12 septembre 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la grotte de Lascaux, la protection du patrimoine et sur la future Maison de l'histoire de France, Les Eyzies (Dordogne) le 12 septembre 2010.

Mesdames et Messieurs, aujourd'hui, est pour nous tous un grand jour de fête, la célébration d'une renaissance. Toutefois, chacun comprendra que je tienne d'abord à rendre hommage à un grand artiste qui vient de nous quitter ce matin. Claude Chabrol était un grand auteur et un grand cinéaste. Il tenait de Balzac par la finesse de sa peinture sociale, il tenait de Rabelais par son humour, et sans doute aussi par sa truculence, mais il était surtout lui-même, dans ses films comme dans sa vie, et je suis certain qu'il manquera beaucoup à chacun.
Il y a environ dix-huit mille ans, l'homme choisissait la grotte de Lascaux pour y déposer sa vision du monde, sa mémoire, en quelque sorte ses mystères. Dix huit mille ans plus tard, le 12 septembre 1940, quatre enfants précédés d'un petit chien redécouvrent la grotte et tombent nez à nez avec ses chefs d'oeuvre. C'est un «choc» qui continue depuis soixante dix ans à émouvoir profondément tous ceux qui ont le privilège de rentrer dans la grotte de Lascaux, et je puis vous dire, Carla comme moi-même avons été profondément bouleversés par ce que nous avons vu, c'est au-delà de l'émotion.
Tout a probablement été dit sur le sens de Lascaux, et rien qui permette d'élucider le mystère. Ce n'est pourtant pas la première des grottes ornées à avoir été découverte, ce n'est pas la plus ancienne, ce n'est pas non plus la plus grande ni la plus profonde et pourtant, Lascaux est à n'en pas douter la quintessence de l'art et de l'esprit des premiers hommes. Au fond, c'est le symbole de la naissance simultanée de l'homme, de l'art et du sacré. Nous nous sommes d'ailleurs surpris, entrant dans la grotte, à parler tout à coup plus bas. J'espère ne choquer personne, mais j'ai trouvé que dans cette grotte, il y avait une dimension du Sacré qui s'exprimait au-delà de la dimension artistique et au-delà de l'émotion que l'on avait devant la présence si ancienne de la vie.
Quand on voit les peintures de Lascaux, on comprend quelque chose que l'on ne peut imaginer, c'est que la culture de ces hommes, au sens artistique, la façon dont ils savaient exprimer leurs émotions, n'a pas grand chose à envier à celle que nous connaissons aujourd'hui. J'avais déjà été confronté avec cette idée par l'intermédiaire du plus grand anthropologue français Claude Levi-Strauss, qui nous a quitté il y a quelques mois, et qui a été l'un de ceux qui ont le plus fait reculer l'idée des sociétés primitives, pour faire simple. Aussi on comprend l'exclamation modeste mais tellement réelle de Picasso : « j'ai enfin trouvé mon maître! ». On comprend aussi que l'un des plus grands peintres vivants, Pierre Soulages est dans le vrai lorsqu'il revendique la couleur noire, qu'il associe très précisément au noir de manganèse des fresques de Lascaux, votre Lascaux qui est en même temps universel et tellement périgourdin. Votre Lascaux a inspiré 18 000 ans plus tard les plus grands artistes du XXe et du XXIe siècle, quelque chose d'absolument exceptionnel. Au fond c'est un miracle, et malgré le passage du temps -- près de 200 siècles! -- 200 siècles après, la fraîcheur, la grâce, le charme et le mystère qui émanent de ce sanctuaire, sont absolument intacts.
Vraiment la présence du chef de l'Etat en ces lieux est nécessaire. J'ai bien conscience que ce territoire est le vôtre, mais en même temps je me disais, entre l'universel et le terroir, il y a Lascaux qui non seulement n'oppose rien, mais au contraire réunit tout. C'est une idée qui m'est chère : la mondialisation passe par le renforcement des identités culturelles de chaque territoire, la mondialisation n'est pas une négation de ces identités, elle ne peut avoir un visage humain, cette mondialisation, que si elle part de ces identités et de leurs diversités. Il n'y a pas de diversité possible sur la mort des identités. Quand vous dialoguez, le mot diversité, est un mot fortement consensuel, mais la diversité n'est que la conséquence du respect des identités. Je trouve, pour moi, c'est absolument évident que la dimension, la proximité de Lascaux est universelle et fait son miracle. (Je suis complètement perdu dans mon discours, mais j'ai exactement dit ce que je pensais, je vous laisserai le discours, dont je salue et félicite les auteurs par ailleurs).
Je pense qu'on vient de vivre, avec Carla, ce moment de privilège absolu qu'est le spectacle de Lascaux, même si Lascaux 2 est aussi une réussite extraordinaire : l'artiste de Lascaux 2 devait être en communication absolument directe (par fax, par internet, par téléphone ou par le coeur) avec ses prédécesseurs 18 000 ans plus tôt, c'est absolument incontestable ! Toutefois je pense qu'on doit aller un peu plus loin que de raconter des choses absolument convenues devant ce qui est la quintessence de la beauté, de l'humanité et son mystère.
Je voudrais également dire à tous les représentants de la paléo-anthropologie combien je les admire, combien avec le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand nous les soutiendrons parce que la paléo-anthropologie, dont les pionniers sont français, cette tradition n'a jamais perdu sa vivacité, depuis Jacques Boucher de Perthes, l'inventeur de la Préhistoire, le premier à avoir défendu cette idée que l'homme existait bien avant le déluge, qu'il avait même vécu à l'époque du mammouth. On voit déjà, au milieu du XIXème siècle, aller oser affirmer cela, les bûchers n'existaient plus, en tout cas moins, en tout cas au sens réel, mais on voit très bien que quelques siècles plus tôt cela aurait pu mal tourner pour lui !
La tradition s'est poursuivie avec l'Abbé Breuil, dont j'ai vu une photo, présent lors de la découverte de Lascaux, jusqu'à notre cher Yves Coppens, pour qui j'ai énormément d'affection, et qui est comme chez lui dans la Grotte. Enfin on sait combien ces villages de la Vézère, que nous avons survolés et traversés, et qui sont d'une beauté stupéfiante, ont marqué « l'histoire de la Préhistoire ».
Je veux dire à ce département de la Dordogne, à cette région du Périgord que l'on comprend, au fond, pourquoi depuis l'origine les gens ont voulu vivre ici. Cela me donne des idées énormes ! Au fond, tout cela n'est pas si compliqué, les premiers hommes avaient parfaitement compris qu'ici c'était plus tempéré qu'ailleurs, qu'il devait y avoir du gibier, que c'était beau et qu'il faisait bon vivre. Au fond, vous n'êtes que les héritiers d'une tradition du bon vivre que vous avez décliné ici.
Nos chercheurs me le disaient il y a quelques instants, ils ne se sont pas contentés d'exploiter les richesses extraordinaires présentes sur notre sol, ils sont remontés aux traces de l'humanité, dans le monde entier. Lucy et Toumaï, ce sont des découvertes faites par des missions françaises, tout comme l'homme de Cro Magnon du Muséum d'histoire naturelle. Tout sera donc mis en oeuvre pour préserver cette Ecole française d'archéologie, qui est la vôtre.
Je voudrais dire également face aux polémiques -- il faut polémiquer sur tout, c'est une maladie française -- je voudrais dire à ceux qui sont en charge de la conservation de Lascaux, que je les félicite pour le travail remarquable qu'ils font, qu'ils méritent mieux que parfois des choses un peu hasardeuses dites sur le travail des gens.
Vous avez fait un travail remarquable, et même si l'on parle des maladies de Lascaux, il faut savoir que le traitement des « maladies vertes » et des « moisissures blanches » a permis à la France d'acquérir une connaissance exceptionnelle en microbiologie des cavités. Je tenais à le dire parce que tous ces gens passionnés qui gardent votre trésor sont malheureux, parfois, quand on dit qu'il est délabré, qu'il s'écroule. Non ! Je suis rentr??, j'ai vu, et c'est exceptionnel ce que vous avez fait. C'est décevant quand on se donne tant de mal et que l'expression de tout ce professionnalisme n'est pas valorisée. Je me sens en empathie avec vous, avec tous les gens qui se donnent du mal.
A travers Lascaux c'est tout notre politique du patrimoine qu'il faut évoquer. Je tiens à rappeler que l'Etat a été exemplaire, puisque nous avons décidé, dans le cadre du plan de relance 2008 de consacrer 4 milliards d'euros sur dix ans à la restauration du patrimoine protégé.
Investir dans la restauration du patrimoine, c'est investir dans l'avenir et dans la croissance. On n'investit pas simplement dans la recherche, dans l'innovation, dans les nanotechnologies, dans les salles blanches, dans les laboratoires. Tout cela c'est fantastique. Mais le patrimoine contribue à la croissance, et je vais même jusqu'à dire qu'un euro investi dans le patrimoine c'est dix à vingt euros en croissance. Ce ne sont pas seulement les touristes, pas simplement les paysages, c'est toute une économie, et le Périgord est probablement le meilleur exemple de cette dynamique. Je veux également rendre hommage aux gestionnaires privés de monuments historiques et je veux confirmer au ministre de la culture que je défendrai la fiscalité incitative qui permet à des propriétaires privés d'entretenir un patrimoine historique.
Que ferait l'Etat si ces bâtiments privés venaient à quitter le giron privé pour être entretenu par nous ? Nous n'avons pas toujours les moyens. C'est un engagement que je prends, car vous savez, en France, le Chef de l'Etat doit être le protecteur des artistes, et le protecteur des chercheurs. Ils ne peuvent pas être soumis aux seules forces du marché ou de l'immédiateté. Je crois beaucoup à l'investissement dans le patrimoine et à la fiscalité incitative, pour aider tous ceux dont la passion est de refaire un château ou de constituer des collections. Nous en avons besoin, l'Etat ne peut pas faire tout seul.
La Dordogne est riche d'un millier de château, c'est certainement un des territoires de notre pays les plus extraordinaires pour cela. Vous avez quinze sites inscrits au patrimoine mondial de l'Humanité, vous avez un grand musée de la préhistoire, la plus grande collection privée d'objets préhistoriques de France, patiemment constitué par quelqu'un que j'apprécie particulièrement, Claude Douce.
Quand même, quand il y a des gens passionnés qui ont de l'argent, qui mettent cet argent au service de leur passion, que cette passion fait grandir le patrimoine culturel français, eh bien tant mieux ! Je le dis très simplement, avoir des mécènes et des donateurs n'est pas réservé aux Etats-Unis. Nous devons nous aussi préserver cette force que représente la passion d'hommes et de femmes qui ont réussi leur vie professionnelle, et qui souhaitent faire de ces moyens qui sont les leurs, autre chose que leur seule satisfaction personnelle. Dois-je les décourager ou dois-je les encourager ? Je veux les en féliciter, parce qu'ils participent de cette spécificité française.
Je confirme aussi aux élus que l'Etat sera un partenaire actif - vous voyez ce que veut dire actif, cela veux dire qu'il ne s'arrête pas aux discours - des projets «Lascaux III» et «Lascaux IV», et j'aimerais même que vous puissiez réfléchir à la possibilité d'un «Lascaux V».
Lascaux I, c'est la grotte originale, Lascaux II, c'est ce magnifique fac similé voulu par André Malraux au moment de la fermeture de la grotte. «Lascaux III» ou «Lascaux révélé», c'est le projet conduit avec le département de la Dordogne, qui consiste à faire connaître l'art de Lascaux dans le monde entier. Il faudra également moderniser le site de Lascaux. Sans vouloir faire de critique, Frédéric m'en parlait, les files d'attente et les parkings sur la colline de Lascaux... on s'éloigne de l'esprit d'origine. On va donc investir un peu, et je souhaite accompagner le projet de créer au bas de la colline de Lascaux, un nouveau Centre dédié à l'art pariétal, un centre international qui présentera les grottes du monde entier. Et puis je souhaiterais aussi un «Lascaux V» : si la technologie numérique française nous a permis de reconstituer les grandes pyramides d'Egypte, pourquoi ne pas reconstituer en trois dimensions l'intérieur des grottes ornées, pour pouvoir les visiter «à domicile», dans le monde entier ? Ce projet fantastique, l'Etat vous aidera à le réaliser, et s'engagera puissamment.
Au-delà de Lascaux, c'est toute la Vallée de la Vézère, cette « vallée de l'homme », qui doit faire l'objet d'une opération « Grand Site », et nous y participerons.
Lascaux est une invitation à méditer sur l'histoire, sur le temps. Au moment où l'histoire s'accélère sans cesse, il nous faut créer des lieux pour réfléchir sur le temps. C'est pour cela que j'ai voulu la Maison de l'Histoire, dont j'avais parlé au moment de la campagne présidentielle. J'y tiens beaucoup parce que la question des archives - j'inaugurerai bientôt le fameux Centre de Pierrefitte - est étroitement liée à la question de l'histoire. C'est une dimension absolument centrale pour préparer l'avenir. Nous avons beaucoup travaillé sur la Maison de l'histoire avec Frédéric Mitterrand, et où mieux qu'ici dans cette « vallée de l'homme » multimillénaire, aurais-je pu annoncer sa création ? Nous avons beaucoup travaillé, trois missions ont été sollicitées, la première sur le concept, la deuxième sur les lieux, la troisième sur l'organisation. La Maison de l'Histoire sera créée dans les prochains jours, elle s'incarnera dans un réseau de musées, dans une continuité. Ces musées constitueront le premier cercle d'un réseau appelé à tisser des liens avec les mille musées d'histoire éparpillés sur tout le territoire.
Alors il faudra bien sûr un lieu pour incarner la Maison de l'histoire de France, un Siège qui soit emblématique de notre histoire, tout en étant un lieu «pratique» et en évitant les choix trop coûteux. Nous avons décidé de retenir comme Siège de cette nouvelle institution le site des Archives Nationales, grand quadrilatère regroupant au coeur de Paris les hôtels de Soubise et de Rohan, autour de grands jardins dont j'annonce que désormais ils seront ouverts au public.
La Maison de l'Histoire sera dotée d'un collège scientifique d'un très haut niveau. Deux étapes vont symboliser sa naissance, je veux qu'au printemps prochain, cher Frédéric, les jardins soient ouverts au public -- ces grands jardins sont fermés depuis des décennies ! -- et je fixe comme objectif au Ministre de la Culture, qui est un homme de défi, la réalisation d'une première grande exposition dès la fin de l'année 2011. Naturellement, j'aurai l'occasion de recevoir les historiens pour parler de la Maison de l'histoire, vous voyez que c'est un projet extrêmement important.
Je voudrais terminer mon propos en vous disant deux choses, la première c'est que la crise est une occasion pour un pays de s'ouvrir et de prendre des initiatives. Ce n'est jamais bon signe, un pays qui se recroqueville sur lui-même et qui arrête de prendre des initiatives. La crise ne doit pas nous faire renoncer, mais au contraire, la réponse à la crise, ce sont des projets, c'est comme cela que l'on prépare l'avenir.
Et enfin, je voudrais vous dire combien cette journée comptera pour nous, pour Carla comme pour moi, l'accueil de Montignac, l'accueil des habitants de ce département, le travail des archéologues passionnés que vous êtes, vous m'avez fait visiter ce Musée de la Préhistoire, avec les yeux qui brillent quand vous expliquez ce que vous faites, la sensibilité de la conservatrice de Lascaux, la passion d'hommes et de femmes qui y ont consacré toute leur vie, et on voit que s'ils avaient six vies, ils en referaient la même chose, en en faisant encore plus. Eh bien, moi, je me sens proche des gens passionnés, et je comprends parfaitement toutes les demandes, de tous ceux qui disent, on va en faire plus, parce que ce que l'on fait, c'est très important. Je trouve que ce fut l'occasion, cette journée, de rencontres passionnantes.
Je vous remercie infiniment de votre attention et de votre déplacement.
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