17 octobre 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. Valéry Giscard d'Estaing sur la situation internationale et les relations franco-chinoises lors de sa visite officielle en Chine, Pékin, Palais de l'Assemblée, vendredi 17 octobre 1980

`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï Je vais vous faire le compte rendu des entretiens que j'ai eus avec les hauts dirigeants chinois pendant mon voyage officiel.Ï Avant de le faire, je voudrais évoquer deux points, en vous demandant de ne pas les considérer comme secondaires, mais de bien vouloir les retenir dans vos comptes rendu.Ï Le premier, c'est un hommage au Président POMPIDOU : en effet, je viens en Chine sept ans après son propre voyage, qu'il a effectué, nous le savons maintenant, dans des conditions qui supposaient de sa part un grand courage et un grand attachement à la défense des intérêts de la France. J'ai retrouvé ici les lieux mêmes de son séjour et certains des interlocuteurs qui ont été les siens.Ï Je dois vous dire aussi combien j'attache de l'importance au fait qu'un peuple qui est appelé à exercer une influence considérable dans le monde à venir, le peuple chinois, ait les qualités de délicatesse, de discrétion et de bienveillance qui sont les siennes. Dans un monde qui est trop marqué par la violence, l'intolérance et le goût de la domination, le fait que le peuple le plus nombreux du monde soit marqué par de telles qualités, jette sur l'avenir de notre espèce humaine une lueur d'optimisme.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï Dans ce voyage, j'ai été accompagné par un certain nombre de hautes personnalités françaises, les unes gouvernementales, soit en-raison de leur compétence directe, soit en-raison de leurs fonctions, je veux dire le ministre des Affaires étrangères, M. DENIAU qui était alors ministre du Commerce extérieur et qui était venu préparer mon voyage, et M. Alain PEYREFITTE, ministre de la Justice, qui réfléchit depuis longtemps à l'évolution de ce grand pays.Ï J'ai pensé qu'il était important que le Parlement fût directement informé des orientations de la politique chinoise et c'est pourquoi j'ai souhaité que les présidents des Commissions des Affaires étrangères du Sénat et de l'Assemblée nationale se joignent à moi. C'est ainsi que vous voyez M. LECANUET, président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, et M. SUDREAU, Vice-président de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, puisque le président était empêché de participer à ce voyage.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï Quels ont été les messages que je suis venu apporter aux hauts dirigeants chinois au nom du Gouvernement et du peuple français ?Ï Ce sont les messages suivants : d'abord la reconnaissance par la France de l'importance de la Chine dans le présent, déjà, et aussi dans le futur. Nous savons qu'une grande partie de l'avenir du monde sera modelée ici et que les événements qui affecteront la vie de la République populaire de Chine au-cours des prochaines années auront des conséquences très importantes sur l'avenir de l'humanité tout entière. Ceci tient à l'évidence à quelques chiffres. La population chinoise atteindra dans vingt ans un milliard deux cents millions d'habitants £ les programmes actuels des autorités chinoises - dont, en tant qu'économiste, j'ai lieu de penser qu'ils pourront être effectivement atteints ont pour objectif le quadruplement du produit national brut de la Chine au-cours des vingt prochaines années. Les ordres de grandeur de la population et de l'économie chinoises sont tels que, je le répète, une grande partie de l'avenir du monde sera dessinée et modelée ici.Ï Ensuite c'est le fait que, pour nous Français, l'existence d'une Chine active est un facteur important de l'équilibre et de la paix dans le monde. Tel que nous observons l'-état du monde, nous pensons qu'une participation active de la Chine aux responsabilités internationales est un facteur d'équilibre et de paix.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï Le troisième point, c'est le caractère ouvert, confiant et amical des relations entre la Chine et la France. Là aussi, dans un monde où l'on relève davantage de tension que de compréhension, le fait qu'entre des pays investis d'importantes responsabilités dans la vie internationale, existent de telles relations est un facteur d'optimisme et de confiance.Ï Nous avons, en effet, sur la plupart des grands sujets internationaux, des analyses et des positions voisines et parfois même, semblables. Nous avons analysé la plupart des situations de tension dans le monde, et j'ai observé, par-rapport aux entretiens que j'avais eus l'année dernière lors de sa visite à Paris, avec le Président HUA GUOFENG, que nous avions abouti ensemble à la reconnaissance de deux faits essentiels sur lesquels la haute direction chinoise adopte des vues qui sont semblables aux nôtres.Ï Premier fait essentiel, la reconnaissance du caractère multipolaire du monde actuel, et donc des relations internationales, longtemps dominées par une conception bipolaire, celle des super-puissances et de l'organisation des blocs. Le Président HUA GUOFENG m'a dit : cette organisation multipolaire du monde, dont vous avez parlé répond en effet à une loi naturelle. De cette organisation multipolaire, on voit les pôles apparaître les uns après les autres : bien entendu les superpuissances, c'est-à-dire l'Amérique `Etats-Unis` et l'Union Soviétique `URSS`, mais aussi désormais, l'Europe, la Chine, le Japon et le Tiers-Monde, au-sein duquel sont appelés à apparaître de nouvelles puissances et de nouveaux pôles. Deuxième fait essentiel, c'est la reconnaissance par nos interlocuteurs chinois de l'importance d'une Europe indépendante, forte et unie £ j'ai noté ces trois adjectifs qui sont ceux dont se sont servis mes interlocuteurs. Ils reconnaissent donc la nécessité d'une Europe indépendante, forte et unie, c'est-à-dire une Europe traitant sur un pied d'égalité avec l'ensemble de ses interlocuteurs et de ses partenaires, notamment avec les Etats-Unis d'Amérique.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises` Sur ces sujets politiques, nous sommes convenus de procéder à des consultations régulières. Il y avait au-cours des dernières années de fréquentes visites de hauts dirigeants français en Chine, de hauts dirigeants chinois en France, mais nous avons pensé que sur-le-plan diplomatique il était utile de donner un caractère périodique à ces consultations. Le ministre des Affaires étrangères y veillera lui-même.Ï Nous avons bien entendu parlé des relations bilatérales franco - chinoises. Je n'entre pas dans le détail de ces relations, vous poserez sans doute des questions à ce sujet. Déjà, au-cours des derniers mois, un certain nombre d'accords importants ont été conclus entre des firmes chinoises et des firmes françaises. Nous avons pu aboutir pendant la visite à un accord de principe important en ce qui concerne l'équipement électro-nucléaire de la Chine.Ï Il existe de part et d'autre la volonté de développer et d'intensifier nos relations économiques. Les chiffres que j'ai indiqués et qui permettent de tracer la trajectoire de la Chine au-cours des vingt prochaines années montrent quelle est la dimension de ce qui peut être entrepris et quelle est la part que la France souhaite jouer dans le développement de la technologie et de l'activité économique de ce grand pays.Ï Voilà l'introduction que je voulais vous faire comme résumé de l'essentiel des conversations que j'ai eues avec le Premier ministre, M. ZHAO ZIYANG, avec le président du parti communiste chinois, M. HUA GUOFENG, et avec le vice-président, M. DENG XIAOPING.Ï Maintenant, je répondrai à vos questions.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï QUESTION.- Est-ce que vous pouvez détailler ces accords importants sur l'équipement électro-nucléaire ?Ï LE PRESIDENT.- Oui. Si vous le voulez M. DENIAU pourra tout à l'heure vous donner des détails.Ï Il s'agit d'un accord sur le principe de la construction de deux centrales, ou plus exactement d'une paire de centrales de 900 mégawatts chacune. Cet accord avait été envisagé dans le passé. ! La négociation avait été interrompue du fait du réajustement de certains programmes de développement économique chinois. Maintenant les autorités chinoises peuvent reprendre la négociation sur ces deux centrales.Ï Un problème de financement se posait £ nous avons proposé une formule de financement qui répond au caractère particulier de la situation de la Chine. Il ne reste donc plus qu'à poursuivre des conversations techniques entre les entreprises. Elles vont pouvoir, d'après nos interlocuteurs chinois, être conduites à bref délai. Ce ne sont pas seulement les îlots, comme ceci avait été envisagé, mais c'est l'ensemble des deux centrales, l'ordre de grandeur, vous le savez, d'une centrale complète étant de 4 milliards `somme` de francs.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises` QUESTION.- Monsieur le Président, au-cours de vos entretiens vous semblez avoir fait preuve d'un certain pessimisme à propos de l'évolution de la situation internationale. M. DENG XIAOPING est-il convaincu que la guerre est inévitable ?Ï LE PRESIDENT.- Non. La situation internationale est difficile £ ça n'est pas le fait que nous en parlions qui la rend difficile, c'est l'observation de la situation du monde.Ï Lorsque nous nous étions rencontrés pour la dernière fois, il n'y avait encore ni la situation de l'Afghanistan, ni la situation de l'affrontement entre l'Irak et l'Iran, ni l'extrême tension dans la région du Proche-Orient. Donc, nous constatons l'aggravation des tensions dans le monde.Ï Par contre, l'accent a été mis dans ces entretiens, y compris avec M. DENG XIAOPING, non pas surl'éventualité ou la probabilité d'un conflit, mais sur la manière dont il convient d'agir pour éloigner la probabilité ou l'éventualité d'un tel conflit. L'attitude de la France - nous avons rencontré les préoccupations de nos interlocuteurs chinois - c'est de rechercher les moyens par lesquels nous pouvons diminuer ou éloigner les risques du conflit. Donc, les différents aspects de la situation internationale ont été examinés dans cette perspective.Ï QUESTION.- Monsieur le Président, faut-il s'attendre à des actions concertées de la France et de la Chine pour la préservation de la paix ?Ï LE PRESIDENT.- Je l'ai dit, nous analysons un certain nombre de situations d'une manière qui est très voisine. Par exemple, tous mes interlocuteurs chinois ont approuvé d'eux mêmes les termes de la déclaration de Venise des pays de la Communauté économique européenne `CEE` sur la manière de résoudre le conflit du Proche-Orient. Ils m'ont indiqué qu'ils approuvaient cette position et qu'elle reflétait la position chinoise. Sur la manière d'inviter l'Irak et l'Iran à rechercher une solution pacifique à leur différend et sur la procédure à utiliser il y a également convergence entre les vues chinoises et les vues françaises. Il y a donc en effet sur les problèmes concrets du moment la possibilité d'actions ou d'influences conjointes de la Chine et de la France.\
`Politique étrangère`Ï QUESTION.- Monsieur le Président, je suis journaliste de la Radio internationale chinoise. Vous êtes enfin parvenu à effectuer votre visite historique en Chine, et elle connaît d'excellents résultats. Pourriez-vous nous parler de l'avenir du développement des relations franco - chinoises ?Ï LE PRESIDENT.- Je vois ce développement sur deux -plans. D'abord le -plan politique avec le principe de consultations régulières entre la Chine et la France, de façon à rechercher des solutions pratiques aux tensions ou aux conflits dans le monde, à rechercher ensemble des moyens de préserver la paix, qui reposent naturellement sur le droit à la sécurité de l'ensemble des pays du monde, et en-particulier des nôtres.Ï Deuxième domaine : les relations économiques, et j'ajouterai, scientifiques et culturelles. Car, à côté des relations économiques, fondées sur les projets réalisés en commun ou les échanges , je pense que nous devons développer beaucoup nos relations scientifiques, en-particulier l'accueil en France de spécialistes chinois, l'échange de missions en-matière technologique et scientifique et également nos relations culturelles. Vous avez pu voir, d'ailleurs, hier soir, un exemple parmi d'autres du développement de ces relations culturelles.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï QUESTION.- Monsieur le Président, nous avons vu Elf-Aquitaine à l'oeuvre dans la mer du Bohai. Pouvons-nous espérer que la France deviendra un client du pétrole chinois ?Ï LE PRESIDENT.- Vous avez vu près de la place (Tian'an Men) la publicité d'Elf-Aquitaine. Cela mérite d'être souligné. La publicité a fait récemment son entrée en Chine et vous avez vu de grandes affiches qui présentent les activités d'Elf-Aquitaine en Chine. En réalité, les deux grandes compagnies françaises ont signé des accords l'année dernière avec les autorités chinoises, prévoyant des opérations d'exploration et de production. D'ailleurs, dans la journée d'hier, par une coincidence, les premières opérations de recherche d'Elf-Aquitaine dans le golfe, à l'est de Pékin, à environ 300 kilomètres en mer et à 30 mètres de profondeur sous l'eau, car la mer est peu profonde à cet endroit les premières opérations ont commencé avec une sonde qui doit descendreà 4500 mètres. Les contrats qui ont été signés prévoient à la fois des opérations d'exploration, et de production, ce qui fait que, dans l'hypothèse de découvertes, une partie du pétrole qui sera découvert pourra être utilisé par les compagnies françaises, soit pour l'approvisionnement du marché français, soit pour les échanges qu'elles font avec d'autres pays producteurs dans le monde.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï QUESTION.- Vos interlocuteurs chinois vous ont-ils interrogé sur la livraison de matériel militaire ?Ï LE PRESIDENT.- Non, il n'y a eu aucune allusion du côté chinois au problème de livraison ou de commande de matériel militaire.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï QUESTION.- Monsieur le Président, à part le côté spectaculaire du pétrole et de l'électro-nucléaire, quelle est la possibilité pour la France d'avoir un rôle commercial important, des relations commerciales importantes avec la Chine ?Ï LE PRESIDENT.- Il y a eu récemment un certain nombre d'accords signés. Si vous le souhaitez, M. DENIAU vous en donnera le détail.Ï L'un d'entre eux est important, parce qu'il touche une de nos productions nationales régulières, le blé. Nous avons signé un accord pour trois ans de livraison de blé à la Chine, pour des tonnages qui sont importants, puisqu'ils sont de-l'ordre de 5 à 700000 tonnes de blé par an. C'est-à-dire de 5 à 7 millions de quintaux par an.Ï D'autre part, en-matière d'informatique, en-matière d'équipement pour mines de charbon, en-matière de véhicules industriels et de camions, il y a soit des accords signés, soit des accords en-cours de négociations avec de bonnes perspectives de conclusion.Ï J'ai indiqué au Premier ministre, M. ZHAO ZIYANG, qu'il y avait trois domaines dans lesquels il me semblait que la coopération pouvait se développer de manière intense entre la Chine et la France. Le domaine électro-nucléaire, avec d'ailleurs la conclusion de l'accord, le domaine des communications et des télécommunications, qui sont une des priorités du développement de l'économie chinoise, - et nos technologies, notamment en-matière de télécommunications, sont tout à fait compétitives, - et le domaine des transports, notamment des transports terrestres, avec les véhicules industriels et le matériel de chemin de fer. J'ai constaté avec intérêt que le Premier ministre chinois lui-même retenait ces grands secteurs parmi les priorités chinoises puisque la Chine retient deux priorités : d'une part l'énergie, d'autre part les communications et les transports.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que les analyses faites par la France et la Chine de la politique soviétique se sont rapprochées, lors de ce séjour ?Ï PRESIDENT.- Nous avons échangé nos vues sur les différents problèmes du monde et nous avons exposé nos analyses. Sur la situation internationale, nos analyses sont voisines. Sur la conception que la Chine a de son attitude vis-à-vis de telle ou telle puissance, et notamment l'Union soviétique `URSS` c'est à elle de la définir, ce n'est pas à nous de la faire à sa place, ou d'une manière semblable. Je vous ai indiqué que notre objectif était une action internationale qui a pour objet d'atténuer les risques de conflit dans le monde. Ce qui m'a intéressé dans la présentation de la politique extérieure de la Chine, pour vous qui en suivez la formulation, c'est que, au lieu d'une formulation qui tenait il y a quelques années un conflit pour pratiquement inévitable, la seule incertitude étant la date de ce conflit, il y a désormais de la part de la Chine, la définition d'une stratégie politique ayant également pour objet d'éviter ou de rendre impossible un affrontement. Je considère donc qu'il y a dans ce domaine une certaine évolution qui rapproche les points de vue chinois et français.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï `Réponse`Ï S'il n'y a pas d'autre question, je répondrai à une question qui me serait posée par ceux d'entre vous qui s'intéressent plus particulièrement aux problèmes économiques.Ï Nous avons longuement parlé des conceptions chinoises en ce qui concerne l'organisation de l'économie chinoise pour la période à venir. J'ai été très intéressé par l'analyse à la fois très réaliste et très nouvelle de nos interlocuteurs. En effet, l'économie chinoise va s'engager dans une voie, qui est actuellement tracée par ses dirigeants, et qui est une voie qui n'a pas, me semble-t-il, d'équivalent dans le monde actuel, puisqu'elle doit combiner deux données : un très large appel aux effets de la concurrence, de l'initiative et des responsabilités et en même temps la définition d'une structure socialiste en ce qui concerne les conceptions générales de l'économie, c'est-à-dire l'importance de la planification et le fait que la propriété des biens essentiels en-matière économique resterait une propriété collective. La synthèse de ces deux préoccupations qui est propre à la Chine me parait constituer une solution nouvelle, originale, du développement et pourra sans doute, par la suite, donner lieu à la réflexion ou servir d'exemple pour d'autres. QUESTION.- Quand vous dites que cette solution pourrait servir d'exemple pour d'autres, vous pensez à des pays du Tiers-Monde, à des pays en voie de développement, ou même à des pays industrialisés comme le nôtre ? LE PRESIDENT.- Non... Vous posez votre question avec humour, sans doute. Car l'objectif actuel de la Chine est d'atteindre en vingt ans un niveau de développement inférieur à ce qu'est le développement français actuel, puisque la Chine atteindrait environ par tête quelque chose qui sera quinze pour cent de notre niveau de vie. Et donc l'idée que la même solution est applicable pour passer de zéro à quinze pour cent, ou pour assurer le développement de ce qui est à cent, n'est évidemment pas réaliste. Nous devons nous inspirer à cet égard du pragmatisme chinois £ les solutions sont évidemment complètement différentes. D'ailleurs, dans l'analyse chinoise, un des éléments qui est retenu est un élément qui n'est pas conceptuel mais qui est pragmatique, c'est-à-dire le fait que les problèmes qui se posent pour la Chine ne lui permettent pas d'utiliser telle ou telle technique de conduite de l'économie, ou de développement de l'économie, actuellement utilisée ailleurs. Par exemple, les dirigeants chinois reconnaissent, et ne mettent pas en question le mérite des systèmes économiques qui fonctionnent en France, en Allemagne fédérale `RFA`, au Japon, mais c'est à-partir d'une analyse des données objectives différentes de l'économie chinoise qu'ils concluent à l'adoption d'un système différent. Et je dois dire que sur ce point, je comprends et je partage leur analyse.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï QUESTION.- Monsieur le Président, puis-je vous demander si vos interlocuteurs chinois vous avaient informé au préalable de l'essai nucléaire qu'ils ont effectué cette nuit ?Ï LE PRESIDENT.- Non. Pas plus d'ailleurs que nous n'informons qui que ce soit des essais nucléaires que nous effectuons, que nous ayons ou non des visiteurs en France.Ï QUESTION.- Cet essai a-t-il suscité des commentaires particuliers du côté français ?Ï LE PRESIDENT.- Il ne suscite aucun commentaire particulier. Nous avons toujours reconnu le fait nucléaire de la Chine. Vous savez que nous sommes conduits nous-mêmes à donner un développement indépendant de nos moyens nucléaires de dissuasion et nous savons que la Chine a adopté, en ce qui la concerne, une politique identique.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï QUESTION.- Avez-vous l'impression, monsieur le Président, que l'ouverture de la Chine dans les domaines politique et économique est désormais une voie bien déterminée et bien ancrée dans la politique chinoise ?Ï LE PRESIDENT : J'ai été frappé par la lucidité, et je vous le répète, le pragmatisme, au sens fort, des analyses qui m'ont été faites par les hauts dirigeants chinois. Ce n'étaient pas des analyses de circonstance, c'était une réflexion à moyen et à long terme sur la manière de conduire l'avenir de la Chine et de répondre aux problèmes immenses de ce pays immense. Les orientations qui ont été retenues par la haute direction chinoise me paraissent en effet répondre à ces données objectives de la situation de la Chine et donc, avoir en elles-mêmes une valeur de stabilité et de durée. Les objectifs de croissance et de développement économique de la Chine sont volontairement modérés. Vous noterez que les chiffres que je vous ai indiqués, c'est-à-dire le quadruplement du PNB en vingt ans, représente pour la Chine un taux moyen de croissance annuel de 7,2 %. C'est évidemment un taux élevé par-rapport à ce qu'on imaginait d'atteindre il y a quelques années dans tel ou tel pays en développement. La raison pour laquelle les dirigeants chinois retiennent ce taux modéré, c'est qu'ils ne veulent pas de croissance par à-coups, ils ne veulent pas être obligés de revenir en arrière à-partir de programmes ou de projets qui auraient été surdimensionnés par-rapport aux possibilités chinoises. De même, dans l'ouverture sur l'extérieur, l'objectif est beaucoup plus une ouverture régulière, se prolongeant au-cours des années à venir, que des décisions brusques créant des situations ou des tensions amenant ensuite à des mesures restrictives. C'est pourquoi je pense que l'orientation fondamentale de l'économie chinoise à la fois vis-à-vis de l'intérieur et de l'extérieur, est appelée à être durable.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï QUESTION.- Monsieur le Président, les Chinois sont évidemment attentifs à la question cambodgienne, peut-on parler de convergence entre la France et la Chine sur la question cambodgienne ?Ï LE PRESIDENT.- Il y a une convergence sur l'analyse et même sur la solution, puisque vous savez que nous sommes partisans en ce qui nous concerne, d'une solution politique au Cambodge, solution politique qui doit s'accompagner du retrait des forces extérieures à ce pays et d'un processus politique comportant des élections et l'expression, le choix par les Cambodgiens de l'orientation qu'ils voudraient voir donner à la structure politique de leur pays. Jusqu'à présent, la position chinoise avait été la reconnaissance directe, pure et simple, de l'ancien gouvernement cambodgien. A l'heure actuelle, les dirigeants chinois expriment eux-mêmes l'idée selon laquelle, après le retrait des troupes étrangères, une consultation devrait être organisée au Cambodge, éventuellement sous les auspices des Nations-unies. A cet égard les vues se sont rapprochées et sont même semblables. Je recevrai demain matin le Prince SIHANOUK qui est à Pékin, pour m'entretenir avec lui de la situation au Cambodge.Ï QUESTION.- Vous estimez, comme les Chinois, monsieur le Président, que le Prince SIHANOUK peut jouer encore un rôle au Cambodge ?Ï LE PRESIDENT.- On ne peut imaginer une solution à la situation dramatique du Cambodge que si cette solution a une valeur politique, reconnue à la fois par la population cambodgienne et par la communauté internationale. Or, il n'y a pas de structure ou de personnalité susceptibles de déclencher une telle situation politique. Donc, le Prince SIHANOUK peut être appelé à jouer un rôle dans un tel processus. Ensuite le peuple cambodgien devra de toutes façons se prononcer.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï QUESTION.- Monsieur le Président, peut-on savoir quel jugement est porté par vous-même et vos interlocuteurs sur la situation dans le Golfe persique, notamment sur le danger de l'élargissement du conflit ?Ï LE PRESIDENT.- Ni les Chinois, ni moi-même, ne pensons qu'il y ait de danger, c'est-à-dire qu'il y ait volonté d'élargissement du conflit. Tous les pays de la région ont exprimé au contraire leur désir d'éviter l'élargissement du conflit. Nous partageons avec les Chinois des vues absolument identiques sur la liberté de circulation dans le Golfe et dans le détroit d'Ormuz. Ceci d'ailleurs n'est pas une question liée au conflit, c'est une question tout-à-fait distincte, c'est une application du droit international qui prévoit la liberté de circulation et qui, de ce fait, apparaît comme essentielle, ou pour employer un mot dont je me sers depuis l'origine de cette situation, comme vitale. Pour ce qui est du conflit lui-même, il accumule les destructions dans les deux pays et ne paraît pas susceptible de trouver une solution de type militaire. C'est donc à une solution politique, c'est-à-dire fondée sur la négociation, qu'il faut faire appel. Il y a deux schémas pour y parvenir : d'une-part le rôle que peuvent jouer les pays islamiques, soit sous la forme de la conférence islamique elle-même, soit sous la forme d'un mandat donné par la conférence islamique à tel ou tel groupe de puissances, soit la procédure du Conseil de sécurité. La procédure du Conseil de sécurité est actuellement en-cours, puisque la réunion a lieu, et la France participera activement à ses délibérations pour tenter d'aboutir à un cessez-le-feu et au principe de l'ouverture de négociations.\
`Politique étrangère ` relations franco - chinoises`Ï QUESTION.- Monsieur le Président, c'est votre première visite en Chine, pourriez-vous nous dire simplement quelle est, en termes généraux, votre impression ?Ï LE PRESIDENT.- Il y a deux manières de connaître la Chine : la première c'est par les livres, la seconde c'est par la visite. Je connais la Chine depuis longtemps par les livres. J'ai beaucoup étudié la civilisation chinoise, qui est une de celles pour lesquelles j'éprouve à la fois le plus d'intérêt et le plus de sympathie. Les circonstances de ma vie, notamment de ma vie gouvernementale, ne m'avaient pas permis jusqu'ici de venir en Chine. Et je vous rappelle ces circonstances.Ï Je devais venir une première fois en 1965, inaugurer l'exposition industrielle que la France faisait en Chine. Cette inauguration se situait au mois de décembre 1965. C'est-à-dire entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1965. Je devais y venir comme ministre de l'Economie et des Finances, et le Général de GAULLE m'a demandé de rester à Paris pour participer à sa campagne entre les deux tours. Ce que j'ai accepté bien volontiers de faire, et j'ai donc été remplacé dans cette inauguration par M. SUDREAU. Ma deuxième visite en Chine comme ministre de l'Economie et des Finances devait se situer en 1974. Le décès du Président POMPIDOU au mois d'avril 1974 a modifié mes projets et je n'ai donc pas pu venir en Chine en 1974. C'est seulement maintenant que je le fais, à l'invitation des hautes autorités chinoises. C'est le début de mon voyage, et les conversations et les rencontres ont été jusqu'à présent limitées aux hauts dirigeants chinois. Je dois dire que nous avons eu des conversations d'une extrême cordialité, d'une extrême simplicité et auxquelles j'ai pris le plus grand intérêt. C'est pour moi une profonde satisfaction de voir que l'un des plus grands peuples du monde, le plus grand peuple du monde, a des qualités de finesse, de discrétion et de bienveillance. Je souhaite que ces qualités marquent à beaucoup d'égards l'avenir de l'humanité.\