26 janvier 2012 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Présidfent de la République, sur les réformes en matière judiciaire notamment la création des "citoyens assesseurs", à Dijon le 26 janvier 2012.

Messieurs les Ministres, cher Michel MERCIER, cher François SAUVADET,
Monsieur le Premier Président, Monsieur le Procureur général,
Mesdames et Messieurs les magistrats,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les citoyens assesseurs,
Mesdames et Messieurs,
Mes chers compatriotes,
Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui à Dijon. Quel plus beau symbole que l'ancien Parlement de Bourgogne, au sein duquel la justice est rendue depuis plus de cinq siècles, pour évoquer avec vous l'ouverture progressive de la justice à la participation des citoyens ?
Comme vous le savez, la réforme des « citoyens assesseurs » est expérimentée à la Cour d'appel de Dijon depuis le 1er janvier. Elle l'est également à la Cour d'appel de Toulouse.
Depuis près d'un mois, plusieurs centaines de nos compatriotes ont été tirés au sort à partir des listes électorales pour siéger, en qualité d'assesseurs, au sein des juridictions pénales. Ils participent au jugement de délits graves, en première instance comme en appel, et sont associés aux décisions de libération conditionnelle pouvant concerner des criminels lourdement condamnés.
J'attache la plus grande importance à cette réforme, parce que je suis convaincu qu'elle va profondément changer le regard des Français sur leur justice.
Que n'ai-je entendu à l'annonce de ce projet ? C'était une idée « populiste » £ c'était une attaque contre les magistrats £ c'était un gadget inutile et coûteux, qui allait rien moins que paralyser la justice pénale.
Faisons le point en posant quelques questions : est-il populiste de vouloir rapprocher le peuple des institutions qui le représentent ? Je rappelle que la justice est rendue au nom du peuple français. Comment peut-on dire que le peuple français serait illégitime au sein d'une institution qui rend des décisions en son nom ? Est-il inutile de vouloir refonder le lien de confiance entre les Français et leur justice ? Qui oserait dire que cette question ne se pose pas, que tout va bien ? que les magistrats ne s'interrogent pas sur leur métier et que les citoyens ne s'interrogent pas sur leur justice ? Est-il invraisemblable de penser que l'institution judiciaire, face à toutes les difficultés qu'elle rencontre, peut trouver avantage à la participation des citoyens ? Est-ce si choquant de faire confiance aux citoyens, de faire confiance au peuple français, de faire confiance à son sens des responsabilités, à son sens civique, à sa capacité d'engagement ?
J'ai la conviction que cette réforme des citoyens assesseurs constitue une avancée démocratique majeure. Vous pouvez être fiers d'en être les précurseurs.
Magistrats, greffiers, avocats, vous préparez ce changement. A vous tous, je veux aujourd'hui exprimer ma reconnaissance. 210 assesseurs ont été formés à Dijon, et sont désormais capables d'exercer pleinement le rôle que la République leur a confié.
L'expérimentation en cours fera l'objet d'une évaluation qui permettra de généraliser la réforme à toutes les cours d'appel d'ici à la fin de l'année 2013.
Je viens de m'entretenir avec des magistrats, des citoyens assesseurs. Ces échanges me confortent dans l'idée que l'introduction des citoyens assesseurs permettra de replacer la justice au cur de notre pacte républicain. La société a évolué, le rapport des Français à leur institution a profondément changé. Les Français attendent beaucoup de leur institution judiciaire et ne s'y reconnaissent pas suffisamment.
Dès lors, puisque les décisions de justice sont rendues au nom du peuple, n'est-il pas légitime d'inscrire dans la loi que les plus significatives d'entre elles seront désormais rendues par le peuple, pas simplement au nom du peuple mais par le peuple, aux côtés de magistrats professionnels ?
Cette évolution ne fait que poursuivre le mouvement de démocratisation de la justice engagé dès l'avènement de la République dans notre pays. Depuis plus de deux siècles, les Français participent au jugement des infractions les plus graves que sont les crimes, en siégeant dans les jurys des cours d'assises.
Depuis plus de deux siècles, les Français participent aux jurys des cours d'assises. A-t-on jamais entendu dire que cette participation mette en cause l'institution judiciaire ? En vérité, c'est un héritage précieux que nous a légué la Révolution : faire participer les citoyens à la justice, voilà ce qui a permis aux fondateurs de la République de nourrir leur attachement à la démocratie et de rompre définitivement avec l'ancien régime. Depuis plus de deux siècles, nous avons conservé cette tradition en la faisant évoluer. Depuis 2000, il est possible de faire appel des condamnations prononcées par les cours d'assises et depuis le 1er janvier de cette année, les cours d'assises sont obligées de motiver leurs arrêts. Rendez-vous compte, il y a dix ans les cours d'assises décidaient sans qu'il soit possible de faire appel et l'année dernière encore, les cours d'assises rendaient leurs décisions sans les motiver ! Imaginez ce que cela représentait que d'être condamné sans connaître le raisonnement qui avait conduit à sa condamnation.
Vous le savez tous ici, le verdict d'un jury citoyen est incontestablement marqué d'un sceau qui inspire le plus profond respect à nos concitoyens.
Il est évidemment légitime, dans une société démocratique, que la justice pénale soit un objet de débat.
Des questions essentielles sont en jeu.
Il est très compréhensible que nos concitoyens expriment des revendications au sujet de la politique pénale. J'entends souvent ces revendications. Que dit le peuple français ? Il demande une plus grande sévérité. Mais ne perdons pas cela de vue : si nos compatriotes demandent cela, c'est souvent parce qu'ils ne connaissent pas les subtilités de l'organisation judiciaire, parce qu'ils ne comprennent pas certaines décisions et ont parfois le sentiment qu'elles ne sont pas appliquées avec la rapidité qu'ils en attendent. Il y a un lien entre l'incompréhension de certaines décisions et l'éloignement entre les Français et l'institution judiciaire, qui explique les jugements injustes qui sont parfois portés sur elle. Aujourd'hui, dans le contexte d'une crise économique sans précédent, qui ébranle nos repères traditionnels, les Français se demandent si la justice entend leurs préoccupations. Dire cela, ce n'est mettre en cause personne, c'est simplement décrire une situation que chacun pourrait exprimer à ma place, dans les mêmes termes.
Nous devons donc impérativement veiller à ce que les interrogations des Français ne demeurent pas sans réponse, à ce que leurs inquiétudes ne les conduisent pas progressivement vers un sentiment de défiance, qui serait une catastrophe pour l'institution judiciaire. Vous savez comme moi que de l'incompréhension au rejet, il n'y a qu'un pas. C'est pour cette raison que la justice doit s'ouvrir.
Dire cela, ce n'est pas remettre en cause la compétence de ceux qui rendent la justice. Je l'ai dit à de nombreuses reprises, je veux le répéter devant vous avec force, les magistrats sont des femmes et des hommes compétents, travailleurs, honnêtes. Ils ont toute ma confiance, ma considération et mon estime. Ils uvrent avec une grande conscience professionnelle, en ayant constamment le souci du bien public, malgré des conditions de travail de plus en plus difficiles. C'est plus difficile de rendre la justice aujourd'hui que cela ne l'était il y a 30 ans.
Associer des citoyens à l'uvre de justice, ce n'est pas mettre en cause la professionnalisation du corps judiciaire. Loin d'y porter atteinte, la réforme des citoyens assesseurs met cette professionnalisation en valeur. Elle permettra aux Français de mieux connaître le fonctionnement quotidien de nos cours et de nos tribunaux.
La justice a beaucoup à y gagner : c'est une occasion sans précédent de changer le regard que portent les Français sur l'institution judiciaire, de leur faire partager la complexité des situations que les tribunaux doivent juger chaque jour. C'est une occasion sans précédent de montrer à nos compatriotes avec quel sérieux la justice est rendue dans notre pays. C'est la légitimité même des décisions rendues par les magistrats qui sera renforcée.
J'ai aussi entendu dire que la présence de jurés non professionnels allait déstabiliser la justice correctionnelle. Je ne sache pourtant pas que la présence de citoyens dans les jurys d'assises ait jamais affaibli leur rôle. Les nouveaux assesseurs avec lesquels je me suis entretenu m'ont tous fait part de leur profond respect pour la charge qui leur était confiée par la République, et de l'attention avec laquelle ils l'avaient remplie. De même, les magistrats que j'ai rencontrés ont souligné le sérieux et la grande conscience avec lesquels nos concitoyens se sont appropriés les termes de la loi et ont abordé les affaires qu'ils devaient juger.
Je comprends que la sélection et la formation des nouveaux assesseurs représentent des charges de travail supplémentaires pour les magistrats et les juridictions concernés. La présence de citoyens implique inévitablement un allongement des délais d'audience. C'est pourquoi, avec le Garde des Sceaux, nous avons voulu limiter cette participation au jugement des violences les plus graves, afin de ne pas surcharger la justice correctionnelle.
C'est ce qui a conduit le Gouvernement à prévoir des mesures budgétaires d'accompagnement que nous allons poursuivre, en termes de postes de magistrats et de postes de greffiers. C'est bien pour cette raison que Michel MERCIER a organisé des concours exceptionnels de recrutement, afin que les juridictions reçoivent des effectifs supplémentaires dès le mois de septembre. Parce qu'un magistrat ou un greffier, ça ne se forme pas comme cela.
Au fond, c'est le lien entre justice et citoyenneté que nous voulons renforcer et c'est pour cela que j'attache une grande importance à cette réforme. J'ajoute qu'en matière de justice, nous allons continuer à prêter attention aux sujets qui préoccupent nos concitoyens et les magistrats. Un projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale et va l'être au Sénat.
Il faut en effet faire exécuter les peines plus rapidement, mais aussi plus intelligemment, grâce à l'augmentation du nombre de places en détention. Il faut dire les choses comme elles sont, la France a besoin de 80 000 places de détention. Avec aujourd'hui 68 000 détenus et 60 000 places, l'institution ne peut pas fonctionner normalement et la création de ces 20 000 places de détention supplémentaires est une priorité.
La justice, qui est un facteur de cohésion nationale, doit veiller à ce que les peines qu'elle prononce soient exécutées. Comment voulez-vous que nos concitoyens comprennent que 100.000 peines d'emprisonnement n'étaient pas exécutées ? Comment expliquer qu'un condamné dangereux n'était pas correctement suivi et traité pendant sa détention, alors que chacun sait qu'il retrouverait la liberté un jour ou l'autre ? Ce sont des questions essentielles.
Les efforts engagés par le Garde des Sceaux et les juridictions ont permis de réduire de 15 % le nombre de peines en attente d'exécution. 15 000 peines ont ainsi été exécutées et nous allons continuer. C'est pour cela que j'ai proposé le vote de cette loi de programmation.
Un mot enfin sur la question centrale de l'indépendance de la justice. On me disait : plutôt que de créer les citoyens assesseurs, préoccupez-vous de donner plus d'indépendance à la justice. La justice est totalement et complètement indépendante, j'ai veillé à ce qu'il en soit ainsi. La révision constitutionnelle de 2008 a donné une autonomie totale au Conseil supérieur de la magistrature. Je suis le chef de l'État qui a mis un terme à soixante-cinq années de présidence, par le président de la République, de l'instance la plus importante de la magistrature !
Ceux qui se préoccupent tant de l'indépendance n'étaient donc pas choqués de voir le président de la République, quand il était l'un de leurs amis, présider le Conseil supérieur de la magistrature ? Ça c'était une indépendance totale, ça ne posait pas de problème... J'ai mis un terme à cette situation. Le Conseil supérieur de la magistrature est désormais présidé par le Premier président de la Cour de Cassation pour les magistrats du siège, et pour les magistrats du parquet par le Procureur général de la Cour de Cassation. Ce n'est plus le président de la République qui le préside.
Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait avant ? Comment un tel mélange entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire pouvait-il inspirer confiance aux Français ?
Dans le même esprit, j'ai souhaité étendre à la nomination des procureurs généraux la consultation du Conseil Supérieur de la Magistrature. Les avis qu'il rend en matière de nomination des magistrats du parquet, mes chers compatriotes, ont été systématiquement suivis par le Garde des Sceaux et par moi-même.
Mais nous allons aller plus loin. Je vous annonce que, comme pour les magistrats du siège, le Conseil supérieur de la magistrature sera appelé à rendre un avis conforme, et non plus seulement consultatif, pour toutes les nominations au parquet. Comprenez-moi bien, cela veut donc dire que désormais, pour les magistrats du siège comme pour les magistrats du parquet, c'est le Conseil supérieur de la magistrature, qui n'est plus présidé par le président de la République, qui décidera en dernière analyse de toutes les nominations. Qu'on ne vienne plus me dire qu'il y a un problème d'indépendance de la justice, ou alors que l'on prenne le temps de travailler ses dossiers.
Nous devons également voir la réalité en face : dans un contexte de crise sans précédent, nous avons fait un immense effort budgétaire pour la justice. Mesdames et Messieurs, entre 2007 et 2012, le budget du ministère de la Justice a progressé de 20%, passant de 6,2 milliards d'euros en 2007 à 7,4 milliards d'euros en 201. Des emplois de magistrats et de greffiers ont été créés chaque année, soit au total 450 magistrats de plus et 1200 greffiers de plus, alors que dans le même temps je devais imposer à l'État le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux.
Mesdames et Messieurs les magistrats, je ne dis pas que cela est suffisant. Je vous demande, en hommes et femmes responsables, de regarder la situation de votre ministère. Pour la première fois depuis 1945, les dépenses de l'État ont diminué l'an passé. Le budget de la justice a augmenté de 20%. J'ai dû supprimer 160 000 emplois de fonctionnaires depuis 2007 et il y a 450 magistrats et 1200 greffiers de plus.
Que personne ne vienne me dire que la justice n'a pas été une priorité pour l'État. Je ne suis pas en train de vous dire que vous êtes des privilégiés. Cet effort est normal : vous rendez plus de décisions, la société se judiciarise et l'appel aux juges est maintenant quasi systématique dès qu'il y a un problème. Je n'ignore nullement que, dans certaines juridictions, vous êtes confrontés à une explosion des contentieux civils et pénaux, que la situation des magistrats et des greffes est encore très délicate. Nous allons poursuivre cet effort.
Mes derniers mots seront pour les victimes. La justice est certes une institution, mais elle n'est pas que l'affaire des professionnels. Nous ne travaillons pas en cercle fermé. La justice - et je pense en particulier à la justice pénale, c'est d'abord les victimes.
L'enjeu est immense, parce qu'il ne s'agit pas simplement d'accorder à la victime les dommages et intérêts auxquels elle a droit, il s'agit de considérer sa souffrance et de répondre à son humiliation. Et il s'agit de lui donner le sentiment qu'elle est le cur de nos préoccupations.
Il y a une forme de double peine particulièrement scandaleuse qui frappe une victime, dont la première peine est l'infraction, le délit, parfois le crime, le viol, qu'elle a subi. Mais sa deuxième peine est le sentiment qu'elle peut ressentir, que la société accorde plus d'importance au coupable qu'à elle-même. Je sais bien que c'est très difficile pour vous, les magistrats, et pour l'institution. J'appelle votre attention sur ce point. Le procès, qu'il soit criminel ou correctionnel, met en son cur le coupable, sa personnalité, ses motivations, son histoire, pour essayer de comprendre comment un homme ou une femme en est arrivé à ce point.
La victime, son histoire, sa personnalité, la fracture que représente la rencontre avec le crime ou le délit, doivent être davantage pris en compte. Je sais bien qu'il m'est reproché parfois d'être « compassionnel », mais je crois qu'il n'est pas absurde dans notre société de faire preuve d'un peu d'humanité. C'est même nécessaire, mais on ne doit pas simplement en faire preuve à l'endroit du coupable, on doit en faire preuve aussi à l'endroit de la victime.
La victime n'est pas l'empêcheur de tourner en rond, elle a des choses à dire, la victime a des droits à faire valoir. La victime attend de la justice réparation, elle n'attend pas vengeance. Elle attend une prise en considération de sa douleur.
Je comprends bien lors d'une audience correctionnelle avec 30, 40, ou 50 affaires, on n'a pas toujours le temps de prendre cela en compte. Mais pour celle ou celui qui est victime du crime ou de délit, pour sa famille, ce n'est pas un acte banal que de se trouver à la cour ou au tribunal. Attacher de l'importance à la victime, ce n'est pas faire preuve de compassion à bon marché. L'institution judiciaire est d'abord l'institution des victimes et vous les magistrats, vous travaillez d'abord pour elles.
D'autres professionnels, en prison ou ailleurs, accompagneront le prévenu, le condamné, sur le chemin nécessaire de la réinsertion. Mais quand la victime sort du tribunal, elle sort avec sa douleur et votre décision. Et elle pourra s'apaiser si elle a le sentiment que votre décision est juste et que vous avez pris en compte sa souffrance. Si elle n'a pas ce sentiment, elle ressentira colère et humiliation. C'est pour cela que le métier de magistrat est si difficile, non pas parce qu'il faut trancher entre deux vérités - c'est là un travail de professionnel que vous faites avec beaucoup d'expérience et beaucoup de compétence - mais parce qu'il faut à la fois faire preuve de sévérité à l'endroit du coupable et d'humanité à l'endroit de la victime. Cela doit se faire dans une même décision, au même moment, par des femmes et des hommes surchargés de travail et de responsabilités.
Mesdames et Messieurs, j'espère que vous avez compris qu'il est très important pour moi d'être avec vous à Dijon. Je veux dire aux citoyens assesseurs qu'ils font honneur au mot citoyen, qu'ils lui donnent un contenu. Ils sont beaucoup plus regardés qu'ils ne l'imaginent et, bientôt, partout en France, il y aura des femmes et des hommes comme eux qui pourront dire : « l'espace d'une ou plusieurs journées, nous avons été juges. C'est un grand honneur, c'est une grande responsabilité et c'est également une grande difficulté ». Dans quelques années, l'institution judiciaire aura été considérablement renforcée pour une raison simple : on est toujours renforcé lorsque l'on fait confiance au peuple.Je vous remercie.