16 décembre 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing à l'occasion du colloque "Vivre au présent" organisé par la Fédération nationale des clubs ruraux des personnes âgées, Nogent-sur-Marne, mardi 16 décembre 1980

Monsieur le maire,
- monsieur le ministre,
- messieurs les parlementaires,
- messieurs les secrétaires d'Etat,
- monsieur le président,
- mesdames, messieurs,
- Je suis heureux de venir participer, en compagnie de Mme GISCARD D'ESTAING, à la journée organisée par la Fédération nationale des clubs ruraux de personnes âgées dont le Président PIERCY nous a rappelé à l'instant, avec une légitime fierté, le rôle considérable.
- Je suis heureux de le faire en venant pour la première fois dans ce pavillon de Baltard, sauvé comme vous le savez de la destruction et unique exemplaire qui est désormais conservé en France. Ceci est dû à l'action de mon prodécesseur, le Président POMPIDOU, qui avait souhaité qu'un deces bâtiments puisse être conservé. C'est aussi le résultat de l'action du député-maire de Nogent, M. NUNGESSER, qui a transporté, accueilli et même d'ailleurs situé sur une colline ce bâtiment qui était habitué à la plaine des Halles. Il a complètement atteint les objectifs de l'Année du patrimoine qui consistent à la fois à sauver et à faire vivre. Sauver puisque le bâtiment est là. Faire vivre au présent puisqu'il sert à des réunions et à des colloques, comme celui qu'organise votre fédération. On y sent battre, avez-vous dit M. NUNGESSER, le coeur de Paris, le coeur de Nogent et le coeur de la France. Je souhaite aussi que l'esprit y souffle.\
En intitulant votre colloque "Vivre au présent" vous avez indiqué, monsieur le président de la Fédération des clubs ruraux, le sens profond de l'action de votre organisation qui répond au souhait manifesté par les personnes âgées.
- Lespersonnes âgées veulent être présentes dans la communauté française. Elles veulent y occuper leur juste place. Et c'est bien leur droit.
- Lorsque nous regardons l'histoire des dernières décennies, au-cours desquelles les personnes aujourd'hui âgées ont joué un rôle essentiel, nous voyons que la France a traversé des épreuves exceptionnelles, celles de la guerre. Elle a maintenu son unité, relevé ses ruines, reconstruit et développé son économie. Elle s'est hissée peu à peu au meilleur niveau dans la compétition internationale. Elle l'a fait sans sacrifier la solidarité entre ses membres, mais au contraire en recherchant toujours davantage de justice.
- C'est grâce à vos efforts et, à travers vous, je m'adresse bien entendu aux membres de vos clubs, les clubs de personnes âgées, c'est grâce aux efforts de vos générations que nous devons ce progrès.
- Vous avez su concevoir et conduire les immenses changements intervenus danstous les domaines et, en-particulier, monsieur le président, dans tous les domaines qui touchent la vie rurale. Car la vie rurale de la France s'est plus modifiée au-cours des quarante dernières années, que sans doute au-cours de plusieurs siècles des précédentes. Vous l'avez fait en préservant les valeurs nationales profondes si nécessaires à l'équilibre de notre pays.\
Dans un monde anxieux du lendemain, votre vie nous apprend la valeur de l'expérience, et la joie de la générosité. C'es pourquoi je suis venu, aujourd'hui, dire aux clubs des personnes âgées, au nom de tous les Français, notre respectueuse gratitude et notre fraternelle affection.
- Je suis venu aussi vous écouter car c'est l'intérêt et l'utilité d'un colloque. Je vous ai écouté comme assurément vous ont écouté M. le ministre de la Santé et de la Sécurité sociale etles deux secrétaires d'Etat.
- Vous souhaitez "vivre au présent", c'est-à-dire participer pleinement à ce dialogue entre les générations qui est indispensable pour construire une France plus unie dans le temps, plus unie dans le présent,et en même temps plus sûre d'elle-même.\
Au-cours des dernières années, les personnes âgées ont conquis une nouvelle autonomie. Elles expriment avec force quoique avec la discrétion qui les caractérise, leur volonté d'agir et de participer. Il s'agit de l'une des évolutionsles plus importantes de notre société au-cours des dernières années. Une évolution dont curieusement on parle très peu, comme si elle allait de soi, comme si elle ne concernait que peu de personnes. Or, cette évolution n'allait pas desoi, je vais y revenir, et elle concerne à l'heure actuelle près d'un Français ou d'une Française sur cinq.
- C'est pourquoi j'ai toujours pensé que la solution des problèmes des personnes âgées comportait en réalité deux aspects : un aspect matériel, un aspect psychologique.
- Un aspect matériel, car il était indispensable que les conditions matérielles de vie des personnes âgées soient améliorées. Il y avait là, je n'hésite pas à le dire, un véritable scandale social. D'ailleurs, quand on jetait de l'extérieur un regard sur la société française, il y a quelques années, la situation des personnes âgées apparaissait comme une des taches de notre organisation sociale. Une société qui traite mal sesanciens est comparable à un arbre qui coupe ses propres racines : il tombera à la première tempête. C'est pourquoi les conditions matérielles de vie des personnes âgées ont été et seront améliorées.
- Un aspect psychologique, qui touche le sens de la vie des personnes âgées. J'ai fait disparaître du vocabulaire officiel le mot horrible de "vieux" pour les désigner.
- Les personnes âgées doivent pouvoir choisir plus librement leur cadre de vie. Elles doivent surtout se sentir utiles à la société où elles vivent. C'est ainsi qu'elles pourront vivre "au présent".\
L'amélioration de la situation matérielle des personnes âgées, au-cours des dernières années, est le résultat d'un effort exemplaire de solidarité entre les Français. Chacun, je crois, le reconnaît aujourd'hui. Trop longtemps les personnes âgées et particulièrement, les deux millions d'entre elles, dont les revenus sont fixés par le minimum vieillesse, sont demeurées à l'écart du progrès de la société. Elles étaient, comme on l'a dit des "exclus". Cette situation n'était conforme ni à la justice, ni à la dignité.
- C'est pourquoi j'avais pris un engagement solennel d'augmentation du minimum vieillesse. Cet engagement, le plus important de tous à mes yeux, a été scrupuleusement tenu. Le Conseil des ministres fixera demain, sur la proposition de M. BARROT, le nouveau chiffre du minimum vieillesse, applicable au 1er janvier 1981. Il représentera plus qu'un triplement de ce minimum en six ans et demi.
- Ce progrès correspond à une augmentation du pouvoir d'achat du minimum vieillesse de plus de 60 %. Je rappelle qu'au-cours de la même période, où le pouvoir d'achat du minimum vieillesse augmentait de 60 %, la production intérieure de la France a augmenté de 17,5 % en volume. Ceci montre bien l'effort de solidarité qui a été accompli entre les Français. En outre, les personnes âgées bénéficiaires du minimum vieillesse ont perçu, à quatre reprises, des majorations exceptionnelles pour compenser l'augmentation des charges résultant de l'augmentation des prix du pétrole et du prix du chauffage. Enfin, pour pouvoir obtenir le minimum vieillesse, sans formalités excessives, notamment en milieu rural où ce problème nous avait été signalé depuis longtemps - les parlementaires le connaissent bien -, les petites successions ont été exonérées de la récupération des sommes versées au-titre de ce minimum.\
L'effort de solidarité ne s'est pas limité au seul minimum vieillesse. Il a concerné les retraites. Le pouvoir d'achat réel des pensions des salariés du régime général a augmenté de 25 % depuis 1974, soit plus de 4 % de pouvoir d'achat par an.
- Au 1er janvier 1981, le Gouvernement relèvera les pensions d'un montant plus élevé que ne l'exige strictement la loi, afin de maintenir le pouvoir d'achat des retraités. Là aussi M. le ministre de la Santé fera connaître demain ses propositions.
- En outre, un effort particulier de rattrapage a été fait pour des catégories dont les retraites étaient particulièrement faibles. Le pouvoir d'achat réel des pensions a progressé depuis 1974 de 42 % pour les commerçants et artisans retraités, nombreux en milieu rural, et de 60 % pour les agriculteurs retraités.
- La situation des veuves et des veufs a été prise en considération. Vous savez que le cumul d'une pension propre et d'une pension de reversion a été autorisé dans certaines limites.
- Des droits propres ont été reconnus aux mères de famille par une bonification d'assurance de deux ans par enfant. Des droits nouveaux vont être créés en leur faveur, toutes les mères d'aumoins trois enfants, qui bénéficient du complément familial, vont être affiliées gratuitement à l'assurance vieillesse.
- Enfin, à la suite d'un vote du Parlement, tous les retraités ont droit désormais, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, à un abattement fiscal pour charges de 10 %.
- Cet effort considérable accompli en peu d'années, montre qu'il existe désormais en France, une réelle solidarité fraternelle entre les générations, inspirée par le désir de justice.\
Mais les personnes âgées veulent aussi choisir librement le -cadre de leur vie quotidienne.
- J'en viens, monsieur le président, à certaines des observations que vous avez présentées comme étant les conclusions de ce colloque. Vous avez parlé d'abord du maintien en milieu habituel.
- En effet, les personnes âgées souhaitent continuer à vivre dans leur logement, au sein de leur quartier ou de leur village. Le domicile garantit en effet l'indépendance de la vie quotidienne £ il maintient les relations de voisinage.
- C'est pourquoi, quarante cinq mille logements de personnes âgées ont été rénovés par un programme particulier s'ajoutant aux actions intervenues selon les procédures habituelles. Le Gouvernement prévoit que trente mille logements supplémentaires seront rénovés au-cours des cinq prochaines années.
- Le nombre des personnes âgées bénéficiant de l'allocation logement a doublé au-cours des dernières années, passant de troiscent cinquante mille à sept cent mille.
- Le nombre des personnes âgées bénéficiant de l'aide ménagère, dont vous avez parlé, a plus que doublé, passant de cent quarante cinq mille à trois cent trente mille en 1980. Je rappelle les chiffres : les personnes âgées bénéficiant de l'allocation logement : 700000 à l'heure actuelle £ les personnes âgées bénéficiant de l'aide ménagère : 330000.
- Ce service de l'aide ménagère qui était limité en 1974 aux ressortissants de certains régimes de retraite est ouvert aujourd'hui à tous les retraités. Mais vous avez souligné un certain nombre de problèmes d'application ou d'administration qui subsistent et dont je sais que l'on s'occupe. Certaines catégories, je pense en-particulier aux retraités du régime agricole, ont, par-rapport aux autres, un retard qui devra être progressivement rattrapé.
- Au-cours des cinq prochaines années, le nombre d'heures d'aide ménagère réellement effectuées sera\
Comme vous l'avez dit, le maintien des personnes âgées dans leur cadre de vie habituel suppose que leurs problèmes de santé puissent être traités sans que la maladie signifie pour elles l'abandon définitif de leur domicile. Aujourd'hui encore, la maladie annonce trop souvent un bouleversement définitif et sans retour du mode d'existence de la personne âgée. C'est celà qu'il faut changer. Chacun devrait recevoir les meilleurs soins possibles en-fonction de sa situation particulière, et en donnant la priorité au maintien à domicile.
- Le développement des services de soins à domicile, en liaison avec les médecins et les infirmières d'exercice libéral, comme le rapport de M. ARRECKS, parlementaire en mission, l'a indiqué, évitera dans un grand nombre de cas l'hospitalisation ou en réduira la durée en assurant ensuite la poursuite du traitement chez la personnes âgée. Il y a, à cette pratique, un certain nombre d'obstacles et notamment de conditions de financement ou de remboursement sur lesquels le président PIERCY a attiré l'attention.
- Je souhaite que le ministre de la Santé veille a lever les obstacles qui ont freiné le développement des services de soins à domicile, et prête une attention particulière à leur développement en milieu rural. Dans les maisons de retraite, la création de sections de soins qui comptent dès à présent plus de huit mille lits, sera poursuivie et amplifiée afin que, là encore, les personnes âgées puissent se soigner sans quitter leur cadre de vie habituel.
- Vous savez qu'en dix ans, l'âge moyen d'entrée en maison de retraite a considérablement reculé, puisqu'il est passé de 70 ans en 1970 à 80 ans aujourd'hui.\
La troisième préoccupation qui est pour moi aussi importante que les autres, c'est que les personnes âgées doivent sentir leur utilité dans la vie sociale. D'ailleurs, elles veulent y tenir leur place.
- Je vous disais tout à l'heure que près d'un Français ou d'une Française sur cinq a plus de 60 ans, et qu'un Français ou une Française sur sept a, à l'heure actuelle, plus de 65 ans.
- Or, leur capacité d'action et de participation, au lieu d'être ignorée ou d'être, en quelque sorte, laissée pour compte, doit être pleinement utilisée au-cours des années à venir.
- C'est dans cette direction, le Président PIERCY l'a rappelé, que les clubs ruraux de personnes âgées ont orienté leur réflexion et leurs initiatives.
- Les actions que ces clubs ont menées ont été définies avec l'aide des personnes âgées qui ont exprimé elles-mêmes leurs besoins et ceci était essentiel.
- L'apparition des quinze mille clubs de personnes âgées, qui existent aujourd'hui en France constitue certainement le phénomène social le plus remarquable des dernières années. Quinze mille clubs ont été créés à-partir de bonnes volontés, à-partir d'initiatives, sans intervention bureaucratique, souvent, bien entendu, avec l'aide des collectivités locales, des municipalités. Ils témoignent de cette vitalité des personnes âgées qui ont été à la pointe de la vie associative en France au-cours des dernières années.
- Douze mille clubs sur ces quinze mille ont été créés par la Fédération nationale des clubs ruraux.\
Au total, les clubs de personnes âgées regroupent, à l'heure actuelle, plus de deux millions de personnes. Quelle est l'organisation en France qui peut donner l'assurance qu'elle compte parmi ses membres dont la présence est fondée sur la bonne volonté, l'activité et l'esprit d'association, plus de deux millions de personnes? Je crois que c'est la seule organisation. Plus de deux millions de personnes qui vivaient seules et qui sentaient peser sur elles, à côté dupoids physique de l'âge, le poids psychologique de la solitude et de l'inutilité, ont pu se rencontrer, faire des projets, voyager, apprendre et aider les autres. Le mouvement est lancé. Il est irréversible. Mais il faut qu'il s'étende encore.
- La retraite ne doit pas être une coupure brutale. D'ailleurs tous ceux d'entre nous qui voient leurs collaborateurs de tous rangs prendre à un moment ou un autre leur retraite, aperçoivent bien qu'il y a cette crainte d'une coupure brutale qui altère d'ailleurs l'intérêt de la vie et qui peut avoir, sur-le-plan psychologique et même sur-le-plan de la santé, les conséquences les plus immédiates. Pour éviter que la retraite ne soit une coupure brutale, les personnes âgées doivent continuer à apporter leur contribution à la vie nationale. Elles ont un capital d'expérience, d'affection et de disponibilité. Elles souhaitent le mettre au service de la communauté, la communauté peut en faire bon usage.
- Au-cours de ce colloque, vous avez indiqué plusieurs voies possibles :
- Au sein de la famille d'abord, où les grands parents peuvent offrir aux jeunes enfants une disponibilité dont la vie moderne a privé en partie les parents.
- Dans la ville ou dans le village, où les personnes âgées peuvent animer la vie associative, et créer, dans beaucoup de domaines, de nouvelles relations sociales.
- C'est une chance nouvelle de mieux se comprendre et de mieux s'entendre que nous offrent les personnes âgées ! Dieu sait que la France en a besoin ! Nous devons donc saisir cette chance.\
Monsieur le président,
- mesdames,
- messieurs,
- Les difficultés du monde actuel suscitent, plus que jamais, la tentation de l'égoisme. Egoisme d'Etat des pays riches à l'égard des pays pauvres !
- Egoisme social des plus favorisés à l'égard des plus démunis !
- La France doit être le pays de la justice et de la solidarité. C'est la condition de son unité. C'est aussi je crois la meilleure garantie de son avenir. L'exemple des dernières années prouve que notre pays a su témoigner davantage de justice et de solidarité à l'égard des personnes âgées. Les prochaines années verront, j'en suis sûr, les personnes âgées contribuer à un plus large dialogue entre les Français. Par leur générosité, elles vaincront les égoismes. Par leur disponibilité, elles créeront de nouveaux liens entre les coeurs. Par leur désintéressement, elles aideront à ouvrir les esprits sur le monde autour de nous, et sur le monde qui vient. C'est pourquoi, le Président de la République est venu dire aujourd'hui à vos clubs et à toutes les personnes âgées de France qui en font partie sa confiance, sa gratitude et son affectueux respect.\