12 janvier 2011 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les réformes réalisées et sur les priorités du gouvernement et du parlement pour l'année 2011.

Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Députés et les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les représentants au Parlement européen,
Monsieur le Maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les Conseillers de Paris,
Mes premiers mots seront pour remercier les élus de la majorité comme de l'opposition qui participent à ce traditionnel moment de rencontre et d'unité républicaine. Je tiens à leur dire ma reconnaissance pour l'unité exemplaire dont ils ont tous su faire preuve après l'enlèvement et l'assassinat barbare de nos malheureux deux jeunes compatriotes au Niger. Par delà les légitimes divergences qui sont les leurs, les responsables politiques français ont affirmé un de nos principes absolument essentiel, celui que nos démocraties doivent se défendre £ justement parce qu'elles sont des démocraties. Et il était capital que nous l'ayons dit tous ensemble de façon quasiment unanime.
Au début de cette année 2011, je voudrais vous dire combien vous pouvez être fiers du travail que vous avez accompli. Je ne parle pas du nombre de jours de séance, en session ordinaire mais également en session extraordinaire qui sont -- je le sais -- de plus en plus longues. Je ne parle pas du nombre de séances de nuit que vous faites, y compris, les dimanches... Mais je crois que vous pouvez être fiers parce que nous avons tenu la feuille de route que nous nous étions fixée.
L'an passé, nous avions déterminé un programme ambitieux. A l'intérieur de celui-ci, nous avions décidé de sauver notre régime de retraites par répartition. Grâce à vous nous l'avons fait. C'était un acte de courage et de responsabilité. De courage parce que personne ne peut s'enthousiasmer de travailler deux ans de plus sans contrepartie. De responsabilité parce que, par votre vote, vous avez sauvé un système auquel les Français sont attachés. A l'heure des bilans, les Français vous sauront gré d'avoir pris vos responsabilités. Il y a eu des polémiques, il y a eu des difficultés, il y a eu des manifestations. Mais, deux mois après, regardez en arrière et constatez les choses. Ce que vous avez fait, ma conviction, c'est que personne ne le remettra en cause £ tout simplement parce que cela ne serait pas responsable. Et quand on est aux responsabilités du Gouvernement de la France, on se doit d'être responsable, ce n'est pas un choix, c'est un devoir.
Après une longue concertation de près d'un an et demi, avec le Premier ministre, nous vous avons proposé d'engager la réforme des collectivités territoriales. Je mesure rétrospectivement à quel point ce chantier était ambitieux, spécialement pour les sénateurs qui doivent expliquer inlassablement cette réforme -- comme j'ai eu la joie de le faire au Congrès des maires -- à des élus locaux parfois désorientés par la diffusion d'informations parfois orientées elles-mêmes. Naturellement l'immobilisme est toujours commode. Dans notre société, compte tenu de l'inquiétude de la population, tout changement génère du stress. Mais naturellement que dire en matière d'organisation territoriale ? C'est fait. Nous avons dialogué. Nous avons discuté. Nous avons expliqué. Mais c'est fait.
Vous avez, par ailleurs, dans votre écrasante majorité, voté la loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. Il s'agissait bien plus que d'un symbole. C'était une question de dignité pour les femmes sur le territoire de la République. C'était une question qui touchait aux fondements même de la République et de sa capacité à assimiler les étrangers qu'elle accueille. Là aussi, que de débats, que de polémiques. Combien furent innombrables les spécialistes et les juristes pour vous dire que c'était impossible, que cela ne marcherait pas, qu'il ne le fallait pas. Vous l'avez fait. Vous l'avez décidé. Aujourd'hui, entendez-vous la moindre polémique sur le sujet ? Et même, on nous disait : « attention à l'image de la France dans le monde ». Rien de tout cela ne s'est produit. Je vous le dis parce que c'est une caractéristique de la France d'avoir des débats passionnés et souvent passionnants au moment ou l'on s'attaque à une réforme cruciale. La réforme est votée. Le Gouvernement tient. Le Parlement fait un choix. A la minute où le gouvernement tient et où le parlement choisit, il n'y a plus de polémique. On a connu cela pour bien des sujets. Je pense à la décolonisation. Je pense aux lois de 1974-75 qui ont rendu à la femme la disposition de son corps. Je pense à la peine de mort. Ce sont des sujets qui ont créé beaucoup de polémiques, beaucoup d'opposition et sur lesquels personne n'est jamais revenu en arrière. Cette année, sur trois sujets, les retraites, la loi interdisant la dissimulation du visage et les collectivités territoriales, il me semble que le Parlement a fait un choix, des choix qui sont décisifs.
Comme nous l'avions programmé, vous avez adopté le Grenelle II, la loi de modernisation de l'agriculture, le statut d'entrepreneur individuel à responsabilité limité, dont on parle peu, mais qui était une demande et une revendication -- je pense notamment aux artisans -- extrêmement ancienne. Une revendication juste d'ailleurs. Au nom de quoi le petit entrepreneur ou le petit artisan devaient-ils être traités, en cas d'incident, moins bien que la grande multinationale ? Au nom de quoi pour les uns la responsabilité s'arrêtait au patrimoine de l'entreprise, mais pour les autres, les plus petits, la responsabilité ne s'arrêtait pas au patrimoine de l'entreprise, mais au patrimoine personnel ? Dans notre République, on parle tant -- à juste titre -- de l'exigence de justice £ c'était une exigence de justice que de protéger les artisans et les tous petits entrepreneurs du risque sur leurs biens personnels et de protéger leur famille.
Enfin, vous avez adopté la loi sur le Grand Paris à laquelle j'attache une importance particulière. Je le dis devant les élus du Conseil de Paris qui m'ont fait l'honneur de venir. Paris est plus qu'une ville, plus qu'une capitale. Paris est un joyau que le monde entier nous envie. Et il était proprement insensé que le développement de notre métropole capitale soit entravé par des carcans administratifs, politiques, historiques ou idéologiques. Chacun le sait bien, M. le Maire de Paris, nous devons travailler ensemble. Le développement du Grand Paris n'est pas la seule affaire des Parisiens. Elle est celle de tous ceux qui s'y rendent chaque jour pour y travailler, mais aussi celle de tous ceux dont l'activité dépend économiquement, socialement, culturellement de ce coeur qui insuffle la vie à la région Île-de-France et, bien plus, à notre pays tout entier.
Conformément à la révision constitutionnelle, vous avez adopté la loi pluriannuelle de programmation des finances publiques. C'est un acte qui fixe une discipline. Voilà un mot qu'en France nous aimons manier, mais dont nous ne tirons pas toujours toutes les conséquences. Une discipline à laquelle nous devons rester fidèles. Ce n'est faire injure à personne de rappeler que, cette année encore, il s'est trouvé, dans chacun de vos groupes, nombre de parlementaires pour déposer des amendements proposant qui d'augmenter les dépenses, qui d'augmenter les impôts...
C'est la raison pour laquelle, il est souhaitable de forger des outils plus contraignants. Ni vos présidents de commission des Finances, ni vos rapporteurs généraux, ne diront le contraire. Nous devons inscrire dans la Constitution le principe de la maîtrise des finances publiques. Qui, d'ailleurs, au nom de son idéologie ou au nom de ses convictions, pourrait affirmer que fixer dans la Constitution le principe de la maitrise des finances publiques heurte ses propres convictions partisanes ? Ainsi que François Fillon vous l'a annoncé, lors de sa déclaration de politique générale, vos groupes parlementaires seront saisis d'un document d'orientation. Il est de notre responsabilité collective de ne pas rejeter sur les générations futures la charge de la dette. Je pense que sur un sujet de cette importance, dans un pays qui présente depuis le milieu des années 1970 un budget en déficit, nous devrions arriver à un consensus. Qu'il s'agisse de la gauche, du centre ou de la droite, chacun aura dans l'histoire de notre démocratie future un jour besoin de ce garde fou. Et nous devons nous habituer à sortir de la vie politique partisane les sujets d'une telle importance.
Au total, mesdames et messieurs, ce sont 63 lois qui ont été adoptées l'année dernière. Le nombre de lois n'est pas un objectif en soi £ il est malgré tout un indicateur révélateur de notre activité et, surtout, il est le signe que le mouvement réformateur que nous avons insufflé à la France n'a pas faibli.
Plus que des chiffres dont je mesure les limites, ce que je veux retenir, c'est qu'aux deux tiers de la législature nous avons tenu nos engagements, malgré la crise et malgré l'ampleur considérable des difficultés que nous avons rencontrées. Je pense que pour tous ceux qui doutent de la politique c'est un fait nouveau de fixer un cap et de le maintenir quelles que soient les circonstances.
A défaut de pouvoir alléger votre ordre du jour, je veux vous exprimer ma reconnaissance pour ce travail. La XIIIe législature restera dans notre histoire comme une législature qui comptera et - je le pense -- comme celle du courage.
Ce matin, Patrick OLLIER a présenté les orientations de l'ordre du jour pour les prochains mois. Je veux le remercier pour la mission difficile qu'il accomplit avec succès. Mais choisir, c'est éliminer. Il a donc fallu peser tous les paramètres pour choisir les textes prioritaires.
Mesdames et Messieurs, le premier de ces paramètres, il nous concerne tous, c'est le temps. J'aimerais vous convaincre qu'il nous reste très peu de temps législatif utile. Jusqu'à la fin du quinquennat, il reste 38 semaines en session ordinaire. J'évacue les exercices imposés des PLF et PLFSS. Cela signifie que le Gouvernement ne dispose plus que de 19 semaines d'ordre du jour propre pour présenter ses textes. Même en y ajoutant quelques semaines de session extraordinaire, nous ne disposons donc, tout au plus, que de six mois de travail législatif intense. Cela implique donc de faire des choix. Chaque minute sera utile jusqu'à la fin pour la réussite de votre mandat.
Dans nos choix, il nous faut intégrer une problématique supplémentaire. Beaucoup de nos compatriotes souffrent et nos choix doivent donc être dictés par l'impératif de la lutte en faveur de l'emploi et du soutien à la reprise économique. Mais il nous faut également légiférer sur des sujets de la vie quotidienne, des sujets sur lesquels nos concitoyens savent que nous avons des leviers directs pour agir.
Nous pouvons, en fait, regrouper les textes à venir en quatre grands ensembles.
En premier lieu, les commissions des Lois. Elles seront, comme souvent, à l'honneur. Je suis bien convaincu que les Français nous jugeront notamment sur notre capacité en matière de sécurité et de justice. Droits et devoirs doivent se conjuguer pour nos concitoyens qui seront davantage associés aux décisions grâce à l'ouverture de nos tribunaux correctionnels aux jurés populaires. C'est une réforme à laquelle j'attache une très grande importance. Il y a deux raisons à cela. On ne peut plus laisser le fossé se creuser entre l'appréciation que portent nos concitoyens sur des décisions de justice qu'ils ne comprennent pas toujours et la justice qui rend ses décisions au nom du peuple français. Je suis certain que, parmi vous tous, vous aurez remarqué que rares sont les décisions, les arrêts rendus par les cours d'assises qui font l'objet d'une contestation dans l'opinion publique. La présence des jurés populaires, bien loin de diminuer l'importance du magistrat professionnel, renforce son autorité et le met à l'abri des contestations. Pourrions-nous dire la même chose de tant de décisions dans tant de vos départements, de tant de tribunaux qui suscitent commentaires et incompréhension du public ? Ce sujet -- et le Garde des Sceaux que je remercie en est bien convaincu -- est un problème considérable dans notre pays. Les Français doivent avoir confiance dans leur justice. La présence des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels réduira le fossé qui s'est créé, petit à petit, toutes ces dernières années, entre le monde de la justice et le peuple français.
Il y a un deuxième argument qui compte. Les jurés seront tirés au sort selon des modalités qui seront présentées par le Garde des Sceaux. Il y a une chose qui, à mes yeux, a une très grande importance. On parle beaucoup de citoyenneté, beaucoup de civisme. On en parle beaucoup et c'est bien. On le pratique moins, c'est moins bien.
Mesdames et messieurs, imaginez ce que peut représenter en matière de citoyenneté et de civisme le fait pour un citoyen d'un département concerné, d'être tiré au sort, d'être volontaire et de participer pendant une semaine à la vie d'un tribunal correctionnel. C'est un acte d'intégration. C'est un acte de citoyenneté. C'est un acte de prise de participation aux décisions les plus difficiles de la République lorsqu'il s'agit de juger et lorsqu'il s'agit de sanctionner. A ceux qui me disent : « Ah, cette réforme va coûter de l'argent ». Certes, mais ne croyez-vous pas qu'il en coûte davantage, de l'argent, de voir des citoyens se détourner de certaines institutions parce qu'ils ne comprennent pas leur langage ou parce qu'ils n'auraient plus totalement confiance dans ces institutions ? Prenons tel ou tel département, ou banlieue de nos grandes villes, et imaginez ce que va représenter pour les citoyens de ce département de pouvoir participer au jugement et à la sanction de délinquants du même département. C'est un acte de citoyenneté. Et je suis persuadé que nous pourrons, sur un texte de cette nature, recueillir un consensus au-delà des attaches partisanes. Car, au fond, il ne s'agit que d'une seule chose : revenir à l'idéal républicain qui n'a jamais consisté à déléguer le pouvoir du peuple mais à permettre au peuple d'exercer ce pouvoir.
Une autre remarque. Je vous invite à trouver, avec le Gouvernement, le juste équilibre entre le nécessaire respect des droits des justiciables et ceux des victimes, le nécessaire équilibre entre le devoir pour l'État de se doter des moyens de rendre la justice tout en garantissant le respect des libertés individuelles. Je vous confesse que je me refuse à raisonner de manière artificielle entre, d'un côté, les textes qui seraient prétendument « sécuritaires » et, de l'autre, les textes qui seraient imprégnés de valeurs « humanistes ». Les deux valeurs doivent se retrouver dans les mêmes textes. N'opposons pas les uns aux autres. Essayons d'avoir une approche équilibrée.
Le deuxième ensemble pour vos commissions des Lois, ce sont tous les textes institutionnels. Certains sont relatifs à l'achèvement de la révision constitutionnelle : le projet de loi relatif au Défenseur des droits qui bénéficie d'une notoriété formidable avant même que d'avoir vu le jour, la question du référendum d'initiative populaire, la question de la Haute Cour. D'autres textes concerneront l'évolution des statuts des Outre-mer. Je pense à la Guyane et la Martinique qui ont fait le choix historique, par référendum, de dire « oui » à la collectivité unique. Mais je pense également à la Polynésie française, archipel dont nos compatriotes souffrent de l'instabilité politique depuis des années. Nous allons y apporter une réponse.
Le troisième ensemble est relatif à tout ce qui concerne « la personne ». Je pense, bien entendu, au projet de loi sur la bioéthique puisqu'il touche au plus profond de la définition de l'être humain. Ce texte est aussi attendu qu'il est sensible. Je voudrais dire combien le travail remarquable accompli par Jean LEONETTI nous sera utile. Je n'ai pas d'autre recommandation que de vous inviter à vous y investir avec fidélité à vos convictions et dans le respect de celles des autres. Il ne peut y avoir sur des sujets de cette nature de consigne de vote. Je pense également à la réforme de la dépendance qui sera probablement le dernier grand chantier de la législature. Car, enfin, 20 % des familles ne sont pas, aujourd'hui, en mesure d'assurer la prise en charge de leurs aînés dépendants. Comme pour les retraites -- même si les solutions ne peuvent pas être les mêmes -- nous ne pouvons attendre plus longtemps. J'ai bien reçu les conseils et les avis, souvent affectueux, me recommandant de ne pas ouvrir un sujet si difficile alors qu'il semble que nous aurons dans un an et demi des élections. Je remercie les conseilleurs pour ces conseils mais je n'en tiendrai aucun compte. Pour une raison très simple, c'est que nous savons que la population vieillit, nous savons que nous allons vivre plus longtemps, nous savons que nous n'avons pas assez de place en maison de retraite, nous savons que nous n'avons pas assez de moyens pour permettre à des personnes âgées dépendantes de rester à domicile, nous savons que l'assurance maladie, telle qu'elle est organisée aujourd'hui, n'aura pas les fonds pour payer toutes ces dépenses. La question est simple : puisque nous savons, y a-t-il une raison pour que nous refusions d'avancer ? Une ? Et qui peut penser que dans un an et demi ce sujet sera moins urgent et sera plus facile à traiter ? Le Gouvernement doit faire, sur ce sujet, preuve de courage et le Parlement qui a, d'ores et déjà, apporté de très utiles contributions au débat aura à prendre ses responsabilités.
Le quatrième et dernier ensemble de textes sera relatif à la remise à plat de notre fiscalité. A la tentation d'un « big bang » fiscal qui aurait été lancé, sans concertation, à l'occasion du projet de loi de finances, à l'automne dernier où les propositions n'ont pas manqué - souvent contradictoires - nous avons préféré, avec le Premier ministre, une réforme d'ensemble. Mesdames et Messieurs, la question qui est posée n'est pas technique, elle est profondément politique : pourrions-nous, pour une fois, en France prendre en compte les choix opérés par nos principaux concurrents et par nos principaux partenaires avant nous et parfois mieux que nous ? Doit-on, au nom d'une spécificité française à laquelle je crois par ailleurs, continuer à ignorer ce qui se passe non pas à l'autre bout du monde mais à notre frontière ? Doit-on interdire à la France de connaître les succès économiques et la compétitivité que connaissent certains de nos amis et de nos partenaires, au seul titre d'une spécificité que nous aurions définie d'une façon intangible ? La spécificité à laquelle je crois pour la France, c'est lorsqu'elle est dans les premiers, non pas lorsqu'elle est dans les derniers. La question qui est donc posée -- qui sera posée par François BAROIN, également par Christine LAGARDE et par un groupe de parlementaires qu'a réuni le Premier ministre sur la fiscalité du patrimoine -- nous permettra de faire des propositions dans un projet de loi de finances rectificatif dès le printemps prochain. Là aussi, nombreux sont les conseils de prudence. Je les accueille avec beaucoup d'intérêt, mais je voudrais convaincre les partisans du statu quo que, dans le statu quo, les Français voient l'inquiétude lorsqu'ils ne sont pas clairement informés. J'ajoute qu'il me semble compliqué d'expliquer que les Français nous ont confié cinq années de mandat, pour vous comme pour moi, et qu'un an et demi avant la fin de notre mandat, tout ce qui est trop compliqué nous leur demandons de comprendre que nous n'avons pas le courage de le faire mais que, naturellement, comme les autres, nous ferons bien mieux après... Je vous propose de rompre avec cette forme de raisonnement. Si la fiscalité pour la compétitivité de notre pays est un problème, alors il faut le traiter calmement, mais sans attendre, dans un esprit de justice et d'efficacité.
Sur le plan de la fiscalité locale, après la réforme de la taxe professionnelle, nous devons relever un autre fameux défi qui est celui de la péréquation £ là encore au nom de l'équité. Pensez donc que le potentiel fiscal par habitant varie de 1 à 1000. Nous sommes arrivés, pour la taxe professionnelle, grâce à l'action de Christine LAGARDE de François BAROIN et de Philippe RICHERT, à un équilibre. Et bien, je souhaite que nous puissions, avec les députés, avec les sénateurs, de la majorité et de l'opposition, mener ce débat et avoir des propositions concrètes sur la péréquation avant l'été.
Vous l'avez compris, chaque minute comptera. Nous devrons utiliser notre ordre du jour au mieux.
L'an dernier, j'avais parlé de cet ordre du jour. Qu'il me soit permis de faire une remarque. A la notion « d'initiative parlementaire », je préfère celle de « priorité parlementaire ». Car la question n'est pas de savoir si c'est le Gouvernement qui doit présenter ses textes dans son ordre du jour ou si c'est le Parlement qui doit présenter les siens dans son ordre du jour. La question qui doit se poser c'est celle de la « priorité » aux yeux de nos compatriotes. Quels textes sont prioritaires aux yeux de vos assemblées, qu'il s'agisse de projets ou de propositions ? Je me félicite de l'évolution qui s'est opérée cette année.
D'ailleurs, les rapports entre le Gouvernement et le Parlement qui font l'objet comme pour toutes les majorités, d'innombrables commentaires sont excellents. Quelle est la réalité ? Y a-t-il un seul texte depuis trois ans et demi où le Gouvernement ait été mis en échec par sa majorité, un seul ? Je n'en vois pas. Il y a des discussions, il y a des confrontations d'opinions, des renoncements, des retraits, jamais.
Y a-t-il des passages en force ? Quelle est la réalité, au-delà du commentaire ? Depuis trois ans et demi nous n'avons jamais fait usage du 49.3. Jamais. C'est nouveau. Quel Président de la République, à part Georges POMPIDOU, peut dire qu'il n'y a jamais eu recours ? François MITTERRAND y a eu recours 50 fois. Charles de GAULLE : 10 fois. Valéry GISCARD D'ESTAING : 6 fois. Jacques CHIRAC : 5 fois. Le Gouvernement de François FILLON : 0 fois. Il n'y a pas que cela. Le dernier mot à l'Assemblée nationale n'a été donné qu'une seule fois £ et encore, ce fut sur une disposition qui relevait du fonctionnement propre des commissions des assemblées.
La vérité, c'est que je n'ai jamais cru en un régime uniquement parlementaire mais que je n'ai jamais cru non plus en un régime uniquement présidentiel. Je crois que les institutions de la Ve République permettent d'assurer un équilibre permanent entre ces deux pouvoirs. L'équilibre ce n'est pas facile mais c'est une notion de grande importance. Les Français veulent un exécutif fort qui donne un cap. Mais où est-il écrit qu'un exécutif fort implique un Parlement faible ? Quelle question est plus absurde que celle de chercher à savoir qui, d'entre l'exécutif et le Parlement, doit avoir le plus de pouvoir ? Pour se paralyser, pour rester immobile, pour faire du sur place ? La logique qui sous-tend toute notre révision constitutionnelle se résume d'ailleurs en une phrase : un Parlement fort aux côtés d'un exécutif fort.
Bien entendu, on peut améliorer les choses et je me permettrais de vous présenter quelques brèves pistes de réflexion.
Je crois qu'il est temps de s'interroger sur la place que prend la question prioritaire de constitutionnalité dans notre environnement juridique. Par parenthèse, j'aimerais que l'on parle davantage de cette réforme considérable qu'est la question prioritaire de constitutionnalité. On se demande d'ailleurs pourquoi il a fallu tant de temps pour y arriver. Là aussi, débats infinis, positions irréconciliables. Avez-vous depuis un an un seul commentaire disant : « si nous sommes élus, nous reviendrons sur la question prioritaire de constitutionnalité » ? Une seule personne ? Personne. Les questions prioritaires de constitutionnalité ne peuvent être posées que depuis le 1er mars dernier. Et pourtant, en moins d'un an, cette réforme a profondément bousculé notre paysage législatif et renforcé les pouvoirs des Français qui peuvent directement saisir de la constitutionnalité d'un texte. Pour nos concitoyens, ce droit nouveau est probablement le plus important de ceux que la révision constitutionnelle a initiés. Mais cet examen de constitutionnalité de notre corpus législatif va nous obliger à consacrer de plus en plus de temps à l'adaptation de notre législation. D'ores et déjà, il est acquis que de nombreuses semaines seront consacrées à l'examen de textes découlant de ces questions prioritaires.
Je pense que nous pourrions réfléchir à la manière dont le Parlement pourrait mieux prendre sa part à ce débat. D'une part, les assemblées disposent de la moitié de l'ordre du jour. D'autre part, les commissions formulent des propositions souvent pertinentes sur ces questions de conformité de la loi à la Constitution. Le Parlement pourrait prendre l'initiative de la discussion des textes consécutifs aux questions prioritaires de constitutionnalité. Dans le respect des prérogatives du Gouvernement, je vous propose d'entamer une réflexion en ce sens.
Par ailleurs, je crois que l'on doit améliorer certains exercices parlementaires. J'ai été moi-même parlementaire vingt ans £ mais beaucoup de parlementaires ont le sentiment - lorsque sept ou huit débats sans portée normative s'enchaînent dans une même semaine - que les temps de contrôle ne sont pas toujours utilisés de manière optimale. Je crois que nous commettons collectivement une erreur en appréhendant la mission de contrôle du Parlement de la même manière que sa mission législative. Je m'en explique : le travail législatif est incontestablement un travail d'hémicycle. On dépose des amendements. On confronte ses idées avec ses propres amis et avec l'opposition. On tente de convaincre et on passe au vote. Mais qu'en est-il de l'activité de contrôle ? Je crois que les mêmes recettes sont utilisées alors qu'elles se prêtent moins à l'activité de contrôle du Parlement, en raison de sa nature même. Que je me fasse bien comprendre, je ne dévalue absolument pas la mission de contrôle du Parlement. Bien au contraire, j'aspire à ce qu'elle prenne davantage d'ampleur. Mais cela passe peut-être par moins de temps dans l'hémicycle et plus de temps à juger sur pièce et sur place, ainsi qu'à auditionner. Ce n'est faire injure à personne que de proposer ce changement.
Enfin, vous le savez, je suis le premier à utiliser les parlementaires pour leurs compétences reconnues d'expertise au gré de leurs spécialités. 26 missions ont été confiées à des parlementaires ou à des grands élus locaux. Je ne voudrais citer qu'un seul exemple : celui de la mission que j'ai confiée à deux des vôtres sur l'évaluation de la mesure de gratuité des frais de scolarité dans les lycées français à l'étranger dont le résultat m'a passionné puisqu'il était exactement l'inverse de ce qu'affirmaient les administrations, exactement l'inverse... Il faut savoir que, dans les campagnes électorales, nous proposons des idées, puis nous les mettons en oeuvre. Ensuite, un certain nombre d'administrations, par habitude sans doute, essaient de revenir sur ces idées et y parviennent fréquemment. L'étude de ces deux parlementaires a montré que ce qui était affirmé était faux.
Je souhaite que, sur d'autres sujets, on puisse développer cette manière de faire et je propose pour terminer que nous puissions, en 2011, travailler sur la question des normes avec vous £ normes qui asphyxient tous ceux qui veulent entreprendre quelque chose dans ce pays, normes que nous avons tous laissé proliférer. Avec le Premier ministre, nous avions donc décidé un moratoire applicable aux collectivités territoriales. Je dis aux ministres que nous n'accepterons aucune exception à la règle du moratoire sur les normes. Mais il nous faut aller encore plus loin en lançant le chantier de la simplification du stock de normes existantes. Pour s'atteler à cette tâche, je vous propose d'engager deux missions parallèles et complémentaires.
Tout d'abord, celle de la simplification des normes applicables à tous les acteurs économiques afin de redonner de l'oxygène à ceux qui doivent consacrer une partie immense de leur temps à des formalités administratives. Je vais demander au Président de la commission des Lois de l'Assemblée de piloter ce travail avec un certain nombre de parlementaires pour que nous ayons des propositions pour la fin mars afin de faire tomber un bloc entier de normes. On me dit que le délai est court. Depuis le temps que l'on réfléchit sur les normes, que l'on se plaint des normes, que chacun a présent à l'esprit des normes particulièrement inutiles et choquantes, j'estime qu'au mois de mars on pourra faire un premier travail. La Commission des Lois nous fera des propositions. Le Gouvernement s'engage à en retenir la plus grande part.
Parallèlement, je souhaite que soit mené un travail identique mais, cette fois-ci, sur les normes qui concernent les collectivités territoriales. Il y a là un enjeu de lutte contre la dépense publique inutile. Car en face de chaque norme, il y a une contrainte et donc un coût pour la collectivité. Je m'y étais engagé devant le Congrès des maires, je souhaite que ce chantier soit mené sans tarder. Je demanderai à Eric DOLIGE, sénateur et président de conseil général, de me rendre, également pour la fin mars, des propositions de simplification, en étroite concertation avec les grandes associations d'élus. Monsieur le Président du Sénat, je sais que c'est un sujet qui vous tient particulièrement à coeur.
Mesdames et Messieurs, j'aurai l'occasion, dans d'autres enceintes, de parler en détail de la Présidence du G20 et de celle du G8. Je dis simplement que, naturellement, je serai à la disposition du Parlement réuni en Congrès ou non, avec le Premier ministre et les ministres, pour vous informer en détail de l'ordre du jour de la Présidence française dont je ne rappellerai que les têtes de chapitre que sont la réforme de l'ordre monétaire international et la régulation des tarifs du marché des matières premières. Si nous ne faisons rien, on va tout droit à des émeutes de la faim qui auront un coût économique, social et politique bien supérieur que celui d'une action volontariste. Et il y a, bien sûr, la gouvernance mondiale avec, à l'intérieur, la question des financements innovants.
Les parlementaires seront associés à la Présidence française. Il faudra d'ailleurs réfléchir sans doute à cette idée : pourquoi pas un G20 des Parlements que nous pourrions institutionnaliser pour que les parlementaires ne soient pas, dans nos démocraties, décrochés de discussions qui ne sont pas simplement des discussions internationales mais qui ont un impact considérable sur chacune de nos vies nationales ?
Voilà, Mesdames et Messieurs. En vous remerciant de votre attention, je voudrais vous dire combien le Premier ministre, le Gouvernement et moi-même formons des voeux chaleureux pour chacune et chacun d'entre vous. Je mesure que votre tâche n'est pas facile que vous soyez dans la majorité ou dans l'opposition. Vous le savez, toute ma vie qui est faite d'engagements, j'ai considéré que c'était un grand tort de dévaluer la fonction d'élu. J'aimerais que la démocratie française comprenne que sans élus il n'y a pas de démocratie. Les élus que nous sommes n'avons naturellement pas que des qualités mais nous avons au moins une qualité, celle d'avoir eu le courage de nous engager et de nous présenter devant nos concitoyens £ ce qui est toujours une épreuve. Cette épreuve là, quand on la franchit, elle doit mériter le respect.
Bonne année à chacun et à chacune.