27 juin 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les investissements d'avenir et sur la politique du gouvernement face à la crise économique, à Paris le 27 juin 2011.

QUESTION - Vous avez réorienté, après Fukushima, la politique de sécurité nucléaire, est-ce qu'il y a aussi des projets qui ont été revus dans le domaine des énergies alternatives au nucléaire ?
LE PRESIDENT - En fait, on a fait trois réorientations, que les ministres ou le Premier ministre me disent si je me trompe.
D'abord, dans le domaine de la santé : le cancer. Le cancer brise trop de vies. C'est une maladie trop répandue. Il y a trop de destins qui se trouvent brisés par cela. Nous, nous souhaitons un pôle mondial de recherche contre le cancer. Le problème français, c'est qu'il y a beaucoup de pôles d'excellence, y compris en région parisienne, sur le cancer. Est-ce que l'on peut regrouper nos forces pour en faire vraiment un pôle mondial ? C'est la première réorientation.
La deuxième réorientation par rapport à la Commission JUPPE/ROCARD et au travail que nous avons fait avec le Parlement c'est les initiatives pédagogiques d'excellence. C'est vrai, les laboratoires d'excellence, les équipements d'excellence, tout cela, c'est très bien. Mais nous avons pensé qu'il y avait aussi de nouvelles méthodes pédagogiques dans les universités et qu'au fond, si nous voulions les meilleures universités du monde, il fallait certes que l'on travaille sur le plan « campus », les campus, que l'on travaille sur les équipements, que l'on travaille sur les dotations en capital des universités qui sont maintenant autonomes, mais que nous devions également primer des initiatives pédagogiques, des nouveaux projets, des nouveaux programmes, des nouvelles méthodes. Le monde entier bouge, on ne peut pas rester avec des méthodes d'enseignement qui sont celles d'il y a cinquante ans. Ce qu'il faut, c'est préparer le XXIe siècle.
Enfin, troisième élément de réorientation : le nucléaire, avec le domaine particulier de la sûreté nucléaire. La France a déjà une avance considérable sur tous les autres. D'ailleurs, c'est pour cela que la France avait perdu un certain nombre d'appels d'offres en matière de construction de centrales nucléaires. Nos centrales nucléaires sont plus chères parce qu'elles sont plus sûres. Nous avons la volonté d'investir encore dans la sûreté nucléaire.
Sur l'énergie, il y a d'abord les générateurs de la 4e génération. D'ailleurs, certains me demandent un moratoire sur le nucléaire. Je trouve toujours cette proposition curieuse. Le moratoire, cela consiste à faire quoi ? On garde les vieilles centrales et on s'abstient de chercher pour les nouvelles ? Si on garde les vieilles centrales, on garde celles qui sont moins sûres et on s'abstient de développer la recherche pour celles qui sont plus sûres. Cela n'a pas de sens. Nous investissons sur les réacteurs de la 4e génération.
Sur les énergies renouvelables, nous investissons aussi massivement. Le Premier ministre, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, Eric BESSON et moi-même, nous avons annoncé 12 Mds d'investissement pour les éoliennes « offshore », c'est-à-dire les éoliennes dans l'océan. C'est 12 Mds. Le solaire a été multiplié depuis que je suis président de la République par 5, l'éolien par 18. Et nous investissons encore sur les énergies décarbonées dans le cadre du programme des investissements d'avenir.
Mais nous pensons aussi avec Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, qu'au fond, l'une des énergies la plus prometteuse pour l'avenir, c'est l'économie d'énergies, c'est l'efficacité énergétique. Tout ce qui le permettra, on y travaille. Prenons l'avion du futur, l'avion composite, c'est-à-dire l'avion plus léger, ou la voiture électrique. On me dit parfois : « mais est-ce que vous avez choisi entre l'hybride ou l'électrique ? » Non. Nous investissons massivement avec le privé sur l'allègement du poids des véhicules, sur le moteur hybride, sur le moteur électrique, sur le bonus/malus. Savez-vous que le parc automobile français est le parc automobile le plus propre d'Europe grâce au bonus/malus ? Nous ne voulons pas choisir la bonne énergie renouvelable. Nous voulons investir massivement pour être au rendez-vous de 2020 : 23% d'énergies renouvelables dans la consommation électrique française. D'ailleurs, tous ceux qui travaillent sur cette question savent bien qu'il n'y a pas d'alternative au nucléaire aujourd'hui. Il faut donc développer le nucléaire, développer les énergies renouvelables.
J'ajoute un dernier mot à ceux qui nous demandent d'abandonner le nucléaire. C'est ceux-là même qui voudraient que la France ne soit pas au rendez-vous de ses engagements de Copenhague sur les émissions de gaz à effet de serre. Parce que si nous gardons le nucléaire, c'est parce que nous voulons garder notre indépendance, que nous voulons une énergie compétitive, que nous ne voulons pas imposer aux Français des augmentations phénoménales du prix de l'énergie, mais aussi parce que l'énergie nucléaire ne produit pas de gaz à effet de serre. C'est une énergie propre. Il y a une cohérence sur l'ensemble de nos investissements et de notre politique énergétique.
QUESTION - Dans le dossier de presse que vous nous avez remis, la priorité est donnée dans le cadre des investissements d'avenir à l'enseignement supérieur, la recherche et la formation. Dans ce contexte, comment vous interprétez la polémique sur le Bac ? Est-ce qu'elle ne traduit pas l'angoisse des parents et des enfants sur l'avenir et puis, après la polémique sur les fraudes, est-ce que vous considérez que le baccalauréat est obsolète ?
LE PRESIDENT - Le ministre de l'Education nationale était sur une grande chaîne de télévision nationale hier. Il a dit des choses parfaitement sensées que je soutiens complètement. Mais enfin, je voudrais, ne m'en veuillez pas, me concentrer sur les investissements d'avenir et je n'ai pas annoncé, dans le cadre des investissements d'avenir, de financement pour le baccalauréat.
Je sais bien qu'il y a une actualité, je le sais, mais je voudrais vous convaincre d'une chose. Ce dont nous sommes en train de parler aujourd'hui, c'est très important pour notre pays, pour vos enfants, pour vous-mêmes, pour les vingt années qui viennent. Je sais bien que l'actualité est dévorante et qu'elle est passionnante, mais enfin, elle passe, l'actualité, tandis que les investissements d'avenir dans vingt ans, on bénéficiera de cela.
La question, c'est : est-ce que la France sort plus forte de la crise ou moins forte ? Est-ce que nous sommes capables, tous ensemble, de tirer les conséquences des échecs du passé, dont nous sommes collectivement responsables, pour nous tourner vers l'avenir ? Quels sont les échecs du passé ? Trop d'impôts en France qui cassent l'initiative. Trop de dépenses publiques qui alourdissent le poids de l'Etat sur l'économie, pas assez d'investissements. Pourquoi, il y a des délocalisations ? Parce que nos charges sont trop lourdes, parce que nos produits ne sont pas assez compétitifs, parce que nous n'avons pas assez investi. C'est cela qui compte.
Par ailleurs, nous avons voulu l'autonomie des universités, mais l'autonomie des universités, sans les moyens donnés aux universités, cela ne servirait à rien. L'autonomie n'est pas une fin en soi, l'autonomie est un moyen. Je suis très heureux que cela soit le gouvernement de François FILLON qui ait fait un effort pour les universités sans précédent dans l'histoire de la Ve République. C'est cela qui compte.
Vous savez, c'est un changement et pour moi, il n'y a pas plus grande satisfaction que de voir le monde universitaire qui a été décrit pendant des années comme immobile, s'emparer des investissements d'avenir et de la réforme des universités pour proposer, dans une émulation formidable, des projets dans toutes les universités : grandes, moyennes ou petites.
Est-ce que l'on pouvait continuer à régresser dans le classement de Shanghai ? Est-ce qu'il était acceptable que nos meilleurs étudiants partent dans grandes écoles et ignorent nos universités et que les familles les plus aisées, lorsqu'elles voulaient que leurs enfants fassent des études universitaires, les envoient à l'étranger ? Est-ce que vous ne croyez pas que c'est aussi important que la fraude au baccalauréat ?
Par ailleurs, je comprends que pour ceux qui en sont les victimes, ce soit un problème, mais la réponse de Luc CHATEL est qu'il n'y avait pas de bonne solution et il a essayé de prendre la réponse qui garantisse le mieux l'égalité républicaine. Il nous en a parlé, et je soutiens son choix. Il n'y a pas de bonne réponse, parce que si on annule l'examen, à ce moment-là, ceux qui pensent l'avoir réussi, ne sont pas contents, si on neutralise un exercice, celui qui l'a bien réussit dit : « mais pourquoi ? ». Il n'y a pas de bonne solution. Je trouve que la solution qu'il a trouvée est la plus respectueuse de l'égalité républicaine. Je souhaiterais que l'on se concentre sur la question de l'investissement, de l'innovation de la recherche.
QUESTION - Monsieur le Président, s'agissant de l'industrie, la production de l'industrie reste inférieure à ce qu'elle était avant la crise et le commerce extérieur de la France accuse un déficit record. A côté des investissements d'avenir qui sont du long terme, pensez-vous qu'il faille des mesures à plus brèves échéances pour préserver les usines et les emplois en France ?
LE PRESIDENT - Ces mesures, je crois que nous les avons prises, même si elles n'ont pas été comprises au moment où nous les avons prises.
La suppression de la taxe professionnelle, c'est une mesure anti-délocalisation. Des gens qui gardaient une usine en France étaient récompensés par un impôt, la taxe professionnelle, qui n'existait qu'en France et nulle part ailleurs en Europe. C'est-à-dire que vous êtes propriétaire d'une industrie, d'une usine, si vous la mettez en France, on vous récompense en mettant une taxe professionnelle, si vous la mettez ailleurs en Europe, il n'y a pas de taxe professionnelle. C'est bien une mesure que nous avons prise, c'est 6 Mds de prélèvements en moins sur les entreprises.
Le crédit impôt-recherche représente plus de 4 Mds supplémentaires. Nous avons le système fiscal le plus favorable du monde pour l'investissement.
Pourquoi avons-nous perdu des parts de marché ? Vous avez raison de le signaler d'une part, parce que nos concurrents sont plus nombreux et souvent meilleurs, il faut bien le dire, et d'autre part, parce que nous n'avons pas assez investi, nous n'avons pas été assez compétitifs. C'est quand même cela la question qui se pose. C'est pour cela que nous avons supprimé la taxe professionnelle, c'est pour cela que nous faisons le crédit impôt-recherche, pour que nos entreprises soient plus compétitives et que l'on regagne des parts de marché.
Le problème, c'est que pendant que nous faisions les 35 heures, les autres amélioraient leur formation, amélioraient leurs investissements, amélioraient leurs process de fabrication, et voilà le décrochage. Le décrochage, c'est le début des années 2000. Alors face à cela que fait-on ?
Des investissements d'avenir pour les vingt années qui viennent, et puis toute la politique économique que nous avons essayé de mettre en place. Continuer à investir dans le nucléaire, c'est aussi favoriser l'industrie française. La décision qu'ont prise nos amis Allemands, c'est 40 à 45 Mds qu'il va leur falloir trouver pour remplacer cette énergie.
En tout cas, nous ne pouvons pas continuer à ignorer le monde. La question, c'est de préparer la France au défi du XXIe siècle. Pourquoi ? Pour continuer à financer notre modèle social. Vous voyez bien les questions qui se trouvent posées. Bien sûr, il y a la question de la dette, mais la dette, pour la rembourser, il faut qu'il y ait de la croissance, des économies et de la croissance. Nous payons plus de 40 Mds d'intérêts de la dette chaque année. Et ça, cela ne s'arrêtera pas à la présidentielle de 2012. C'est un sujet qui concerne tous les Français. Moi, je n'ai pas été élu pour que la France connaisse les affres de la Grèce, du Portugal ou de l'Irlande. Maintenant, il n'est plus temps de parler. C'est pour cela que nous avons agi.
Cette réalité est une réalité du monde d'aujourd'hui. Personne ne pourra s'en exonérer. Trop de dépenses de fonctionnement, trop de charges publiques, trop d'emplois publics, pas assez d'innovations, pas assez de recherches, pas assez d'investissements. Je vous le promets, ce n'est pas une affaire de gauche ou de droite, d'opposition ou de majorité, c'est une affaire d'intérêt général, il n'y a pas d'autre choix pour notre pays. C'est ce choix là qu'il faut prendre. Parce que c'est cette route qu'ont prise tous les pays qui ont réussi. Si la France s'exonère de cette voie, elle le paiera par plus de chômeurs, plus de délocalisations et de pertes de pouvoirs d'achat, et l'impossibilité de financer son modèle social. C'est incontournable.
Quand on faisait le choix des 35 heures, nos amis Allemands faisaient le choix de l'investissement, de la compétitivité. Aujourd'hui, ils ont moins de chômeurs, moins de déficit et plus de croissance. Nos amis Grecs, comme nos amis Portugais et Irlandais payent cher, notamment les Grecs, l'impéritie des gouvernements précédents qui n'ont pas voulu voir que, quand on fait les efforts à temps, on évite la catastrophe. Voilà la situation dans laquelle ils se trouvent. Et ce n'est pas un hasard, voyez-vous, si la France est préservée de tous ces risques, si sa notation est préservée et si la France peut emprunter à des taux très bas... La Grèce emprunte à 2 ans à 30%. A 30% ! La France emprunte aux alentours de 3%.
Vous savez, ceux qui auraient l'idée de revenir sur le non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, de revenir sur la réforme des retraites, ou de refuser une règle d'or qui obligera tous les gouvernements à prévoir un budget en équilibre à terme : ce serait l'explosion de la dette, l'explosion des déficits et l'impossibilité pour la France de se financer.
Ce n'est pas une question de polémique, ce n'est pas une question de gauche et de droite, croyez-moi. C'est une question de bon sens et d'intérêt général. Le monde entier le sait. Et justement, si on veut préserver notre modèle social, pour préserver notre modèle social, parce que nous ne voulons pas le détruire, nous voulons le préserver.
QUESTION - Deux petites questions si vous le permettez. D'abord, est-ce qu'il y aura une méthode particulière de mesure, d'évaluation de retour sur investissement pour l'Etat ?
Deuxième question, compte-tenu des enjeux économiques, et notamment de ce dossier et du calendrier économique des rendez-vous, par exemple européens, il est essentiel que la France n'ait pas une vacance trop longue dans le poste de ministre de l'Economie. Quand est-ce que vous comptez remanier si Mme LAGARDE était désignée à Washington ?
LE PRESIDENT - J'ai vu que l'on partait vers le sud pour arriver vers le grand nord, avec une maestria...Je vous félicite !
Tous les ans, nous avons l'intention de procéder à une évaluation publique du rythme de décaissement des investissements d'avenir. Des projets qui auront été primés et des résultats qu'obtiennent les projets primés. Donc tous les ans, cela fera l'objet, bien sûr, d'une conférence de presse, mais cela fera l'objet, également, d'un rendez-vous parlementaire pour que le Parlement soit associé. 35 Mds, c'est une somme considérable. Il est normal que la méthode soit spécifique et il est normal qu'il y ait une évaluation. Donc les choses sont très claires.
Evidemment, comment évalue-t-on une dotation en capital d'une université ? Mais en même temps, rendez-vous compte que nos universités étaient les seules universités du monde à ne pas avoir d'autonomie et à ne pas avoir de dotation au capital. Qu'est-ce que l'on fait avec une dotation au capital ? Par exemple, on peut investir, on peut garantir des emprunts, on peut bénéficier d'une véritable autonomie. Il n'y en avait pas. On se demande même quels furent l'engagement, la créativité et l'intelligence des universitaires français pour arriver sans autonomie, sans capitaux, à réussir.
Transparence totale donc sur les allocations, et transparence totale sur les résultats, y compris sur les royalties, sur les échecs que nous aurons certainement, mais aussi sur les réussites.
Pour le reste, j'attendrai de savoir si Christine LAGARDE, pour qui j'ai amitié et confiance, est désignée, pour décider avec le Premier ministre des conséquences que nous en tirons. Mais avant que cela ne soit fait, il n'est pas question d'en parler ou de répondre à cette question. Il y a là, me semble-t-il, un minimum de courtoisie à l'endroit des membres du Conseil d'administration du FMI qui seraient, sans doute, très étonnés de voir que nous faisons comme si c'était fait. Jusqu'à la dernière minute, nous serons respectueux de leur décision et nous l'attendrons sereinement.
QUESTION - Monsieur le Président, vous évoquez les investissements d'avenir et, en fait, j'ai une double question. D'une part, quand on compare aujourd'hui notre déficit commercial à celui de l'Allemagne, on voit que l'Allemagne est effectivement investie dans un certain nombre de secteurs industriels - on cite toujours les mêmes - la machine-outil, etc. - et on cite ses PME. Je voudrais savoir, c'est une première question : comment vous voyez la France à dix ou vingt ans, quelles seront les forces de la France à dix ou vingt ans ? Et est-ce que vous pensez que vos investissements d'avenir vont pouvoir résoudre le déficit commercial chronique de la France ?
LE PRESIDENT - Ce qui est sûr, et vous avez parfaitement raison, c'est qu'il nous faut choisir.
Nous ne pouvons pas être du niveau mondial dans tous les secteurs. C'est d'ailleurs la grande difficulté des investissements d'avenir et de leur allocation. Car la tradition française, c'est de confondre, un petit peu, égalité et égalitarisme, c'est-à-dire que si nous avions fait comme d'habitude, on aurait divisé nos 35 Mds par le nombre de régions et alloué à chaque région le même montant. Nous ne l'avons pas voulu.
Deuxièmement, si nous prenons l'exemple de l'industrie, nous avons sélectionné, avec Eric BESSON et Christine LAGARDE, dix filières industrielles que nous estimons majeures. Je peux prendre des exemples : l'énergie, j'en ai parlé. On ne peut pas concevoir une économie forte à vingt ou trente ans, surtout dans un pays qui n'a pas d'énergie fossile, sans une industrie énergétique extrêmement puissante. C'est un premier sujet. D'ailleurs, c'est un sujet que nos amis Allemands ont affronté.
Deuxièmement, la santé. C'est une industrie absolument majeure. La France a un système de sécurité sociale à nul autre pareil au monde. Cela ne doit pas, de mon point de vue, être uniquement pour payer des royalties à tel ou tel laboratoire américain, par ailleurs, excellent. Mais on aurait donc un système de protection de la santé des Français formidable qui conduirait à rembourser les efforts de recherche et à assurer les bénéfices des grands laboratoires étrangers. C'est un sujet considérable pour nous.
Troisièmement, je pense qu'il n'y a pas d'économie possible si nous ne gardons pas une industrie des transports : avion, train, véhicule, bateau. L'expérience du monde montre, enfin, rien que l'automobile, c'est 10% de notre population active. Nous pensons que nos industriels ne peuvent pas seuls développer l'avion du futur, la voiture du futur ou le bateau du futur. C'est un autre secteur.
Si je devais prendre d'autres sujets - prenez le textile. Le textile restera une réalité française mais plus sur des niches que sur une filière industrielle de premier plan, comme nous avons pu le connaître au XIXe siècle.
Je pourrais prendre d'autres exemples, comme la communication. Dans le monde qui est le nôtre, c'est un sujet absolument majeur de voir que les grands groupes de communication mondiaux sont des groupes anglo-saxons, et que si nous regardons les groupes français, leur dimension internationale est encore à démontrer. Quand certains ont une dimension internationale, ils ne sont pas présents dans la télévision et quand certains sont présents à la télévision, ils sont absents dans les autres secteurs. L'investissement que nous voulons faire dans le numérique est quelque chose d'extrêmement important pour nous.
Très clairement, il ne m'appartient pas, pas plus qu'aux ministres et au Premier ministre, de définir à vingt-cinq ans, quels sont les secteurs qui vont être marquants. L'engagement politique que nous prenons devant les Français, c'est de faire des choix. On ne pourra tout faire. Ces choix, nous les avons faits.
Par exemple, prenez les chantiers de Saint-Nazaire, auxquels le Premier ministre et moi, pour des raisons différentes, tenons beaucoup. Moi, je suis persuadé que dans la société du loisir du XXIe siècle, les paquebots de croisière de la nouvelle génération ont un avenir. Et qu'en France, depuis des décennies, on sait construire des bateaux magnifiques. Si nous n'avions pas pris 33% du capital des chantiers de l'Atlantique, ils seraient partis.
Un siècle de compétences, de savoir-faire peut partir s'y on rate une décision. Ce n'est pas un secret de dire que je n'avais pas apprécié la décision qui avait été prise, au milieu des années 2000, d'abandonner Pechiney. Je pense que c'est une erreur, je le dis comme je le pense, ce n'est pas pour cela que j'ai raison, d'avoir fait une forme d'impasse sur l'industrie chimique. Je connais les problèmes de l'industrie chimique, mais est-ce que l'on peut imaginer une grande économie sans chimie ? Voilà, c'est ce type de chose.
Dans un même temps, si on avait laissé Siemens devenir propriétaire d'Alstom - Siemens est une entreprise remarquable - qu'en serait-il aujourd'hui du TGV français ? Qu'en serait-il ? Où est-ce que l'on serait ?
Pareil pour la santé. Nous, nous savons bien qu'on va devoir dépenser plus d'argent pour la santé des Français. C'est incontournable, parce que les traitements coûtent plus cher, parce que les progrès de la science, cela se paye, parce que l'acceptation de la douleur pour les malades baisse et c'est tout à fait normal. Mais, en même temps, est-ce que chaque ville peut avoir son centre anti-cancer, je veux dire une équipe qui cherche dans son coin contre le cancer ? Il y avait en région parisienne trois centres de transplantation du foie, par exemple, qui sont des techniques extrêmement lourdes, mais est-ce que l'on n'a pas intérêt là-aussi à les regrouper et à donner à l'équipe de pointe les moyens d'exister mondialement ? Voilà, ce que nous sommes en train de construire.
Ces choix-là, ce n'est pas nous qui les faisons seuls. On discute avec les professionnels de tous ces choix, bien sûr, parce que nous ne sommes pas omniscients, naturellement. Mais, des choix, l'excellence des jurés internationaux, une évaluation, c'est vraiment la politique dans laquelle nous nous engageons, même si je ne peux pas vous dire quels sont les secteurs majeurs de l'économie française dans dix ans ou dans vingt ans.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit, tout à l'heure, que vous n'avez pas été élu pour que la France connaisse les affres de la Grèce et on sait que vous travaillez beaucoup en ce moment avec vos partenaires précisément sur comment trouver une solution au problème financier de la Grèce ? Est-il exact notamment que le Trésor français, les institutions financières françaises proposent un plan visant à réinvestir 70% des remboursements d'emprunt grec dans de nouveaux emprunts à trente ans à hauteur de 50%, les 20% restant placés sur des titres dit : « coupon zéro » ? Est-ce exact ?
LE PRESIDENT - Oui.
QUESTION - Est-ce que cette proposition a des chances d'être adoptée par vos partenaires ?
LE PRESIDENT - Je l'espère. Enfin, avec Christine LAGARDE nous travaillons beaucoup là-dessus. Lorsque je me suis rendu - pas la semaine dernière mais la semaine d'avant -, à Berlin, nous avons, avec la Chancelière, posé les bases d'un compromis sur la participation volontaire du privé dans le drame grec. Nous nous étions engagés à passer du principe à la réalisation concrète. Le principe, c'est la participation volontaire du privé. Pourquoi ? Parce que si elle n'avait pas été volontaire, cela aurait été vu comme un défaut de paiement avec un risque de cascades de catastrophes immenses.
A partir de ce moment-là, nous avons beaucoup travaillé - enfin, la ministre des Finances a beaucoup travaillé - avec les banques et les compagnies d'assurances, pas simplement les banques, et les compagnies d'assurances, sur ce que pourrait être une participation volontaire du secteur privé. Et nous en avons conclu qu'en étalant les prêts sur une durée de trente ans, en les mettant au niveau, ces prêts, des prêts européens, plus une prime d'indexation sur ce que sera la croissance grecque, il y avait là un système que chaque pays pourrait, sans doute, trouver intéressant. L'idée étant que nous ne laisserons pas tomber la Grèce, que nous défendrons l'euro, c'est notre intérêt à tous.
Et à ceux qui proposent cette folie que serait la sortie de l'euro, je souhaiterais dire que c'est une folie, une chose totalement insensée. Pourquoi ? Parce que je rappelle que la France est engagée à une dette de 1 500 Mds , libellée en euros.
Si la France ou tel autre pays sort de l'euro, sa monnaie se dévaluera, mais la dette que nous devons restera libellée en euro. Donc la sortie de l'euro consiste à doubler ou à tripler la dette du pays qui sort de l'euro. C'est un argument que je n'ai pas beaucoup entendu que je m'étonne de ne pas entendre.
Est-ce que je me fais comprendre ? Quand vous contactez une dette en euro, vous gardez cette dette en euro. Si demain, vous sortez de l'euro, la première chose qui se passe quand vous sortez de l'euro, c'est que la monnaie nationale dévalue par rapport à l'euro. Si la monnaie nationale dévalue par rapport à l'euro, votre stock de dette augmente mécaniquement du montant de la dévaluation de l'euro. C'est-à-dire que ceux qui proposent la sortie de l'euro, ne proposent rien moins que de tripler ou de doubler la dette des Français. C'est une folie. Voilà ce que je pense. Je ne sais pas si je me suis assez fais comprendre.
Je pense par ailleurs que l'euro, c'est un acquis formidable de la construction européenne. C'est l'Europe, l'euro. Et si nous ne sommes plus dans l'Europe, eh bien, ce sont les affrontements. Et qui pense que nous serions plus forts seuls pour affronter la dureté du monde et la compétition du monde ? C'est insensé. Je veux dire qu'il y a un moment donné où il y va de l'intérêt général. Je comprends bien sûr les réalités de la politique, j'y ai moi-même participé, mais il y a des limites, et la limite, c'est la responsabilité et c'est l'intérêt général. Je dis aussi que nous avons pris des engagements de réduction de nos déficits devant le monde entier et que personne ne peut remettre en cause cela. Personne.
Alors bien sûr, il y aura les efforts que nos amis Grecs devront conduire, majorité comme opposition £ cela c'est sûr. Et le projet que nous avons, on le met dans le débat comme un élément que nous espérons positif, on est prêt à l'amender aussi, le projet français n'est pas l'alpha et l'omega.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez, dans votre introduction, parlé de la sous-estimation de la crise, en disant nous. Est-ce que vous vous incluez dans ce « nous » en disant que vous avez sous-estimé la crise ? Et est-ce que cette sous-estimation générale justifie peut-être le fait que la déception par rapport à votre bilan, notamment en matière de pouvoir d'achat, serait surévaluée, surdimensionnée par les Français, ce qui amènerait une certaine perte de confiance pour l'avenir.
LE PRESIDENT - J'ai essayé de suivre le cheminement. J'y suis arrivé, parce que c'était présenté tellement courtoisement que j'y suis sensible.
Oui, il y une sous-estimation de la gravité de la crise. Pourquoi ? Parce que la crise a provoqué beaucoup de souffrance dans le monde, et elle en a provoqué en France - moins qu'ailleurs. Je ne sous-estime pas les souffrances de nos compatriotes face à la crise - 500 000 chômeurs de plus, mais moins que dans d'autres pays - et je ne voudrais pas que l'on s'imagine que la crise que nous avons connue, était une crise comme les autres.
Ce n'est pas vrai. Pourquoi ? Parce que c'est la première fois dans l'histoire du monde que l'on a connu une crise qui touchait en même temps tous les secteurs et toutes les régions du monde. Les crises connues dans le passé, y compris celle de 1929, c'était des crises qui touchaient les pays développés, on a eu des crises asiatiques, on a eu les crises de l'Amérique latine. Là, c'est une crise, voyez-vous, qui a touché toutes les régions du monde, partout où l'on se tournait, cela s'écroulait. Et nous ne sommes pas passés loin de la catastrophe.
J'avais promis dans mon discours de Toulon que les épargnants français ne seraient pas ruinés, que le plan bancaire nous permettrait, sans que cela coûte un centime aux contribuables, de préserver l'épargne des Français. Nous avons tenu parole.
Mais le monde est passé au bord du gouffre, c'est une réalité. Et par ailleurs, il existe encore bien des raisons qui pourraient faire que dans l'avenir le monde connaisse, peut-être pas le même enchaînement, mais un enchaînement aussi grave. Je pense que ce n'est pas faire du catastrophisme que de dire cela.
Puisque vous parlez de déception sur le pouvoir d'achat, je ne me souviens d'avoir vu un gouvernement auquel les Français reconnaissent ce qu'il avait fait en terme de pouvoir d'achat. Et donc je sais bien que sur la question du pouvoir d'achat, nous, comme ceux qui nous ont précédés, nous aurons un mal infini à convaincre.
Mais vous suivez, vous qui êtes des professionnels, les indices. Vous les consultez, qu'est-ce qu'ils disent les indices officiels et indépendants ? Que même au cur de la crise en 2009, le pouvoir d'achat a progressé en France. Est-ce que je me trompe ?
QUESTION - .... (inaudible)
LE PRESIDENT - Cela, c'est du commentaire, je parle des indices. Est-ce que les indices indépendants, les indices de l'INSEE, les indices récurrents qui mesurent l'évolution du pouvoir d'achat des Français disent, qu'y compris au cur de la crise en 2009, le pouvoir d'achat a progressé ?
Que les Français n'y croient pas, je le comprends, et je partage votre opinion. Mais si les indices disaient le contraire, vous auriez commencé votre question en me disant : « l'INSEE montre que le pouvoir d'achat a diminué, que faites-vous pour qu'il augmente ? » Professionnelle, vous n'avez pas commencé comme cela. Vous avez dit : « il y a un problème de confiance à votre endroit », donc vous avez commencé par le commentaire puis vous en êtes venue au fait. Ma façon de vous répondre, c'est de partir du fait et d'essayer de faire changer le commentaire. Voilà, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, y compris sur la fonction publique ?
Je voudrais quand même dire aux Français qu'il est des pays européens qui ont baissé de 15% les salaires dans la fonction publique et les retraites de 15%. Nous ne l'avons pas voulu. Il est des pays européens qui ont baissé l'allocation « adultes handicapés ». Nous l'avons augmentée de 25%. Il est des pays européens où l'on a descendu de 25% le montant des bourses dans les universités. Pas si loin, je dénonce personne, mais pas si loin, un petit bras de mer. Nous ne l'avons pas voulu, puisque nous l'augmentons.
Notre réponse à la crise, c'est à la fois de faire des économies et d'investir. Parce que je pense qu'un pays qui a connu une telle crise ne peut pas se rétracter, mais je ne voudrais pas que cela vous conduise à minimiser la gravité de la crise que notre pays a connue.
QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais vous poser une question sur votre investissement d'avenir à vous-même. Il y a de nombreux commentaires partout, on parle de votre changement de style, peu importe, est-ce que vous pensez à 2012 ? Est-ce que vous pensez sincèrement à votre candidature, une éventuelle réélection en 2012 ?
LE PRESIDENT - Comme c'est sympathique d'associer cela aux investissements d'avenir ! Et vraiment j'y suis sensible et je n'y aurais pas pensé moi-même ! Mais je voudrais vous dire une chose sérieuse. 2012, c'est l'année prochaine. Donc dire que l'on ne pense pas à l'année prochaine, personne n'y croirait. Mais j'ai une spécificité. Je suis Président de la République, j'ai des devoirs, les devoirs de ma charge, je ne peux pas m'en exonérer. Il est tout à fait normal que des responsables politiques qui n'ont pas les mêmes devoirs d'une charge, qui n'ont pas les mêmes responsabilités, pensent à eux, pensent à leur famille politique, c'est normal, c'est le libre jeu de la démocratie. Mais moi, je ne peux pas, je suis président de la France, président du G8 et président du G20. Je ne le peux pas, je n'en ai pas le droit. Avant même de penser à un éventuel autre mandat, je dois penser à terminer celui-là. Les Français m'ont donné cinq ans, il y en a eu quatre, il en reste un peu moins d'une année. C'est mon devoir, je n'ai pas le choix, j'ai des obligations, un agenda, une responsabilité, des comptes à rendre, des résultats à obtenir, une équipe gouvernementale avec le Premier ministre à faire tourner, des décisions à prendre tous les jours. Je ne peux pas me distraire de cela.
Il viendra le moment, on en reparlera, mais ce n'est pas une formule, ce n'est pas une agilité, ce n'est pas une commodité de style, c'est une réalité et croyez bien que je la mesure tous les jours cette réalité, parce que tous les jours, je dois prendre des décisions avec le gouvernement, avec le Premier ministre qui sont des décisions difficiles et qui rendent la tâche bien compliquée. Mais il faut le faire, parce qu'il n'y a pas le choix et si nous ne le faisons pas et si je ne fais pas, personne ne le fera. Donc sortons aussi de cette maladie tellement habituelle qui consiste à penser à ce que l'on fera après quand on n'a même pas fini ce que l'on a à faire. Je ne bougerai pas de cette conviction, parce que c'est mon devoir tout au long de l'année 2011, comme je l'avais dit dans mes vux au début de l'année. Il n'y a pas d'autre choix, croyez-moi bien.
QUESTION - Précisément d'ici à la fin de votre mandat, est-ce que vous avez l'intention de vous intéresser à une question qui vient d'être soulevée par des économistes du Conseil d'analyse économique, qui soulignent que pour préserver l'avenir des entreprises, il faut préserver leur compétitivité et diminuer le poids de financement de la protection sociale qui pèse sur les comptes des entreprises ? Est-ce que vous avez l'intention de rouvrir cette question du financement de la protection sociale, d'ici à 2012 ?
LE PRESIDENT - Non. Nous n'avons pas et nous ne mènerons pas de changements structurels sur le financement de la protection sociale au-delà de la question de la dépendance. Je vais m'en expliquer, non pas que le problème ne se pose pas.
On ne peut pas dire aux entreprises : « voilà tout ce que l'on a mis en uvre pour renforcer la compétitivité » et les mettre en permanence sous le stress de l'instabilité fiscale et financière, avec tous les jours un nouveau projet, avec tous les jours une nouvelle taxation, avec tous les jours un nouveau changement. Les entreprises ont besoin, pour être compétitives, de stabilité.
Pour autant, est-ce que pour les années à venir la question du financement de notre protection sociale et de son assiette se pose ? Oui, bien sûr qu'elle se pose. Comment faire participer nos importations au financement de notre protection sociale, comment alléger le coût du travail pour que l'on mettre le travail au cur de tout et que cela ne soit pas dissuasif d'embaucher ?
Ce sont des questions extrêmement importantes qui pourraient peut-être occuper une partie du débat du rendez-vous dont on me parlait il y a quelques minutes. C'est un sujet. Mais je pense que cela mettrait de l'instabilité aujourd'hui alors qu'on a besoin de stabilité. Donc je ne ferme pas la porte, je dis : « voilà ce qu'il en est ». J'ajoute qu'il serait temps que tous ces sujets, nous y réfléchissions dans une dimension européenne. Tout ne se réduit pas au débat franco-français. Notamment en matière de fiscalité. Regardons ce que font les autres, imaginons ce que nous pourrions faire ensemble. Et à toute la question extraordinairement importante de notre partenariat avec l'Allemagne et du renforcement de la convergence entre l'économie allemande et l'économie française. Parce que plus le monde s'ouvre, plus les disparités au sein de l'Europe sont problématiques. Et plus il faudra conduire cette harmonisation. On aura l'occasion d'en reparler. Je ne voudrais pas lasser votre patience.
Peut-être une ou deux dernières questions ?
QUESTION - Monsieur le Président, pour revenir à la dette et au déficit, je voudrais savoir : compte tenu de nos déficits, à quel niveau vous pensez qu'il deviendrait problématique d'investir et de trouver les ressources nécessaires pour justement investir, pour ne serait-ce que maintenir la croissance que nous avons aujourd'hui ou espérer une croissance supérieure dans les années qui vont venir ?
LE PRESIDENT - Pour nous, le point où tout bascule, si vous voulez, c'est le niveau de déficit en deçà duquel la dette de la France diminue par rapport à sa richesse nationale. C'est cela le rendez-vous au fond. Il n'y a pas besoin d'être un économiste. Ce qu'on sait, c'est qu'à moins de 3% - aux alentours de 3% de déficit - compte tenu de la progression de la croissance, la dette, le poids de la dette diminue. C'est le rendez-vous, c'est là où se fait la bascule, il n'y a pas besoin d'avoir 150 critères ! Au-dessus de 3% de déficit, la dette de la France s'accroît par rapport à la richesse nationale, en dessous, progressivement la dette de la France diminue, non pas en valeur absolue mais en valeur relative par rapport à l'économie. Voilà le rendez-vous.
Et nous avons pris des engagements en Europe pour être à ce rendez-vous-là dès 2013. Ces engagements ce ne sont pas des choses, ce n'est pas une question de libéralisme ou de socialisme, de droite ou de gauche. Il y a autour de la table du Conseil européen des gouvernements de toutes les couleurs politiques.
Il y a le bon sens, il y a l'intérêt général. On ne peut pas continuer à dépenser comme cela plus que l'on gagne. Alors avoir des déficits dans la crise c'est tout à fait normal. Nous avons perdu en 2009 22% de nos recettes fiscales d'un coup, l'État français. C'est normal que le déficit augmente. Mais quand la croissance repart, on ne peut pas continuer à ce niveau de déficits.
Donc ce rendez-vous doit être tenu, pas parce que c'est Monsieur FILLON, pas parce que c'est Madame LAGARDE, pas parce que c'est Monsieur SARKOZY : parce que c'est l'intérêt supérieur national. Voilà.
QUESTION - Monsieur le Président, les socialistes ouvrent cette semaine le chantier des candidatures aux primaires. Est-ce que vous avez pris le temps d'évaluer leurs propositions économiques et est-ce qu'elles satisfont selon vous aux critères que vous avez évoqués lors de votre discours ?
LE PRESIDENT - Franchement, l'analyse a été assez rapide. J'imagine que ces propositions seront développées et qu'il y aura lieu d'en parler lorsqu'elles auront été élaborées et développées.
QUESTION - Bonjour, je reviens sur le grand emprunt, sur la méthode. L'État s'est adressé aux acteurs locaux, c'est une première d'une certaine manière. Quel jugement vous portez sur les régions qui sont majoritairement à gauche et sur le fonctionnement de la décentralisation à la française ?
LE PRESIDENT - Je dois vous dire que j'ai été très impressionné par la réactivité de tous les acteurs. Je ne m'attendais pas à un tel festival d'innovations, d'initiatives, même parfois des petites équipes qui étaient données perdantes sur le papier et qui ont été retenues. C'est absolument extraordinaire. Et ce qui m'a encore plus touché, c'est que c'est passé à l'extérieur des institutions.
Si vous suivez les dossiers locaux, il y a des équipes de laboratoires dans les universités qui ne sont même pas passées par le conseil d'administration de l'université, qui se sont mobilisées, qui ont déposé leur dossier et qui ont gagné. Donc j'ai vécu cela plutôt comme une immense respiration française où tout d'un coup les échelons n'étaient pas un obstacle mais on pouvait s'exonérer d'une démarche administrative un peu convenue.
Par ailleurs, sur la décentralisation à la française, franchement c'est toute la réforme territoriale que nous avons mise en uvre, dont je dis pour ma part que c'est une première étape et qu'il faudra certainement en faire d'autres. Franchement : communes, communautés de communes, pays, départements, régions, Etat, Europe ... Non, ce n'était pas possible de continuer comme cela, ce n'est pas de la décentralisation, c'est de la superposition de niveaux administratifs qui pèsent lourd, qu'il faut financer, qui, en général, se marchent sur les pieds. C'est pour cela que nous avons voulu une réforme territoriale qui rapproche le département et la région en les confiant aux mêmes interlocuteurs pour qu'au moins ils se parlent puisque ce sont les mêmes. Aujourd'hui, dans quantité de régions, département et région ne se parlent pas. Il y a 20 milliards de dépenses communes entre département et région sur les mêmes secteurs. Cela fera l'objet d'autres commentaires, j'imagine.
QUESTION - Bonjour, deux questions Monsieur le Président. Vous disiez que l'État se mobilisait pour les investissements d'avenir, certaines entreprises aussi, mais est-ce que vous considérez peut-être que les entreprises qui payent des très, très hauts salaires, de plusieurs millions d'euros, peut-être ne font-elles pas ce travail d'investissement d'avenir ? Et peut-être comptez-vous taxer ces entreprises comme Monsieur BERTRAND l'a évoqué ? Une deuxième question concernant la Libye. Y a-t-il des discussions en ce moment pour faire sortir Monsieur KADHAFI du pays ou peut-être même des discussions directes ? Et craignez-vous peut-être que certains de vos alliés décident de quitter l'Alliance ? Merci.
LE PRESIDENT - Je ne pense pas que ce soient quelques hauts salaires ou très hauts salaires qui empêchent les investissements d'entreprise, mais ils sont choquants. On se demande parfois si certains très hauts dirigeants ont conscience de vivre dans le même monde que les autres. Franchement, c'est vrai, la question se pose. Dans certaines banques qui étaient dans des situations très difficiles, qui se sont redressées - c'est très bien - quand on voit des augmentations de salaire ou des bonus faramineux, cela ne met pas en cause l'investissement, mais cela choque. Cela choque.
Que quelqu'un qui découvre un nouveau process, qui fait une invention, qui monte une entreprise, qui développe un projet gagne de l'argent, beaucoup d'argent parce qu'il a mis lui-même son argent, sa vie en jeu et que la récompense est là, tant mieux. Qu'est-ce que Bill GATES a apporté aux États-Unis ? Formidable !
Mais quelqu'un qui est simplement le dirigeant d'une grande société et qui, par un effet d'aubaine, voit sa rémunération augmenter de 25% alors que la société était dans une situation catastrophique avant, cela choque, c'est vrai que cela choque. On se demande parfois s'ils réfléchissent. C'est sûr. Alors Xavier BERTRAND a fait des propositions, nous les soutenons. Mais j'aimerais tellement qu'un peu de sens commun évite au gouvernement d'être obligé de réagir par un texte. Ce n'est pas non plus formidable, je le reconnais bien volontiers, mais s'il y avait le sens commun. Si les gens pouvaient comprendre.
Deuxièmement, je dois à la vérité dire que je n'ai absolument pas compris la réaction si violente de la présidente du MEDEF sur la prime pour les salariés. On pouvait en discuter tranquillement, simplement. Comment peut-on dire aux salariés français : « quand c'est la crise, serrez-vous la ceinture » et « quand c'est la reprise, vous n'avez droit à rien, qu'à vous taire » ? Non, je ne suis pas d'accord, c'est choquant. Alors je ne dis pas que le projet qui est issu du gouvernement ne méritait pas d'être amendé, d'être bougé, de rediscuter. Certainement. Mais pourquoi une opposition frontale comme cela ? Cela n'a pas de sens. S'il y a de l'argent à distribuer aux actionnaires parce que les bénéfices sont importants, on peut penser à en distribuer aussi aux salariés, ils y sont pour quelque chose, les salariés, dans l'augmentation des bénéfices. On a l'impression parfois que les choses les plus simples, on a du mal à les faire passer. En tout cas, la détermination du gouvernement est totale. Si une entreprise distribue plus de dividendes, fait plus de bénéfices, il est normal que les salariés en aient la juste récompense. Pas que les actionnaires. Les salariés aussi. Cela compte, les salariés.
Sur la Libye, c'est un autre sujet.
Je dirais d'abord que j'ai été assez choqué de ce que j'ai vu et entendu sur l'investissement militaire de la France. Je voudrais rappeler qu'en 2009, la France a investi dans les équipements militaires 18 milliards d'euros et la recherche - ça profite d'ailleurs à notre industrie civile, comme je l'ai dit au Salon du Bourget -. En 2010 encore, 16 milliards d'euros. Je voudrais, par ailleurs, rendre hommage à nos soldats qui font un travail absolument remarquable.
Et sur la Libye, Monsieur KADHAFI sait parfaitement ce qu'il faut faire pour que la paix revienne. Après 41 ans de dictature, il est peut-être temps d'arrêter, qu'il quitte le pouvoir et qu'il laisse les Libyens envisager un avenir démocratique. Cela ne dépend que de lui.
QUESTION - Monsieur le Président, vous citez régulièrement en exemple l'Allemagne, mais on a le sentiment que les divergences entre les deux pays ne cessent de se multiplier, de s'accroître. On le voit de façon très nette avec le nucléaire avec un milliard dans le grand plan d'investissement au moment où l'Allemagne annonce sa sortie définitive du nucléaire dans 10 ans. On l'a vu également sur la Grèce, sur la Libye, sur les résultats économiques où les deux pays divergent. Est-ce que cela ne pose pas un problème grave au niveau du fonctionnement de l'Europe puisque le couple franco-allemand est normalement le moteur de l'Europe.
LE PRESIDENT - Non, sur les résultats économiques, nos deux pays ne divergent pas. Ce sont les deux moteurs de l'économie européenne. La France a fait 1% de croissance au premier trimestre. La croissance de l'Allemagne est encore plus forte, mais pour diverger il faudrait que la France soit en récession et que l'Allemagne soit en croissance, or la France est en croissance et, si j'en juge par les résultats du premier trimestre, en croissance forte.
Mais c'est vrai que nous avons divergé sur un certain nombre de sujets. Mais alors si je comprends bien, faudrait-il que nous renoncions au nucléaire parce que nos amis allemands y renoncent ? C'est-à-dire que je devrais en tant que Président de la République tourner le dos à ce qu'ont fait successivement le général de GAULLE, Georges POMPIDOU, Valéry GISCARD D'ESTAING, François MITTERRAND et Jacques CHIRAC ? Puisque le choix du nucléaire a été confirmé par François MITTERRAND et c'est tout à son honneur, comme par tous mes prédécesseurs. Vous voyez la complexité des choses.
Deuxièmement, fallait-il ne pas intervenir en Libye, parce que nos amis Allemands, qui ont quand même participé au Sommet de Paris, ne voulaient pas intervenir ? Et à ce moment-là, quelle eût été l'ambiance de la conférence de presse ? On m'aurait dit - comment on dit ? - « suiviste ». J'ai le choix entre diverger ou suivre ! Permettez-moi de choisir une troisième voie, la voie française, d'un pays indépendant qui fait ses choix, qui essaye de rassembler autour de lui ses partenaires européens.
Mon rôle c'est, avec le gouvernement, de défendre l'intérêt supérieur de la Nation. Et l'intérêt supérieur de la Nation c'est d'avoir une énergie qui permette de garantir notre indépendance, et l'intérêt supérieur de la Nation c'est que la France soit fidèle à son histoire et à son message. Benghazi allait être massacrée et grâce à l'armée française et à ses alliés, Benghazi a été préservée. Rien que cela, c'était, me semble-t-il, la justification de notre investissement en Libye.
Pour le reste, c'est justement parce qu'on n'est pas d'accord sur tout que l'Europe est fondée sur des compromis et sur des efforts. Ce n'est pas simple mais il n'y a pas d'autres choix. Et croyez-moi, je préfère cela à ce qu'ont connu les générations qui nous ont précédés, parce que pour les générations qui nous ont précédés cela s'est terminé autrement, par la guerre, et c'est pourquoi je tiens tellement à l'Europe qui est la paix.
Je vous remercie.