2 mai 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Réponses de M. Valéry Giscard d'Estaing au questionnaire de la revue "Investir", notamment sur les problèmes de défense et la politique étrangère, samedi 2 mai 1981.

- Quelles sont les différences, si vous êtes réélu pour un septennat nouveau, entre ce que vous avez fait jusqu'à présent au point de vue économique et financier et ce que vous comptez faire ? Pensez-vous pouvoir lutter plus efficacement contre, notamment, l'inflation et le chômage ?
L'objectif que je me suis assigné en 1974 était de donner à la France les moyens de surmonter la crise énergétique et d'adapter notre appareil de production aux nouvelles conditions économiques du monde. J'affirme que, malgré tous les propos que l'on a pu tenir, cet objectif a été pour l'essentiel atteint. Nos partenaires étrangers le savent. Les Français en ont également pris conscience.
L'objectif que je me fixe pour les années à venir est de placer la France dans le groupe de tête des nations les plus développées. Cet objectif est réalisable : au cours des sept années passées, un immense travail a été accompli pour assainir, redresser, renforcer et développer notre économie. La France dispose aujourd'hui d'un potentiel considérable pour faire face aux difficultés économiques internationales et pour maintenir son rôle et son rang dans le monde.
Les moyens qui seront mis en oeuvre pour atteindre cet objectif ne seront pas ceux du dirigisme, du centralisme, de la bureaucratie ou de l'étatisme.
Je continuerai à miser, comme au cours de ces dernières années, sur la liberté, l'initiative et la responsabilité. Pour que les entreprises françaises soient fortes, pour qu'elles innovent et qu'elles investissent, il faudra veiller à ce que l'action de leurs dirigeants ne soit pas entravée par des réglementations abusives et par des charges sociales excessives.
Il faudra faire en sorte que l'épargne des Français s'oriente plus encore qu'aujourd'hui vers les emplois productifs. Il faudra contenir et réduire l'interventionnisme de l'Etat.
Telles sont les conditions qui nous permettront d'occuper les premières places dans les secteurs stratégiques et d'assurer la poursuite du progrès économique et social.
La lutte pour l'emploi est, comme je l'ai déjà indiqué, la plus urgente des priorités pour les années à venir. Elle est naturellement inséparable de la lutte contre l'inflation et de la recherche de l'indépendance énergétique. Si la situation économique internationale n'est pas affectée par de nouveaux bouleversements, alors que les moyens que j'ai proposés permettront de stabiliser, puis de réduire le chômage grâce à la création d'emplois sains et durables.
- Au point de vus défense, y aura-t-il continuité ou infléchissement de la politique actuelle ?
- La défense est, entre tous, le domaine dans lequel on ne peut pas se permettre de faire des impasses. Pour celui qui est à la tête de la France, l'hésitation, l'erreur ou la fuite devant les responsabilités sont autant de dangers de mort pour l'indépendance de la France et la sécurité des Français.
J'ajoute que, en raison des délais de mise en place des armes, les décisions qu'on pend commandent l'avenir à dix ans de distance. On ne peut pas les corriger instantanément. La continuité est une exigence essentielle.
C'est parce que j'ai pris à temps, avec l'appui de la majorité mais, et je le regrette en pareille matière, malgré les votes de l'opposition, les décisions nécessaires, que la France dispose aujourd'hui et disposera demain d'une force nucléaire crédible.
Je rappelle que c'est au cours des sept années écoulées qu'ont été décidées la construction d'un sixième sous-marin nucléaire lance-engins, la dotation progressive de ces six sous-marins en missiles à têtes multiples, la construction d'un nouveau missile stratégique et d'un missile tactique à moyenne portée. C'est au cours du septennat que la portée, la puissance et la précision des missiles du plateau d'Albion ont été accrues.
C'est parce qu'il a été décidé, au moment où il le fallait, d'entreprendre un effort d'équipement sans précédent de nos forces classiques et de modernisation de notre force d'intervention outre-mer que nous sommes à même de faire face aux menaces nouvelles, et, qu'en plusieurs occasions la France a été en mesure de s'opposer avec succès aux ingérences extérieures en Afrique.
C'est parce que la conscription à douze mois a été maintenue que l'esprit de défense des Français est resté aussi solide.
La poursuite de cet effort est indispensable sous peine de priver la France des moyens de maîtriser son destin et d'en faire un pays qui serait contraint de s'en remettre à d'autres pour assurer sa sécurité.
Voilà pour la continuité. Faudra-t-il apporter des infléchissements ? Je vous rappelle que c'est sous mon septennat, et en dépit de la crise économique, que deux infléchissements ont été apportés à notre politique de défense.
Le premier a consisté à mettre fin à la lente diminution de la part des dépenses militaires dans le budget et à assurer au contraire son relèvement progressif £ le second a visé à développer la capacité de nos armées d'intervenir et d'agir outre-mer.
La situation internationale est aujourd'hui plus sombre qu'elle ne l'était il y a quelques années : les menaces se situent hors d'Europe autant qu'en Europe. Ceci peut exiger un effort encore accru et de nouvelles adaptations de nos moyens. Je ne l'exclus pas et il appartiendra au gouvernement qui sera informé après le 10 mai d'en délibérer.
Une chose est sûre en tout cas, la France ne pourra se battre efficacement pour la paix que si elle sait continuer à se donner les moyens de se défendre et d'être respectée dans le monde.
Il faut donc, pour l'avenir, viser trois grands objectifs :
* continuer à assurer l'indépendance et la crédibilité de notre force de dissuasion en se dotant des moyens nécessaires en quantité et en qualité £
* poursuivre l'effort de modernisation de nos forces classiques pour être à même de répondre aux nouveaux défis £
* maintenir intacte l'entière liberté de décision que la France a recouvrée en sortant de l'organisation militaire intégrée de l'OTAN en 1966, tout en restant fidèle à l'Alliance atlantique, indispensable à l'équilibre des forces et au maintien de la paix.
- Quelles initiatives comptez-vous prendre en politique étrangère ? Là aussi y aura-t-il infléchissement ou continuité ?
J'ai toujours considéré que la diplomatie de la France devait être une diplomatie d'initiative. Cela est conforme à sa vocation, à son génie propre, à la place qu'elle occupe dans le monde.
Au cours des sept années écoulées, la France a pris un nombre considérable d'initiatives, qu'il s'agisse de l'Europe (Conseil européen, Système monétaire européen), de l'Afrique (sommets franco-africains), des rapports entre pays industrialisés et pays en voie de développement (dialogue Nord-Sud), de l'aide aux réfugiés et aux populations en détresse (conférence sur les réfugiés cambodgiens, Ouganda) ou du désarmement (conférence sur le désarmement en Europe), pour n'en citer que quelques-unes.
Il est tout à fait clair que si les Français me renouvellent leur confiance, je pendrai d'autres initiatives de ce type.
Elles s'inscriront dans une continuité, parcs qu'elles se fonderont sur les principes qui ont inspiré mon action et celle de la Ve République depuis plus de vingt ans : indépendance nationale, organisation confédérale de l'Europe, recherche de la paix, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, défense des droits de l'homme.
L'action internationale de la France devra être conduite avec une fermeté particulière.
Les événements l'exigent. Les menaces qui pèsent sur la stabilité politique et sur la situation économique du monde rendent plus que jamais indispensable une concertation internationale. Fort de la confiance renouvelée des Français, je disposerais d'une autorité qui me permettra d'agir immédiatement. Avec moi, il n'y aura pas d'éclipse prolongée de la France.
Quelles sont les initiatives que je compte prendre ? Il faudra, en premier lieu, mener à leur terme les actions déjà engagées : la recherche d'un règlement politique en Afghanistan qui assure retrait des troupes soviétiques et permette au peuple afghan de retrouver sa liberté £ la recherche d'un règlement global au Moyen-Orient qui implique, d'une part, la reconnaissance pleine et entière de l'Etat d'Israël par l'ensemble des parties concernées, reconnaissance assortie de garanties incontestables pour sa sécurité et, d'autre part, une solution fondée sur la reconnaissance des droits du peuple palestinien.
Il faudra également s'attacher à résoudre les problèmes qui se posent à l'Europe et qui conditionnent son avenir : régler définitivement le financement de la politique agricole commune dans le respect des principes communautaires £ unir les efforts de tous pour résorber le chômage et relancer l'activité économique £ organiser la confédération.
Enfin, sans parler des mesures qu'il conviendrait de prendre si des événements dramatiques survenaient, en Pologne par exemple, un certain nombre d'initiatives nouvelles seront nécessaires pour organiser, dans ce que j'ai appelé le Trilogue, la solidarité politique, la coopération économique et le dialogue des cultures entre l'Europe, l'Afrique et le monde arabe £ pour traiter à l'échelle internationale certains problèmes relevant de l'environnement et du cadre de vie qui ne peuvent trouver de solution efficace qu'à ce niveau £ pour faire face au terrorisme international et venir en aide aux réfugiés.
La France peut apporter une contribution décisive à la paix et à la sécurité mondiales. Elle en a la capacité. Je suis convaincu qu'elle en aura la volonté.
-Un Problème de majorité ne va-t-il pas se poser au lendemain du deuxième tour ?
Le propre de l'élection présidentielle est de rassembler, lors du deuxième tour, une majorité de Français décidée à soutenir un homme et, à travers lui, une politique. De ce point de vue, le problème que vous évoquez ne se pose pas.
Vous remarquerez d'ailleurs qu'il existe au Parlement une majorité dont les diverses composantes s'accordent sur l'essentiel : respect des institutions de la Ve République, choix d'une société de liberté et de responsabilité. Cette majorité a déjà eu l'occasion de manifester sa solidité et son unité en mars 1978. Elle s'est alors unie par un contrat, que le suffrage universel a ratifié.
Si je suis réélu, il est clair qu'elle se trouvera confirmée.
Vous observez que ses personnalités les plus importantes ont déjà clairement fait savoir qu'elles ses ralliaient à ma candidature.
Bien évidemment, cette majorité n'est en aucun cas limitée, fermée sur elle-même. Je suis convaincu que beaucoup de Français qui, jusqu'ici ne m'ont pas apporté leur soutien le feront le 10 mai car ils auront pris conscience que le projet de société que je présente est plus conforme à leurs aspirations que celui de mon adversaire.