11 novembre 2011 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur le Musée de la Grande Guerre, la célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale et sur un projet de loi faisant de la date anniversaire de l'Armistice de 1918 la date de commémoration de la Grande Guerre et de tous les morts pour la France, à Meaux (Seine-et-Marne) le 11 novembre 2011.

Mesdames et Messieurs les ministres, cher Jean-François COPE,
Mesdames et Messieurs les anciens combattants,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec une très grande émotion que j'inaugure aujourd'hui le Musée de la Grande Guerre du pays de MEAUX.
Oui, de l'émotion car personne ne peut approcher un lieu de mémoire consacré à la Grande Guerre sans être immédiatement étreint par l'ampleur du sacrifice consenti par tout un peuple, par toute une génération.
Une génération entière fauchée comme le blé en herbe. Une « saignée » terrible dont la France aurait pu ne jamais se relever.
Des hommes dans la fleur de l'âge dont des millions de femmes, mères, fiancées, filles ou épouses porteront le deuil toute une vie.
Les années 20 ne sont pas les « années folles » comme on l'a dit trop souvent, ce sont des années de deuil, où des silhouettes vêtues de noir rappellent alors au passant, à chaque coin de rue, à chaque croisée de chemin, au pied de chaque calvaire, l'ampleur aujourd'hui inconcevable du sacrifice.
Alors oui, la Grande Guerre a été l'événement fondateur du XXème siècle. Elle a fait disparaître un monde ancien et accouché d'un monde radicalement nouveau, un monde « plein de bruit et de fureur ».
La guerre s'est jouée en grande partie à quelques kilomètres d'ici, sur la Marne, entre le 5 et le 13 septembre 1914. Certes, quatre ans de conflit acharné allaient suivre avant le dénouement final, mais, pour notre pays, la Grande Guerre aurait pu se transformer en une défaite cinglante si les troupes franco-britanniques, au cours de cette première bataille décisive, n'avaient pas mis en échec le plan SCHLIEFFEN qui prévoyait une invasion éclair de la France pour permettre à l'Allemagne de reporter ensuite ses efforts vers la Russie.
Ici, dans la plaine de la Marne, la France a accusé le coup, elle a vacillé même, mais elle a tenu.
Oui, La France a tenu comme la France a toujours tenu chaque fois que la grande déferlante de l'Histoire a failli l'emporter.
La France a tenu car, en ce mois de septembre 1914, des dizaines de milliers d'hommes, des dizaines de milliers de soldats sont montés au front comme on monte au sacrifice. Ils portaient comme à la parade ce fameux pantalon garance qui fit d'eux une cible facile pour les fusils allemands au milieu des champs.
Il faut bien mesurer, malgré le siècle qui nous sépare des héros de la Marne, la nouveauté radicale de cet affrontement.
Jamais, dans l'histoire de l'Humanité, autant d'hommes ne s'étaient combattus avec autant de moyens matériels. La première bataille de la Marne, celle de 1914, annonce déjà, la guerre totale, la guerre industrielle, et la seconde bataille de la Marne, quatre ans plus tard. De la guerre où l'homme n'a plus le sentiment d'être confronté à d'autres individus, mais à un chaos de fer et de feu.
Entre les deux batailles de la Marne, la guerre s'enterrera et le corps à corps sauvage, dans sa violence presque archaïque, reprendra le dessus. Les hommes devront vider chaque tranchée gagnée sur l'ennemi à la baïonnette ou au couteau de combat.
N'est-il pas frappant, d'ailleurs, que soient tombés, tout près d'ici, à la veille et aux lendemains de la première bataille de la Marne, deux écrivains qui auraient pu enchanter le XXème siècle £ le lieutenant Charles PEGUY et le lieutenant ALAIN-FOURNIER ? Tous les deux sont morts en croyant défendre la civilisation contre la barbarie. Ils inauguraient en fait un siècle qui serait marqué presque de bout en bout par la sauvagerie des génocides.
Ce musée, bâti aux portes du champ de bataille, est donc là pour nous rappeler que c'est un drame immense, un drame qui portait en lui d'autres drames, qui s'est déroulé ici voici près d'un siècle.
Pour ne pas oublier cette tragédie, pour la donner à comprendre aux Français et à nos visiteurs étrangers, ce sont des dizaines de milliers d'objets qui seront conservés et exposés au musée de la Grande Guerre du Pays de MEAUX.
Il existe bien sûr d'autres musées consacré à ce conflit titanesque mais celui-ci à un sens particulier car il est l'émanation d'une vie, de toute une vie même.
Une vie qu'un homme a voulu consacrer au souvenir de ces centaines de milliers de Français qui avaient consenti le sacrifice ultime. Ce sacrifice sur lequel on ne revient pas £ le sacrifice de sa vie.
Oui, c'est votre uvre et votre vie, cher Jean-Pierre VERNEY, que je veux saluer ici. Par votre travail de recherche minutieux et acharné mené durant plus de quarante ans, vous avez réuni de votre propre initiative, bien avant de trouver l'appui des pouvoirs publics, une collection d'une extraordinaire diversité. Un fonds unique en Europe et peut-être même au monde.
Vous dites vous-même, je crois, « avoir autant de respect pour un bâton de Maréchal que pour un paquet de cigarettes ». Les pièces présentées au public reflètent ce souci. Dans ces salles, c'est toute une réalité, toute une vérité qui viennent à notre rencontre.
Tous ces objets, du plus prestigieux au plus modeste, ont vécu et ils ont été maniés par des hommes et des femmes pour lesquels cette guerre fut une réalité quotidienne.
En accordant au musée qui accueillera cette collection le label de « Musée de France », l'État reconnaît solennellement la valeur scientifique et historique de votre travail.
A cette collection hors du commun, il fallait un écrin exceptionnel. Je tiens donc à saluer le travail de Christophe LAB, qui est l'architecte de ce musée. Cette réalisation fait honneur à la tradition d'innovation et de créativité de l'architecture française.
Je veux saluer également la persévérance et l'audace de celui qui a décidé, en 2005, de mettre un terme à l'itinérance de la collection réunie par Jean-Pierre VERNEY.
Elle était inacceptable !
Comment pouvait-on laisser loin du public un fond de cette qualité ?
Merci, cher Jean-François COPE, d'avoir permis à ce fonds de pouvoir être enfin présenté au public dans les conditions qu'il mérite. Merci d'avoir fait en sorte qu'il puisse demeurer en France, à un moment où plusieurs propositions venues de l'étranger faisaient planer la menace de voir la collection de Jean-Pierre VERNEY quitter le pays. Comment aurions-nous pu laisser partir à l'étranger ces témoignages du plus grand sacrifice que la France ait jamais consenti pour survivre ?
Enfin, je veux remercier Marc FERRO pour l'exceptionnel travail accompli par le conseil scientifique du musée, placé sous sa présidence. C'est grâce à ce pilotage avisé et collectif que le musée pourra atteindre pleinement son ambition, à la fois culturelle et pédagogique : expliquer la Grande Guerre dans toute sa complexité, dans toutes ses dimensions. Vous avez ainsi pris le parti de mettre en valeur le rôle de l'arrière-front dans l'organisation de la France en guerre. Cette guerre fut une guerre totale mais pas uniquement sur le plan militaire, elle mobilisa, elle conditionna même la société tout entière £ jusqu'aux dessins des enfants qui faisaient la guerre !
L'esprit de sacrifice qui animait les soldats habita toute la France et c'est cet esprit de sacrifice qui a permis d'emporter la décision : tous les Français ont su en faire preuve et notamment les femmes, dont le musée nous révèle pleinement, pour la première fois, le rôle déterminant. Le musée rend également hommage au rôle de l'ancien Empire colonial, dont les peuples ont apporté leurs ressources matérielles et humaines considérables pour soutenir l'effort de guerre en Métropole et sur les autres théâtres d'opérations. Il témoigne enfin de la dimension mondiale de la Grande Guerre, en révélant le rôle parfois méconnu de trente cinq nations engagées dans le conflit.
Mesdames et Messieurs, l'inauguration à laquelle vous êtes aujourd'hui conviés prend également place dans la perspective d'un événement majeur pour notre pays, la célébration, à compter de la fin 2013, du Centenaire de la Grande Guerre. Elle en marque d'une certaine façon le lancement.
Je souhaite en effet que ce Centenaire constitue un grand rendez-vous commun à tous les Français. Qu'il soit un moment de recueillement et de réflexion sur notre passé, mais aussi un moment de foi dans la grandeur de notre destinée collective £ un événement culturel et scientifique majeur, mais également une célébration des valeurs de la République et de leur inépuisable richesse dans les moments de péril.
Ce centenaire devra être exemplaire. Nous le devons à tous ces morts qui reposent dans cette terre et qui sont tombés pour que la France reste debout.
Je souhaite donc que cette échéance puisse être anticipée et préparée. C'est pourquoi j'ai demandé au Premier ministre de mettre en place, avant la fin de cette année, une mission de préfiguration du Centenaire de la Grande Guerre.
Cette mission aura pour objectif de concevoir le programme commémoratif du Centenaire. Elle accomplira cette tâche en liaison étroite avec les associations, les collectivités territoriales, nos partenaires étrangers et bien entendu avec les ministres concernés.
Le musée de la Grande Guerre du Pays de MEAUX, j'en suis convaincu, aura un rôle éminent dans les commémorations de ce Centenaire.
Cette initiative participe à la fois au devoir de mémoire et au renforcement du lien essentiel entre l'Armée et la Nation toute entière.
Nous avons commémoré ce matin, autour de la tombe du Soldat Inconnu, la filiation immatérielle qui s'établit entre les générations du feu. Parce que cette filiation ne doit pas s'éteindre il m'est apparu indispensable, depuis la mort de Lazare PONTICELLI, notre dernier « Poilu », de rénover la cérémonie du 11 novembre.
J'ai donc décidé, vous le savez, que le 11 novembre soit désormais l'occasion pour la Nation de rendre hommage aux morts de tous nos conflits, ceux du XXème siècle aussi bien que ceux des combats présents. Il nous faut nous souvenir de l'ensemble des batailles menées par notre pays, sur tous les théâtres d'opérations, au nom de la République, du Droit et des valeurs universelles de l'Humanité.
Parce que, pour reprendre la phrase de Georges CLEMENCEAU à la Chambre des députés, le 11 novembre 1918 : « la France, hier soldat de Dieu, aujourd'hui soldat de l'humanité, sera toujours le soldat de l'idéal ! ».
Plus que jamais, nos soldats sont et demeurent les défenseurs de ces valeurs intemporelles. Et ce musée est aussi là pour le rappeler au monde.
Je sais que derrière le corps de chaque soldat français qui tombe aujourd'hui au champ d'honneur pour que nos principes les plus sacrés restent vivants, se lève l'ombre gigantesque de cette armée des morts qui ont sauvé la France.
Je vous remercie.