4 octobre 2011 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur le classement des Causses et des Cévennes au patrimoine mondial de l'Unesco et sur l'histoire de cette région marquée par le protestantisme et la Résistance, à Alès (Gard) le 4 octobre 2011.
Mes chers amis,
Mesdames et Messieurs les parlementaires du Gard, de l'Aveyron, de l'Hérault et de la Lozère,
Monsieur le député-maire d'Alès, cher Max,
Mesdames et Messieurs les élus,
Et, si vous me le permettez, chers amis cévenols,
En acceptant, au mois de juin dernier, de classer les Causses et les Cévennes au patrimoine mondial, l'UNESCO n'a pas seulement rendu hommage à l'âpre beauté de la terre cévenole, elle a voulu aussi honorer le rapport si particulier qu'entretiennent ici l'esprit et la matière.
Derrière l'étonnante diversité de vos paysages, au creux de vos vallées, au sommet de ces Causses à la beauté presque lunaire, à l'ombre des châtaigniers qui jouent un tel rôle ici, aux côtés des chênes verts ou des pins maritimes, il y a, dans ces Cévennes, une unité que j'oserais qualifier de spirituelle tant elle semble englober la terre et le ciel.
Je ne sais pas si nous habitons un pays prédestiné ou si nous sommes, au contraire, les héritiers de la lente et patiente construction d'une nation, mais votre terre cévenole a une âme. Une âme qu'elle a toujours su faire partager à ceux qui l'ont aimée.
Cette terre, la vôtre, a un caractère et une identité qui se retrouvent dans le caractère et dans l'identité de tous ceux qui se sont enracinés ici.
Ce caractère et cette identité ont été forgés par la géographie, par l'Histoire et par la foi. Ce caractère et cette identité, ils ont été forgés par de grands malheurs qui ont laissé des blessures aussi profondes dans les mémoires que les gorges des Gardons dans la montagne, mais cette identité et ce caractère ont aussi forgé une espérance.
Et une espérance qui, ici, dans les Cévennes, malgré les épreuves, ne s'est jamais éteinte.
Votre pays est d'abord le pays des bergers, sur ces chemins qui depuis des temps immémoriaux, relient la plaine à la montagne, la montagne aux plateaux. Depuis la nuit des temps, ce sont ces chemins qui donnent son unité et sa cohérence aux Cévennes. Au fond, je me faisais la remarque il y a quelques instants, rien de moins naturel que ces paysages.
La montagne ici est une montagne construite pierre après pierre, pelletée après pelletée de terre.
Ce pays, le vôtre, c'est le pays des paysans, qui ont accroché à flanc de coteaux ces terrasses artificielles qui constituent aujourd'hui votre paysage.
Un paysage qui a certainement demandé de transporter plus de pierres qu'il n'en aura fallu ailleurs pour élever des cathédrales.
Chacun de ces murs, chacune de ces terrasses, chacun de ces toits a mobilisé, soyons-en conscients, des vies entières, et des vies entières mobilisées pour construire ce paysage durant des siècles. Vous êtes les héritiers de ces vies.
Je veux rendre ici hommage, l'hommage de la Nation, à ces milliers de vies inlassablement répétées, parfois oubliées, qui nous ont légué, à force de travail, un paysage si magnifiquement construit, et au fond, si magnifiquement humain.
Je veux rendre hommage à cette France des morts qui a construit la France dans laquelle nous vivons. C'est grâce à eux que nous sommes ici. Sans leur ténacité, nous ne serions pas là.
Nous avons le devoir de maintenir ce qui nous a été transmis. Nous le devons à la mémoire de ceux qui se sont littéralement tués à la tâche pour survivre et pour que nous, nous puissions vivre.
Nous avons le devoir de remonter les terrasses écroulées, de protéger les châtaigneraies, de restaurer ces longues magnaneries qui apportèrent à ces vallées une prospérité longtemps inaccessible avant que de nouvelles techniques ne viennent les en priver à nouveau. Ce pays fut pendant près d'un siècle l'autre pays de la soie et c'est ici sans doute que l'élégance française est longtemps venue chercher sa matière première.
Grâce au classement par l'UNESCO de vos vallées, de vos plateaux et de vos cols, le travail qui avait été entrepris par l'Etat lors de la création du Parc national des Cévennes et du Parc naturel des Grands Causses va pouvoir être poursuivi.
Je veux saisir l'occasion qui m'est donnée, pour vous confirmer qu'il n'y aura pas d'exploitation de gaz de schiste par fracturation hydraulique dans ce territoire d'exception. Les trois permis de recherche de gaz de schiste qui concernaient votre région seront donc abrogés. Dans les autres régions, grâce à la loi Jacob, les exploitants ne pourront pas procéder à l'exploration ou à l'exploitation des gaz ou des huiles de schiste et j'ai demandé à Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, que je remercie, de veiller à ce que leurs permis soient strictement limités aux activités conventionnelles. C'est clair et c'est définitif.
En prenant cette décision, nous ne tournons pas le dos au progrès. L'exploitation des ressources en hydrocarbures continue dans notre sous-sol et c'est un enjeu majeur pour notre pays. Mais je veux le dire en tant que chef de l'Etat, cela ne doit pas se faire à n'importe quel prix.
En tout cas, cela ne se fera pas tant qu'il n'aura pas été démontré que les techniques disponibles pour l'exploitation de ces ressources sont respectueuses de l'environnement, de la complexité des sols et des réseaux hydrologiques. Et cela ne se fera pas au prix d'une fragmentation des terres qui massacrerait, - j'emploie le mot à dessein - , qui massacrerait ce paysage presque spirituel que l'UNESCO a justement choisi de classer au patrimoine mondial de l'humanité. Je veux que ma visite serve au moins à préciser les choses sur un sujet qui avait inquiété beaucoup d'entre vous.
Je tiens à remercier tous ceux qui se sont investis personnellement dans cette candidature à un classement des Causses et des Cévennes au patrimoine mondial. Je pense bien évidemment à Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET qui a mobilisé toutes les forces de son ministère, et elle me permettra d'y associer Rama YADE qui, lorsqu'elle occupait les fonctions d'ambassadeur de France à l'UNESCO, a défendu efficacement ce dossier.
Je veux saluer bien évidemment Jean PUECH qui avec une ténacité toute aveyronnaise a porté ce projet depuis ses prémices jusqu'à son succès. Il va sans dire que Max ROUSTAN, qui nous accueille aujourd'hui n'a pas ménagé sa peine. Ce combat, vous l'avez tous gagné et je pourrais y associer tous les parlementaires qui sont ici et tous les élus.
Votre terre est née de la formidable ténacité des hommes qui l'ont travaillée au prix d'un combat séculaire, mais au fond en venant ici, je me demandais si ce n'est pas dans un autre combat que ce pays a trempé son caractère.
Parce que le combat qui s'est livré ici il y a plus de trois siècles a non seulement construit l'identité cévenole, mais il a assigné à la France une mission historique : la défense de la liberté de conscience.
C'est ici que l'on a mené ce combat, et c'est ici qu'on l'a gagné. Ici même, il y a trois siècles, des paysans, des artisans, de simples bergers, au fond tout un petit peuple dont l'horizon ne dépassait que très rarement ces montagnes et qui avait été nourri aux écritures saintes, ce petit peuple a donné à l'Europe médusée une incroyable leçon de liberté. Et vous êtes les héritiers de ce petit peuple si courageux.
C'est ici, au creux de vos vallées, que pour la première fois, l'ancien monde a vacillé sur ses bases pourtant multiséculaires.
Tout avait pourtant commencé comme l'une de ces guerres de religion qui avaient tant de fois menacé l'unité de la France.
Les contemporains crurent à une résurgence du passé, et c'était au contraire l'avenir qui était en train de sourdre. MICHELET lui-même écrira : « rien de semblable à l'affaire des Cévennes dans toute l'Histoire du Monde». Il est de mon devoir de chef de l'Etat de mettre en lumière ce que nous avons eu grand tort d'ignorer ou de sous-estimer.
Bastion du protestantisme, les Cévennes - et bien au-delà, encore, le Bas-Languedoc -, vivaient en paix à l'abri de l'Edit de Nantes et de la Paix d'Alès, Monsieur le Maire. Cette paix signée, ici même assurait au Roi Louis XIII la fidélité des protestants en échange de quoi le monarque les autorisait à rester fidèles à leurs églises.
Cette paix ne dura pas.
Quelques décennies plus tard et loin d'ici, à Versailles, un très grand Roi voyait le soleil de son règne lentement s'obscurcir. Les victoires s'éloignaient, la gloire lui échappait. Il lui fallait des triomphes, quitte pour cela à remporter ces triomphes sur ses propres sujets.
Quand l'ennemi extérieur vous résiste, l'ennemi intérieur est, lui, plus facile à réduire. Aussi, les protestants furent-ils dénoncés comme une menace pour l'unité du Royaume.
Une mécanique implacable allait se mettre aussitôt en marche au pas des dragonnades.
Il fut décrété que seules les familles protestantes accueilleraient chez eux, les compagnies de « dragons », redoutable honneur. Car une fois logés chez l'habitant, ces dragons, ces soldats avaient tous les droits sauf un seul, celui de tuer. En revanche, ils pouvaient voler, piller, violer, humilier, incendier, sans même avoir à craindre la moindre remontrance d'officiers disparus comme par enchantement.
Abreuvées de coups, affolées d'angoisse, les familles se convertirent par centaines puis par milliers. C'est l'histoire de votre territoire.
Parfois il suffisait à un village protestant d'apercevoir au loin les nuages de poussières soulevées par les régiments pour que tous les habitants se précipitent dans les églises et demandent la conversion comme on demande une grâce.
Chaque jour on déposait au pied du Roi d'interminables listes de convertis qui lui étaient aussi agréables que des bulletins de victoire qu'il n'avait plus.
En quelques mois, la France était devenue, sur le papier timbré de l'administration royale, toute catholique. L'Edit de Nantes qui avait assuré la paix du royaume pendant près d'un siècle fut aboli.
Alors, bien sûr, personne ne croyait à la sincérité de ces conversions.
Des consciences catholiques s'élevèrent contre ces méthodes, Christine de SUEDE, SAINT-SIMON et VAUBAN.
Madame de MAINTENON répondit à ces scrupules légitimes par une phrase dont le cynisme a rarement été atteint : « je sais bien que toutes ces conversions ne sont pas sincères mais les enfants au moins seront bons catholiques si les parents sont hypocrites ».
Les enfants, oui les enfants, tel était l'enjeu réel de cette politique folle.
De ce viol des consciences allait naître dans votre territoire un monstre : la guerre civile.
Car ces enfants, une fois parvenus à l'âge adulte, loin de faire de « bons catholiques » comme le croyait Madame de MAINTENON, massacrèrent l'Abbé du CHAYLA qui depuis des années confondait violence et catéchisme.
Près de vingt ans après la Révocation, la guerre des Camisards venait de commencer, elle allait embraser vos Cévennes.
Pendant dix ans, quelques milliers d'hommes, avec le soutien de toute une population, affrontèrent le plus puissant Roi du monde. Ils étaient peut-être 7 000.
Pour venir à bout de cette guérilla menée par 7 000 courageux Cévenols, il ne faudra pas moins de deux maréchaux de France et la mise en place d'une véritable politique de terreur.
Pour empêcher la population de venir en aide aux insurgés, on décida la déportation des populations puis ce qu'on appela le « Grand brûlement des Cévennes » et, en quelques mois, la totalité des villages et des hameaux des hautes Cévennes seront entièrement brûlés.
Pour réduire les vallées le plus reculées, LAMOIGNON-BAVILLE, l'inflexible intendant du Languedoc, ordonna de tracer des routes sur les crêtes pour permettre aux régiments d'avancer sans craindre l'embuscade. C'est la montagne elle-même qui était profanée.
Les exactions succédèrent aux représailles et les représailles aux atrocités. Les rouages implacables de toute guerre civile étaient en marche. Ils allaient broyer les Cévennes.
Le pays fut encerclé, les villages qui n'avaient pas été brûlés furent occupés.
Peu à peu le combat, trop inégal, se révéla perdu. Les grands chefs camisards tombèrent les uns après les autres, furent roués en place publique.
Le conflit prit fin, et le vieux Roi Louis XIV put se faire construire, à Montpellier, une place royale pour servir de socle à sa statue de bronze. Là, aux portes de la capitale languedocienne, vêtu en empereur romain, il jette toujours aujourd'hui un regard de triomphe, sur ces montagnes, les vôtres qui avaient osé lui tenir tête.
Pendant tout le XVIIIe siècle, le protestantisme retourna à la clandestinité, à ce « Désert » qui était le sien et qui n'est pas sans rappeler, pour ces gens imprégnés de la Bible, la longue errance du Peuple de l'Exode.
Pendant près d'un siècle, les protestants de notre pays allaient devoir déployer des trésors d'ingéniosité pour simplement vivre leur foi. Ce n'était pas au Moyen Âge, c'était au XVIIIe siècle.
J'ai été profondément ému, il y a quelques instants, lors de ma visite du Mas Soubeyran, par ces bibles de chignon que les femmes dissimulaient dans leurs coiffures pour se rendre aux assemblées interdites.
J'ai été profondément touché par ces bougeoirs d'étain qui, d'un seul tour de main, pouvaient se transformer en calices, ou encore par ces chaires habilement dissimulées dans des tonneaux.
De l'ingéniosité, il en fallut à ces hommes et à ces femmes de foi, mais du courage plus encore, car la chasse aux « prétendus réformés » ne connut pas de trêve chez vous pendant tout un siècle.
Les hommes qui étaient surpris dans l'exercice du culte interdit étaient envoyés aux Galères, condamnés à une mort certaine.
Les femmes, elles, étaient emmurées vivantes dans la Tour de Constance à Aigues Mortes. Certaines préférèrent y mourir, plutôt que de renier leur foi.
Si j'ai tenu à visiter aujourd'hui le musée du Désert, qui fêtait son centenaire, c'est que j'ai souhaité m'incliner, au nom de la Nation, devant la mémoire de ces milliers de femmes et d'hommes qui ont refusé de transiger avec la liberté de conscience, au prix de leur vie même, et qui nous ont laissé cette intransigeance en héritage.
Les huguenotes enfermées sur ordre du Roi à Aigues Mortes au XVIIIe siècle avaient gravé sur la pierre de leur cachot le mot : « Résister ».
Ce mot a toute sa signification aujourd'hui, il est né ici. Ce mot est à lui seul, pour une famille comme pour un pays, un héritage, le plus bel héritage qui soit. Un peuple résiste, un peuple ne se met pas à genoux.
Ce mot, gravé à même le sol par des femmes abandonnées de tous, mais qui, jusqu'au bout, conservèrent intact l'espérance et la foi, ce mot, notre pays et vous en connaissez le prix. Abandonnées mais dignes, enfermées mais libres. Ce mot, aux heures les plus terribles de l'Occupation, les Cévennes en firent un impératif catégorique. Ce n'est pas un hasard si lors de l'Assemblée du Désert de 1942, à Mialet, le Pasteur BOEGNER, Président de la Fédération protestante de France, appela les pasteurs présents à ne pas plier devant la politique de Vichy et à résister à sa politique antisémite. Dans les Cévennes, on ne s'agenouille que si l'on en a le désir profond. On ne plie pas et on ne rompt pas.
Ce n'est pas un hasard si l'on trouve parfois, à plus de deux siècles de distances, les mêmes noms inscrits sur les murs du musée du Désert et sur celui des Justes de France.
Ce n'est pas un hasard si des villages cévenols se sont refermés sur des juifs persécutés pour les sauver du pire. Les enfants allaient à l'école, étaient connus de tous, certains raconteront même avoir passé là une enfance presque normale... Tout le monde savait, et dans les Cévennes, personne ne parla jamais. Ces familles et ces enfants furent protégés par une formidable conspiration du silence. Les Justes ont sauvé, individuellement, l'Honneur de la France, mais dans les Cévennes, ce fut une uvre collective. Dès l'invasion de la zone libre, les grottes et les caches qui avaient abrité les camisards vont reprendre du service au profit des maquisards qui emprunteront les mêmes chemins et utiliseront parfois les mêmes ruses.
Qu'ils soient protestants, catholiques ou agnostiques, ces maquisards avaient bien repris le combat des camisards.
Le nom des maquis de LASALLE, d'ARDAILLES ou de l'AIGOUAL sonnent encore ici comme autant de défis lancés à un ennemi surpuissant et implacable.
Et ce sont bien ces maquisards qui, au cours de l'été 1944, sont parvenus à tenir en échec les colonnes allemandes remontant vers le Nord. A Pont d'Hérault, à Ganges, à Sommières, à Saint-Hippolyte du Fort, partout où ils le pouvaient, les maquisards affrontèrent les troupes allemandes au cours de véritables batailles rangées. A chaque fois, l'ennemi battit en retraite, persuadé que les forces de la résistance étaient bien plus nombreuses et bien mieux armées qu'elles ne l'étaient en réalité. Chaque fois que la population était interrogée par l'ennemi, elle répondait la même chose : « les résistants sont partout ». En vérité, ils n'étaient qu'une poignée à tenir un pont, un clocher ou un col de montagne, mais les Cévenols avaient fait corps avec l'esprit de résistance, cet esprit qui est l'esprit même des Cévennes.
Lors de l'accrochage de Pont d'Hérault, un maquisard resté célèbre, dont le père et le frère avaient été pendus à Nîmes par l'ennemi, refusera d'achever un soldat allemand blessé et intransportable.
Je veux voir dans ce geste la noblesse de ce pays cévenol, prêt au combat et au sacrifice lorsque sa liberté est en jeu, mais intraitable sur les valeurs morales.
Aujourd'hui, les Cévennes et les Causses sont une terre apaisée. Aujourd'hui, la République a réconcilié Catholiques et Protestants qui se reconnaissent dans cet article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme largement inspiré par le Pasteur nîmois RABAUT SAINT-ETIENNE : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » Cette phrase, mes chers compatriotes, a plus de deux siècles et pourtant il n'est pas nécessaire d'en changer un seul mot. Cette phrase qui a plus de deux siècles trace depuis bientôt cinq ans ma seule ligne de conduite en matière de liberté religieuse.
Aujourd'hui à Saint-Jean-du-Gard ou à Alès, chacun peut aller prier au Temple ou à l'Église, chacun peut croire en la « Présence Réelle » ou ne pas y croire sans que cela provoque le trouble dans le pays ou jette l'alarme dans les consciences.
Cette liberté, j'ai voulu dire aux Français à quel point elle avait été chèrement conquise. Je ne doute pas que c'est aussi la noblesse de ce combat qui a motivé le classement de ces paysages au patrimoine mondial de l'UNESCO.
N'oublions pas que c'est ici, à Alès, dans ces vallées et ces montagnes qui nous entourent, que la France a forgé, pour la livrer au monde, l'idée même, l'idée universelle de liberté de conscience.
J'aimerais tellement faire comprendre que l'histoire n'est pas une nostalgie, que nous ne venons pas de nulle part, que nous sommes les héritiers du travail, de l'engagement et de la sueur de nos aïeux, que nous devons être à leur hauteur, à la hauteur de leurs souvenirs et de leurs exemples, que nous devons les vénérer, que nous devons les célébrer, que nous devons les comprendre. Que les oublier est une forme de blasphème. Que les oublier est une forme de reniement. Que les oublier est une forme de méconnaissance de ce qui fait l'identité de la France : une addition de toutes ces petites patries.
J'ai voulu venir ici, saisissant l'occasion du classement au patrimoine mondial de l'UNESCO, pour le dire. Parler de l'histoire de France, je le dis devant le ministre de la Culture, Frédéric MITTERRAND, c'est parler de l'avenir de la France, ce n'est pas parler de son passé. On ne construit pas l'avenir d'une Nation en ignorant son passé, en le méconnaissant. La France a une histoire et dans ces terres cévenoles, il y eut des gens qui se sont sacrifiés.
Je vois parfois que cette liberté de conscience, on en parle avec beaucoup de légèreté. J'aimerais que ceux qui en parlent avec tant de légèreté, viennent ici pour comprendre ce qu'il a fallu de souffrances pour qu'elle devienne un droit pour vous. Des gens sont morts, des gens ont souffert, des gens ont espéré connaître ce que vous connaissez.
Notre connaissance et notre gratitude doivent aller à leur souvenir. Mais notre mobilisation doit aller à la protection de ce principe de liberté de conscience. Nul ne doit être inquiété au titre de ses croyances religieuses pour peu qu'il ne trouble pas l'ordre public.
Mesdames et Messieurs,
Mes chers compatriotes,
J'espère que vous avez compris que, pour moi, venir ici avec vous, partager ce moment, ce moment sacré du souvenir dans cette terre cévenole, c'était bien sûr un plaisir, mais c'était surtout un devoir. Faisons de l'exemple de vos aïeux, un exemple pour les jeunes générations et faisons ensemble que cette liberté de conscience à laquelle nous attachons tant de prix, nous ne finissions pas par nous y habituer, nous ne la laissions pas contester, pour que ceux qui nous succéderont, puissent bénéficier de la même liberté de conscience.
Mes chers compatriotes,
Mers chers concitoyens,
Je vous remercie de votre attention.
Mesdames et Messieurs les parlementaires du Gard, de l'Aveyron, de l'Hérault et de la Lozère,
Monsieur le député-maire d'Alès, cher Max,
Mesdames et Messieurs les élus,
Et, si vous me le permettez, chers amis cévenols,
En acceptant, au mois de juin dernier, de classer les Causses et les Cévennes au patrimoine mondial, l'UNESCO n'a pas seulement rendu hommage à l'âpre beauté de la terre cévenole, elle a voulu aussi honorer le rapport si particulier qu'entretiennent ici l'esprit et la matière.
Derrière l'étonnante diversité de vos paysages, au creux de vos vallées, au sommet de ces Causses à la beauté presque lunaire, à l'ombre des châtaigniers qui jouent un tel rôle ici, aux côtés des chênes verts ou des pins maritimes, il y a, dans ces Cévennes, une unité que j'oserais qualifier de spirituelle tant elle semble englober la terre et le ciel.
Je ne sais pas si nous habitons un pays prédestiné ou si nous sommes, au contraire, les héritiers de la lente et patiente construction d'une nation, mais votre terre cévenole a une âme. Une âme qu'elle a toujours su faire partager à ceux qui l'ont aimée.
Cette terre, la vôtre, a un caractère et une identité qui se retrouvent dans le caractère et dans l'identité de tous ceux qui se sont enracinés ici.
Ce caractère et cette identité ont été forgés par la géographie, par l'Histoire et par la foi. Ce caractère et cette identité, ils ont été forgés par de grands malheurs qui ont laissé des blessures aussi profondes dans les mémoires que les gorges des Gardons dans la montagne, mais cette identité et ce caractère ont aussi forgé une espérance.
Et une espérance qui, ici, dans les Cévennes, malgré les épreuves, ne s'est jamais éteinte.
Votre pays est d'abord le pays des bergers, sur ces chemins qui depuis des temps immémoriaux, relient la plaine à la montagne, la montagne aux plateaux. Depuis la nuit des temps, ce sont ces chemins qui donnent son unité et sa cohérence aux Cévennes. Au fond, je me faisais la remarque il y a quelques instants, rien de moins naturel que ces paysages.
La montagne ici est une montagne construite pierre après pierre, pelletée après pelletée de terre.
Ce pays, le vôtre, c'est le pays des paysans, qui ont accroché à flanc de coteaux ces terrasses artificielles qui constituent aujourd'hui votre paysage.
Un paysage qui a certainement demandé de transporter plus de pierres qu'il n'en aura fallu ailleurs pour élever des cathédrales.
Chacun de ces murs, chacune de ces terrasses, chacun de ces toits a mobilisé, soyons-en conscients, des vies entières, et des vies entières mobilisées pour construire ce paysage durant des siècles. Vous êtes les héritiers de ces vies.
Je veux rendre ici hommage, l'hommage de la Nation, à ces milliers de vies inlassablement répétées, parfois oubliées, qui nous ont légué, à force de travail, un paysage si magnifiquement construit, et au fond, si magnifiquement humain.
Je veux rendre hommage à cette France des morts qui a construit la France dans laquelle nous vivons. C'est grâce à eux que nous sommes ici. Sans leur ténacité, nous ne serions pas là.
Nous avons le devoir de maintenir ce qui nous a été transmis. Nous le devons à la mémoire de ceux qui se sont littéralement tués à la tâche pour survivre et pour que nous, nous puissions vivre.
Nous avons le devoir de remonter les terrasses écroulées, de protéger les châtaigneraies, de restaurer ces longues magnaneries qui apportèrent à ces vallées une prospérité longtemps inaccessible avant que de nouvelles techniques ne viennent les en priver à nouveau. Ce pays fut pendant près d'un siècle l'autre pays de la soie et c'est ici sans doute que l'élégance française est longtemps venue chercher sa matière première.
Grâce au classement par l'UNESCO de vos vallées, de vos plateaux et de vos cols, le travail qui avait été entrepris par l'Etat lors de la création du Parc national des Cévennes et du Parc naturel des Grands Causses va pouvoir être poursuivi.
Je veux saisir l'occasion qui m'est donnée, pour vous confirmer qu'il n'y aura pas d'exploitation de gaz de schiste par fracturation hydraulique dans ce territoire d'exception. Les trois permis de recherche de gaz de schiste qui concernaient votre région seront donc abrogés. Dans les autres régions, grâce à la loi Jacob, les exploitants ne pourront pas procéder à l'exploration ou à l'exploitation des gaz ou des huiles de schiste et j'ai demandé à Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, que je remercie, de veiller à ce que leurs permis soient strictement limités aux activités conventionnelles. C'est clair et c'est définitif.
En prenant cette décision, nous ne tournons pas le dos au progrès. L'exploitation des ressources en hydrocarbures continue dans notre sous-sol et c'est un enjeu majeur pour notre pays. Mais je veux le dire en tant que chef de l'Etat, cela ne doit pas se faire à n'importe quel prix.
En tout cas, cela ne se fera pas tant qu'il n'aura pas été démontré que les techniques disponibles pour l'exploitation de ces ressources sont respectueuses de l'environnement, de la complexité des sols et des réseaux hydrologiques. Et cela ne se fera pas au prix d'une fragmentation des terres qui massacrerait, - j'emploie le mot à dessein - , qui massacrerait ce paysage presque spirituel que l'UNESCO a justement choisi de classer au patrimoine mondial de l'humanité. Je veux que ma visite serve au moins à préciser les choses sur un sujet qui avait inquiété beaucoup d'entre vous.
Je tiens à remercier tous ceux qui se sont investis personnellement dans cette candidature à un classement des Causses et des Cévennes au patrimoine mondial. Je pense bien évidemment à Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET qui a mobilisé toutes les forces de son ministère, et elle me permettra d'y associer Rama YADE qui, lorsqu'elle occupait les fonctions d'ambassadeur de France à l'UNESCO, a défendu efficacement ce dossier.
Je veux saluer bien évidemment Jean PUECH qui avec une ténacité toute aveyronnaise a porté ce projet depuis ses prémices jusqu'à son succès. Il va sans dire que Max ROUSTAN, qui nous accueille aujourd'hui n'a pas ménagé sa peine. Ce combat, vous l'avez tous gagné et je pourrais y associer tous les parlementaires qui sont ici et tous les élus.
Votre terre est née de la formidable ténacité des hommes qui l'ont travaillée au prix d'un combat séculaire, mais au fond en venant ici, je me demandais si ce n'est pas dans un autre combat que ce pays a trempé son caractère.
Parce que le combat qui s'est livré ici il y a plus de trois siècles a non seulement construit l'identité cévenole, mais il a assigné à la France une mission historique : la défense de la liberté de conscience.
C'est ici que l'on a mené ce combat, et c'est ici qu'on l'a gagné. Ici même, il y a trois siècles, des paysans, des artisans, de simples bergers, au fond tout un petit peuple dont l'horizon ne dépassait que très rarement ces montagnes et qui avait été nourri aux écritures saintes, ce petit peuple a donné à l'Europe médusée une incroyable leçon de liberté. Et vous êtes les héritiers de ce petit peuple si courageux.
C'est ici, au creux de vos vallées, que pour la première fois, l'ancien monde a vacillé sur ses bases pourtant multiséculaires.
Tout avait pourtant commencé comme l'une de ces guerres de religion qui avaient tant de fois menacé l'unité de la France.
Les contemporains crurent à une résurgence du passé, et c'était au contraire l'avenir qui était en train de sourdre. MICHELET lui-même écrira : « rien de semblable à l'affaire des Cévennes dans toute l'Histoire du Monde». Il est de mon devoir de chef de l'Etat de mettre en lumière ce que nous avons eu grand tort d'ignorer ou de sous-estimer.
Bastion du protestantisme, les Cévennes - et bien au-delà, encore, le Bas-Languedoc -, vivaient en paix à l'abri de l'Edit de Nantes et de la Paix d'Alès, Monsieur le Maire. Cette paix signée, ici même assurait au Roi Louis XIII la fidélité des protestants en échange de quoi le monarque les autorisait à rester fidèles à leurs églises.
Cette paix ne dura pas.
Quelques décennies plus tard et loin d'ici, à Versailles, un très grand Roi voyait le soleil de son règne lentement s'obscurcir. Les victoires s'éloignaient, la gloire lui échappait. Il lui fallait des triomphes, quitte pour cela à remporter ces triomphes sur ses propres sujets.
Quand l'ennemi extérieur vous résiste, l'ennemi intérieur est, lui, plus facile à réduire. Aussi, les protestants furent-ils dénoncés comme une menace pour l'unité du Royaume.
Une mécanique implacable allait se mettre aussitôt en marche au pas des dragonnades.
Il fut décrété que seules les familles protestantes accueilleraient chez eux, les compagnies de « dragons », redoutable honneur. Car une fois logés chez l'habitant, ces dragons, ces soldats avaient tous les droits sauf un seul, celui de tuer. En revanche, ils pouvaient voler, piller, violer, humilier, incendier, sans même avoir à craindre la moindre remontrance d'officiers disparus comme par enchantement.
Abreuvées de coups, affolées d'angoisse, les familles se convertirent par centaines puis par milliers. C'est l'histoire de votre territoire.
Parfois il suffisait à un village protestant d'apercevoir au loin les nuages de poussières soulevées par les régiments pour que tous les habitants se précipitent dans les églises et demandent la conversion comme on demande une grâce.
Chaque jour on déposait au pied du Roi d'interminables listes de convertis qui lui étaient aussi agréables que des bulletins de victoire qu'il n'avait plus.
En quelques mois, la France était devenue, sur le papier timbré de l'administration royale, toute catholique. L'Edit de Nantes qui avait assuré la paix du royaume pendant près d'un siècle fut aboli.
Alors, bien sûr, personne ne croyait à la sincérité de ces conversions.
Des consciences catholiques s'élevèrent contre ces méthodes, Christine de SUEDE, SAINT-SIMON et VAUBAN.
Madame de MAINTENON répondit à ces scrupules légitimes par une phrase dont le cynisme a rarement été atteint : « je sais bien que toutes ces conversions ne sont pas sincères mais les enfants au moins seront bons catholiques si les parents sont hypocrites ».
Les enfants, oui les enfants, tel était l'enjeu réel de cette politique folle.
De ce viol des consciences allait naître dans votre territoire un monstre : la guerre civile.
Car ces enfants, une fois parvenus à l'âge adulte, loin de faire de « bons catholiques » comme le croyait Madame de MAINTENON, massacrèrent l'Abbé du CHAYLA qui depuis des années confondait violence et catéchisme.
Près de vingt ans après la Révocation, la guerre des Camisards venait de commencer, elle allait embraser vos Cévennes.
Pendant dix ans, quelques milliers d'hommes, avec le soutien de toute une population, affrontèrent le plus puissant Roi du monde. Ils étaient peut-être 7 000.
Pour venir à bout de cette guérilla menée par 7 000 courageux Cévenols, il ne faudra pas moins de deux maréchaux de France et la mise en place d'une véritable politique de terreur.
Pour empêcher la population de venir en aide aux insurgés, on décida la déportation des populations puis ce qu'on appela le « Grand brûlement des Cévennes » et, en quelques mois, la totalité des villages et des hameaux des hautes Cévennes seront entièrement brûlés.
Pour réduire les vallées le plus reculées, LAMOIGNON-BAVILLE, l'inflexible intendant du Languedoc, ordonna de tracer des routes sur les crêtes pour permettre aux régiments d'avancer sans craindre l'embuscade. C'est la montagne elle-même qui était profanée.
Les exactions succédèrent aux représailles et les représailles aux atrocités. Les rouages implacables de toute guerre civile étaient en marche. Ils allaient broyer les Cévennes.
Le pays fut encerclé, les villages qui n'avaient pas été brûlés furent occupés.
Peu à peu le combat, trop inégal, se révéla perdu. Les grands chefs camisards tombèrent les uns après les autres, furent roués en place publique.
Le conflit prit fin, et le vieux Roi Louis XIV put se faire construire, à Montpellier, une place royale pour servir de socle à sa statue de bronze. Là, aux portes de la capitale languedocienne, vêtu en empereur romain, il jette toujours aujourd'hui un regard de triomphe, sur ces montagnes, les vôtres qui avaient osé lui tenir tête.
Pendant tout le XVIIIe siècle, le protestantisme retourna à la clandestinité, à ce « Désert » qui était le sien et qui n'est pas sans rappeler, pour ces gens imprégnés de la Bible, la longue errance du Peuple de l'Exode.
Pendant près d'un siècle, les protestants de notre pays allaient devoir déployer des trésors d'ingéniosité pour simplement vivre leur foi. Ce n'était pas au Moyen Âge, c'était au XVIIIe siècle.
J'ai été profondément ému, il y a quelques instants, lors de ma visite du Mas Soubeyran, par ces bibles de chignon que les femmes dissimulaient dans leurs coiffures pour se rendre aux assemblées interdites.
J'ai été profondément touché par ces bougeoirs d'étain qui, d'un seul tour de main, pouvaient se transformer en calices, ou encore par ces chaires habilement dissimulées dans des tonneaux.
De l'ingéniosité, il en fallut à ces hommes et à ces femmes de foi, mais du courage plus encore, car la chasse aux « prétendus réformés » ne connut pas de trêve chez vous pendant tout un siècle.
Les hommes qui étaient surpris dans l'exercice du culte interdit étaient envoyés aux Galères, condamnés à une mort certaine.
Les femmes, elles, étaient emmurées vivantes dans la Tour de Constance à Aigues Mortes. Certaines préférèrent y mourir, plutôt que de renier leur foi.
Si j'ai tenu à visiter aujourd'hui le musée du Désert, qui fêtait son centenaire, c'est que j'ai souhaité m'incliner, au nom de la Nation, devant la mémoire de ces milliers de femmes et d'hommes qui ont refusé de transiger avec la liberté de conscience, au prix de leur vie même, et qui nous ont laissé cette intransigeance en héritage.
Les huguenotes enfermées sur ordre du Roi à Aigues Mortes au XVIIIe siècle avaient gravé sur la pierre de leur cachot le mot : « Résister ».
Ce mot a toute sa signification aujourd'hui, il est né ici. Ce mot est à lui seul, pour une famille comme pour un pays, un héritage, le plus bel héritage qui soit. Un peuple résiste, un peuple ne se met pas à genoux.
Ce mot, gravé à même le sol par des femmes abandonnées de tous, mais qui, jusqu'au bout, conservèrent intact l'espérance et la foi, ce mot, notre pays et vous en connaissez le prix. Abandonnées mais dignes, enfermées mais libres. Ce mot, aux heures les plus terribles de l'Occupation, les Cévennes en firent un impératif catégorique. Ce n'est pas un hasard si lors de l'Assemblée du Désert de 1942, à Mialet, le Pasteur BOEGNER, Président de la Fédération protestante de France, appela les pasteurs présents à ne pas plier devant la politique de Vichy et à résister à sa politique antisémite. Dans les Cévennes, on ne s'agenouille que si l'on en a le désir profond. On ne plie pas et on ne rompt pas.
Ce n'est pas un hasard si l'on trouve parfois, à plus de deux siècles de distances, les mêmes noms inscrits sur les murs du musée du Désert et sur celui des Justes de France.
Ce n'est pas un hasard si des villages cévenols se sont refermés sur des juifs persécutés pour les sauver du pire. Les enfants allaient à l'école, étaient connus de tous, certains raconteront même avoir passé là une enfance presque normale... Tout le monde savait, et dans les Cévennes, personne ne parla jamais. Ces familles et ces enfants furent protégés par une formidable conspiration du silence. Les Justes ont sauvé, individuellement, l'Honneur de la France, mais dans les Cévennes, ce fut une uvre collective. Dès l'invasion de la zone libre, les grottes et les caches qui avaient abrité les camisards vont reprendre du service au profit des maquisards qui emprunteront les mêmes chemins et utiliseront parfois les mêmes ruses.
Qu'ils soient protestants, catholiques ou agnostiques, ces maquisards avaient bien repris le combat des camisards.
Le nom des maquis de LASALLE, d'ARDAILLES ou de l'AIGOUAL sonnent encore ici comme autant de défis lancés à un ennemi surpuissant et implacable.
Et ce sont bien ces maquisards qui, au cours de l'été 1944, sont parvenus à tenir en échec les colonnes allemandes remontant vers le Nord. A Pont d'Hérault, à Ganges, à Sommières, à Saint-Hippolyte du Fort, partout où ils le pouvaient, les maquisards affrontèrent les troupes allemandes au cours de véritables batailles rangées. A chaque fois, l'ennemi battit en retraite, persuadé que les forces de la résistance étaient bien plus nombreuses et bien mieux armées qu'elles ne l'étaient en réalité. Chaque fois que la population était interrogée par l'ennemi, elle répondait la même chose : « les résistants sont partout ». En vérité, ils n'étaient qu'une poignée à tenir un pont, un clocher ou un col de montagne, mais les Cévenols avaient fait corps avec l'esprit de résistance, cet esprit qui est l'esprit même des Cévennes.
Lors de l'accrochage de Pont d'Hérault, un maquisard resté célèbre, dont le père et le frère avaient été pendus à Nîmes par l'ennemi, refusera d'achever un soldat allemand blessé et intransportable.
Je veux voir dans ce geste la noblesse de ce pays cévenol, prêt au combat et au sacrifice lorsque sa liberté est en jeu, mais intraitable sur les valeurs morales.
Aujourd'hui, les Cévennes et les Causses sont une terre apaisée. Aujourd'hui, la République a réconcilié Catholiques et Protestants qui se reconnaissent dans cet article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme largement inspiré par le Pasteur nîmois RABAUT SAINT-ETIENNE : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » Cette phrase, mes chers compatriotes, a plus de deux siècles et pourtant il n'est pas nécessaire d'en changer un seul mot. Cette phrase qui a plus de deux siècles trace depuis bientôt cinq ans ma seule ligne de conduite en matière de liberté religieuse.
Aujourd'hui à Saint-Jean-du-Gard ou à Alès, chacun peut aller prier au Temple ou à l'Église, chacun peut croire en la « Présence Réelle » ou ne pas y croire sans que cela provoque le trouble dans le pays ou jette l'alarme dans les consciences.
Cette liberté, j'ai voulu dire aux Français à quel point elle avait été chèrement conquise. Je ne doute pas que c'est aussi la noblesse de ce combat qui a motivé le classement de ces paysages au patrimoine mondial de l'UNESCO.
N'oublions pas que c'est ici, à Alès, dans ces vallées et ces montagnes qui nous entourent, que la France a forgé, pour la livrer au monde, l'idée même, l'idée universelle de liberté de conscience.
J'aimerais tellement faire comprendre que l'histoire n'est pas une nostalgie, que nous ne venons pas de nulle part, que nous sommes les héritiers du travail, de l'engagement et de la sueur de nos aïeux, que nous devons être à leur hauteur, à la hauteur de leurs souvenirs et de leurs exemples, que nous devons les vénérer, que nous devons les célébrer, que nous devons les comprendre. Que les oublier est une forme de blasphème. Que les oublier est une forme de reniement. Que les oublier est une forme de méconnaissance de ce qui fait l'identité de la France : une addition de toutes ces petites patries.
J'ai voulu venir ici, saisissant l'occasion du classement au patrimoine mondial de l'UNESCO, pour le dire. Parler de l'histoire de France, je le dis devant le ministre de la Culture, Frédéric MITTERRAND, c'est parler de l'avenir de la France, ce n'est pas parler de son passé. On ne construit pas l'avenir d'une Nation en ignorant son passé, en le méconnaissant. La France a une histoire et dans ces terres cévenoles, il y eut des gens qui se sont sacrifiés.
Je vois parfois que cette liberté de conscience, on en parle avec beaucoup de légèreté. J'aimerais que ceux qui en parlent avec tant de légèreté, viennent ici pour comprendre ce qu'il a fallu de souffrances pour qu'elle devienne un droit pour vous. Des gens sont morts, des gens ont souffert, des gens ont espéré connaître ce que vous connaissez.
Notre connaissance et notre gratitude doivent aller à leur souvenir. Mais notre mobilisation doit aller à la protection de ce principe de liberté de conscience. Nul ne doit être inquiété au titre de ses croyances religieuses pour peu qu'il ne trouble pas l'ordre public.
Mesdames et Messieurs,
Mes chers compatriotes,
J'espère que vous avez compris que, pour moi, venir ici avec vous, partager ce moment, ce moment sacré du souvenir dans cette terre cévenole, c'était bien sûr un plaisir, mais c'était surtout un devoir. Faisons de l'exemple de vos aïeux, un exemple pour les jeunes générations et faisons ensemble que cette liberté de conscience à laquelle nous attachons tant de prix, nous ne finissions pas par nous y habituer, nous ne la laissions pas contester, pour que ceux qui nous succéderont, puissent bénéficier de la même liberté de conscience.
Mes chers compatriotes,
Mers chers concitoyens,
Je vous remercie de votre attention.