13 avril 1980 - Seul le prononcé fait foi

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INTERVIEW ACCORDEE PAR M. VALERY GISCARD D'ESTAING AU JOURNAL "DIARIO DE CARACAS" A L'OCCASION DE LA VISITE EN FRANCE DU PRESIDENT VENEZUELIEN HERRERA CAMPINS, LE 13 AVRIL 1980

`Politique étrangère ` relations franco - vénézuéliennes`
- QUESTION.- Depuis des années, les relations entre la France et l'Amérique latine ont été axées sur le Brésil et le Mexique. La visite du Président vénézuélien et les travaux préparatoires qui l'ont précédée permettent de penser qu'il y a une nouvelle approche politique et économique en_direction du Vénézuela et quelle importance attribuez-vous à cette nouvelle phase des relations bilatérales.
- LE PRESIDENT.- La France a depuis longtemps affirmé son désir de rétablir avec l'Amérique latine, ce "continent du XXIème siècle" dont parlait le Général de GAULLE, des liens étroits tenant_compte de la place croissante qu'elle occupe dans le monde contemporain. Je suis persuadé que nos échanges d'idées et d'hommes, comme nos relations économiques, culturelles et scientifiques sont appelées à connaître un grand développement.
- La stabilité de ses institutions politiques, la vigueur de son essor économique, le talent de ses dirigeants font, en-particulier, du Venezuela, un interlocuteur important et un partenaire de qualité pour la France. Il est le quatrième en Amérique latine en ce qui concerne le volume des échanges économiques et l'un des tout premiers pour la coopération technique et scientifique.
- La France, qui s'honore d'avoir eu sa part dans les influences qui ont forgé l'âme et le visage du Venezuela, est convaincue que les conditions sont aujourd'hui réunies pour que nos deux pays passent à une nouvelle étape dans le développement de leurs relations bilatérales et mettent au service de la paix, de la stabilité et du développement dans le monde, leur -capital d'affinités et d'idéaux communs.\
`Politique étrangère ` relations franco - vénézuéliennes`
- QUESTION.- Généralement on pense que cette approche dissimule l'intérêt de la France pour diversifier ses sources d'approvisionnement du pétrole et en trouver d'autres "politiquement sûres" comme le Mexique et maintenant le Venezuela. Affirmerez-vous que cette approche est désintéressée.
- LE PRESIDENT.- Je vous rappelle que la France, comme d'ailleurs les autres pays de la CEE, n'importe actuellement que des quantités marginales de pétrole en provenance du Venezuela, et qu'elle poursuit un effort pratiquement unique dans le monde, pour réduire sa consommation de pétrole, et développer des sources alternatives d'énergie.
- Nous sommes intéréssés par le développement d'une coopération équilibrée qui pourrait consister en l'acquisition de quantités accrues de brut lourd, ce qui suppose la réalisation d'installations spécialement adaptées pour le traiter, et une aide sous forme de transfert de technologie et de formation professionnelle. Une telle coopération permettrait à la France de diversifier son approvisionnement énergétique et au Venezuela d'acquérir la technologie nécessaire à une production et une commercialisation accrues de pétrole lourd.
- A la suite des récentes rencontres des ministres compétents des deux pays, un accord-cadre a été signé entre l'Institut français du pétrole `IFP` et son homologue vénézuélien et des négociations sont en-cours entre les compagnies nationales françaises et les autorités de votre pays, qui pourraient déboucher prochainement sur un accord.
- A plus long terme, la France pourra participer à la mise en_valeur de la "faja petrolifera" de l'Orénoque qui constitue la plus vaste province pétrolière du monde mais dont l'exploitation se heurte à des difficultés techniques très grandes.\
`politique étrangère ` relations franco - vénézuéliennes`
- QUESTION.- Quels moyens politiques est disposée à engager la France pour faire face à la "déstabilisation" des Caraibes - évoquée dans le communiqué commun signé par les deux ministres des Affaires étrangères à Paris - et la "subversion castriste" récemment dénoncée par le secrétaire_d_Etat aux Dom-Tom, M. Paul DIJOUD ?.
- LE PRESIDENT.- La France, présente dans les Caraibes par ses départements d'Outre-Mer, s'efforce, comme le Venezuela, de contribuer à la stabilité politique et au progrès économique de la région en apportant son -concours aux Etats qui font appel à elle.
- Nous souhaitons de pouvoir procéder, avec le Gouvernement du Venezuela, à des échanges_de_vues réguliers sur ces questions afin de concerter notre action en_faveur du développement et de la paix dans cette zone. Nous avons, l'an dernier, coordonné nos moyens de manière très efficace pour porter assistance aux populations éprouvées par le cyclone David £ c'est un exemple d'utile collaboration.
- Il ne faut pas que cette région devienne le théâtre de tensions ou d'affrontements qui trouvent leur origine dans des rivalités qui lui sont extérieures. Ces pays doivent pouvoir se consacrer, dans le respect de leur indépendance, à la seule tâche qui _compte, celle du développement économique et du progrès social.
- Tout récemment, M. Olivier STIRN, secrétaire_d_Etat aux Affaires étrangères, s'est rendu à Cuba et a rappelé à ses interlocuteurs que la présence française aux Antilles résultait de la volonté librement exprimée des populations. Les autorités cubaines ont clairement affirmé qu'elles n'avaient pas l'intention de s'ingérer dans les affaires intérieures françaises.\
`politique étrangère ` relations franco - vénézuéliennes`
- QUESTION.- Quels sont les points d'accord ou de de désaccord de la France avec la position exprimée par le Président vénézuélien, M. Luis HERRERA CAMPINS, au sujet de la réactualisation du dialogue_Nord-Sud dont une partie serait consacrée à une négociation entre les pays consommateurs et producteurs de pétrole ?
- LE PRESIDENT.- La France et le Venezuela se sont retrouvés, depuis plusieurs années déjà, pour analyser les raisons des profonds bouleversements qui affectent l'économie mondiale et pour affirmer la nécessité d'une plus grande solidarité entre le Nord et le Sud.
- Nos deux pays ont été parmi les premiers à croire aux vertus de ce dialogue et chacun se souvient, ici, du rôle éminent joué par M. PEREZ GUERRERO à la Conférence sur la Coopération Economique Internationale `CCEI` de Paris.
- Nous partageons la conviction que la situation actuelle requiert un nouvel effort de sagesse, d'imagination et de générosité, et, à cet égard, nous marquerons notre détermination d'oeuvrer pour le succès des négociations dont l'Assemblée générale des Nations-unies devrait décider le lancement au-cours de sa session d'août 1980.
- La France partage entièrement la préoccupation exprimée par le Président HERRERA CAMPINS qui a insisté sur la nécessité d'arriver rapidement à un accord sur l'ordre_du_jour de ces négociations globales, et de traiter l'énergie conjointement avec les autres problèmes. Il demeure qu'aucun redressement durable de la situation économique mondiale ni aucune solution aux problèmes du développpement ne peuvent être envisagés sans une modération des coûts pétroliers.\
`politique étrangère ` relations franco - vénézueliennes`
- QUESTION.- Après les positions exprimées par le Président vénézuélien au sujet du pétrole pendant sa tournée dans les pays arabes et à Vienne, avez-vous des propositions concrètes à faire au Venezuela en tant que membre de l'OPEP, pour mieux organiser le marché pétrolier ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons suivi avec un grand intérêt la visite que le Président HERRERA CAMPINS a effectuée dans les capitales des pays membres de l'OPEP et relevé sa proposition de création d'un fonds d'aide de l'OPEP pour les pays en voie de développement démunis de ressources énergétiques.
- La France est convaincue de la nécessité de promovoir entre pays consommateurs et pays producteurs de pétrole un climat d'entente et de rechercher des formules susceptibles d'assurer, notamment par la gestion équitable des ressources énergétiques mondiales, une meilleure organisation du marché pétrolier.
- Cette concertation globale devrait permettre d'assurer à la fois la sécurité des approvisionnements, le respect d'un juste prix, la rationalisation de la consommation et le développement des ressources alternatives.\
`politique étrangère ` relations franco - vénézuéliennes`
- QUESTION.- Dans quel esprit la France conçoit-elle ses relations avec le Pacte andin ? Quels efforts est-elle prête à faire pour élargir au-niveau politique l'accord qui existe déjà au-niveau économique ? Y a-t-il des possibilités d'arriver à un accord politique dans un avenir proche ?
- LE PRESIDENT.- Convaincue de la nécessité du renforcement des solidarités régionales, la France, qui est elle-même engagée depuis plus de vingt ans dans la construction européenne, suit avec une sympathie particulière les progrès rapides du Pacte andin.
- J'observe qu'au-delà de ses réalisations économiques, le Pacte andin, comme la Communauté_européenne, s'est doté aujourd'hui d'institutions de coopération politique : le Conseil des ministres des Affaires étrangères et le Parlement andin. Une réunion entre ministres des Affaires étrangères des deux ensembles se tiendra à Bruxelles très prochainement.
- Je suis certain qu'elle fera ressortir la volonté de la Communauté_européenne, comme du Pacte andin, d'approfondir leurs relations dans tous les domaines.\
`politique étrangère ` relations franco - vénézuéliennes`
- QUESTION.- Dans quelle mesure la crise politique et le désordre du système économique international peuvent-ils conduire à une situation incontrôlée ? Quel est votre diagnostic sur l'évolution possible de la situation politique et économique internationale ? Avez-vous des propositions à faire pour éviter la dégradation des rapports internationaux ?
- LE PRESIDENT.- Nous sommes profondément préoccupés par les tensions qui se sont développées récemment dans le monde et qui affectent les relations internationales. Elles ne pourraient être surmontées que par le respect des règles et des principes sur lesquels sont fondés les rapports entre les Etats, ainsi que par le respect des droits de l'homme.
- C'est à quoi la France s'emploie en-raison du rôle qu'elle a tenu pour promouvoir la politique de détente et des initiatives qu'elle a prises pour favoriser le dialogue entre les Etats, notamment en encourageant les solidarités régionales.
- Si l'on veut éviter - ou limiter - la dégradation des rapports internationaux, il faut que chacun agisse pour obtenir le respect des principes qui régissent la vie internationale : indépendance, droit des peuples à décider eux-mêmes leur destin, -recherche des moyens pacifiques permettant de régler les différends - et que la communauté internationale n'hésite pas à condamner les manquements à ces règles. Il existe une "opinion publique modiale", dont il faut faire entendre la voix chaque fois que la paix est menacée, ou qu'un impérialisme se manifeste.\