11 juillet 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. Valéry Giscard d'Estaing sur les relations franco-allemandes, les relations Est Ouest et le rôle de l'Europe, après son voyage officiel en RFA, Bonn, vendredi 11 juillet 1980

`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Monsieur le chancelier,
- messieurs,
- J'ai eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises au-cours de mon voyage officiel en Allemagne fédérale`RFA`. J'ai eu l'occasion hier soir d'exprimer ma reconnaissance au Président de la République fédérale d'Allemagne `Karl CARSTENS` et au Chancelier Helmut SCHMIDT pour la parfaite organisation de ce voyage. Au-cours de cette conférence_de_presse, je répondrai à vos questions sur les enseignements que je tire de ce voyage.
- Je voudrais joindre aux remerciements que j'ai exprimés hier soir aux autorités de l'Allemagne fédérale ceux que j'adresse à la presse de l'Allemagne fédérale et aux moyens d'information qui ont assuré une excellente couverture et information sur le déroulement de ce voyage. Concernant la rencontre franco - allemande qui vient d'avoir_lieu, j'ajouterai peu de choses à l'analyse de son contenu faite par le Chancelier fédéral, si ce n'est sur les points suivants.
- D'abord nous avons comme chaque fois veillé à mieux coordonner nos efforts et en-particulier ceux de la conduite de notre politique économique pour faire face aux difficultés économiques actuellement perceptibles dans le monde et en Europe. Les ministres chargés de l'Industrie ont examiné, à cet égard, la situation de certains grands secteurs industriels.
- Nous avons observé, d'autre part, le progrès des actions de coopération que nous avons décidées et dont le calendrier se déroule normalement : la construction du satellite franco - allemand de télévision directe et la préparation d'un char de combat franco - allemand.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Au point de vue de la situation internationale, nous avons décidé de rappeler le contenu de notre déclaration commune du 9 février `1980 ` date` dernier sur l'Afghanistan. Une déclaration dans laquelle nous soulignons à la fois le caractère inacceptable de la situation créée par l'intervention soviétique `URSS` en Afghanistan et la nécessité d'y mettre fin. Si nous l'avons fait, c'est pour souligner le fait que les autres développements actuels de la situation internationale n'affaiblissaient ni la préoccupation de nos deux pays en ce qui concerne la prolongation de cette situation ni la volonté de rechercher les moyens d'y mettre fin.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Le dernier élément de ce sommet franco - allemand, c'est l'importance que nous avons décidé de donner ensemble à la dimension culturelle de notre coopération. Nous avons eu l'occasion d'observer ce qui avait été fait et qui est loin d'être négligeable. Mais nous pensons qu'il faut aller plus loin. C'est une conclusion de mon voyage et de notre sommet. La prochaine rencontre franco - allemande au sommet qui aura _lieu au début de 1981 en France sera largement consacrée au développement de la connaissance réciproque du peuple allemand et du peuple français et de leurs cultures respectives. Je souhaite que les grands moyens d'information s'associent à cet effort de connaissance réciproque, peut-être d'ailleurs ferons-nous appel à leur -concours. Enfin, j'ai indiqué au président de la République fédérale d'Allemagne `RFA` que je comptais lui adresser une invitation officielle à venir à son tour se rendre en France. Etant donné les échéances de notre vie nationale, cette invitation sera adressée au nom du Président de la République française.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez utilisé plusieurs fois pendant votre voyage le mot communauté de destin. Quelle sera, à votre avis la tâche concrète de la France et de l'Allemagne `RFA` dans le monde ?
- LE PRESIDENT.- J'ai voulu en employant cette expression, distinguer deux tâches. Celle, largement accomplie, de la réconciliation franco - allemande, qui est l'oeuvre des vingt dernières années £ celle, qui doit être accomplie et qui est celle de la communauté de destin, c'est-à-dire de la conscience que nous avons du caractère solidaire des événements qui peuvent affecter la vie de nos peuples. Ceci doit nous conduire à deux types d'action, d'abord concerter nos actions de manière systématique et régulière face à l'ensemble des événements se déroulant dans le monde £ d'autre part, faire entendre ensemble la voix de l'Europe pour proposer des solutions ou pour suggérer des actions concernant le déroulement de ces événements. Quand je dis faire entendre ensemble notre voix, c'est bien entendu aussi avec nos partenaires de la Communauté_économique_européenne.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit que la réconciliation franco - allemande est chose faite. Pourtant je lis attentivement les discours du Chancelier SCHMIDT qui parfois dit que l'ombre d'Auschwitz, de la deuxième guerre, pèse lourd sur les activités de la République fédérale. Avez-vous conseillé au Chancelier SCHMIDT d'oublier ce passé ?
- LE PRESIDENT.- Quand le Chancelier SCHMIDT fait allusion à des situations de ce genre, il ne pense pas à un conflit entre l'Allemagne fédérale `RFA` et la France. Et lorsque je parle de réconciliation je veux dire la réconciliation entre l'Allemagne fédérale et la France. Il existe des tensions dans le monde que chacun connaît, il existe des risques que chacun connaît. Je crois que la citation à laquelle vous faites allusion montre la préoccupation du Chancelier SCHMIDT devant la montée des risques dans le monde, mais pas du tout dans la reprise d'une menace en ce qui concerne la France et l'Allemagne entre lesquelles les risques d'un affrontement, et c'est une chose très heureuse pour moi de le dire, sont écartés pour toujours.\
`Politique étrangère`
- QUESTION.- Monsieur le Président, au-cours de l'entretien avec M. Helmut SCHMIDT est-ce que vous avez porté votre attention sur les propositions faites par les autorités soviétiques à M. Helmut SCHMIDT à Moscou concernant notamment les négociations sur les euro-missiles ?LE PRESIDENT.- Votre question concerne la réponse apportée à Moscou à certaines propositions qui avaient été faites par les pays de l'OTAN. Je dirai d'abord sur la visite du Chancelier et de Monsieur GENSCHER à Moscou que celle-ci était non seulement utile mais nécessaire. Il suffit d'imaginer ce que serait la situation de tension dans le monde à l'heure actuelle et combien l'Europe serait absente du débat s'il n'y avait pas eu sur les deux sujets essentiels de l'actualité les deux entretiens successifs qu j'ai eus moi-même à Varsovie avec M. BREJNEV et que le Chancelier et M. GENSCHER ont eus à Moscou sur les problèmes stratégiques et les problèmes de défense.
- La France en tant que puissance nucléaire indépendante n'est concernée ni par la décision prise par l'OTAN au mois de décembre dernier ni par la réaction soviétique à l'offre de négociation. Je ne parle donc pas au nom d'un pays directement concerné. Je rappelle d'ailleurs que la France a indiqué qu'elle ne participerait pas à la négociation SALT III. Par contre, la France est évidemment préoccupée par l'équilibre stratégique dans le monde et en Europe. Elle est favorable à la -recherche d'un équilibre. Cet équilibre doit être global et donc englober tous les types de force qui ne doivent pas tre déliés. Cet équilibre doit, bien entendu, comprendre les forces conventionnelles. Concernant la réaction soviétique, c'est-à-dire la nouvelle formulation donnée aux conditions d'ouverture d'une négociation par M. BREJNEV, je constate que l'absence de préalable signifie que la situation de fait sera caractérisée par deux éléments : premier élément : la poursuite des programmes de production et de développement des armes à moyenne portée soviétiques et notamment les SS 20 £ d'autre part, la mise en_oeuvre de la décision de l'OTAN concernant la modernisation des armes nucléaires de théâtre.
- Telle est la situation de fait. Quel est alors l'objet de la négociation ? Ce sera, ou ce serait de fixer un plafond à ce type d'armement.
- L'ouverture d'une telle négociation rencontre une question difficile qui est celle de la définition des armements concernés. Ceci appelle une réflexion très attentive. J'ai indiqué que cette approche du problème devait nécessairement être globale et comporter aux deux extrémités les conséquences suivantes. Je rappelle que nous sommes favorables à la ratification de l'accord SALT II sur la limitation des armements stratégiques à longue portée et que nous demandons la mise en_route effective de la négociation sur la limitation des armements conventionnels dans toute l'Europe, ainsi que la France l'a proposée et ainsi qu'elle le demandera avec l'ensemble de ses partenaires à l'occasion de la conférence de Madrid `CSCE`. Voilà donc la réaction sur les propositions qui ont été faites concernant la possibilité d'ouvrir des négociations sur les armes nucléaires à moyenne portée.\
QUESTION.- Monsieur le Président, on a l'habitude de parler des deux super-puissances lorsque l'on évoque l'Union Soviétique `URSS` et les Etats-Unis. Devra-t-on dire désormais le "troisième super-grand" en parlant de l'Europe ?
- LE PRESIDENT.- Je ne crois pas que l'Europe vise à devenir ce qu'on appelle une super-puissance. La définition de super-puissance est d'ailleurs empruntée très largement au vocabulaire militaire de l'après-guerre. Vous avez entendu le Chancelier fédéral `Helmut SCHMIDT` dire que l'Allemagne fédérale `RFA` excluait tout recours à l'armement nucléaire. Nous ne recherchons donc pas le vocabulaire des super-puissances. Si vous voulez dire par là que dans les grands débats du monde et dans les grandes affaires du monde la voix de l'Europe devra être et pourra être fortement entendue, je le pense.\
`Politique étrangère`
- QUESTION.-Monsieur le Président, vous avez dit, lundi soir, que le monde avait besoin d'une Europe forte et indépendante. Alors la question que se posent beaucoup d'Allemands : indépendante de qui ? LE PRESIDENT.- Vous êtes Allemand ou Français ?
- JOURNALISTE.- Je suis anglais.
- LE PRESIDENT.- Je vous félicite car votre accent ne me permettait pas d'envisager cette hypothèse.
- Votre question est tout à fait curieuse. Elle porte la marque des circonstances historiques qu'a connu notre génération parce que lorsqu'on dit indépendant, pourquoi veut-on dire indépendant de qui. Lorsque les Etats-Unis disent qu'ils sont indépendants, on ne dit pas de qui ils sont indépendants. Lorsque la Chine dit qu'elle est indépendante, on ne dit pas de qui elle est indépendante. Pourquoi voulez-vous que lorsque l'Europe, qui a un passé, une histoire bimillénaire, parle de son indépendance, on dise de qui elle doit être indépendante. Indépendante, cela veut dire exister en soi-même et je souhaite que l'Europe existe en elle-même.
- Naturellement, vous posez indirectement la question des alliances, mais les pays indépendants ont toujours eu des alliances. L'histoire de la Grande-Bretagne, l'histoire de l'Allemagne, l'histoire de la France est une longue histoire d'alliances et cependant nos pays étaient indépendants. Donc indépendant cela veut dire exister en soi-même. Cela ne veut pas dire indépendant vis-à-vis de quelqu'un de déterminé et cela n'est nullement incompatible avec l'existence d'alliances et de respect de leurs obligations.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- QUESTION.- Monsieur le Président, pensez-vous que la coopération militaire franco - allemande puisse déboucher un jour prochain sur des analyses stratégiques communes et dans l'affirmative est-ce que l'Allemagne ne devrait pas prendre des obligations forcément en contradiction avec ses engagements à l'égard de l'OTAN ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'avons, en aucune manière, ni étudié ni envisagé une modification des relations existant actuellement sur-le-plan militaire entre l'Allemagne fédérale `RFA` et la France.\
QUESTION.- Monsieur le Président, lors du sommet d'Aix-la-Chapelle il avait été décidé de mettre fin à un des derniers contentieux franco - allemands, l'indemnisation des incorporés de force. où en sommes-nous actuellement ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que vous représentez un journal alsacien.
- J'ai rappelé au Chancelier fédéral `Helmut SCHMIDT` l'importance que j'attachais à la solution de cette question qui est, en effet, un des derniers points du contentieux issu de la dernière guerre. Je lui ai rappelé qu'il y avait eu un échange de lettres l'année dernière pour régler ce problème. Le Chancelier fédéral m'a indiqué ceci : qu'il s'est engagé personnellement à résoudre la question, il a donc été demandé aux deux ministres des Affaires étrangères, dans leur prochaine rencontre qui doit avoir _lieu à l'automne, de préparer les éléments matériels de mise en_oeuvre de cette solution.\