23 avril 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing au Forum de Radio Monte-Carlo, Presse quotidienne régionale, Lyon, jeudi 23 avril 1981.

QUESTION (J.L. Gallini, RMC).- Monsieur Valéry Giscard d'Estaing, bonsoir, vous êtes donc le dernier invité de cette campagne des élections présidentielles de ce Forum RMC - Presse quotidienne régionale.
- C'est à notre confrère "Le Progrès" que nous devons cette manifestation. Il nous accueille ici. Trois grandes parties, comme toujours, dans ce Forum :
- - la politique intérieure,
- - les grands problèmes économiques et sociaux,
- - la politique étrangère,
- - et quelques questions, que je qualifierai de "diverses", à la fin, si nous en avons le temps.
- Monsieur Giscard d'Estaing, nous allons tout de suite entrer dans le vif du sujet, et la première question, comme de coutume, nous est posée par le confrère qui nous reçoit, le PDG du Progrès de Lyon, Jean-Charles Lignel, qui vous la pose.
- QUESTION (J.C. Lignel, "Le Progrès").- Quelques mots d'abord sur "Le Progrès" et l'accueil. Depuis plus de cinquante-deux ans au service de ses lecteurs et de l'information, "Le Progrès", avec ses 400000 exemplaires vendus, est non seulement le plus ancien des quotidiens français, mais l'un des plus importants.
- "Le Progrès" a toujours puisé sa force, voire sa résistance, dans son indépendance vis-à-vis des groupes de pression, dans sa défense des libertés et dans une grande tradition républicaine. C'est-à-dire qu'il a été l'un des rares journaux français à se battre pour Dreyfus. C'est ainsi que "Le Progrès" s'est élevé violemment contre les Accords de Munich £ c'est ainsi que "Le Progrès" s'est sabordé lorsque les Allemands sont rentrés à Lyon, début novembre 1942.
- Aujourd'hui, nous sommes honorés de recevoir, d'accueillir pour la première fois dans l'histoire du "Progrès" le Président de la République, dans cette salle mise à la disposition de Radio Monte-Carlo pour l'organisation de ce forum avec la Presse quotidienne régionale. Nous sommes heureux de recevoir nos confrères et amis qui représentent toutes les provinces françaises £ heureux aussi de recevoir notre invité, le citoyen-candidat Valéry Giscard d'Estaing.
- Il s'agit, pour nos questions, d'éclairer le débat présidentiel et de permettre à nos lecteurs et nos auditeurs de faire en confiance leur bon choix.\
QUESTION (J.C. Lignel, "Le Progrès").- Monsieur Valéry Giscard d'Estaing, voici ma question : vous dites représenter l'espoir, et vous êtes Président de la République depuis maintenant sept ans. Alors, pourquoi vous, et pourquoi maintenant ?
- LE PRESIDENT.- Je représente l'espoir. J'en étais sûr avant le début de la campagne `campagne électorale` £ j'en suis encore plus sûr à la fin de la campagne, puisque j'ai vu ce que disaient les autres candidats, et j'ai vu que leur attitude, neuf candidats sur dix, était une attitude négative, une attitude de division, une attitude parfois même de destruction. Ceux qui détruisent, ceux qui divisent, ne peuvent pas apporter l'espoir. Alors, dans votre question il y a sans doute l'arrière pensée qu'étant Président de la République depuis sept ans, quelqu'un qui est en place peut-il apporter l'espoir ?
- Je ne veux pas abuser des précédents historiques, mais nous avons eu, dans le monde, des présidents très célèbres qui ont incarné l'espoir pendant longtemps. Je citerai le cas de Franklin Roosevelt par exemple, qui a été plusieurs fois président des Etats-Unis d'Amérique et qui a représenté l'espoir pour son peuple.
- J'ai vu, dans cette campagne, finalement, qu'il apparaissait quelque chose, quelque chose de très fort, c'est que les Français, auxquels on avait caché par une campagne de critique et de dénigrement, conduite d'ailleurs depuis déjà longtemps, ont vu qu'ils avaient bien travaillé pendant sept ans, qu'ils avaient par exemple commencé à gagner leur indépendance énergétique, qu'ils avaient commencé à adapter leur industrie au monde qui vient, qu'ils étaient devenus les deuxième exportateurs agricoles du monde. Ils ont vu tout cela, et ils ont donc vu que nous avions bâti les fondations. Alors, ma très simple réponse à votre question, monsieur Lignel, est la suivante : c'est celui qui a bâti les fondations qui est qualifié pour achever la maison et qui est donc le mieux qualifié pour porter l'espoir.\
QUESTION (J. Chabridon, RMC).- Monsieur Valéry Giscard d'Estaing, que pensez-vous de la campagne de votre ancien Premier ministre, Jacques Chirac, et vous paraît-il possible, comme il le répète, qu'il arrive second, c'est-à-dire qu'il élimine François Mitterrand ?
- LE PRESIDENT.- Je ne commente jamais et je ne commenterai pas ici la campagne des autres candidats.
- QUESTION (R. Butheau, "Le Progrès").- J'enchaînerai sur la question posée par ma consoeur : si au deuxième tour vous vous retrouvez, non pas en présence de M. Mitterrand comme tout le laisserait supposer, mais en présence de M. Jacques Chirac, qu'adviendrait-il de votre majorité, si vous l'emportiez ?
- LE PRESIDENT.- Je serais tenté de vous faire la même réponse qu'à Jacqueline Chabridon .. Vous savez, la politique, pour moi, c'est une chose sérieuse. Je ne joue pas avec la politique. Il s'agit là d'un choix très important pour la France, dans une période difficile de son histoire et de l'histoire du monde, avec de grandes tensions. Je ne joue pas, et je vous dirai que je n'apprécie pas l'atmosphère de manoeuvre et d'intoxication qui a accompagné les dernières semaines de la campagne présidentielle. Ceci n'est pas dans la tradition politique française.
- Vous avez lu comme moi-même, par exemple, les commentaires très sévères qui ont été faits par la commission de contrôle des sondages sur un certain nombre de manipulations ou de présentations qu'elle a flétries. Je ne veux pas pour ma part, bien entendu, participer en quoi que ce soit à des campagnes ou à des attitudes de cette -nature. En ce qui concerne les candidats, on parle souvent de pourcentages £ moi je voudrais vous parler de chiffres en valeur absolue : il y a, à l'heure actuelle, toujours, un classement qui est le même : ce classement me place en tête, et j'en remercie les Françaises et les Français £ ce classement place toujours en second M. François Mitterrand et le candidat suivant est, avec un écart d'environ un million de voix, dans les prévisions actuelles par-rapport à M. Mitterrand. Ce candidat suivant est, vous le savez dans la généralité des cas, M. Georges Marchais. Voilà la situation politique du moment et donc il n'y a pas lieu d'imaginer des hypothèses différentes qui m'apparaissent, pour l'instant, tout à fait invraisemblables.\
QUESTION (J. Roger, "La Marseillaise").- Vous avez souvent parlé d'ouverture, y compris pendant cette campagne électorale £ en tant que Président de la République vous avez nommé M. Claude Cheysson à Bruxelles en feriez-vous un ministre, ou un Premier ministre ?
- LE PRESIDENT.- C'est une hypothèse que je n'envisage en aucune manière mais cela ne veut pas dire que ne suis pas favorable à une politique d'ouverture £ j'ai nommé également M. Robert Fabre, médiateur commun de gouvernement et il exerce actuellement une haute fonction dans les institutions de notre vie nationale puisqu'il est le médiateur, il a d'ailleurs remplacé dans cette fonction une personnalité du Sud-Est de la France puisque c'était Aimé Paquet qui était le précédent médiateur.
- Qu'appelle-t-on l'ouverture ? L'ouverture ce n'est pas la confusion, ce n'est pas l'ambiguité, c'est une attitude, et cette attitude c'est que nous devons chercher à élargir la majorité qui conduit les affaires de la France. Comment ?\
`Réponse`
- Je vous rappelle d'abord qu'il y a toujours, dans la vie politique nationale, l'ombre portée du Programme commun, Programme commun qui a été signé il y a maintenant près de neuf ans et qui a été pendant plus de six ans la proposition faite en commun par le Parti socialiste et par le Parti communiste, un programme qui a été revêtu de signatures.
- Ce Programme commun, il a disparu, il a éclaté £ mais on ne nous a jamais indiqué clairement quelle serait l'attitude au gouvernement, s'ils accédaient au pouvoir, des partis qui ont signé le Programme commun de gouvernement. Les partis qui restent engagés dans la ligne du Programme commun, même si la formule politique a changé, proposent pour la France une politique absolument contraire à celle que j'entends poursuivre, une politique qui a été rejetée par la majorité des Françaises et des Français en 1978 £ donc l'ouverture ne veut pas dire un changement de notre ligne politique à cet égard.
- Mais il y a dans la situation politique de la France une anomalie, c'est que ce qui existe ailleurs - et par exemple je pense à nos voisins de l'Allemagne fédérale `RFA`, je pense à nos voisins de la Belgique, du Luxembourg, c'est-à-dire une option social-démocrate, n'est pas proposée dans l'élection présidentielle car le candidat du Parti socialiste a été un des signataires du Programme commun, il défend, dit-il, le projet socialiste qui est très proche de l'ancien Programme commun et très éloigné de ce qu'est l'option social-démocrate. Par exemple l'option social-démocrate exclut les nationalisations, l'étatisation, le recrutement de plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires, etc ...
- Or, ces socio-démocrates qui existent en France, quelle peut être leur attitude ? Il y a d'abord leur attitude au moment du vote £ puisqu'ils rejettent la conception marxiste de la société je pense qu'ils voteront pour ceux qui représentent au contraire la politique de liberté en France £ quant à la suite de l'action à poursuivre, je souhaite que peu à peu ils apportent leur contribution à la conduite de la politique de notre pays.
- Bien entendu, je ne prétends pas être moi-même social-démocrate, je suis un libéral de progrès, je l'ai été toute ma vie, je ne changerai pas mon cap. Mais je pense que la majorité actuelle peut s'élargir à des hommes et à des femmes qui ont une inspiration moderne et généreuse dans la vie politique et qui ne se reconnaissent pas dans ce qui reste, à l'heure actuelle, du Programme commun de gouvernement.\
QUESTION (H. Guèneron, "Paris-Normandie").- Je voudrais revenir sur la situation dans la majorité non pas tant sous l'angle des candidats mais de l'électorat. Une enquête de la Fondation nationale des sciences politiques vient de révéler que les deux familles qui composent la majorité étaient sensiblement plus typées, plus différenciées qu'il y a deux ans. Partagez-vous cette impression ?
- LE PRESIDENT.- Non. Je suis celui qui a annoncé le fait qu'il y avait quatre grandes familles politiques en France. Quand je l'ai annoncé, c'était une notion nouvelle, puisque - rappelez-vous - à l'époque il y avait la croyance, on peut dire maintenant le mythe, à l'unité de candidature au-sein de la majorité. Je vous rappelle d'ailleurs qu'en 1978, certains candidats, y compris ceux qui n'apportent pas à l'heure actuelle leur soutien à l'ancien Président de la République, ont été élus comme candidats uniques de la majorité. Alors il y a dans cette majorité deux tendances £ je ne crois pas que quand on se rapproche de la vie réelle, c'est-à-dire de l'attitude des Françaises et des Français ces deux tendances se soient éloignées depuis 1978. Je ne l'ai noté nulle part. Je crois donc qu'à l'heure actuelle, le débat, qui est un débat de candidatures, ne doit pas être confondu avec la réalité de la situation électorale. Je pense pour ma part qu'il y a dans l'électorat majoritaire de puissantes notions communes et qu'il y a un puissant désir d'unité.\
QUESTION (M. Derembourg, "Le Dauphiné").- Monsieur le Président, vous avez évoqué à l'instant la notion d'ouverture à gauche, mais peut-elle être une fin en soi ? Autrement dit, si vous pratiquez cette ouverture, si vous avez promis à l'occasion d'un septennat nouveau de la pratiquer à nouveau, n'est-ce pas parce que vous pensez qu'il y a en réalité des idées intéressantes à gauche, des idées intéressantes pour la France ? Selon vous, quelles seraient ces idées intéressantes qui existent à gauche, et qui seraient bonnes pour la France ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas tellement les idées, je vous le dis tout de suite, ce sont plutôt les hommes. Les idées .. J'ai un système de pensée politique £ j'ai toujours été fidèle à mon système de pensée politique. Vous ne m'avez vu changer de religion à aucun moment de ma vie politique. Les plus anciens d'entre vous savent que depuis la première élection jusqu'à aujourd'hui, je suis resté toujours dans le même -cadre politique £ c'est ce que j'appelle la politique libérale de progrès. La social-démocratie est une autre conception que je connais, que je n'ai pas l'intention d'appliquer moi-même, je vous le dis tout de suite, mais dont je reconnais l'intérêt, la richesse dans la pensée politique contemporaine. Et ce qui se passe à l'heure actuelle, c'est qu'il y a un certain nombre d'hommes et de femmes qui ont ces idées et qui, sur certains sujets, peuvent apporter leur contribution puisqu'il y a par exemple des problèmes que nous traiterons avec nos voisins européens, des actions que nous menons de façon conjointe et qui apparaissent donc comme compatibles à la fois avec leurs convictions politiques et les nôtres. Pourquoi en France, sur certains sujets, ne pouvons-nous pas bénéficier du -concours de ces hommes et de ces femmes. L'inconvénient de la situation actuelle, c'est de rétrécir à l'excès le recrutement de ceux qui participent à la gestion ou à l'animation de la politique de la France. Et c'est pourquoi c'est plutôt en pensant aux hommes qu'aux idées que j'ai cette volonté d'ouverture.\
QUESTION (J.Cl. Vajou, RMC).- Monsieur le Président, dans cette campagne d'une manière générale, que pensez-vous des petits candidats ? Estimez-vous qu'ils sont utiles, qu'ils contribuent à la diversité et la richesse du débat politique français, ou au contraire, pensez-vous qu'ils empêchent de voter utile ?
- LE PRESIDENT.- Je ne porterai certainement pas un jugement individuel sur chacun d'entre eux. D'ailleurs, ils sont de -nature différente £ certains ont exercé de grandes responsabilités, je pense par exemple à M. Michel Debré £ d'autres, au contraire, n'ont pas de mandat électif et n'ont pas, donc, le même degré de représentation ou de participation dans notre vie nationale. Mais le fait qu'il puisse y avoir des "petits candidats" me paraît conforme à l'idée que les Français se font de leur démocratie. Et je crois qu'un mécanisme d'exclusion par la contrainte, des petits candidats serait ressenti comme la privation d'une possibilité d'expression.
- En fait notre système, il faut le comparer au seul système qui existe dans le monde pour une élection présidentielle au suffrage universel, c'est le système américain. Dans le système américain `Etats-Unis`, il y a aussi des "petits candidats", mais ils sont éliminés dans les primaires. Et donc la fonction du premier tour en France est à la fois la fonction des primaires dans le système américain et en même temps la première étape de l'élection, dans le système français. Vous notez que ces candidats, à l'heure actuelle, doivent recueillir environ 12 % des voix au total. C'est-à-dire au total moins qu'aucun des quatre "grands candidats". Comme ils recueillent aux alentours de 12 % des voix, cela veut dire que, pour les "grands candidats", la moyenne est donc de 22 %. Puisqu'au lieu d'avoir un électorat de 100, ils ont un électorat de 88, la moyenne est donc de 22 £ quand vous comparez la situation des candidats au premier tour, il faut la comparer à 22 et non pas à 25 pour voir s'ils ont plus ou moins du quart de l'électorat français.\
QUESTION (M. Cazaubon, "Echo du Centre").- Monsieur le Président, à deux reprises, ces jours derniers, vous avez déclaré qu'il était anormal qu'il y ait, en France, une option communiste. Lorsqu'on vous interroge à ce sujet, invoquez l'option concernant un régime communiste. Vous déclarez, par exemple, que vous pensez qu'il y a peu de Françaises et de Français qui choisiraient un régime communiste.
- La question que je vous pose concerne la participation de ministres communistes à un éventuel gouvernement de coalition de gauche. Entre l'option sur la participation de ministres communistes à une coalition gouvernementale et l'option concernant un régime communiste, il y a une marge. Est-ce que vous estimez que cette participation est quelque chose d'anormal, d'abominable ?
- LE PRESIDENT.- Cette question ne me concerne pas, vous dirai-je, parce que, si je suis élu Président de la République, le problème ne se posera pas. Il ne se poserait que dans une autre hypothèse. Mais je peux vous faire part de mes observations :
- Première observation : j'ai dit que c'était anormal, je n'ai pas dit que c'était illégal. Nous sommes en régime de liberté politique et, dans notre régime, quiconque respecte les lois de la République peut mener sa campagne et peut être élu. Donc il est légal pour les Français d'envisager une option communiste.
- Là où je dis que c'est anormal c'est parce que, toutes les enquêtes qui sont faites, y compris bien entendu dans l'électorat communiste, montrent qu'il n'y a, en France, qu'une très faible proportion de Françaises et Français qui voudraient vivre dans un régime communiste. Ils votent, par contre, pour des candidats communistes et ils votent donc pour d'autres raisons. Leur intention personnelle, leur volonté ne seraient pas de vivre dans un régime communiste.\
`Réponse`
- Vous me posez une autre question, celle de la présence de ministres communistes au gouvernement. Quel est le schéma qui a été annoncé par le principal candidat `François Mitterrand` de l'opposition s'il était élu Président de la République ? Il dissoud l'Assemblée nationale et il annonce des élections `législatives` pour la fin juin.
- Il est impossible, dans une telle hypothèse, de modifier la loi électorale parce que, pour modifier la loi électorale, il faut un gouvernement régulièrement investi qui dépose un projet de loi. On ne peut pas imaginer un gouvernement dit "intérimaire", c'est-à-dire sans consécration parlementaire, qui propose une modification de la loi électorale. Au surplus, l'actuelle majorité ne voterait pas une telle modification de la loi électorale.
- Donc, c'est clair : élections fin juin avec un scrutin majoritaire à deux tours. Dans ce scrutin, les candidats communistes peuvent se maintenir à la différence de l'élection présidentielle où ils ne le peuvent s'ils sont troisième. Donc les candidats socialistes se trouveront sur le terrain avec un candidat communiste venant leur dire : "moi, je me maintiens sauf si vous prenez les engagements suivants ..."
- Ces engagements seront certainement très précis. D'ailleurs les dirigeants du Parti communiste n'en font aucun mystère et on comprend bien d'ailleurs qu'ils agissent ainsi. Réfléchissons un peu à la logique de la politique à l'heure actuelle : M. Marchais, comme candidat, a progressé comme vous le savez au-cours des dernières semaines et on peut évaluer son résultat - je ne veux pas le citer à 1 % près, on pourrait commettre une erreur - de l'ordre de 18 % ou un peu davantage.
- Le résultat de M. Mitterrand est au-dessus de 20 % mais pas très éloigné de 20 %, quelques points de plus. Cela veut dire que s'il est Président de la République, il aura au premier tour, dans son électorat, près de la moitié de ses électeurs qui seront des communistes et, donc la majorité qui lui sera nécessaire ensuite pour qu'il y ait un gouvernement, les élus socialistes auront besoin d'un désistement explicite et volontaire des candidats communistes. Donc peu importe qu'il y ait ou nom des ministres, je dirai que s'il y a des ministres ce sera plus visible, mais, de toute façon, le pacte politique aura été scellé dans ces deux élections.\
`Réponse`
- Il y a un raisonnement que je voudrais écarter parce que cela fait partie de ces habiletés, de ces astuces qui ne sont pas du niveau de la grande politique française. Certains disent, cela se passera comme cela : les Français auront élu, communistes et socialistes ensemble, un Président de la République et, ensuite, ils prendront peur et, prenant peur ils enverront une majorité de sens contraire.
- On raisonne par analogie avec la situation de mai 1968 `mai 68`. Mais les situations ne sont pas du tout comparables. En mai 1968, le pouvoir était resté entre les mains du Président de la République, qui était alors le Général de Gaulle, entre les mains du Premier ministre, qui était le Président Pompidou. Ce sont eux qui ont pris les décisions essentielles qui ont fait la dissolution qui ont, ensuite, conduit la campagne. Tandis que là, on serait dans une situation, avec à la tête du gouvernement intérimaire, des hommes qui seraient issus de l'élection conjointe de l'électorat socialiste et de l'électorat communiste, qui, en quelques semaines, prendraient des mesures qui seraient naturellement calculées et conçues pour provoquer un sursaut de sympathie électorale dans les semaines suivantes, et on peut à tout moment, quand on ne se préoccupe pas de l'avenir, prendre de telles mesures. Il est toujours facile de majorer quelques avantages, de distribuer quelques promesses lorsqu'on sait qu'une élection a lieu dans quelques semaines £ si bien que nous aurions eu un vote conjoint de l'électorat communiste et socialiste aux deux tours de l'élection présidentielle £ et ensuite, au deuxième tour de l'élection législative £ cela veut dire que nous aurions en effet une majorité qui entendrait gouverner la France au nom de l'accord qui se serait établi entre les députés, les candidats socialistes et les candidats communistes, et nous serions ramenés au schéma du Programme commun, à ceci près que la France a rejeté le Programme commun en 1978 et qu'elle n'a pas l'intention de l'accepter en 1981.\
QUESTION (M. Basset, "La Nouvelle République").- Monsieur le Président, je voudrais me faire l'avocat du diable ...
- LE PRESIDENT.- où est-il ?
- QUESTION.- Supposons que vous deveniez le leader de l'opposition £ laisserez-vous les autres faire seuls leurs preuves ou demanderez-vous à être associé aux grandes décisions nationales ? En d'autres termes, la France continuera-t-elle à être coupée en deux, où y a-t-il une chance jamais pour un consensus ?
- LE PRESIDENT.- Il y a beaucoup de questions dans votre formulation et je n'ai pas aperçu l'oreille du diable .. Elle doit y être !
- La première question, c'est le rôle d'un Président de la République s'il cesse d'exercer sa fonction £ dans mon cas, bien entendu, je continuerais à faire le nécessaire pour éviter que la France ne connaisse un sort que je jugerais dangereux ou funeste pour elle. Cela va de soi.
- L'autre question, était une question sur l'unité. Vous avez vu que dans ma campagne, d'ailleurs, les Français et les Françaises l'ont très bien compris - je suis le seul dont l'élection ne pourra pas être interprétée, et ne sera d'ailleurs pas ressentie, comme étant la victoire d'une faction sur l'autre. Les autres, d'ailleurs, dans la présentation même qu'ils donnent de leur campagne, disent que s'ils sont élus, ce sera la victoire d'une faction sur une autre et, par exemple, le principal candidat de l'opposition `François Mitterrand` dit : "Ce sera la victoire du peuple de gauche" £ mais, il n'y a pas en France un peuple de gauche ! Qu'est-ce que ce peuple de gauche ? Il y a le peuple français, et ce que je souhaite, moi, c'est l'expression du peuple français sur son avenir.
- Donc, de toute façon, mon élection serait ressentie et comprise par les Français comme n'étant pas la victoire d'une faction sur une autre, même si, bien entendu, un choix politique est fait à cette occasion, et ce choix, c'est la poursuite d'une action suivant les principes de libéralisme et de progrès tels que je les ai décrits dans cette campagne.\
QUESTION (Cl. Dubromel, "Centre-Presse").- Monsieur le Président, vous avez fait de l'acharnement de M. Barre à ne pas dévier de la ligne économique dont il s'est fait le champion, le pilier de votre septennat. La crise n'est pas à son terme. Estimez-vous que la France doit rester sur la même ligne et, par voie de conséquence, êtes-vous tenté de faire appel à la même locomotive ?
- LE PRESIDENT.- J'ai déjà répondu à cette question par la formule simple qui est "Chaque chose en son temps". Vous me parlez de la ligne politique. La politique économique a été conduite au-cours des dernières années et a obtenu des résultats importants, et les résultats de cette politique sont souvent décrits de manière injuste, et en tout cas inexacte.
- Je participais à Maastricht, il y a quelques semaines, à la réunion des chefs d'Etat ou de gouvernements des dix pays d'Europe £ c'est une habitude, je suis toujours un contre neuf. Alors, à Maastricht, j'étais contre les neuf européens pour obtenir la fixation des prix agricoles. Nous avons gagné.
- Dans la campagne présidentielle, ce sont les neuf autres candidats, je vous en fais la prophétie, nous allons gagner.
- J'étais avec ces neuf autres chefs d'Etat et de gouvernement £ suivant l'usage, nous avons fait le tour de table ... chacun a dit quelle était la situation économique et sociale de son pays £ je peux vous dire qu'à l'heure actuelle, le pays de la Communauté `CEE` dont la situation est la plus favorable, par-rapport aux autres, bien entendu, c'est la France. Vous avez dû voir paraître, d'ailleurs, (vous êtes très expert en ces matières) les prévisions pour 1981 de tous les pays d'Europe, c'est pour la France que ces prévisions sont les plus favorables et ceci est largement dû au travail qui a été accompli au-cours des dernières années.\
Nous avions ce matin en Conseil des ministres une communication très intéressante et j'aurais presque voulu que ce Conseil des ministres se passât au forum de Radio Monte-Carlo et que les Français puissent l'entendre, parce que c'était le début des résultats de nos efforts. Je ne sais pas si cela a été annoncé. En ce qui concerne par exemple l'électricité : nous produisons maintenant cette année 35 % de notre électricité nationale, et nous la produisons à un prix qui est inférieur de moitiè au prix de l'électricité qui est produite par nos voisins, par exemple allemands `RFA`. Elle ne coûte qu'un tiers de ce que coûterait l'électricité produite par des centrales au fuel. Et donc, progressivement, nous allons pouvoir, par-rapport aux autres, abaisser en valeur relative nos tarifs d'électricité, notamment pour toutes les activités commerciales, artisanales, agricoles, etc. Par conséquent le travail accompli a préparé de nouveaux développements, de nouvelles perspectives pour la France. C'est pour cela que la comparaison que je fais est une comparaison très simple : ce sont les fondations et la construction. Etant donné la secousse qui s'est produite dans le monde, pour construire une nouvelle maison, il fallait construire des fondations, faute de quoi la maison se serait effondrée à la prochaine secousse, que ce soit une hausse des prix du pétrole ou tout autre événement dans le monde. Nous avons commencé à construire des fondations. Le Premier ministre, M. Barre, a eu un mérite éminent dans la construction de ces fondations. Nous allons pouvoir aborder maintenant la maison. Ce sera l'oeuvre du septennat nouveau.\
QUESTION (M. Vajou, RMC).- Seriez-vous déçu ou seriez-vous ravi si entre les deux tours M. Mitterrand refusait un face à face télévisé avec vous ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que le face à face des deux candidats placés en tête au premier tour de l'élection présidentielle est une chose naturelle, normale à laquelle personne ne peut se soustraire. Et d'ailleurs dans toutes les situations comparables un tel face à face a lieu. La question est de savoir comment il doit être organisé. Faut-il deux face à face ? L'un consacré à la politique économique et sociale, l'autre consacré à la politique extérieure, à la défense et à la situation internationale ? On peut en débattre. Mais de toutes façons, ce face à face est naturel et donc à mon avis il doit avoir lieu.\
QUESTION (J.L. Gallini, RMC).- Voilà pour les problèmes de politique intérieure, nous passons aux questions économiques. Je demande à tous nos confrères de poser des questions aussi concises que possible, et je vous demande, monsieur le Président, d'être aussi concis que possible dans vos réponses.
- QUESTION (M. Vautravers, "Le Provençal").- Vous nous avez dit, tout à l'heure, que vous aviez bâti les fondations dans le premier septennat. Comment le candidat, objectivement, juge-t-il le septennat du Président et dans le programme qu'il propose maintenant pouvez-vous rappeler les grandes lignes soit de ce qu'il propose pour confirmer les résultats acquis, soit de ce qu'il propose pour combler, le cas échéant, les carences éventuelles qu'il a constatées ?
- LE PRESIDENT.- Deux ou trois choses simples :
- Pendant le premier septennat, à l'exception d'une seule année qui est l'année 1975, nous avons toujours eu une croissance positive en France. Nous sommes le seul pays d'Europe à avoir eu ce résultat.
- Ensuite, pendant tout le septennat, malgré la crise, nous avons toujours eu une croissance du pouvoir d'achat en France alors que les autres connaissaient une diminution.
- Enfin, pendant ce septennat nous avons maintenu nos finances publiques en ordre. Nous avons le plus petit déficit des finances publiques qui existe dans les pays comparables. C'est ce que j'appellerai les fondations.
- J'ajoute : la conquête de notre indépendance énergétique lancée depuis 1975 et dont on recueille à-partir de cette année les premiers bénéfices. C'était cela les fondations.\
`Réponse`
- Maintenant, nous allons pouvoir accélérer un certain nombre de choses, notamment un effort pour l'emploi des jeunes à-partir des moyens que j'ai décrits dans mon plan avec l'objectif d'offrir à tout jeune venant sur le marché du travail un emploi ou une formation. Si nous pouvons l'affirmer, c'est parce que nous avons déjà commencé cette action et que nous connaissons actuellement tous les mécanismes de ce que nous devons développer pour le faire.
- Deuxième objectif : améliorer l'équipement des entreprises. C'est l'objet de notre emprunt franco - allemand. Ce sera l'objet également de la politique d'aide à l'épargne au-cours du prochain septennat. Troisième objectif. C'est la libération des forces productives du pays. Nous avons commencé à les libérer depuis 1978. Je vous rappelle que c'est depuis 1978 qu'il y a eu la décision la plus importante de l'histoire économique de l'après-guerre : la suppression du contrôle économique qui a concerné la fixation des prix. Nous allons poursuivre la libération des forces productives du pays en simplifiant et en réduisant les formalités et les charges sur les entreprises. Voilà les perspectives, auxquelles j'ajoute, bien entendu, la poursuite de notre effort d'indépendance énergétique.\
QUESTION (G. Ras, "Sud-Ouest").- Il y a un fait qui est curieux, une statistique publiée par l'INSEE en mars 1981 semble indiquer que, sur 1,5 ou 1,6 millions de chômeurs, de demandeurs d'emploi plus exactement recensés en France, un tiers environ, cinq à six cent mille resteraient plus de trois, quatre ou cinq mois maximum en période de chômage. En apparence, ce fait vous serait favorable. Comment se fait-il qu'en aucune circonstance ni vous, ni personne de votre entourage n'ait utilisé cet argument et ne se soit expliqué à ce sujet ?
- LE PRESIDENT.- J'ai entendu le ministre du travail `Jean Mattéoli` l'utiliser, et je n'entends pas souvent répéter les arguments qui nous sont favorables £ si je pouvais obtenir un plus large écho, notamment à la suite de ce Forum RMC, ce serait un résultat que j'apprécierais volontiers.
- Ce que vous dites est tout à fait vrai, car dans le nombre de demandeurs d'emploi, à l'heure actuelle, il y en a une forte proportion qui trouvent un emploi dans un délai relativement court, par exemple inférieur à six mois £ il y en a d'autres - ce qui est très important, ce qui n'est pas dit non plus - qui démissionnent de leur emploi. Dans une année normale, nous avons en France, à l'heure actuelle, 400000 démissions d'emplois pour prendre ensuite un autre emploi. Donc, cela montre bien que ce sont des hommes ou des femmes qui ont le désir, la volonté de retrouver un nouvel emploi.
- Je crois que, dans notre dispositif d'aide au chômage - je l'ai dit dans mon programme, je reviens sur ce point, il est très important - nous devons accentuer le caractère d'aide à la -recherche d'un emploi par-rapport à l'aide au maintien dans une situation de chômage. C'est-à-dire que le dispositif doit être fortement incitatif pour conduire à la -recherche d'un nouvel emploi. Par exemple, on peut maintenir une partie de l'aide au chômage pour ceux qui auront fait l'effort de reprendre un emploi, afin qu'ils en gardent le bénéfice pendant par exemple quelques mois dans leur nouveau travail. Car il y a, dans le système actuel, une forme d'incitation à la -recherche de l'emploi qui est sans doute insuffisante et qui est mal perçue par les travailleurs qui paient les cotisations relatives précisément à cette aide au chômage et qui se disent qu'on leur demande un effort qui n'est pas suffisamment orienté vers la prise ou la -recherche d'un nouvel emploi par les demandeurs d'emploi.\
QUESTION (J. Roger, "La Marseillaise").- Au début du Forum et encore tout de suite, vous venez de parler de l'effort vers l'indépendance énergétique de la France. Vous avez dit aussi que les Français ont bien travaillé pendant sept ans. Or, vous êtes aujourd'hui face à la France des régions. Dans la région méditerranéenne, il y a du charbon, on continue à acheter le charbon à l'étranger, et, depuis plus d'un an, toute une région, dans le Gard, demande qu'on exploite le charbon français. Le Président l'a toujours, jusqu'à maintenant refusé, le candidat prendra-t-il position ?
- LE PRESIDENT.- Le Président ou le candidat ne décide pas seul des conditions d'exploitation de tel ou tel gisement de charbon. En France, il y a les Charbonnages de France, il y a le ministère de l'industrie, le gouvernement, le Président peut donner une indication mais ce n'est pas lui qui prend de telles décisions.\
`Réponse`
- Je vous rappelle simplement deux choses :
- Il a été décidé, vous le savez, la construction d'une importante centrale électrique au charbon dans la région de Marseille. C'est à Gardanne. Et cette décision a été prise voici quelques mois précisément pour utiliser la ressource charbonnière de la Provence. Ce sera d'ailleurs une très importante centrale au point de vue de son débit énergétique, et elle sera construite à-partir d'une technologie et de matériel entièrement français.
- La question que vous posez est relative aux mines d'Alès : il y a là un problème que nous devons traiter avec beaucoup de précautions, je vous le signale, parce qu'il y a un désaccord sur la sécurité du gisement, entre le ministre de l'industrie et certains experts charbonniers. Je ne peux pas me substituer à eux. Ils considèrent qu'il y a des risques d'exploitation. Alors, je crois que nous devons parler de ce sujet avec modération. Vous connaissez l'image dangereuse du grisou dans nos exploitations charbonières. Le ministre de l'industrie `André Giraud`, ingénieur au Corps des Mines, m'en a parlé ce matin - il ne savait pas que vous me poseriez cette question - il m'a dit "nous avons la crainte qu'il y ait, malheureusement, des risques d'exploitation, et donc d'accidents très sérieux dans ce gisement", ce qui explique, à l'heure actuelle, notre attitude.
- Je souhaite simplement que ceci soit étudié avec la plus grande objectivité possible et que, s'il y a une ressource nationale exploitable sans risque nous le fassions, ce qui est fait, comme vous le savez, dans les autres grands bassins charbonniers français puisque nous allons accroître la production charbonnière de la Lorraine et que même le bassin charbonnier lorrain va recruter des mineurs dans les années à venir, alors qu'il avait interrompu depuis longtemps tout recrutement.\
QUESTION (M. Basset, "Nouvelle République").- Les cadres ont fourni un très gros effort pour la solidarité dans les dix dernières années, pour les personnes âgées, pour les chômeurs, la Sécurité sociale, etc .. Maintenant il y a encore de gros efforts à faire £ est-ce que ce sera toujours aux mêmes que vous vous adresserez ? Continueront-ils à être sollicités d'une façon aussi importante et n'avez-vous rien prévu en échange, par exemple dans l'entreprise ?
- LE PRESIDENT.- Les cadres ..., il faut élargir, c'est-à-dire les cadres moyens, les employés, les agents de maîtrise, les ouvriers qualifiés et professionnels £ cette catégorie qui représente le centre du monde du travail et de la production en France a eu le sentiment d'être négligée parce que les actions de corrections des inégalités en France se faisaient aux deux extrémités de l'éventail : il y avait d'une-part un effort pour faire progresser plus vite les basses rémunérations ce qui a été fait (comme vous le savez le SMIC a progressé plus vite que le salaire ouvrier moyen, le salaire ouvrier moyen a progressé plus vite que la moyenne des rémunérations) en sens inverse il y avait, sur les hauts revenus, des prélèvements fiscaux pour réduire les écarts excessifs.
- Donc il n'y a pas eu du tout de politique pour surcharger cette catégorie moyenne mais elle a eu le sentiment que ce qui était fait ne comportait pas d'avantages particuliers pour elle, ou de prise en considération de sa situation propre.\
`Réponse`
- Ma réponse est la suivante : d'abord noous poursuivrons l'effort d'élargissement des tranches du barème £ j'ai indiqué que cette année, en-raison de la hausse des prix, cet élargissement devrait être supérieur à 10 %, c'est-à-dire supérieur, je le dis en passant, au programme du Président Reagan puisque le programme, annoncé à son de trompes, du Président Reagan c'est l'élargissement des tranches du barème et il propose 10 % par an. Nous irons plus loin et je vous rappelle que le taux d'inflation aux Etats-Unis est égal ou supérieur au taux d'inflation en France, donc ils auraient autant de motifs de le faire que nous.
- En second lieu je crois que les tranches de notre barème de l'impôt sur le revenu sont trop serrées dans cette catégorie, je dirai la catégorie moyenne ou au-dessous de la moyenne, par-rapport à ce qu'il y a dans les pays comparables et que donc nous devrions - mais c'est un effort sur plusieurs années - tenter d'élargir ces tranches où se trouvent les catégories que vous décrivez, cadres moyens, agents d'encadrement, employés, etc .. Il faudrait, tous les ans, essayer de desserrer cette partie de notre barème.
- Et puis, il faut mettre fin, ou en tout cas réexaminer, certains dispositifs qui font que ces catégories moyennes se sentent exclues de certains avantages de notre législation sociale, je l'ai dit d'ailleurs à la télévision £ ce sont les plafonds de ressources qui limitent par exemple le versement de certaines prestations sociales, ou l'accès à certaines facilités en-matière d'aide au logement, ou d'accession à la propriété, ce qui fait que ces catégories ont le sentiment qu'elles ne bénéficient pas de notre système social de droit commun.
- Je proposerai qu'il y ait une concertation avec ces catégories d'ici la fin de 1981, pour revoir, c'est-à-dire élever dans certains cas, supprimer dans d'autres, ces plafonds ou ces limites.\
QUESTION (G. Cazaubon, "L'Echo du Centre").- Monsieur le Président, pourquoi pensez-vous qu'il est absurde de tout prendre au-delà de 40000 francs par mois ?
- LE PRESIDENT.- Parce que toute règle formelle ou systématique va contre des situations qui doivent être considérées une par une. Je suis partisan que dans la société française l'effort, la créativité puissent avoir leur récompense et on ne peut pas la chiffrer a priori. Pourquoi voulez-vous dire qu'un inventaire qui fera bénéficier la société française d'une puissante transformation ne devra pas en conserver pour lui une part significative ? Pourquoi ne pas considérer qu'un de ces grands chirurgiens qui ont porté le niveau de la médecine française au premier rang dans le monde, s'il est en effet un des plus célèbres du monde ne peut pas gagner autant que ses collègues dans les autres pays ?
- Il ne faut pas comparer simplement à l'intérieur de la société française, il faut voir à l'extérieur £ il y a des pays qui ont pratiqué ce genre de politique £ que s'est-il passé ? Leurs élites intellectuelles et scientifiques sont parties, elles ont franchi l'Atlantique parce qu'il n'y existe pas de limites de ce genre.
- Voulez-vous que les meilleurs savants français, que les meilleurs chirurgiens français quittent notre pays parce qu'ils y auraient une situation trop différente de celles qu'ils auraient ailleurs ?
- Donc je suis partisan d'écarter ce que j'appelle les inégalités excessives, c'est-à-dire celles qui ne sont pas fondées sur la capacité ou le mérite personnel, ou celles qui ont une ampleur qui est excessive par-rapport à notre -état social, c'est-à-dire l'-état général d'organisation de notre société.
- Mais on ne peut pas fixer une limite absolue parce que le résultat, c'est que les cas exceptionnels se traduiront par le départ des plus grands talents ou des plus grandes capacités de notre pays vers d'autres.\
QUESTION (J.L. Gallini, RMC).- Monsieur Giscard d'Estaing, il y a beaucoup de rapatriés dans la zone d'écoute de RMC et dans la zone de diffusion de nos confrères ici présents. Vous affirmez, votre ministre chargé des rapatriés affirme, les concernant, que toutes les promesses ont été tenues. Ce n'est pas l'avis d'au moins deux de vos concurrents et notamment de votre ancien Premier ministre `Jacques Chirac`.
- Alors qui dit la vérité et que reste-t-il à faire pour les rapatriés ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez parfaitement que c'est moi qui dis la vérité £ vous le savez parfaitement £ et les rapatriés le savent.
- Les rapatriés, je fais appel chez eux à un sentiment très simple qui est le sentiment de la mémoire £ parce que s'ils sont rapatriés, c'est qu'il leur est arrivé quelque chose et ce quelque chose, ils s'en souviennent. Quand on a la mémoire, on doit avoir la fidélité.
- Et c'est pourquoi je suis scandalisé par les prises de position d'organisations qui d'ailleurs ne représentent personne mais dont on reproduit complaisamment les déclarations et qui prétendent représenter la communauté nationale des rapatriés. A ceux-ci je dis : "la première loi d'amnistie, c'est moi qui l'ai fait voter". Chaque fois que l'on ma signalé un cas concernant une amnistie qui n'était pas réglée par la loi, je l'ai fait résoudre dans des conditions d'humanité et de justice. La première loi d'indemnisation date de 1978. Elle ne m'a pas été proposée avant. Cette loi a entraîné, vous le savez, le versement de 11 milliards de francs d'indemnités, à l'heure actuelle, aux rapatriés. Et l'effort n'est pas achevé parce qu'il y a encore bien entendu des dossiers en-cours d'instruction.
- C'est moi qui ai accueilli pour la première fois à l'Elysée les Français qui ont été meurtris par les événements d'Algérie et qui en étaient tenus à l'écart. Et je vous rappelle les manifestations honteuses et les réactions au moment de l'inauguration du monument du Souvenir à Toulon, l'été dernier. Alors que l'on ne vienne pas se découvrir tout à coup je ne sais quelle sensibilité ou générosité vis à vis d'une catégorie de Français que j'ai trouvés, lorsque j'ai été élu, en désarroi et dans l'amertume. Ce qui fait que je sais d'ailleurs parfaitement que la très large majorité des rapatriés adoptera une attitude conforme à sa mémoire et à sa fidélité.\
`Réponse`
- J'ai indiqué à Montpellier et Aix-en-Provence ce que nous allons continuer à faire pour nos frères rapatriés :
- D'abord permettre la mobilisation des titres de ceux qui en ont besoin, des titres d'indemnisation qui figuraient dans le projet de budget de l'année prochaine : c'est-à-dire celui qui sera discuté à l'automne.
- Deuxièmement, réexaminer la question du maintien du pouvoir d'achat, des titres d'indemnisation, puisque nous avons connu une période d'inflation forte £ comment protéger leur pouvoir d'achat. Et enfin achèvement des opérations d'indemnisation d'ici la fin du présent exercice.
- Ultérieurement, à-partir de nos ressources, réexamen de certaines situations particulières, notamment les déposédés de Tunisie, du Maroc et du Sahara, pour lesquels les conditions d'indemnisation n'ont pas été comparables. Je vous rappelle que d'ici la fin de 1981, le problème de l'égalité des retraites sera assuré pour tous les retraités et en concertation avec les associations représentatives. Je vous rappelle enfin que je poursuivrai l'effort en faveur des Français musulmans que j'ai trouvés, à mon élection à la Présidence de la République, dans des conditions scandaleuses, vivant dans des hameaux forestiers ou des cités qui nous rappelaient, hélas, les plus mauvais souvenirs.
- Lorsque j'ai été élu, c'était en 1974, ils étaient en France depuis déjà une dizaine d'année. Et donc, je n'entends pas, dans ce domaine, que qui que ce soit me donne des leçons.\
`Réponse`
- Dernière proposition : je crois que les rapatriés ont besoin de pouvoir faire connaître leurs problèmes par des représentants qualifiés et au-sein d'un organisme qualifié et non pas ces sortes d'organisations dont je vous parlais tout à l'heure et qui, je vous le rappelle, ne les représentent pas - je le sais parfaitement - mais représentent leurs signataires, et encore ... lorsqu'ils sont d'accord entre eux !
- C'est pourquoi je proposerai la création d'un Conseil supérieur des rapatriés, avec une procédure de désignation qui tienne compte des différentes catégories de rapatriés, qui respecte les règles démocratiques et ce Conseil supérieur sera placé auprès du premier ministre pour veiller à la mise en oeuvre des mesures dont j'ai parlé tout à l'heure.
- Je rappelle aux rapatriés : mémoire et fidélité.\
QUESTION (M. Vautravers, "Le Provençal").- Nous venons de parler d'un certain nombre de problèmes à incidence financière. Il y a un problème factures à payer. Outre le recours à l'emprunt, dont nous avons connu l'expérience ou peut-être la mobilisation supplémentaire de l'épargne, envisagez-vous des modifications de la fiscalité ?
- Vous venez d'en parler sur le côté positif à l'égard du contribuable. A la limite, pour faire payer tout le monde, envisagez-vous l'accroissement de la charge pour les autres catégories, de certains impôts qui sont parfois contestés comme la taxe professionnelle ou également la création d'impôts nouveaux, par exemple sur la fortune ?
- LE PRESIDENT.- Non, ma réponse est non. Nous avons un système fiscal qui est lourd, je ne propose pas de l'alourdir. Je propose, au contraire de le maintenir et, progressivement, si nous le pouvons d'alléger le poids des charges qui pèsent sur l'économie française. Nous avons réussi à le faire au-cours des dernières années grâce-à notre politique de grande sagesse financière.
- Vous savez que nous avons le déficit le plus faible d'Europe, je le disais tout à l'heure. Nous maintiendrons notre déficit autour de 2 % du revenu français, de façon à être toujours maître de notre situation des finances publiques, ce qui nous donne une marge de manoeuvre pour agir lorsque cela est nécessaire.\
`Réponse`
- Je suis contre l'augmentation du taux de la taxe à la valeur ajoutée `TVA`, une telle augmentation pénaliserait, ce n'est pas compliqué, les commerçants, les artisans et les agriculteurs. Dans une situation comme la nôtre, où il y a maintien du pouvoir d'achat, l'augmentation d'un impôt sur la consommmation frapperait le revenu des producteurs. Il faut que les producteurs le sachent, je suis favorable à la réforme de la taxe professionnelle. D'ailleurs, je n'avais pas proposé un tel impôt lorsque j'étais ministre des finances, je ne l'ai jamais proposé.
- Il a été proposé et voté en 1975 et, depuis, on s'est efforcé de le corriger. Vous n'avez qu'à demander à l'actuel Premier ministre le nombre de débats qui se sont efforcés de corriger, c'est évident, cette taxe professionnelle qui, je le rapelle, est un impôt local.
- A l'heure actuelle, il y a une commission parlementaire qui a proposé un nouveau système et qui a demandé qu'il y ait de nombreuses expériences pour éviter les erreurs de la première taxe professionnelle.
- Aussitôt que cette commission le souhaitera, nous ferons inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la discussion et le vote de la réforme de cette taxe professionnelle suivant les propositions de cette commission.\
`Réponse`
- Voilà, si vous voulez, mon schéma en-matière de fiscalité. Je suis contre la création d'un impôt sur la fortune pour la raison suivante :
- Un impôt sur la fortune suppose la déclaration annuelle, il suppose donc le contrôle annuel. Pour être productif, il doit s'appliquer non seulement à quelques privilégiés mais, bien entendu, aux classes moyennes françaises, autrement son rendement est insignifiant.
- Nous avons, à l'heure actuelle, un appareil administratif et fiscal suffisamment lourd pour ne pas demander à nos compatriotes le recensement individuel tous les ans de leur patrimoine, l'évaluation de ce patrimoine et ensuite son contrôle annuel. Donc je ne suis pas favorable à un tel régime d'imposition.\
QUESTION (P. Meutey, RMC).- Monsieur le Président, s'il vous plait, vous avez évoqué une aide à l'épargne au-cours du premier septennat, pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit ? Vous avez évoqué l'emprunt franco - allemand, emprunt qui se traduit par un rapprochement entre la France et l'Allemagne `RFA`, qui est assez mal vu de certains autres membres du Marché commun. Ne traduit-il pas ou ne laisse-t-il pas présager une politique nouvelle à l'égard des Anglais ? Bien sûr quelles seraient les modalités pratiques, la date de lancement ?
- QUESTION (J.L. Gallini, RMC).- Nous abordons là la politique étrangère.
- LE PRESIDENT.- C'est une question technique, trop technique pour les auditeurs de radio.
- Nous poursuivons l'aide à l'épargne suivant des modalités qui doivent être examinées. Puis, nous avons à l'heure actuelle un mécanisme Monory `loi Monory`, est-ce sous cette forme ? Est-ce par une combinaison de mécanismes et un allégement de la taxation des revenus distribués ? Quelle est, à-partir de l'épargne, la bonne combinaison ? Je crois que c'est au niveau du gouvernement d'en délibérer avec comme objectif le maintien d'un dispositif fiscal d'aide à l'épargne dont l'application sera précisée.
- De l'emprunt, j'en ai parlé ce matin au Premier ministre `Raymond Barre` : c'est au début de la semaine prochaine qu'on va mettre sur pied tout le dispositif. L'emprunt sera lancé par le Crédit national. Ces fonds seront utilisés par le Crédit national pour les grandes entreprises, par le Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises pour les petites entreprises. Ces prêts seront bonifiés à un taux plus avantageux que les bonifications actuellement existantes.
- Cet emprunt, nous l'avons lancé parallèlement avec l'Allemagne fédérale `RFA` pour donner une indication sur-le-plan international, pour montrer que les deux principales puissances économiques d'Europe, face à la situation que l'on observe, qui est un fléchissement de l'activité, voulaient, en même temps, apporter un encouragement à l'équipement des entreprises pour qu'elles soient bien placées dans la concurrence et pour qu'elles puissent créer de nouveaux emplois. C'est pourquoi nous avons l'intention de mettre rapidement en oeuvre ce dispositif.\
QUESTION (A. Pinto, "La Montagne").- Monsieur le Président, vous nous rappeliez dans une récente interview que vous avez bien voulu nous accorder, comment et pourquoi un nouveau septennat VGE serait aussi un septennat nouveau. Dans cette perspective, avez-vous l'intention, si vous êtes réélu, de renouveler, ou plutôt exactement d'infléchir, la politique extérieure de la France, dont il faut bien dire que vous avez hérité vous-même en 1974 et qui, semble-t-il, n'a pas toujours été jugée totalement conforme à certaines traditions ou du moins certaines sensibilités de la France et de l'Occident ?
- LE PRESIDENT.- Quand on parle de politique étrangère, il faut toujours se dire qu'une politique étrangère c'est fait pour un certain -état du monde, pour une certaine situation du monde. Il y a une sorte de querelle théologique en France qui ne s'applique pas, à mon avis, à la politique étrangère, car il faut prendre la situation telle qu'elle est.
- Je prends un exemple que chacun peut avoir à l'esprit : j'ai eu pendant 4 ans, en face de moi, des Etats-Unis faibles £ nous allons avoir pendant 4 ans, des Etats-Unis sans doute forts £ les attitudes et les conséquences à en tirer ne sont pas évidemment les mêmes. La situation de la Pologne n'existait pas il y a deux ans £ elle existe aujourd'hui £ la guerre entre l'Iran et l'Irak n'existait pas il y a 3 ans, elle existe aujourd'hui, et ainsi de suite. Il ne faut donc pas avoir une conception théologique de la politique extérieure. C'est les querelles de Byzance sur la question de savoir si les prêtres doivent ou non porter la barbe ! Ce n'est pas ainsi qu'on conduit une politique étrangère.\
`Réponse`
- Moi, je défends les intérêts de la France £ je les ai défendus avec l'approbation massive de l'opinion française - il n'y a que les candidats qui se trompent à cet égard - car ils ont vu d'une-part que j'avais fait prendre à la France une position de force. Je ne veux pas entrer dans les détails, c'est technique, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'à-partir des années 1984 - 85, notre force nucléaire va connaître un développement considérable et nous serons donc dans une position de force comme nous ne l'avons jamais été £ en même temps, j'ai poursuivi une politique de dialogue pour la paix, qui est dans la grande tradition française. Les grands hommes d'Etat français se sont illustrés dans leurs efforts de recherche de la paix. Et d'ailleurs, s'il fallait résumer par un slogan ce que je ressens profondément de l'histoire de la France depuis 100 ans, c'est que si nous avions donné la paix à la France, les Français auraient fait le reste £ c'est parce qu'ils ont eu les épreuves de 3 guerres successives, avec des pertes matérielles et humaines, que la France a pris du retard sur les autres pays du monde.
- Donc, j'entends bien maintenir mon effort pour la paix, si bien que les actes de ma politique sont les suivants :
- - Sécurité dans l'indépendance pour la France,
- - Contribution active au dialogue pour la paix,
- - Maintien bien entendu de nos alliances et respect des obligations de nos alliances,
- - Poursuite de l'organisation de l'Europe.\
QUESTION (J.L. Gallini, RMC).- Je souhaite revenir deux secondes sur l'Europe, certains de vos concurrents affirment qu'elle est vraiment à bout de soffle et qu'il faudrait revenir soit à une situation de protectionnisme pour la France, soit tout renégocier, et quoi. Est-il possible de redonner un second souffle à l'Europe ?
- LE PRESIDENT.- Quand on parle d'un grand sujet, il faut être réaliste et sérieux. Je vous rappelle que la Grande-Bretagne est entrée dans l'Europe avant que je sois élu Président de la République, et ce n'est donc pas mon oeuvre. Quand je suis arrivé, la Grande-Bretagne était dans l'Europe £ les problèmes, je les ai donc trouvés à mon arrivée.
- Ensuite, il faut savoir qu'une renégociation dans l'-état d'esprit de nos partenaires, nous amènerait certainement à une situation plus défavorable du point de vue de nos intérêts agricoles. Vous savez que l'objectif de nos partenaires c'est d'obtenir la renégociation de la politique agricole commune £ le jour où nous l'acceptons, ce jour-là, nous sacrifions les intérêts de nos agriculteurs : je préviens les agriculteurs français et les agriculteurs de Rhône - Alpes.
- Il y a par contre le problème du fonctionnement de la Communauté telle qu'elle existe à l'heure actuelle. Il n'y a pas de doute que ce fonctionnement doit être amélioré. Comment ? Ce sera l'objet d'une négociation que nous allons poursuivre avec nos partenaires. Il y a plusieurs formules, et une formule par exemple qui consiste à négocier une politique nouvelle qu'avec ceux qui sont décidés à y contribuer et à en accepter les aspects positifs et les charges. C'est ce que nous avons fait avec le système monétaire européen `SME`. Nous l'avons fait avec ceux qui voulaient faire fonctionner ce système. Et je vous rappelle que plusieurs de mes concurrents dans cette élection présidentielle ont annoncé, lorsque nous avons fait le système monétaire européen, que nous en sortirions. Retrouvez leurs écrits.
- Or, nous n'en sommes pas sortis. Nous avons au contraire maintenu vivant le système monétaire européen et c'est ce qui nous a permis en-particulier de faire disparaître les montants compensatoires monétaires qui nuisaient à notre agriculture. Donc je vous dis ceci : les problèmes de l'Europe dûs à la Grande-Bretagne, je les ai trouvés en arrivant.
- Deuxièmement, la renégociation se ferait sur le dos de l'agriculture française parce que c'est la volonté unanime de nos partenaires de remettre en cause ces acquis.
- Troisièmement, nous devons rechercher des formules nouvelles pour poursuivre dans des conditions réalistes l'organisation de l'Europe.\
QUESTION (J.C. Verots, "Nice Matin").- Monsieur le Président, vous venez de dire qu'en 1984 - 1985, les forces nucléaires connaîtraient des développements considérables. Pouvez-vous nous développer un peu ce point. Est-ce que cela concerne notamment les sous-marins lanceurs d'engins `SNA` ?
- LE PRESIDENT.- Lorsque je suis arrivé, il y avait déjà un premier programme en-cours (c'est vraiment très technique donc je simplifie.
- Nous avons à Toulon des sous-mariniers et donc nous avons les spécialistes de ces problèmes).
- Lorsque je suis arrivé, il y avait un premier type de fusée qui était le type de fusée d'origine qui est en cours de modernisation. Cette modernisation était déjà décidée et ce sont ces nouvelles fusées qui équipent nos sous-marins. Ce sont des fusées à une seule tête et à charge très lourde c'est-à-dire mégatonique.
- La décision que nous avons prise, c'est d'utiliser les technologies les plus modernes, c'est-à-dire les fusées à plusieurs têtes. Ce sont les fusées à plusieurs têtes que nous appelons M 4, qui vont entrer en service à-partir des années 85 `1985` et qui vont donc multiplier par un chiffre important la puissance d'impact de nos fusées puisque, lorsque elle sont lancées, elles éclatent en plusieurs morceau et chaque tête a une trajectoire indépendante. Les premiers sous-marins vont être équipés de ces nouvelles fusées à-partir de 1985.
- D'autre-part, nous mettons en chantier une nouvelle génération de sous-marins parce que, là aussi, il faut parler de choses en les connaissant et avec sérieux. Le problème pour les sous-marins, c'est le problème de la détection et les sous-marins que nous avons à l'heure actuelle ont été conçus il y a maintenant près d'une vingtaine d'années. Ils ont donc à certains égards des caractéristiques vulnérables. Ils ne sont pas très bruyants mais ils ne sont pas complètement insonores.
- Nous devons préparer une nouvelle génération de sous-marins pour les années 1990 - 2000, qui soient beaucoup mieux protégés du point de vue de la détection. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé que les prochains sous-marins à construire appartiendraient à la génération nouvelle.\
QUESTION (M. Fabre, "L'indépendant").- La campagne électorale a permis au candidat Valéry Giscard d'Estaing de rencontrer, en quelques semaines, cette France profonde dont il a été 7 années durant, le Président. En ce printemps 1981, les difficultés, les préoccupations et les espoirs des Français vous paraissent-ils être les mêmes dans toutes les régions : en Bretagne comme en Alsace, dans le Nord comme dans le Midi. Autrement dit la France qui s'apprête à voter est-elle homogène ?
- LE PRESIDENT.- Il y a des problèmes régionaux sérieux et importants et je pourrais, en effet, en faire le tour. J'ai trouvé, dans le Nord, en Lorraine, dans le Sud-Ouest et ici, des situations régionales différentes, des préoccupations et d'ailleurs certaines se sont exprimées autour de cette table. Mais je voudrais vous parler de la France dans son ensemble, la France que j'ai vue en 1981, comme je l'avais vue en 1974, a changé.
- Elle a changé et ses caractéristiques me paraissent être ceci :
- Toout d'abord, elle est beaucoup plus réfléchie, c'est la campagne électorale la plus réfléchie à laquelle je participe. On sent une opinion qui voudrait surtout ne pas se tromper sur son choix et qui, donc, écoute avec beaucoup d'attention les arguments qu'on lui donne.
- Deuxième élément : la France a rajeuni. Bien entendu, la proportion de personnes âgées a continué de s'accroître. Mais, dans le comportement de la France, dans l'attitude générale, c'est un pays plus jeune, c'est-à-dire un pays plus ouvert sur des solutions ou sur des perspectives d'avenir et c'est un pays dans lequel je sens une profonde aspiration à l'unité, ce qui a du mal à s'exprimer parce qu'elle est recouverte par toutes les divisions de notre vie politique.\
QUESTION (G. Bas, "Sud-Ouest").- Je voudrais vous ramener à une France un peu plus souterraine. En 1974 vous avez été, je crois, pris à défaut sur un point : vous ne saviez pas quel était le prix du ticket du métro. Est-ce que, en 1981, vous êtes plus complètement documenté sur ce sujet ?
- LE PRESIDENT.- Je dois vous dire que le prix du ticket de métro est de 3 frs quand vous l'achetez isolément et de 1,75 frs quand vous l'achetez par carnet de dix. Si je peux vous donner un conseil, achetez-les par carnets de dix !\
QUESTION (J.C. Verots, "Nice-Matin").- Monsieur le Président, parmi vos vingt prédécesseurs depuis la IIème République, trois seulement ont fait deux mandats : Jules Grévy, Albert Lebrun et le Général de Gaulle. Vous êtes donc le quatrième à demander un second mandat. Mais aucun des trois premiers, pour des raisons très différentes, n'a mené son deuxième septennat à son terme, ces septennats se sont toujours effondrés, soit dans le scandale, etc... Est-ce que ces précédents vous préoccupent ?
- LE PRESIDENT.- Non, pas du tout. D'abord, je suis beaucoup plus jeune qu'eux, les trois que vous citez ont été élus Président de la République à un âge beaucoup plus avancé que le mien.
- D'autre-part il y a eu la guerre, pour le Président Lebrun vous parliez tout à l'heure de mon effort pour maintenir la paix. Je vous dirai qu'il est toujours exaltant de faire quelque chose qui soit précisément nouveau, quelque chose que personne n'a fait avant vous. Et donc, mon septennat nouveau aura cette caractéristique d'être le premier dans l'histoire de la République française à aller effectivement jusqu'à son terme.\
QUESTION (S. Rivet, "Le Bien Public").- Dans la préface de votre livre "L'Etat de la France", vous décrivez à un moment, avec une pointe d'émotion, le geste discret d'un Toulousain qui soulève un instant sa casquette sur votre passage. Si cet homme, aujourd'hui, pouvait vous entendre, que lui diriez-vous pour faciliter son choix et l'aider à voir plus clair à travers l'abondance du débat politique de cette campagne électorale ?
- LE PRESIDENT.- En effet, c'était un très joli geste, c'était d'abord, je l'ai décrit dans mon livre, dans un très joli décor, ce bord du Canal du Midi £ c'était tôt le matin, il y avait une très jolie lumière, et je voyais ce vieil homme, qui était de l'autre côté du Canal, qui me faisait un geste, en pensant que je ne le voyais pas. C'était cela qui était un très joli geste... Je voulais l'en remercier, et je voulais surtout lui dire : "merci de m'avoir si bien compris", parce que s'il avait ce geste, c'est qu'il avait perçu, certainement, ce que je m'efforçais de faire pour la France, et donc, à sa manière très discrète, il entendait rendre hommage.
- Ce que je voudrais lui dire aujourd'hui, c'est "aidez-moi à continuer, à faire la même chose pour la France". Vous voyez les forces de la division au travail, vous voyez les forces négatives qui cherchent à flatter et à tromper les Français £ vous qui avez compris ce que j'ai fait pendant sept ans, aidez-moi à continuer à le faire".\
QUESTION (J.L. Gallini, "RMC").- Un petit peu dans le même ordre d'idées, monsieur le Président, vous vous présentez comme le candidat de l'espoir et de l'espérance. L'espoir et l'espérance, en général, quand on a dix-huit ou vingt ans on en est plein £ et, par les temps qui courent, ce n'est pas forcément vrai. Alors, si un garçon ou une fille de dix-huit ou vingt ans venait vous trouver en vous disant : "conseillez moi, donnez moi un conseil", que diriez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Je lui dirais "la France a besoin de vous", parce que nous ne pouvons en faire un pays moderne, nous ne pouvons en faire un pays qui rejoindra les pays les plus avancés du monde. Vous savez ce que je propose, je ne veux pas le répéter : Que nous rejoignions le peloton des pays les plus avancés du monde, c'est-à-dire les Etats-Unis, le Japon et la France. Et qu'on sache ce que la France est, à l'égard des pays les plus avancés. Qui va le faire ? Eh bien, ce sont les Françaises et les Français, et, naturellement les plus jeunes d'entre eux.
- J'observe, dans cette campagne `campagne électorale`, qu'il y a un courant de progrè s, un élan dans la jeunesse française, et que, parmi les plus jeunes Français, il y a une grande vitalité et d'ailleurs ils me l'apportent tout au long de cette campagne. Et puisque vous m'en donnez l'occasion je les remercie, et je souhaite qu'ils fassent bénéficier la France précisément de leurs capacités et de leur ardeur.\
QUESTION (R. Scotto, "Midi Libre").- Permettez-moi, monsieur Giscard d'Estaing, de vous poser une question à propos de la presse. La presse française et régionale voit ses charges s'accroître plus que ses ressources depuis quelques années, et au moment même où l'Etat remet en cause son régime fiscal et les tarifs postaux, au moment où se développe la télématique, ne croyez-vous pas que si l'on persévérait dans cette voie la presse, qui est un élément de réflexion pour l'individu mais également un moteur du débat démocratique en France, ne pourrait plus remplir librement sa mission ?
- LE PRESIDENT.- J'observe d'abord que des titres se sont créés dans la presse, récemment, en France, et notamment à Paris £ ce sont d'ailleurs des titres d'opposition, ce qui montre bien la liberté de la presse.
- Il existe en effet des problèmes économiques de la presse et la presse souffre, comme les autres activités, des conditions économiques actuelles. Quant à sa situation fiscale je vous rappelle qu'au contraire on a adopté le régime de la TVA au taux réduit, en accord avec les dirigeants de presse £ il y avait longtemps que je l'avais proposé, ils l'avaient refusé, ils ont fini par accepter, ils ont vu que c'était sans doute le meilleur régime fiscal pour la presse. Il faut faire attention, naturellement, à éviter l'accroissement des charges pesant sur la presse écrite £ j'ai donné beaucoup d'importance, dans ma campagne `campagne électorale`, à la presse écrite parce que je crois que dans le siècle de l'image nous devons avoir un dialogue entre l'image, c'est-à-dire l'instant et l'écriture, c'est-à-dire la réflexion.
- Vous posez le problème de la télématique £ il faut savoir qu'il n'y a pas du tout contradiction de vocation et d'intérêts entre la presse écrite et la télématique, et qu'au contraire la télématique peut être l'occasion d'une modernisation, ou d'une utilisation de ces moyens par la presse écrite.
- Vous savez que deux représentants de la presse régionale participent à une commission d'étude des problèmes de la télématique dont l'un, d'ailleurs, appartient, monsieur Scotto, à votre journal £ je souhaite alors qu'on n'a pas réussi à faire l'entente, en France, entre la télévision et la presse (entente qui s'est faite dans d'autres pays) qu'on réussise à trouver une entente, une coopération entre la télématique, qui est manifestement une technique d'avenir qui sera donc utilisée, et la presse £ des formules peuvent être trouvées à cet égard, en tout cas c'est dans cet esprit que le gouvernement travaillera.\
QUESTION (J. Chabridon, "RMC").- Vous avez déclaré monsieur le Président, que vous aviez un secret avec les femmes, que vous feriez connaître prochainement. Alors puis-je, pour une fois, tirer avantage de ma condition et espérer de votre part, et aujourd'hui, cette révélation ?
- LE PRESIDENT.- Le propre des secrets, c'est qu'on ne les dit pas ! J'ai dit en effet que j'avais un secret avec les Françaises, j'y pense d'ailleurs depuis longtemps et je le dirai le moment venu £ mais jusque-là, vous me permettrez de garder ce secret, avec elles et avec vous.\