26 avril 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. Nicolas Sarkozy, Président de la République, et Silvio Berlusconi, Président du Conseil des ministres de la République italienne, notamment sur les relations franco-italiennes, l'intervention militaire en Libye, la question de l'immigration clandestine et sur l'énergie nucléaire, à Rome le 26 avril 2011.

M. SILVIO BERLUSCONI -- Bonjour à tous. Je souhaite une bienvenue chaleureuse à Rome et en Italie à tous nos amis de la presse et de la télévision française. Aujourd'hui s'est tenu un sommet -- je puis dire sans crainte -- très positif. De nos entretiens s'est dégagée une forte convergence de l'Italie et de la France pour tous les thèmes que nous avons abordés. Comme vous le savez, nous avons pu discuter de diverses questions : la situation en Libye tout d'abord, la situation en Méditerranée, l'immigration, la coopération économique et industrielle entre nos deux pays.
Si M. le Président SARKOZY me le permet, je voudrais dire une chose qui concerne en tout premier lieu la Syrie. Nous en avons parlé, nous sommes très préoccupés par l'évolution de la situation dans ce pays, des nombreuses victimes, et nous adressons tous ensemble un appel aux autorités de Damas pour que la répression violente de manifestations pacifiques prenne fin et nous demandons aux deux parties concernées d'agir avec modération. Nous renouvelons notre invitation aux autorités syriennes pour qu'une suite immédiate soit donnée aux réformes importantes qui ont été annoncées.
Pour ce qui est de la Libye, nous avons eu la possibilité de parler au téléphone avec le Président du Conseil national de transition à Benghazi, M. JALIL. Nous avons fait un point de situation. Il m'a remercié de la décision que nous avons prise d'accroitre la flexibilité opérationnelle de nos avions. L'Italie fournissait déjà un apport important en mettant à disposition ses bases et en mettant en uvre toute une série d'autres opérations importantes, en intervenant avec ses avions, ses navires etc.
Mais tous nos alliés nous ont demandé instamment, de même que les Etats-Unis d'Amérique, de faire également intervenir nos avions sur des objectifs militaires lorsque l'on peut exclure avec certitude la possibilité de provoquer des dommages à la population civile. Cette approche de notre part est une suite logique de la décision qui a été prise au Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous avons senti que c'était quelque chose à quoi nous ne pouvions pas nous soustraire parce que nous pensons que c'est une intervention de notre part dont il y a vraiment besoin. Nous avons donc pris cette décision, difficile, parce que vous connaissez notre passé colonial en Libye. Vous connaissez également le traité d'amitié que nous avons conclu avec le peuple libyen. Néanmoins, nous avons estimé et nous estimons que, vu la situation actuelle, il fallait que nous le fassions. Je voudrais dire clairement qu'il ne s'agit pas de bombardements. La presse italienne semblait dire ce matin que nous nous apprêtions à bombarder : ce n'est pas le cas, il s'agit d'intervention très ponctuelle et précise sur des objectifs militaires, des engins en mouvement et autres situations de ce genre. Cela n'a rien à voir avec des interventions sur des centres civils ou des lieux où il pourrait y avoir des victimes civiles. L'objectif de ce que nous faisons est, sachons-le bien, essentiellement de protéger la population civile. Et donc ce serait un contresens que nos actions militaires mettent en danger la vie de la population civile.
Nous avons également signé une déclaration conjointe et nous avons également décidé de nommer deux personnalités, le président SARKOZY et le président du Conseil italien, à savoir moi-même, pour aborder les questions de l'immigration en développant les traités qui existent déjà. Je voudrais dire une phrase très claire sur les relations que nous avons avec la France en ce qui concerne l'accueil des immigrés tunisiens par la France, immigrés qui viennent en Italie et qui n'ont pas un droit d'asile parce qu'en Tunisie, il n'y a pas de guerre civile. La France, chaque année, a accueilli plus de 50 000 immigrés. L'Italie, par contre, en a accueilli une moyenne de 10 000. Je voudrais donc confirmer ici au Président SARKOZY que l'effort de la France a été 5 fois supérieur à celui déployé par l'Italie. Et nous en sommes tout à fait conscients. Je le dis clairement : sans aucune volonté d'accuser la France de comportements qui n'ont pas eu lieu, je le dis très franchement, les choses doivent être réglées entre pays amis sur la base des traités existants, sur la base, donc, du droit international existant.
Nous avons parlé de Schengen. Personne ne saurait nier Schengen, mais dans des situations, dans des circonstances exceptionnelles, nous pensons qu'il doit y avoir des modifications, des variations du traité de Schengen sur lesquelles nous avons décidé de travailler ensemble. Nous avons également rédigé une lettre conjointe au Président VAN ROMPUY et au Président BARROSO, dans laquelle nous demandons une plus grande collaboration des pays de la rive sud de la Méditerranée, une plus grande solidarité de tous nos partenaires européens. Et je pense que ceci est dû parce que lors du dernier Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, nous avons introduit expressément, après une discussion approfondie, ce principe : les pays de la rive sud de l'Europe ne doivent pas être laissés seuls lorsque des phénomènes d'immigration massive se produisent. Il doit y avoir un principe absolu de solidarité entre les 27 pays de l'Union européenne. Et c'est ce que nous avons demandé, de manière conjointe, et nous avons également décidé de travailler ensemble s'agissant de nos relations avec le gouvernement tunisien.
Nous voulons que le gouvernement collabore avec nous dans la surveillance des côtes, des territoires le long des côtes, afin qu'il n'y ait pas ce genre de migrations, de flux migratoires. A ce propos, M. SARKOZY a dit qu'il partageait les dissuasions psychologiques que nous avons mises en oeuvre en ramenant dans leur pays les immigrés, en essayant de faire connaître ces décisions par l'intermédiaire de la télévision, de façon à ce que ceux qui veulent venir en Europe, dans le paradis européen, se posent la question de savoir s'il y a lieu de dépenser 1000 euros ou même plus pour arriver en Europe et ensuite être ramené dans son pays d'origine. Nous estimons que cette dissuasion psychologique est très importante.
Nous avons bien évidemment parlé de la coopération économique, de ce qui se passe entre nos entreprises. J'ai une position personnelle à ce sujet : j'ai une longue expérience du monde de l'entreprise et je pense que l'économie doit être libre. Les Etats peuvent intervenir lorsqu'il s'agit de secteurs qui mettent en danger leur sécurité ou leur ordre intérieur. Dans tous les autres domaines, la concurrence doit être libre. La France, dernièrement, a réalisé des interventions par rapport à des entreprises italiennes. En France, les grandes entreprises sont fortes, sont importantes. Ce n'est pas le cas de l'Italie où notre force réside dans les petites et moyennes entreprises. Et nos petites et moyennes entreprises sont nombreuses en France : plus de 1800 y travaillent, y sont appréciées, par exemple mon groupe, Mondadori France, qui travaille très bien avec le public français. Nous devons également rappeler que les exportations italiennes en France sont supérieures aux exportations françaises en Italie.
Je pense donc que sur la base de cette situation de fait, nous devons prendre en considération les phénomènes que le marché nous présente. Notre souhait commun, notre voeu commun est de créer de grands groupes internationaux franco-italiens, italo-français, qui puissent bien se positionner dans la compétition mondiale, sur la base des relations d'amitié qui existent depuis toujours entre nos deux pays et nos peuples.
Je vous prie de m'excuser, M. le Président SARKOZY, si j'ai été un peu long, mais c'était moi qui en tant qu'hôte avait cette tâche au départ.
LE PRESIDENT - M. le Président, Madame, Messieurs les ministres, Monsieur le Premier ministre. C'est toujours une joie que d'être à nouveau en Italie. En tant que président français, je veux dire à nos amis Italiens combien l'Italie est dans le cur de chaque Français. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de cela, mais chaque Français se sent proche de l'Italie. Chaque Français, quand il pense à l'Italie, pense à une civilisation, un art de vivre et un savoir-faire économique. L'Italie, en France, a une grande signification.
J'ai téléphoné au président BERLUSCONI il y a quelques jours pour lui dire : « il y a des tensions entre l'Italie et la France, elles n'ont pas lieu d'être ». Peu importe la faute de qui, elles n'ont pas lieu d'être. La France et l'Italie sont liées par l'Histoire, par la culture et par un mode de vie qui est tellement similaire. Si vous interrogez les Français, ils vous diront certainement que le seul pays où il fait aussi bon vivre qu'en France, c'est l'Italie. Et d'ailleurs, quand on est en Italie, nous qui avons une tradition méditerranéenne si forte, nous les Français, on est tellement bien que l'on n'a pas l'impression d'être dans un pays étranger comme un autre, on se sent proche. Et nous avons décidé, avec le Président BERLUSCONI, d'organiser ce sommet avec le Premier ministre français et les principaux ministres, le ministre d'Etat, Alain JUPPE, le ministre de l'Intérieur, le ministre des Finances pour évoquer les problèmes qu'il y a entre nous £ et qu'avons-nous constaté ? C'est qu'il y a des solutions à tous ces problèmes. D'abord sur la Libye : nous nous réjouissons de la décision de l'Italie d'envoyer ses avions. Nous avons besoin de la participation de l'Italie £ et d'ailleurs, Mesdames et Messieurs, qui pourrait comprendre que l'Italie ne participe pas au travail de la coalition pour permettre aux Libyens de vivre libres après 41 ans de dictature, alors que vous-mêmes, les Italiens, vous avez été si proches, par l'Histoire, de la Libye ? Et donc, le fait que le Président BERLUSCONI et le gouvernement italien aient reconnu le CNT, aient reçu le président du CNT et décident de mettre des avions au service de la démocratie en Libye, c'est une excellente nouvelle. Nous travaillerons main dans la main et notre accord est total.
Je fais miens les propos du président BERLUSCONI sur la Syrie, où la situation est devenue inacceptable. Parlant sous le contrôle du ministre français et du ministre d'Etat chargé des Affaires étrangères, il ne peut pas y avoir deux poids et deux mesures. Il y a une aspiration des peuples arabes, à la liberté et à la démocratie, manifestée paisiblement. On n'envoie pas face à des manifestants des chars, l'armée, on ne leur tire pas dessus. La brutalité est inacceptable.
Sur l'immigration, les deux ministres ont fait un excellent travail. Qu'est-ce que nous voulons ? Nous voulons que Schengen vive. Et pour que Schengen vive, Schengen doit être réformé. Nous avons voulu la monnaie unique avec l'euro et nous avons réformé le gouvernement économique de l'Europe. Eh bien nous voulons la même chose pour Schengen. Schengen, qu'est-ce que c'est ? C'est un certain nombre de pays qui disent : « allez, on confie la défense de nos frontières à chacun des pays, ensemble. On se fait confiance ». Nous voulons le renforcement de son texte, nous voulons le renforcement des évaluations, nous voulons davantage de moyens pour que les frontières de l'espace Schengen soient garanties et nous disons qu'il n'y a aucune raison de ne pas évoquer la clause de sauvegarde. Si un pays défaillant à garder les frontières des autres, qu'est-ce que l'on fait ? C'est justement parce que nous croyons en Schengen que nous voulons un renforcement profond de Schengen. J'ai fait valoir au président BERLUSCONI que je comprenais parfaitement les problèmes de l'Italie, mais en termes de solidarité, que la France était le pays d'Europe qui accueillait le plus de réfugiés en Europe. Je le dis à nos amis Italiens, le Président BERLUSCONI l'a dit à juste titre : 52000. Donc, la question de Schengen, ce n'est pas de se renvoyer les problèmes, mais qu'ensemble on gère les problèmes. Et je suis très heureux qu'on fasse une lettre commune, le président BERLUSCONI et moi-même, au président BARROSO et que cela soit un des grands sujets du Conseil européen du mois de juin.
Sur l'économie, là encore, je voudrais dire à nos amis Italiens : nous sommes le deuxième partenaire commercial l'un pour l'autre. Le deuxième. Et hommage soit rendu au dynamisme de l'économie italienne. Est-ce que vous savez, vous les Italiens, que la balance du commerce entre la France et l'Italie, elle est déficitaire pour la France, elle est créditrice pour l'Italie ? Je veux vous le dire parce que parfois je me demande si les chiffres, si la réalité, elle est connue. Hommage soit rendu à vos entrepreneurs. Vous avez un tissu d'entreprises PME qui font notre admiration et qui ont beaucoup de clients en France. Mais le déficit entre l'Italie et la France, c'est la France qui le paie. C'est à nous d'être plus dynamiques mais d'une certaine façon, économiquement, le débat est tranché. C'est bien connu, le président BERLUSCONI a raison de le dire, vous avez les meilleures PME et on a des grands groupes puissants £ donc il n'y a pas lieu de faire une guerre entre les uns et les autres. Vous savez, pour nous, l'Italie, c'est plus que l'Europe, c'est un pays frère. Nous créons des grands groupes franco-italiens, ce sera l'avantage de l'Italie et ce sera l'avantage de la France. Est-ce que vous croyez que la France peut seule créer des grands groupes à dimension mondiale ? Et vous, que vous pourrez le faire seuls ? Alors bien sûr, il ne faut pas s'en offusquer, le Président le sait bien, il peut y avoir des conflits d'intérêts, il peut y avoir des difficultés. Parlons-en. Même dans l'affaire Lactalis-Parmalat dont nous avons parlé, Lactalis est le premier acheteur de lait de Parmalat. Nous sommes condamnés à trouver une solution et nous avons donc décidé de confier à deux de nos collaborateurs, en accord avec François FILLON -- ce sera le secrétaire général de l'Elysée pour nous, qui verra, en plein accord, avec les ministres, Christine LAGARDE en qui j'ai toute confiance et Giulio TREMONTI que j'ai bien connu et beaucoup apprécié, dans d'autres fonctions -- £ pour trouver des solutions, nous avons le chemin de fer, nous avons l'énergie, nous avons Parmalat, mais la proposition que la France vous fait, c'est : additionnons-nous pour créer des grands groupes franco-italiens. On a besoin les uns des autres.
J'en profite pour dire, avec l'accord du ministre des Finances, que la France sera très heureuse de soutenir un Italien à la Présidence de la banque centrale, Mario DRAGHI que je connais bien. Nous ne le soutenons pas parce qu'il est Italien, nous le soutenons parce que c'est un homme de qualité. Mais il se trouve en plus qu'il est Italien, et cela sera un très beau signal à tous les Italiens qui pourraient douter de leur place et de leur rôle dans l'Europe qu'un Italien exerce une responsabilité de ce type. Et j'étais très heureux, chère Christine, d'entendre le président BERLUSCONI dire que, naturellement, il soutiendrait la candidature d'un Français dans le cadre du directoire de la BCE.
Donc pour dire, résumer les choses d'un mot : c'était un sommet extrêmement utile, on a pu parler entre amis, franchement, de sujets qui ne sont pas simples, mais pour lesquels, les uns après les autres, on a trouvé des solutions ou en tout cas, une méthode de travail pour aboutir à ces solutions. Un dernier mot pour dire que la politique de défense européenne, qui est une priorité pour nous et dont ont parlé les deux ministres des Affaires étrangères, c'est quelque chose qui a beaucoup d'avenir entre l'Italie et la France, parce que l'Italie a un rôle, là aussi majeur, à jouer dans l'Europe de la défense qui est en train de se construire.
Je vous remercie.
M. SILVIO BERLUSCONI - Merci M. le Président, je crois que nous avons trouvé un accord. Deux questions de la part de journalistes italiens et deux questions de la part de journalistes français.
QUESTION - Questions aux deux présidents BERLUSCONI et SARKOZY : jusqu'où doit aller la révision des accords de Schengen et est-ce que l'on pourrait en savoir un peu plus sur cette lettre commune que vous avez adressée à Bruxelles ? Et puis une autre question sur la Syrie : doit-on intervenir en Syrie en soutien à la population civile, comment le faire actuellement en Libye ? Merci
LE PRESIDENT - Tout d'abord, si le président en est d'accord, la lettre au président BARROSO, nous pourrions la publier dans quelques minutes par courtoisie pour le président BARROSO avant qu'elle ne parte. Avant qu'on la publie, mais ce n'est pas un secret, dans cette lettre il y a des choses très simples : nous demandons un renforcement du travail en commun £ une évaluation commune de la situation £ un échange de bonnes pratiques £ le renforcement de Frontex £ une chose toute simple, toute simple, que j'ai connue ministre de l'Intérieur : qui gère Schengen ? Pardon de poser la question -- je ne fais de reproche à personne --, est-ce que ce sont les ministres de l'Intérieur ? Dans ce cas, alors, qu'ils le gèrent vraiment, parce que, dans les réunions des ministres de l'Intérieur, ce n'est pas vrai que l'on gère Schengen. Est-ce que c'est une équipe dédiée qui doit gérer spécifiquement Schengen ? Ce n'est pas un sujet -- et puis, j'ai dit un mot de la clause de sauvegarde, qui est une question difficile, mais il faut mener cette réflexion. Donc, c'est parce que nous croyons en Schengen que nous voulons faire évoluer Schengen. Et d'ailleurs, pour toutes les questions européennes : mais est-ce que l'on pense vraiment que l'Europe à 27, demain l'Europe à 32 ou à 33, peut être gérée comme elle l'était lorsque nous étions 6 ou 9 ? Est-ce que l'adaptation des institutions européennes n'est pas la règle ? Est-ce que d'ailleurs Schengen n'était pas un changement par rapport à ce qui existait avant la réunion de Schengen ? C'est parfaitement naturel et, au fond, ceux qui refusent toute évolution de Schengen sont ceux qui ne veulent pas de Schengen. Voilà. Et nous croyons à la liberté de circulation des personnes, mais nous croyons à l'Etat de droit et au respect d'un certain nombre de règles.
Sur la Syrie, je voudrais rappeler que, avant une intervention en Côte d'Ivoire comme en Libye, il y a eu une résolution du Conseil de sécurité et qu'il ne saurait être question de quoi que ce soit tant qu'il n'y a pas une résolution du Conseil de sécurité. Et la France a une certaine expérience en la matière, je parle sous le contrôle d'Alain JUPPE qui a mené un travail remarquable. Ce n'est pas si facile de tenir, mais il n'en reste pas moins que sur la Syrie, je maintiens que la situation n'est pas acceptable. Il y a eu un changement historique, Madame, et clairement la France comme -- j'ai pu comprendre --, comme l'Italie, nous sommes aux côtés des peuples arabes dans leur aspiration à la démocratie et à la liberté. C'est un choix historique, c'est un tournant majeur dans la politique étrangère de notre pays et c'est un tournant dont nous assumons chacune des conséquences. Cela ne doit pas dire pour autant que nous allons intervenir partout dans le monde et que toutes les situations peuvent être dupliquées £ en aucun cas, et chacun doit le comprendre.
M. SILVIO BERLUSCONI -- La réponse était complète, moi je suis complètement d'accord.
QUESTION -- Une question à Monsieur BERLUSCONI et à Monsieur SARKOZY. A Monsieur BERLUSCONI : pour ce qui concerne la nouvelle phase de l'intervention militaire italienne en Libye, vous avez dit qu'il ne s'agira pas de bombardements, mais d'interventions ciblées. Mais dans la majorité, il semble qu'il y ait quelques perplexités, je ne me réfère pas seulement à la Ligue du Nord mais également à l'aile catholique du PDL. Comment envisagez-vous de surmonter cette perplexité et pensez-vous qu'il y aura un passage, une voie parlementaire pour ce qui est de cette intervention en Libye ? Pour Monsieur SARKOZY : pour l'intervention en Libye, vous étiez le premier à le demander, mais en ce moment les combats sont en difficulté. Comment pensez-vous que cela va se terminer, comment la Communauté internationale va s'en sortir et pensez-vous que sera nécessaire à l'avenir, à part l'intervention aérienne, une intervention terrestre ?
M. SILVIO BERLUSCONI -- Pour ce qui concerne la question qui m'a été adressée, je dois dire que la décision de notre gouvernement n'a pas été facile. Je compte en parler encore avec les alliés de la Ligue du Nord qui partageaient ma position. Alors, conscient de notre passé de colonisateur et conscient également du traité d'amitié que nous avons conclu il y a quelques années avec le peuple libyen, par l'intermédiaire de Monsieur KADHAFI, c'est quelque chose qui nous a créé quelques difficultés dès le départ à nous joindre aux alliés. Mais au vu de la situation et de son évolution -- on compte environ 10 000 victimes de la guerre civile --, au vu de toutes les initiatives que nos alliés ont réalisées -- les États-Unis avec John KERRY qui a été envoyé par le Président OBAMA pour me rencontrer, la France etc £ tous les alliés étaient conscients qu'une intervention italienne, en plus des autres interventions, pouvait défendre davantage la population libyenne et accélérer la solution du problème libyen --, nous avons accepté, sous une forme bien précise, d'intervenir sur des objectifs militaires ciblés de façon à exclure dans l'absolu la possibilité qu'il y ait des victimes civiles. Cette solution est une solution que nous avons dû prendre en respectant la position de nos alliés de la Ligue du Nord, j'ai appelé hier soir Monsieur MARONI, Monsieur CALDERONI et Monsieur BOSSI, et nous nous sommes dit que nous allions parler de cela même aujourd'hui. J'ai estimé qu'il fallait le faire parce que je ne voulais pas que l'Italie soit considérée comme un participant qui ne serait pas un participant de plein droit, à part entière. Le Parlement avait donné le feu vert à l'initiative que nous avons prise avec la nouvelle disposition de nos bases. Nous avons estimé que l'opposition intérieure aurait exploité ceci contre nous. Il y a eu un épisode, dont tout le monde se souvient, d'une triangulaire, pour ainsi dire, téléphonique, à l'initiative du président OBAMA, avec les pays qui participent à l'offensive contre les objectifs militaires. Nous ne participions pas, nous avons été exclus de cette triangulaire. Certains en ont profité pour dire que l'Italie ne comptait pour rien et que le président BERLUSCONI n'était pas pris en considération. Ce sont en partie ces raisons qui nous ont conduits à prendre cette décision. Les ministres de la Défense et des Affaires étrangères sont à la disposition du Parlement pour fournir toutes les informations nécessaires. Je voudrais rappeler que cette décision est prise dans le cadre du mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies et du vote des commissions parlementaires.
LE PRESIDENT -- Juste trois brèves remarques. La première : si nous n'étions pas intervenus à Benghazi, c'est des milliers, voire des dizaines de milliers de morts certains. Personne n'aime la guerre et personne ne donne un ordre aux militaires de son pays d'intervenir de gaité de cur. Je vous demande de réfléchir à cela. Benghazi a près d'un million d'habitants. Monsieur KADHAFI avait dit que sa vengeance serait terrible et on peut lui faire crédit quand il dit cela. Ce sont des dizaines de milliers de morts qui ont été évités et, je peux vous le dire, c'était une question d'heures, même pas de jours, et personne ne peut contester cela. Et qu'aujourd'hui, l'Italie et l'aviation italienne soient aux côtés de la démocratie et des victimes civiles, je m'en réjouis pour l'idée que j'ai toujours eue de la démocratie italienne. Ceci est la première remarque. La deuxième remarque : si nous faisons ces frappes, c'est pour avoir la paix. C'est justement parce qu'il y a cette intervention, qui frappe des objectifs militaires, qu'il y a une chance d'avoir la paix en Libye. Qui peut croire, qui pourrait oser dire que Monsieur KADHAFI serait venu discuter de l'avenir de la Libye s'il n'y avait pas ces frappes sur les objectifs militaires ? Donc, ce n'est pas les objectifs militaires ou la paix £ c'est parce qu'il y a les objectifs militaires -- et, encore une fois, merci à l'Italie d'y participer -- que nous avons une chance d'avoir la démocratie et la paix. Ce n'est pas l'un ou l'autre, c'est l'un et l'autre. Et puis la troisième remarque sur les soldats au sol : Madame, non. Pourquoi ? Parce que nous avons une règle. Cette règle c'est la résolution prise par les Nations Unies et la résolution prise par les Nations Unies ne prévoit pas l'intervention de soldats au sol. Alors, on peut discuter sur l'intervention d'agents de renseignements ou d'experts, mais l'intervention militaire au sol, elle n'est pas prévue par la résolution des Nations Unies. Et notre règle, c'est l'application de la résolution des Nations Unies. Pardon de dire cela avec beaucoup de force mais c'est comme ça que cela se passera. Et en Côte d'Ivoire, nous les Français, nous avons fait exactement la même chose, je veux dire, respecter la résolution des Nations Unies. Voilà.
QUESTION -- Au-delà des déclarations un peu générales sur les relations économiques de tout à l'heure, est-ce vous considérez que l'OPA lancée ce matin par Lactalis sur Parmalat est un acte hostile et est-ce que vous espérez qu'un consortium de banques italiennes pourra faire une contre-proposition à cette OPA sur Parmalat ? Je voulais savoir ce que vous pensiez sur ce cas particulier, Monsieur le Président. Et puis, juste pour rebondir sur la question de ma consur italienne en ce qui concerne la Libye, combien de mois pensez-vous que la coalition internationale puisse maintenir la pression comme elle le fait aujourd'hui sur la Libye, combien de mois voire combien d'années, sachant que dans certains pays nous sommes en engagés depuis plusieurs années ?
M. SILVIO BERLUSCONI -- Je dois vous dire que je ne considère pas l'OPA comme une OPA hostile. C'est assez singulier que cette OPA ait été lancée ce matin même, le jour même de ce Sommet, entre Monsieur SARKOZY, moi-même et les autres ministres. Mais j'exclus avec certitude que le gouvernement français avait la connaissance de cette superposition, de ce chevauchement entre l'OPA et le Sommet. Pour ce qui est de l'avenir, je répète que nous avons déjà dit ensemble qu'il nous semble qu'il y a une voix à suivre qui est celle de créer de grands groupes internationaux franco-italiens et italo-français. Et nous espérons que les entrepreneurs italiens avanceront des propositions afin que l'on puisse ne pas mener à bien cette OPA mais établir un accord, une participation italienne avec Lactalis qui, comme l'a évoqué Monsieur SARKOZY, est le premier acheteur des produits Parmalat.
LE PRESIDENT -- Monsieur, Parmalat et Lactalis sont deux groupes privés, et le président BERLUSCONI et moi-même, et nos deux gouvernements, croient en l'économie de marché. La France et l'Italie sont deux pays fondateurs de l'Europe. Et tous, tout au long de nos vies politiques, nous avons répété un credo : que nous croyons à l'avenir de groupes européens. Alors, qu'il y ait toujours une période de tensions, parce que ce n'est pas si simple de se mettre d'accord, que les groupes se mettent d'accord £ et ce que nous avons proposé, les deux gouvernements, c'est que pour faciliter les discussions autour des groupes privés, l'un de nos proches collaborateurs de chaque côté va tout faire pour essayer de rapprocher les positions. Voilà, c'est très exactement ce que nous avons décidé. Vous dites : « déclarations un peu vagues » £ mais Monsieur BERLUSCONI n'est pas le président de Parmalat, je ne suis pas le président de Lactalis, qu'est-ce que vous voulez que je dise ? Que nous fassions le travail des gestionnaires à leur place ? Nous constatons simplement qu'il y a deux groupes qui ont sur ce point-là des visions parfois différentes. Si on peut essayer de les rapprocher, tant mieux, et nous avons dit tous les deux qu'un groupe franco-italien, c'est un objectif positif pour l'Italie, positif pour la France et positif pour l'Europe.
Enfin sur la Libye, je veux dire une chose : au contraire de ce que je lis parfois, nous sommes optimistes. Pourquoi ? Parce que l'opposition libyenne fait preuve d'un grand courage, d'une grande maitrise. Et chaque jour sur le terrain, nous les voyons lutter avec plus d'efficacité. Et ce sont des gens qui ont vécu un véritable martyr. Et je ne me reconnais pas dans les mots « enlisement ». Alors maintenant combien de temps cela va-t-il durer ? On ne lit pas dans le marc de café. Simplement, nous avons l'intention de permettre au peuple libyen d'exprimer son désir de liberté. Et c'est cela qui va marcher et c'est cela que nous faisons. Et vous savez, ceux qui sont du côté de la liberté finissent toujours par gagner. Mais cela, c'est une grande leçon de l'Histoire.
QUESTION -- Une question à M. SARKOZY. Il y a exactement un an, vous félicitiez l'Italie pour la décision de notre pays d'entrer dans le nucléaire, la décision d'utiliser une technologie française, celle de l'EPR, pour créer des centrales nucléaires en Italie. A la lumière de la décision de l'Italie de suspendre ce projet, est-ce que vous éprouvez une certaine déception ? Et une question maintenant à M. BERLUSCONI. Je voulais lui demander : à la lumière de l'entente, aujourd'hui, quant à l'exigence de créer de grands groupes italo-français, franco-italiens, qui soient en mesure d'être concurrentiels sur le marché international, est-ce que vous pensez qu'une disposition italienne contre les raids étrangers doit être prise en considération ?
M. SILVIO BERLUSCONI -- Je voudrais également préciser le sens et la raison de ce moratoire que nous avons introduit en ce qui concerne le nucléaire en Italie. Nous sommes tout à fait convaincus que l'énergie nucléaire est l'avenir de toute la planète. Nous étions les premiers au monde à découvrir la possibilité de produire de l'énergie à partir de l'atome. C'était un Italien. Nous étions à l'avant-garde dans la réalisation de centrales nucléaires dans les années 70. Nous savons bien ce qui s'est passé. L'écologisme de gauche est intervenu et l'Italie a dû interrompre les travaux dans des centrales qui étaient presque achevées. Depuis lors, nous devons acheter toute l'énergie que nous consommons à l'étranger. Ceci représente un coût considérable qui pèse sur l'ensemble de l'économie et sur tous les ménages italiens. Le coût est de l'ordre de 30-40%, voire de 50% par rapport au coût que les ménages et les entreprises françaises payent à la suite de la décision française d'avoir réalisé, si je ne m'abuse, 60 centrales nucléaires en toute sécurité. Il me semble même que lorsqu'une décision de réaliser une centrale est prise entre les diverses communautés, il y a une compétition pour que la centrale soit réalisée dans cette communauté, ce qui montre bien quelle est la conviction profonde des ressortissants Français à cet égard. En Italie, ce n'est pas le cas. Les événements au Japon, comme le montrent les sondages que nous faisons auprès de l'opinion publique, ont effrayé nos ressortissants. Si nous avions organisé ce référendum aujourd'hui, le nucléaire n'aurait pas pu être réalisé pour de nombreuses années à venir en Italie. Le gouvernement a voulu introduire ce moratoire pour éviter le nucléaire en ce moment, pour que la situation au Japon soit éclaircie et pour que dans 2 ou 3 ans l'on puisse de nouveau avoir une opinion publique qui soit consciente de l'exigence de retourner à l'énergie nucléaire qui est sûre. Cette centrale japonaise a été construite sur un terrain sur lequel aucune construction de centrale nucléaire ne devait être prévue. Les centrales françaises sont si sures qu'elles peuvent même résister à une attaque atomique. Et avec la France, nous avons passé de nombreux contrats d'ENEL avec la société française. Des contrats qui ne sont pas annulés, qui se poursuivent. Nous sommes en train de décider de faire avancer plusieurs volets de ces contrats, par exemple la formation qui est un aspect très important. Voilà, donc, quelle est la position du gouvernement italien, une position de bon sens, de ne pas avoir rejeté pendant on ne sait pas combien de temps la possibilité de réaliser ce qui est, à mon avis, un destin inéluctable. Cette décision nous projette davantage vers les énergies renouvelables qui peuvent arriver à des pourcentages sur l'ensemble de l'énergie nécessaire qui sont de moindre importance. Merci.
LE PRESIDENT -- Naturellement, je n'ai pas à juger la décision qu'a prise souverainement le gouvernement italien et même, nous en comprenons les raisons. Mais qu'il me soit permis de dire à l'opinion publique italienne deux ou trois choses. La première, c'est que l'accident de Tchernobyl était un accident nucléaire avec un moteur qui a mal fonctionné et qui n'était pas installé conformément aux règles de sécurité. Le drame de Fukushima est un drame lié non pas au tremblement de terre, mais au tsunami. La centrale de Fukushima date des années 70, le tremblement de terre était de niveau 9, la centrale a parfaitement tenu et même, le moteur s'est arrêté lorsque le tremblement de terre a eu lieu. C'est le tsunami, d'une proportion incroyable, qui a ravagé les dispositifs de pompe et qui a arrêté l'arrivée de l'eau pour refroidir à la fois les combustibles et le moteur. Donc, le retour d'expérience sur Fukushima, ce n'est pas un retour d'expérience sur le nucléaire, c'est un retour d'expérience sur les tsunamis. Deuxième remarque : en France comme en Italie, nous n'avons pas de gaz, nous n'avons pas de pétrole. Et grâce à un homme, un visionnaire, le Général de Gaulle, la France, aujourd'hui, est autonome pour 80% de son électricité. Nous avons une soixantaine de centrales nucléaires, depuis près de 50 ans, qui fonctionnent dans des conditions de sécurité qui font que les Français ont confiance. Mais pourquoi ? Nous n'avons pas fait que le choix du nucléaire en France, nous avons fait également le choix des énergies renouvelables. Mais qui peut penser que le solaire, que l'éolien va suffire à compenser le nucléaire ? Nous avons tous signé des accords pour arrêter les émissions de gaz à effet de serre qui font un trou dans la couche d'ozone £ le nucléaire ne produit pas d'émissions de CO2 ou de gaz à effet de serre. Et donc, le vrai débat à avoir est le débat sur quelle sureté nucléaire. Et la France a perdu récemment -- on en parlait avec le Premier ministre -- des contrats à l'étranger pour construire des centrales. Pourquoi les avons-nous perdus ? Parce que nos centrales sont plus chères parce qu'elles sont plus sures. Et le vrai débat à avoir, à la suite de ce qui s'est passé, c'est : quel niveau de sûreté ? Et, cher Monsieur le Président, nous le disons ici parce que nous sommes proches de l'Italie, et que la question de la sûreté de nos centrales, c'est une question aussi pour nos voisins. Et d'ailleurs se tiendra, au mois de juin, une grande réunion à Paris de toutes les autorités indépendantes de sûreté nucléaire pour qu'on prenne le plus haut niveau possible.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce qu'a dit le président BERLUSCONI. Sachez que le jour où nos amis Italiens décideront de revenir vers le nucléaire, la France sera un partenaire accueillant et amical. Voilà ce que nous voulons dire simplement à l'Italie. Parce que tous ceux qui agitent les peurs oublient une chose, c'est que nos compatriotes, en Italie comme en France, ils veulent être éclairés, ils veulent être chauffés, ils veulent avoir de l'énergie pour leurs entreprises. Regardez le coût des énergies fossiles aujourd'hui, regardez les événements un peu partout dans le monde, regardez le coût du baril de Brent, qui était aux alentours de 125-126 ce matin. Quand on nous dit : « il faut créer des emplois, il faut créer de la croissance », s'il n'y a pas d'énergie on les crée avec quoi ? Donc, ce n'est pas le nucléaire et rien d'autre, c'est le nucléaire plus toutes les énergies renouvelables. C'est cela, le choix pour nous. C'est le choix auquel nous nous trouvons confrontés. Nous respectons la décision des Italiens et nous restons vraiment disposés, le jour où ils le décideront, à travailler avec vous et, en tout cas, sachez que pour toutes nos centrales nous sommes à votre disposition pour répondre à toutes les questions sur la sûreté nucléaire chez nous. Il n'y a pas d'autres solutions que la transparence. Voilà. Et nous le disons à un pays ami et un pays voisin. Nous ne considérons pas que ce soit notre souveraineté. Bien sûr, c'est notre souveraineté, mais le partage de l'information sur la sûreté, c'est quelque chose que nous partagerons avec vous. Merci à tous.
M. SILVIO BERLUSCONI -- Merci beaucoup. Je remercie le Président SARKOZY, je remercie le Premier ministre FILLON, je remercie tous les ministres aussi bien français qu'italiens. Merci à vous tous, c'est toujours un plaisir de vous avoir ici. J'espère que ce plaisir pourra être renouvelé à plusieurs reprises. Je crois que nous travaillerons bien ensemble, comme nous l'avons toujours fait, en prenant en considération l'intérêt de nos pays, de nos peuples, et en essayant de faire de notre démocratie, de notre liberté quelque chose qui puisse contribuer au vent de liberté et de démocratie qui a soufflé sur la rive sud de la Méditerranée, que nous suivons de très près et à laquelle nous essayerons de fournir des aides importantes, y compris sur le plan économique, afin que ces peuples puissent connaitre la démocratie, la liberté, et, par là-même, le bien-être économique.
Merci à tous, merci Nicolas.