Le parti `PCF` dont chacun sait depuis 1939 qu'il ne fixe pas ses choix de politique étrangère en-fonction des intérêts de la France, mais en-fonction de ce qu'il croit être l'intérêt du mouvement international auquel il appartient. C'est ainsi que M. Marchais a approuvé chaleureusement l'intervention militaire soviétique en Afghanistan.
- Bien plus, au-sein même du parti socialiste `PS`, M. Mitterrand, pour asseoir son autorité et briser l'ascencion de M. Rocard, s'est appuyé sur un courant qu'il essaie de dissimuler actuellement mais ce courant existe et sans lui M. Mitterrand aurait été battu au-sein de son propre parti. M. Mitterrand l'oublie peut-être, mais M. Chevènement qui anime cette fraction saura le lui rappeler en temps utile. Or, M. Chevènement, et avec lui, une part non négligeable du PS veut que la France s'éloigne des Etats-Unis pour se rapprocher de l'Union soviétique. Pour moi, au contraire, indépendance ne signifie pas neutralité, pas plus que le respect de nos alliances ne signifie alignement.
- Voilà pourquoi les Français n'éliront pas M. Mitterrand. Ils ne se laisseront pas prendre par le double langage du candicat socialiste. Il tient à ce double langage et on le comprend, car il veut les voix des électeurs marxistes, ce qui est normal, puisqu'il reconnaît lui-même que son projet est explicitement d'inspiration marxiste. Mais il veut aussi les voix des autres, c'est-à-dire qui refusent ce changement de société. Ne vous y trompez pas, même si M. Mitterrand essaie actuellement de le cacher, ce qu'il propose aux Français n'est pas un simplement changement de politique, mais un véritable changement de société.\