10 octobre 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing à l'hôtel de ville d'Arras, lors de son voyage dans la région Nord-Pas-de-Calais, vendredi 10 octobre 1980

Monsieur le maire,Ï messieurs les parlementaires,Ï monsieur le président du conseil général,Ï mesdames et messieurs les conseillers municipaux,Ï mes chères Arrageoises, mes chers Arrageois,Ï Votre accueil, monsieur le maire, celui de la municipalité, de la population d'Arras m'ont beaucoup touché. Sachez qu'avec la visite du Président de la République au beffroi d'Arras, c'est la France tout entière qui rend hommage à votre grande et chaleureuse cité. Une cité qui garde les cicatrices douloureuses du sacrifice des Artésiens au-cours des deux dernières guerres : la citadelle, le mur des fusillés, le mémorial franco - britannique, et cette plaque devant laquelle nous nous sommes recueillis sur la place des Héros.Ï La dignité des Arrageoises et des Arrageois, l'attachement des anciens que j'ai salués individuellement tout à l'heure, mais aussi de leurs enfants et des jeunes aux drapeaux de la liberté. L'unité dans le recueillement et dans la volonté de défendre les valeurs de la République. Voilà l'image que je retiens d'Arras et qu'à travers la presse et la télévision la France retiendra de la cérémonie d'aujourd'hui.\
Au-cours de leur histoire, les Français ont toujours connu des périodes alternées d'unité puis de division. Ces divisions entre classes, entre partis `politiques`, entre idéologies, nous ont coûté très cher lorsqu'elles sont apparues à des moments où se jouait le destin de la France et de l'Europe.Ï Dans le message de nouvel an que j'ai adressé le 31 décembre `1980` dernier aux Français, j'ai fait allusion aux dangers croissants que courait le monde, du fait des tentations hégémoniques, de l'âpreté de la concurrence internationale, de la multiplication des conflits locaux et de la renaissance des fanatismes. A l'époque, certains commentateurs avaient été choqués par ce langage, jugé par eux excessivement pessimiste. Les premiers mois de la nouvelle année ont malheureusement illustré et confirmé le jugement que j'avais porté.Ï Dans les années qui viennent, la sauvegarde de la paix et de la liberté dépendra de la capacité de quelques pays, dont le nôtre, de défendre à la fois la liberté, l'indépendance économique, la capacité de transmettre un message fondé sur l'humanisme, la tolérance et la justice sociale. La France est un de ces rares pays, même si, à l'heure actuelle, elle connaît dans votre région et notamment dans votre département, que j'ai tenu à visiter, une situation économique et sociale difficile. C'est pourquoi, je souhaite qu'à ces prochains rendez-vous de l'Histoire, la France apparaisse plus unie, comme les Arrageois, autour de ses valeurs essentielles.\
Monsieur le maire, messieurs les parlementaires, nous allons nous retrouver, tout à l'heure, dans quelques instants, pour une séance de travail avec le conseil général du Pas-de-Calais, au-cours de laquelle j'aurai l'occasion d'apporter des précisions en réponse aux différentes préoccupations que vous m'avez exprimées, qui m'ont été exprimées voici quelques semaines par le président du conseil général. C'est pourquoi, dans cette cérémonie, à l'hôtel de ville d'Arras, je ne parlerai pas de la politique générale. J'en parlerai tout à l'heure d'une manière détaillée.Ï Permettez-moi néanmoins de répondre à certains de vos propos. Vous êtes ici le successeur d'un homme d'Etat `Guy MOLLET` et j'y reviendrai tout à l'heure, d'un homme d'Etat que j'ai connu. Tous ceux qui ont exercé, tous ceux qui ont approché comme vous l'exercice des responsabilités suprêmes dans notre pays doivent savoir que la tâche est difficile, doivent savoir que la tâche est parfois écrasante. Il ne suffit pas d'établir le catalogue que je peux établir moi-même de tout ce qui doit être fait en France, dans ce talent j'excellerai autant que quiconque. La question est de savoir ce que, à un moment, compte tenu de ses ressources, de ses moyens, la France peut faire. Et là apparaît ou non le visage de l'homme d'Etat. Les Français de toutes conditions, je parle ici dans le Pas-de-Calais, les Français les plus modestes savent très bien que tout n'est pas immédiatement possible. Ils ne nous demandent donc pas de faire tout, ils nous demandent de respecter leurs priorités essentielles. Les priorités essentielles à l'heure actuelle c'est de permettre à la France de travailler, de produire et d'employer ses jeunes. C'est pourquoi la priorité de l'action gouvernementale doit être marquée par ces directions-là.\
Je vous répondrai d'une façon un peu plus malicieuse. D'abord, vous m'avez dit, il y a une déviation routière de deux kilomètres et demi de long qui attend depuis quinze ans. C'est peut-être vrai, cette question n'a pas été portée à ma connaissance. Depuis quinze ans, dites-vous. Mais j'ai survolé tout à l'heure les alentours d'Arras et j'ai vu une autoroute qui n'y était pas il y a quinze ans.\
Vous vous êtes adressé à moi comme si j'étais le ministre de la Santé publique, or toute personne physionomiste ne peut pas reconnaître en moi ni Mme Simone VEIL, ni M. Jacques BARROT et je souhaite que vous ayez avec eux la discussion approfondie que mérite l'examen de vos dossiers. Tout de même, deux remarques : d'abord, s'il faut à l'heure actuelle humaniser les hôpitaux, c'est peut-être qu'ils ne l'étaient pas avant et que nous avons donc eu en quelques années à entreprendre un travail qui n'avait pas été accompli autrefois. Je me souviens de ce qu'était le budget de l'équipement hospitalier en France il y a vingt ans et je suis prêt à comparer ce chiffre aux chiffres des années en-cours.Ï Je souhaite donc que plutôt que de chercher à établir la responsabilité des uns et des autres sur ces sujets sensibles, il y ait la volonté du travail en-commun. Ensuite, vous avez dit le taux d'augmentation des prix de journée n'est pas suffisant. Quel est-il ? A l'heure actuelle les dépenses hospitalières continuent de croître en France à un rythme supérieur à 17 % par an. Et vous savez que le niveau élevé, trop élevé j'en conviens de la hausse des prix en France est à l'heure actuelle de toute façon inférieur à 14 % par an. Plus de 17 moins de 14 : si nous continuons à accroître les dépenses hospitalières, nous pouvons le faire, qui paiera ? Est-ce que vous croyez que si l'on veut améliorer les chances de travail et de production de la France actuellement on va continuer à accroître indéfiniment ces charges. Qui paiera ? Est-ce que vous croyez que dans la ville d'Arras, est-ce que vous croyez que dans le département du Pas-de-Calais il y a, à l'heure actuelle, beaucoup de monde, qu'il s'agisse des travailleurs, qu'il s'agisse des entreprises, petites ou grandes, dont nous puissions de gaieté de coeur augmenter les charges. Je pense donc qu'il y a un effort commun à entreprendre de modération de la dépense. Modération ne veut pas du tout dire recul en ce qui concerne la politique de la santé, mais -recherche au contraire de la modération des coûts pour trouver un juste équilibre entre le légitime besoin de soins des Français et le fait que nous avons atteint, à beaucoup d'égards, dans beaucoup de domaines, la limite des charges supportables.\
Monsieur le maire, l'action de votre équipe municipale a profondément transformé la ville d'Arras, capitale d'une de nos plus anciennes provinces. Vous avez su poursuivre la politique de votre grand prédécesseur, dont vous étiez déjà un des collaborateurs les plus proches. Je suis heureux que cette visite coincide avec l'exposition que vous avez organisée en l'honneur de Guy MOLLET, dans cet hôtel de ville qu'il habita pendant trente ans.Ï Le président Guy MOLLET n'a pas été seulement un grand maire d'Arras. Il a eu la charge de conduire les affaires de la France à une époque particulièrement difficile, les années 56 `1956 ` 1957`, 57 qui ne s'en souvient ? J'étais moi-même à Notre-Dame de Lorette vous le savez, voici deux ans, pour une cérémonie dont la racine profonde tenait aux événements de 56 - 57 et aux responsabilités de l'époque, période où les institutions de la IVème République paralysaient largement la possibilité d'agir du Gouvernement.Ï Il a néanmoins eu le temps et la capacité de lancer des initiatives fécondes. Le fonds national de solidarité a été la première manifestation d'une politique de la vieillesse largement développée et amplifiée depuis. La 3ème semaine de congé fut une étape vers le mieux vivre de nos concitoyens et en-particulier des travailleurs. La réforme du statut des territoires de l'Union française s'est révélée une avancée décisive et clairvoyante vers la décolonisation pacifique de l'Afrique noire. C'est enfin sous le gouvernement de Guy MOLLET que la France a signé le traité de Rome.\
Je sais que le président Guy MOLLET, au pouvoir ou dans l'adversité, car il connut successivement l'une et l'autre, trouvait dans sa ville d'Arras où il venait tranquillement dans un compartiment de chemin de fer, le réconfort de la fidélité militante et de l'amitié.Ï Parce que je vois, ici, beaucoup de ses amis qui gardent le souvenir de son honnêteté et de sa droiture, je voudrais tenir, un instant, un propos plus personnel. Tout au long de sa vie politique, Guy MOLLET est resté attaché à la tradition du socialisme humaniste que représentait la SFIO. Une tradition qui, même si elle s'est adaptée aux données nouvelles de notre temps, reste particulièrement vivante dans le Pas-de-Calais et continue de représenter l'une des grandes sensibilités de la vie politique française. A ce chef de gouvernement qui n'appartenait pas à mon groupe politique puisque je siégeais à l'époque dans ce qui était l'opposition, mais qui avait les qualités d'un homme d'Etat, le jeune député que j'étais a apporté son soutien en 1956 et en 1957 par son vote dans ceux des débats qui engageaient l'intérêt national. Il le savait, il me l'a dit. Lui-même, en acceptant de participer deux ans plus tard au gouvernement du Général de GAULLE, a contribué fortement au maintien de la paix civile, en se rangeant derrière l'homme dont il n'approuvait pas la politique mais qui était alors le seul rassembleur de l'unité nationale.Ï Je souhaite que les successeurs de Guy MOLLET gardent dans le Pas-de-Calais ce sens des responsabilités dans un esprit de dialogue républicain. C'est la raison pour laquelle j'ai été heureux, monsieur le maire, de venir vous saluer et avec vous la municipalité d'Arras avant d'engager, tout à l'heure, avec le bureau du conseil général du Pas-de-Calais, une importante réunion de travail sur l'avenir du département pour répondre à son appel vers plus d'espérance et plus de confiance.Ï Vive Arras !Ï Vive la République !Ï Vive la France !\