8 mai 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Interview accordée par M. Valéry Giscard d'Estaing à Radio-France, sur le "trilogue" et la politique de coopération, à l'occasion de la conférence franco-africaine, Nice, le jeudi 8 mai 1980

QUESTION.- Le sommet franco - africain de Nice s'ouvre dans un contexte international dramatique. La dégradation de la situation au Proche-Orient et en Asie Mineure n'aura-t-elle pas des répercussions en Afrique ?
- LE PRESIDENT.- La Conférence franco - africaine s'ouvre dans un contexte international dramatique. Il est évident que la situation au Proche-Orient et en Asie a des répercussions sur le continent noir, ne serait-ce que par les incidences de la crise pétrolière et les répercussions des antagonismes dans une zone aussi proche de l'Afrique.
- Je dois toutefois souligner que l'objectif du sommet franco - africain n'est pas d'évoquer les situations politiques, mais les problèmes économiques. C'est à l'examen de ces questions qui revêtent aujourd'hui une grande acuité pour le développement de l'Afrique que sera consacré le sommet de Nice, comme d'ailleurs ce fut le cas lors des réunions précédentes.
- Chacun des participants à la conférence fera ses propres analyses de la situation, un débat s'établira, des solutions seront recherchées par exemple à des questions vitales pour l'Afrique comme le développement des _cultures vivrières =agriculture=, la -recherche d'énergies renouvelables, le problème des cours des matières premières et des produits tropicaux. Je pense également aux problèmes des pays les plus démunis, des pays enclavés ou insulaires, des pays du Sahel. C'est dans cette analyse en_commun, très libre et très franche et la -recherche de solutions concrètes à des problèmes concrets, que réside l'originalité de la conférence franco - africaine.\
QUESTION.- Les événements ont conduit la France à intervenir en de nombreux pays d'Afrique. Ne craignez-vous pas que ces interventions répétées prêtent le flanc à des accusations de néo-colonialisme ?
- LE PRESIDENT.- La France a été conduite au-cours des dernières années à intervenir dans certains pays d'Afrique à la demande expresse des autorités légitimes. Ces interventions ont toujours eu pour objet d'empêcher les ruptures d'équilibre `déstabilisation` et de permettre la -recherche de solutions pacifiques par la voie de négociation. D'ailleurs lorsque les gouvernements jugent que notre présence n'est plus nécessaire et demandent le retrait de nos éléments d'intervention, il leur est donné satisfaction comme c'est aujourd'hui le cas pour le Tchad et la Mauritanie.
- Il s'agit donc de relations de solidarité et de confiance avec nos amis africains de façon à leur permettre de garder toujours en_main leur responsabilité et de décider eux-mêmes de leur destin.\
QUESTION.- Tous les observateurs savent que votre proposition de "trilogue" entre l'Europe, le monde arabe et l'Afrique sera au-centre du débat. Pouvez-vous apporter quelques précisions sur cette notion de "trilogue" ? D'autre part, sera-t-il en priorité économique ou culturel ?
- LE PRESIDENT.- J'ai eu l'occasion d'exposer - notamment lors du sommet franco - africain de Kigali en 1979 puis lors d'une brève visite au Président en exercice de l'OUA, qui était alors le Président NIMEIRY - les grandes lignes du projet de trilogue euro - arabo - africain.
- J'ai également évoqué ce projet, lors de mes voyages officiels dans la région du Golfe `persique` et en Jordanie, avec les Chefs de ces différents Etats et les communiqués officiels ont bien montré l'intérêt suscité par notre initiative.
- Celle-ci se fonde sur une double constatation :
- Dans le monde complexe qui est le nôtre, plusieurs approches à plusieurs niveaux, sont aujourd'hui nécessaires à l'amélioration des relations entre les pays industrialisés et le Tiers-Monde. Certains problèmes ne peuvent être abordés et traités que dans une enceinte "mondiale" comme l'ONU et la CNUCED. Mais il apparait de plus en plus que la -recherche de complémentarités réelles, s'appuyant sur une vraie solidarité, doit également inspirer les stratégies de développement. En ce sens la proposition d'un trilogue euro - arabo - africain traduit la volonté d'une coopération plus étroite et plus efficace - c'est-à-dire exemplaire - entre trois régions que la géographie, l'histoire et d'anciennes affinités culturelles ont habitué à la coexistence. Le trilogue peut ainsi contribuer à un meilleur équilibre des relations internationales et dans ces conditions, ne s'oppose pas aux efforts poursuivis par ailleurs, dans-le-cadre par exemple, des négociations globales" qui se préparent à l'ONU.
- Mais notre proposition se veut également novatrice, au-plan des méthodes. C'est en effet une approche "globale" des relations internationales que le trilogue propose aux états intéressés. C'est une perspective d'ensemble - d'-essence politique - et qui englobe la coopération économique et financière, les relations culturelles et toute une série d'actions nouvelles destinées à approfondir la solidarité euro - arabo - africaine. Un projet de "Charte de solidarité" sera, dans cet esprit, proposé à nos partenaires en_vue d'exprimer des préoccupations qui leur sont communes, c'est-à-dire la sécurité, le développement dans toutes ses dimensions et la coopération économique.
- Ainsi donc, le trilogue se veut un -cadre dynamique de concertation politique et de coopération dans les secteurs les plus divers. Visant à organiser, dans un -cadre approprié, des complémentarités évidentes et fondé sur de réelles solidarités, un tel projet ne saurait être présenté comme une alternative au dialogue_Nord-Sud, mais comme une contribution exemplaire à ce dialogue.\
QUESTION.- Lors de votre voyage dans les émirats du Golfe, nous avons appris que vous aviez l'intention de réunir, sans doute pendant l'année 1981, un impressionnant sommet, un sommet de quatre vingt Chefs_d_Etats ou de gouvernements. Quels devraient être dans votre esprit les objectifs d'une telle réunion ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai certainement pas évoqué sous cette forme et avec cette indication de date, ce projet - en effet "impressionnant" - de "sommet de quatre vingt Chef_d_Etats ou de gouvernements".
- J'ai indiqué plus haut tout l'intérêt d'une "Charte de solidarité" qui consacrerait dans un texte solennel, les multiples liens de solidarité qui unissent l'Afrique, l'Europe et le monde arabe, pour le développement, pour le progrès et pour la paix `trilogue`.
- Naturellement un tel document devrait être étudié en_commun, puis approuvé et adopté par une conférence des Chefs_d_Etats et de gouvernements des trois régions.
- L'on mesure, en énonçant un tel objectif l'ambition, mais aussi la difficulté d'un projet qui est nécessairement de réalisation progressive.
- Il s'agit de convaincre nos différents interlocuteurs de la nécessité de s'organiser dans de grandes zones géographiques et de faire mieux apparaître certaines réalités du monde contemporain.
- C'est dire que notre démarche demeurera sur ce sujet prudente £ nous procèderons par étapes. Ainsi la conférence franco - africaine de Nice est dans mon esprit l'une des étapes essentielles de réflexion commune, d'explication et d'exploration.\
QUESTION.- La France a été la première puissance qui se soit intéressée à l'instauration de prix stables pour les matières premières. Quelles mesures envisagez-vous pour atteindre ce but ?
- LE PRESIDENT.- La France défend en effet depuis longtemps le principe de la stabilisation des cours des matières premières. Elle est sans conteste, parmi les pays industrialisés, celui qui a reconnu et pris en considération le premier les besoins et les intérêts de pays producteurs et elle s'est employée à convaincre progressivement les autres pays développés de la nécessité de ne pas laisser fonctionner dans le désordre et l'incertitude les grands marchés des produits de base.
- C'est ainsi que la France a joué un rôle moteur dans l'adoption, en 1976 `année`, du "Programme intégré" de la CNUCED, qui vise à organiser les marchés de 18 `nombre` produits de base. Et vous savez que la négociation pour la création d'un fonds commun des matières premières, destiné à financer les stocks régulateurs des accords de ce programme intégré est en voie de conclusion : là également l'apport de la France a été tout à fait déterminant. Elle a tenu d'ailleurs, pour financer la -constitution de ce Fonds à fournir, en complément de sa participation normale, une contribution volontaire supplémentaire de 15 millions `somme` de dollars.
- D'autre part, la France a contribué, au-sein de la CEE, à l'institution d'un système de stabilisation des recettes d'exportation des 58 pays d'Afrique, des Caraibes et du Pacifique `Etats ACP` qui participent à la Convention de Lomé. Ce système, connu sous le nom de STABEX, couvre aujourd'hui dix-neuf matières premières ou denrées produites par les pays. Il a été complété dans la nouvelle convention signée l'année dernière, par un dispositif couvrant les fluctuations des cours de certains minerais.
- En attendant la mise en_oeuvre, sur une échelle mondiale d'un ensemble significatif d'accords de produits et de son élément central, le Fonds commun, les relations établies entre pays producteurs de matières premières et pays importateurs par la Convention de Lomé constituent le meilleur exemple d'une coopération Nord-Sud dans-le-cadre régional.\
QUESTION.- La hausse des prix du pétrole, on le sait, frappe très durement les états africains importateurs. Une réflexion s'opérera-t-elle à Nice sur les moyens de pallier la crise mondiale de l'énergie ?
- LE PRESIDENT.- La France a toujours été préoccupée de l'effet extrêmement négatif de la hausse des prix du pétrole sur les économies des pays en développement importateurs de pétrole soit qu'elles soient frappées directement, soit que les exportations vers les pays industrialisés se ralentissent en-raison des difficultés que connaissent ces derniers. Les pays africains, dont bon nombre d'entre eux sont parmi les plus pauvres de la terre, sont à cet égard durement touchés.
- Pour sa part,la France apporte sa contribution à l'atténuation de ces difficultés en promouvant un dialogue_Nord-Sud susceptible de mieux assurer les bases de la croissance mondiale. Nous l'avons fait à Paris lors de la Conférence sur la Coopération Economique Internationale `CCEI`, nous le ferons à New-York dans-le-cadre des négociations dites globales et simultanées. Et le sommet franco - africain vient à-point nommé. Nous avons également redéployé une partie de notre assistance financière et technique bilatérale vers des projets de production énergétique tandis que, notamment au-sein de la Banque_mondiale, nous avons été les instigateurs d'une accentuation des efforts multilatéraux en_faveur du développement énergétique des pays en développement. Mais, nous ne devons pas rester là et nous menons actuellement une réflexion sur la meilleure façon de renforcer l'action internationale dans un domaine qui est une des clés de la croissance économiquue. La réunion des chefs_d_Etat de Nice permet naturellement de nourrir cette réflexion et de préparer des initiatives dont les premiers bénéficiaires devraient être des pays comme ceux d'Afrique.\
QUESTION.- Comment voyez-vous l'avenir de l'Afrique ? Si l'on pouvait parler d'une doctrine GISCARD pour l'Afrique, quelle serait-elle ?
- LE PRESIDENT.- En ce qui concerne l'avenir de l'Afrique son problème majeur est celui du développement et de l'adaptation de ses sociétés au monde moderne. Permettre à l'Afrique d'atteindre à la fin du siècle l'autosuffisance alimentaire alors que les prévisions actuelles indiquent qu'en l'an 2000 l'Afrique ne pourrait couvrir que 60 % `statistiques` de ses besoins, n'est-ce pas déjà un grand dessein ? Le développement de l'Afrique ne pourra se faire que dans la stabilité et la sécurité et avec l'aide des pays plus favorisés.
- Il n'y a donc pas pour le monde extérieur et plus particulièrement pour la France d'autre politique à avoir à l'égard de l'Afrique que celle de lui offrir sans condition l'aide dont elle a besoin tout en respectant son indépendance et ses options.\