17 juillet 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. Valéry Giscard d'Estaing en introduction à la réunion de travail sur le développement de l'Ile-de-France, Paris, Palais de l'Élysée, jeudi 17 juillet 1980

Je vous remercie d'avoir accepté de participer à cette réunion de travail. Une réunion qui est importante à un double titre.
- D'abord parce que, depuis la réforme de 1976, c'est la première fois que le Président de la République et le Gouvernement rencontrent officiellement les représentants des nouvelles assemblées régionales pour évoquer les problèmes de la région. Vous savez que j'ai souhaité doter Paris et l'Ile-de-France d'institutions administratives modernes et démocratiques, à l'image du reste de la France. Je souhaite qu'à la fin de nos travaux nous échangions nos sentiments sur les enseignements à tirer de l'expérience de ces quatre premières années.
- L'importance de cette réunion tient surtout à son objet : la définition des orientations à moyen terme de l'aménagement de l'Ile-de-France, c'est-à-dire de notre capitale et de sa région.
- Une réflexion a été engagée par les autorités régionales sur la révision du schéma directeur. Le moment venu, le Gouvernement aura à en délibérer.
- Je vous ai proposé cette rencontre pour engager au plus haut niveau de l'Etat la concertation nécessaire.
- Compte_tenu de l'importance et de la complexité des sujets, nous ne devons pas attendre de la réunion d'aujourd'hui un accord sur tous les points. Mais je souhaite qu'elle permette de dégager quelques lignes de force pour les décisions futures, et de poser les problèmes au-niveau où ils doivent l'être.\
J'ai pris une connaissance attentive des documents préparatoires de vos assemblées. J'en ai apprécié la qualité et la hauteur de vues. Aussi, pour introduire nos travaux, je voudrais simplement faire deux observations qui concernent le caractère du schéma directeur et son contenu.
- Le premier schéma directeur, qui a été conçu en fait dans les années soixante, était marqué par la grande phase de croissance quantitative et d'urbanisation que connaissaient la France et l'agglomération parisienne. Le temps nous permet de porter un premier jugement sur les décisions prises il y a quinze ans, et sur la politique opiniâtrement conduite depuis.
- A l'actif de cette politique, il faut porter :
- une définition judicieuse des nouveaux pôles d'urbanisation `villes nouvelles` comme des espaces à protéger £
- un effort considérable en-matière d'équipements collectifs, et d'abord d'infrastructures de transport `RER` - la carte est, ici, éloquente £
- la résorption de la plaie honteuse des bidonvilles.
- Mais il faut aussi admettre un passif : l'insuffisante qualité de l'habitat nouveau et de l'urbanisme, et l'insuffisante attention portée à la vie quotidienne des habitants de la capitale et de ses nouvelles banlieues.\
Le premier schéma directeur était celui de la croissance quantitative et de l'urbanisation accélérée. Le nouveau schéma sera celui de la croissance économe et de la qualité du cadre_de_vie.
- Voilà pour le caractère de ce document, et son inspiration générale.
- Mais il faut aller plus loin et évoquer aussi son contenu.
- N'oublions pas que les grandes décisions d'aménagement fixent les orientations d'une agglomération pour une ou plusieurs décennies. Je rappelle que le grand axe de Paris à Saint-Germain, tracé par LOUIS XIV, a guidé l'urbanisme haussmannien au XIXème siècle, et continue d'ordonner la composition du quartier de La Défense. Les arbres que nous replantons en forêt de Saint-Germain, à Sevran ou aux Haras de Jardy, arriveront à maturité non pas à la fin de ce siècle, mais à la fin du siècle prochain.
- Puisque nous devons prendre en-compte le long terme, il faut nous fixer un objectif d'ensemble. Un objectif qui soit porteur d'une grande ambition.
- L'ambition que je vous propose est de faire de l'Ile-de-France, pour la fin du siècle, la grande métropole économique, culturelle et politique de l'Europe de l'Ouest, et de l'ensemble vertical méditerrano - africain.
- Par une chance historique, cette ambition est à notre portée. Mais elle exige que soient réunies trois conditions majeures : la puissance économique, le rayonnement culturel, la qualité du cadre_de_vie.\
D'abord la puissance économique.
- Nous avons à en parler, mais j'indique tout de suite que je n'ai personnellement aucune crainte sur l'avenir économique de l'Ile-de-France.
- Voilà une région qui concentre le cinquième de notre capacité industrielle, le tiers de notre potentiel d'enseignement supérieur, les deux tiers de nos moyens de recherche `recherche scientifique`, et plus des trois quarts des centres de décision publics et privés. Une région où sont représentées toutes les activités industrielles d'avenir, et qui échappe aux difficultés liées à la reconversion des industries lourdes : extraction minière, sidérurgie, construction navale. Une région où le taux de natalité des entreprises est supérieur de moitié à la moyenne nationale, et qui n'a donc pas à craindre la concurrence du développement de la Lozère ou de l'Ariège.\
Ensuite, le rayonnement culturel.
- Depuis six ans, beaucoup de décisions ont été prises pour développer le potentiel scientifique et le patrimoine culturel de Paris. Le Centre Pompidou "Beaubourg" a déjà accueilli plusieurs millions de visiteurs. Le Musée d'Orsay est en travaux. L'Institut Auguste Comte a ouvert ses portes à nos meilleurs ingénieurs, et l'Institut français d'architecture sera installé à la rentrée. Le Grand Palais va être rendu à sa grande vocation culturelle, avec notamment la création d'un Centre international de la presse. L'Institut du Monde arabe offrira un lieu permanent de dialogue entre les cultures orientale et islamique.
- Enfin, le Centre des sciences et de l'industrie de La Villette donnera à Paris le plus grand musée scientifique d'Europe que mérite la qualité de notre technologie et de notre recherche fondamentale.
- Ces réalisations marqueront le Paris de la fin du siècle.
- Je souhaite qu'elles soient parachevées par l'organisation, en Ile-de-France, de l'exposition universelle de l'an 2000. Le schéma directeur devra définir les emprises de cette exposition.\
Mais la puissance économique et le rayonnement culturel ne suffisent pas. Dans un pays démocratique, la vraie grandeur d'une métropole se mesure non pas au niveau de vie des plus riches, mais aux conditions_de_vie des moins favorisés.
- La croissance ralentie de la région, qui n'est peut-être qu'un phénomène temporaire, nous donne une chance de corriger ses déséquilibres et de concevoir un urbanisme plus respectueux de la qualité_de_la_vie et plus économe en énergie.
- L'Ile-de-France souffre, en effet, de trois grands déséquilibres que le schéma directeur devra corriger.
- Le premier, c'est la contradiction entre le mouvement de concentration des emplois dans le centre de l'agglomération et le phénomène de dispersion des logements dans la grande périphérie. Il y a 180 `nombre` emplois pour 100 personnes actives à Paris, et 60 emplois pour 100 actifs en grande couronne. Cela explique l'accroissement du nombre et de la durée des trajets quotidiens, dont la moyenne atteint près d'une heure. A ce niveau, la solution ne passe plus par de nouveaux allongements des réseaux de transport, mais par un effort pour rapprocher l'habitat et l'emploi.
- Second déséquilibre : le déficit financier croissant du système des transports en_commun. Ce déficit ne sera maîtrisé que par une clarification des responsabilités ainsi que le Gouvernement l'a proposé.
- Troisième déséquilibre : les inégalités de cadre_de_vie entre les quartiers prospères et les banlieues pauvres. C'est pourquoi j'ai demandé au Gouvernement d'engager une politique des banlieues. Je souhaite que les assemblées régionales y apportent leur -concours.\
En définitive - et ce sera ma conclusion - comme fil conducteur de notre réflexion sur l'Ile-de-France de la fin du siècle, je vous propose de garder à l'esprit trois images :
- L'image de l'homme d'affaires européen, américain ou japonais. Pourquoi passe-t-il par Paris ? Comment faire pour qu'il installe son état-major en Ile-de-France, plutôt qu'à Bruxelles ou à Londres ?
- L'image de l'étudiant originaire du Tiers-Monde. Les Léopold SENGHOR, les CHOU EN LAI, les Karol WOJTYLA de demain feront-ils encore leurs études à Paris ? que faire pour attirer les jeunes élites du Tiers-Monde.
- L'image de l'enfant des banlieues du Val-de-Marne ou de Seine-Saint-Denis. Comment lui offrir un cadre_de_vie qui permette son épanouissement personnel et lui donne l'égalité des chances, avec l'enfant des quartiers prospères.
- Voilà les questions qui commandent le destin de l'Ile-de-France. Gardons ces images à l'esprit pour nos travaux de ce matin et, au-delà, pour la conduite de notre action quotidienne.\