8 juillet 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. Valéry Giscard d'Estaing au dîner offert au château de Wilhelmshoehe par M. le ministre-président de l'Etat de Hesse et Mme Boerner, lors de sa visite officielle en République fédérale d'Allemagne, Kassel, le mardi 8 juillet 1980

`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Monsieur le ministre-président,
- monsieur le ministre fédéral,
- monsieur le président du Land de Hesse,
- (Le début de l'allocution est prononcé en allemand).
- Je suis heureux d'être aujourd'hui parmi vous à Kassel, au-coeur même de l'Allemagne, dans ce Land de Hesse, carrefour du Main et du Rhin, charnière entre l'Allemagne du Nord et l'Allemagne du Sud, en même temps que passage largement ouvert entre l'Ouest et l'Est.
- C'est dans cette Hesse, traversée de longue date par les mouvements des hommes et des idées, que je souhaiterais évoquer la dimension nouvelle que revêtent aujourd'hui les échanges entre nos deux peuples £ je veux parler de nos relations économiques.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Vous avez dit, monsieur le ministre-président, que dans le dialecte de la Hesse il y avait de nombreuses expressions françaises. Je crains d'en avoir, cet après-midi, ajouté quelques-unes. Je vais donc poursuivre mon discours en français.
- La puissance économique de l'Allemagne fédérale `RFA`inspire la considération et sa gestion suscite l'estime. Vos performances, en-matière de croissance de la production, de modération de la hausse des prix et de niveau d'emploi, vous ont constamment situés en tête des pays de l'OCDE. Deuxième pays du monde occidental par sa production, votre pays est devenu, en 1977 `année` le premier exportateur mondial à égalité avec les Etats-Unis d'Amérique.
- La capacité d'adaptation de l'économie allemande aux nouvelles conditions de la concurrence internationale a été remarquable. A la suite du premier choc pétrolier, en 1974, votre pays avait rétabli, en un an, son équilibre commercial. Vos entreprises ont su pratiquer cette adaptation permanente qui est la condition du maintien de la compétitivité des économies développées. Toutes ces données composent ce qu'il est convenu d'appeler depuis maintenant deux décennies le "miracle allemand".\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- La France, pour sa part, a rejoint le peloton de tête des puissances économiques.
- Je ne rappllerai pas l'oeuvre accomplie de notre côté du Rhin depuis plus de vingt ans, le rythme soutenu de la croissance économique française, constamment supérieure à celle de ses partenaires européens, et en-particulier supérieure en moyenne, depuis 1974, à celle de tout autre pays industriel à la seule exception du Japon, l'ouverture de nos frontières longtemps fermées qui nous a conduits à affronter la concurrence internationale et, du même coup, les changements en profondeur qui se sont accomplis dans notre agriculture et dans notre industrie.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- En 1974, à l'automne, le Gouvernement français a décidé de diminuer la dépendance de la France vis-à-vis des importations de pétrole. Les axes de notre politique sont les économies d'énergie, le développement des énergies de substitution, et l'encouragement des technologies nouvelles.
- Le programme électro-nucléaire français est le plus ambitieux de tous les pays industrialisés, il ne se compare qu'à celui du Land de Hesse. Depuis 1970, la France engage des investissements d'environ 5000 MW par an ce qui portera la puissance installée en 1985 à 4000 MW et la production électronucléaire à 200 milliards de kwh. Nous poursuivrons cet effort jusqu'en 1990 et notre objectif est de réduire la part du pétrole dans l'énergie française en 1990 à moins de 33 %. Une telle -entreprise requiert des efforts considérables par le poids des investissements financiers nécessaires et par la nécessité de surmonter les obstacles de toute -nature. Mais la France a adopté une ligne claire, elle s'y tiendra avec la compréhension et le soutien de son opinion publique qui, heureusement, en comprend la nécessité.
- Grâce à ces efforts, la France a pu surmonter les conséquences du premier choc pétrolier. Depuis quatre ans, notre industrie se transforme. Elle est aujourd'hui présente sur tous les marchés et dans tous les secteurs sur lesquels se concentrera la compétition économique de demain. Le Gouvernement s'efforce de discerner dans les différentes technologies, celles qui assureront la croissance économique et l'emploi de l'an 2000. La fermeté du franc, c'est-à-dire le fait que le ffranc `monnaie` supporte aisément la comparaison avec votre solide deutschemark, témoigne de la solidarité de notre économie et du jugement positif que porte la communauté internationale sur elle.
- Ainsi nos deux économies, l'économie allemande `RFA` et l'économie française, sont bien armées pour affronter la phase difficile que le monde connaît à nouveau depuis la fin de l'année dernière et pour constituer au-sein du monde occidental une zone de stabilité et de croissance.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Nos pays auraient très bien pu conduire leurs progrès de façon séparée. C'est à cela que l'instinct historique les conviait. Mais, au contraire, ils sont devenus l'un pour l'autre des partenaires privilégiés, liés par des solidarités industrielles, commerciales et financières de plus en plus denses.
- Chacun connaît l'importance de nos échanges commerciaux. Chaque mois, près de 3,5 milliards de deutschmark de produits allemands sont vendus en France et près de 3 milliards de deutschmark de marchandises françaises sont livrés à l'Allemagne `RFA`, soit près de 12 % de ce qu'importe votre pays et près de 17 % de ce qu'importe la France. A lui seul votre Land de Hesse achète davantage à la France que ne le font telle ou telle grande puissance économique mondiale et lui vend davantage que ne le fait, par exemple, un pays important dans nos relations économiques comme l'Algérie.
- Ces échanges sont le produit d'une interpénétration croissantes des économies de nos deux pays. Ce mouvement spontané dû à l'action des responsables de toutes les entreprises n'a jamais connu de phase d'arrêt £ il ne s'est pas limité aux entreprises puissantes : il a, chez vous comme chez nous, gagné les entreprises moyennes et petites.
- C'est dire que nos deux grands marchés, structurés et solvables, sont devenus indispensables l'un à l'autre. Nos pays éprouvent, désormais, le besoin de développer, dans-le-cadre de la Communauté_économique_européenne, une stratégie industrielle de partenaires.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- L'Allemagne `RFA` et la France participent, en effet, depuis l'origine à la construction européenne et ce qu'on oublie parfois de dire c'est que cette construction a commencé précisément par une conception de stratégie industrielle singulièrement audacieuse qui était celle d'organiser le Marché_commun du charbon et de l'acier et c'est dans l'ensemble européen que leurs relations connaissent des développements nouveaux.
- Dans le domaine économique, la création par nos deux pays du groupement Airbus avec le -concours d'autres partenaires européens, a obtenu une réussite technique et commerciale remarquable. Je me souviens des obstacles que nous avons rencontrés avec le Chancelier fédéral `Helmut SCHMIDT` lorsqu'il a fallu réunir les moyens nécessaires pour entreprendre cette action qui, à l'origine, était à la fois, j'en conviens, risquée et onéreuse. De même, monsieur le ministre-président, nous avons organisé étroitement notre coopération technologique dans les filières nucléaires, dans le domaine spatial où nous nous préparons ensemble à de nouveaux développements et dans certaines co-productions importantes touchant notre défense. Nos deux gouvernements ont créé des structures communes qui forment désormais un noyau solide dans l'industrie européenne.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Plus récemment, c'est dans le domaine monétaire que le caractère exemplaire de la coopération franco - allemande et son rôle d'entraînement pour le reste de l'Europe se sont manifestés. Conscients des inconvénients des fluctuations désordonnées des monnaies et de la nécessité de créer une zone de stabilité monétaire en Europe, le Chancelier SCHMIDT et moi-même avons pris l'initiative de proposer le système monétaire européen `SME`. Combien d'obstacles n'avons-nous pas rencontrés ? Combien de scepticismes ne se sont-ils pas exprimés ? Or, ce système est entré en_vigueur en mars 1979 `date` et il apparaît aujourd'hui comme une donnée essentielle de la vie monétaire européenne et internationale. Bien que nous ayons observé au-cours des derniers mois des fluctuations considérables de la valeur des principales monnaies, de la valeur du dollar des Etats-Unis d'Amérique, de la valeur du yen, on s'est aperçu qu'il y avait dans la communauté monétaire internationale une prise de conscience de la réalité du système monétaire européen qui a fonctionné jusqu'ici sans accroc.
- Je voudrais faire quelques brèves remarques, monsieur le ministre-président, à la suite de ce que vous avez dit et à la suite de mes propres observations.
- D'abord, à propos de l'Europe. Le système monétaire européen nous donne une indication utile sur lamanière de faire progresser la construction européenne. Cette indication est la suivante : il est possible d'entreprendre des actions nouvelles en Europe, avec le -concours de ceux des partenaires qui, à un moment donné, sont disposés à se joindre à une telle action et qu'il faut le faire sans exclure personne et en gardant toujours ouvert le dispositif, afin que ceux qui n'ont pas pu s'y joindre au départ puissent ensuite venir y participer. Si nous adoptons une telle approche, de nouveaux progrès dans la construction européenne pourront être accomplis.
- Il ne faut pas commencer par des démarches trop formelles portant sur des mécanismes institutionnels trop rigides. Pour le système monétaire européen, nous avons désigné un objectif et convié les institutions de nos pays et de nos partenaires, à atteindre ensemble cet objectif. Nous avons ainsi créé des habitudes, des méthodes, des occasions de travail en_commun qui se sont révélées fructueuses. Il y a là aussi un enseignement pour l'avenir de la construction européenne.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Monsieur le président, vous avez parlé du grave problème de la démographie dans votre Land et en Allemagne fédérale `RFA`. Je suis intéressé d'entendre ce problème évoqué sans doute pour une des premières fois par une des hautes autorités politiques de votre pays. Nous sommes nous-mêmes, en France, très préoccupés de cette question. Nous conduisons une politique d'ensemble, à la fois d'étude sur les causes véritables de cette situation et en même temps de -recherche de moyens divers de rendre à notre pays sa vitalité démographique.
- Mais, je crois, qu'à côté des réponses techniques, scientifiques ou purement démographiques, il y a une réponse philosophique ou métaphysique. Même d'un point de vue scientifique, nous aurions tort de réduire le problème démographique à sa seule approche matérielle concernant la situation ou la condition de la famille dans la société moderne, car la décision ou l'espoir d'une naissance sont certainement motivés dans notre collectivité par des visions à plus long terme.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Si les futures mères de famille ont l'impression qu'on se dirige vers un conflit mondial dévastateur et que leurs enfants de l'an 2000 seront les victimes d'un tel conflit, ceci ne va certainement pas dans le sens du renouveau démographique. De même, si nos sociétés apparaissent comme pessimistes, pessimistes à l'intérieur dans la -nature de leur affrontement par exemple entre les différentes générations ou pessimistes vis-à-vis de l'extérieur, quant à la capacité d'être une structure de progrès et de civilisation dans le monde, pourquoi les femmes souhaiteraient-elles porter de jeunes enfants, de nouveaux êtres qui connaîtront ces affrontements ou qui connaîtront ces incertitudes de notre civilisation.
- C'est pourquoi à côté des réponses techniques de la politique familiale et démographique, il y a des réponses philosophiques à apporter et, je dirai, à apporter ensemble. Si nos populations étaient convaincues que l'Europe de l'Ouest sera dans les années à venir une zone de paix et donc de sécurité, et en même temps une zone de progrès et de civilisation, pourquoi les jeunes femmes allemandes, pourquoi les jeunes femmes françaises ne seraient-elles pas heureuses d'y voir vivre et grandir leurs enfants. Je souhaite que, dans la politique que nous conduisons, qui n'est pas une politique uniquement à court terme d'arrangements économiques ou commerciaux entre nos deux pays et qui procède, en ce qui concerne le Chancelier et moi-même, d'une vue historique, en apportant une image de progrès, de civilisation, de bonheur européen à nos populations, nous apportions aussi une réponse à la crise démographique.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Je vous dirai enfin, monsieur le ministre-président, que nous avons une certaine expérience des problèmes des travailleurs immigrés. Nous avons un secrétaire_d_Etat dans notre Gouvernement qui s'en occupe. Nous avons pu mettre sur pied, sur-le-plan de l'éducation, sur-le-plan de l'information, sur-le-plan du logement, un certain nombre de réponses qui ne sont sans doute pas parfaites mais qui correspondent à une étude attentive de ce problème. Je demanderai à notre secrétaire_d_Etat de vous rendre visite pour voir avec vous en quoi nos expériences vis-à-vis de cet important et sensible problème peuvent être mutuellement utiles.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- (La fin de l'allocution est prononcée en allemand.)
- Dans un Land, que son passé et son présent lient vigoureusement à la France, où mes compatriotes sont aujourd'hui nombreux et actifs, où la place financière de Francfort nous rappelle la solidarité des monnaies, où le site industriel de Biblis témoigne de notre avenir énergétique, dans votre ville de Kassel, nourrie de traditions et ouverte aux activités créatives les plus modernes, je suis convaincu que mon propos a, aujourd'hui, toutes les chances d'être entendu et partagé.
- Je sais, monsieur le ministre-président, vous qui avez pris en mains, il y a cinq ans, les destinées de la Hesse, combien ces problèmes vous tiennent à_coeur et combien vous préoccupe l'avenir de votre région, à la vocation si variée et aux possibilités si riches. Je voudrais lever mon verre à la prospérité de votre Land et à votre succès personnel.\