28 avril 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, à Xinhua (Agence Chine nouvelle) le 28 avril 2010, sur les relations franco-chinoises et euro-chinoises et sur la nouvelle gouvernance mondiale.

QUESTION - Monsieur le Président, c'est votre quatrième visite en Chine, comment évaluez-vous le développement des relations entre la France et la Chine ? Dans quels domaines les deux pays doivent-ils approfondir leur coopération et renforcer leurs échanges dans l'avenir ?
LE PRESIDENT - Le partenariat entre nos deux pays est global et il est stratégique. Global, parce qu'il recouvre tous les volets de notre relation £ stratégique, parce que la Chine est devenue un acteur absolument incontournable sur la scène internationale. Il n'y a plus un grand sujet aujourd'hui que nous ne puissions traiter sans vous. Nous avons besoin de la Chine pour faire face aux grands défis du XXIème siècle, qu'il s'agisse de la lutte contre le réchauffement climatique, de la crise économique, de la réforme de la gouvernance mondiale ou encore des grandes crises régionales. Sans vous, nous n'y arriverons pas. La France a été pionnière il y a plus de 45 ans lorsqu'elle a fait, déjà, le pari de la Chine en reconnaissant parmi les premières la République Populaire de Chine. Ce pari de la Chine, il conserve pour moi plus que jamais tout son sens : c'est la raison pour laquelle j'ai fait du renforcement du partenariat franco-chinois une priorité de notre politique étrangère. Il y a eu entre nos deux pays des incompréhensions. Elles sont aujourd'hui derrière nous.
Vous me demandez quels sont les domaines où nous devons plus particulièrement renforcer nos échanges. Ensemble, Français et Chinois, nous voulons continuer à développer notre relation dans toutes ses dimensions : sur le plan politique et diplomatique d'abord, en approfondissant notre dialogue sur tous les grands enjeux internationaux £ sur le plan économique ensuite, en favorisant le développement des échanges et des coopérations industrielles entre nos deux pays, mais aussi en ouvrant de nouveaux champs de coopération, comme nous le faisons de plus en plus en matière de développement durable, qui est aujourd'hui une priorité du partenariat stratégique franco-chinois. Nous voulons également développer nos échanges sur le plan humain, en favorisant la mobilité des étudiants par exemple, et approfondir notre coopération scientifique, dans le domaine de la formation ou la culture.
Vous le voyez, notre ambition est grande. Elle est à l'image de l'amitié ancienne et profonde qui unit nos deux peuples £ et elle est à la mesure des défis auxquels nous sommes confrontés dans le monde du XXIème siècle. C'est le sens de ma visite et de celle que le Président Hu effectuera en France avant la fin de l'année. L'une et l'autre permettront de faire franchir au partenariat franco-chinois de nouvelles étapes décisives.
QUESTION - Vous assisterez à la cérémonie d'ouverture de l'Exposition universelle de Shanghai 2010, quelle exposition attendez-vous ? Quelle image la France y présentera-t-elle au monde à travers ses pavillons ?
LE PRESIDENT - Laissez-moi d'abord vous dire combien je suis heureux que la Chine accueille cette année cet événement planétaire qu'est l'Exposition universelle. Depuis le premier jour, la France a pleinement soutenu la candidature de Shanghai £ nous avons même fait campagne activement pour votre pays. La France a aussi été le premier pays à répondre positivement à l'invitation des autorités chinoises à participer à Shanghai Expo. Vous l'avez compris, le choix de la Chine, le choix de Shanghai, étaient pour nous quelque chose de très important £ c'est la raison pour laquelle j'ai tenu à assister personnellement à la cérémonie d'ouverture.
Je sais que les autorités chinoises ont énormément travaillé pour que cette manifestation soit un immense succès et je ne doute pas qu'elle le sera. En prenant pour thème « Meilleure ville, meilleure vie », vous avez choisi de faire de Shanghai 2010 un événement résolument tourné vers l'avenir. Alors que le nombre de citadins ne cesse de croitre dans le monde, les questions liées au développement de la ville, à sa transformation, à l'évolution du cadre de vie ou encore à la relation entre la ville et son environnement, sont absolument centrales. Comment pouvons-nous faire évoluer la ville pour l'adapter aux nouveaux besoins mais aussi aux nouveaux défis, en particulier la protection de l'environnement ? Comment repenser le rapport entre la ville et la nature, qui ne doivent plus s'opposer, mais au contraire se conjuguer ? Ces réflexions, aussi passionnantes qu'elles sont nécessaires, seront au coeur de cette exposition universelle et je veux rendre hommage aux organisateurs de Shanghai 2010 qui ont fait ce choix à la fois lucide et audacieux.
Quelle image la France donnera-t-elle à Shanghai Expo ? Une image fidèle à ce qu'elle est, à ce qui fait sa richesse et sa diversité : celle d'un pays attaché à sa culture, mais résolument tourné vers l'avenir, vers la modernité, vers l'innovation £ celle d'une nation fière de son identité, de son art de vivre, mais ouverte sur le monde et sur les autres. C'est tout cela que le Pavillon français, conçu par l'un de nos meilleurs architectes, Jacques Ferrier, incarne avec beaucoup d'élégance.
QUESTION - Le dernier sommet de l'Union européenne a mis l'accent sur la coordination économique entre ses pays membres, dans le contexte d'une construction européenne qui s'approfondit sur les plans politique et diplomatique. Quels sont vos commentaires concernant le processus d'intégration de l'Union Européenne ? Comment voyez-vous les relations entre l'Union européenne et la Chine ?
LE PRESIDENT - L'Union européenne, on l'oublie parfois, c'est d'abord un miracle. Après des siècles d'affrontements et deux guerres mondiales, durant lesquelles les puissances européennes s'étaient combattues avec une violence inouïe, nous, les Européens, avons décidé de tourner définitivement la page des guerres et des déchirements, pour construire ensemble notre avenir. Cela peut paraître évident aujourd'hui, mais ça ne l'était pas à l'époque. Et depuis plus de cinquante ans, nous n'avons cessé de renforcer les liens qui nous unissent. D'abord économique, l'Europe est devenue politique. Ensemble, nous avons inventé cette construction originale, unique, dans laquelle des Etats, des nations souveraines définissent ensemble des politiques communes, des projets communs, une destinée commune, sans rien sacrifier de leur identité, de leur singularité. Ce que nous avons fait, aucun autre continent, aucune autre région du monde ne l'a fait. L'Union européenne n'a tout simplement pas d'équivalent dans le monde.
Avec le traité de Lisbonne, qui est entré en vigueur le 1er décembre dernier, l'Union a enfin réglé la question de ses institutions. Maintenant, nous avons les moyens nécessaires pour agir de manière beaucoup plus efficace. C'est ce que nous allons faire, notamment dans le domaine économique et dans le domaine commercial. C'est ainsi que nous sommes en train de mettre en place un véritable gouvernement économique européen. L'Europe va prendre toute sa place dans le monde. Une chose est sure : aujourd'hui plus que jamais, l'Europe a conscience qu'elle n'est forte que lorsqu'elle est unie. Aujourd'hui plus que jamais, l'Europe a conscience de sa puissance et de son rôle dans le monde.
Quant aux relations entre l'Europe et la Chine, elles sont fondamentales. Elles le sont sur le plan économique bien sûr, où les échanges entre nos deux grandes économies n'ont cessé de se renforcer au cours des dernières années, mais elles le sont aussi sur le plan politique. Depuis un peu plus de dix ans, nous avons mis en place un partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Chine. Le dialogue stratégique lancé en 2005 a également marqué une étape supplémentaire dans le développement du partenariat euro-chinois, mais aujourd'hui, je crois que nous devons aller encore plus loin, en approfondissant encore notre concertation sur tous les grands dossiers internationaux et en donnant à notre coopération un contenu plus concret, plus opérationnel. L'Europe et la Chine doivent davantage travailler ensemble, notamment pour organiser la globalisation.
QUESTION - Dans la période post-crise, certains signes de reprise semblent marquer la fin de la récession mondiale, quelle est votre analyse de la situation économique mondiale ? Vous appelez, aux Etats-Unis comme au Forum de Davos en Suisse, à réformer la gouvernance mondiale et la régulation financière. Quel nouveau modèle concevez-vous pour la gouvernance mondiale ?
LE PRESIDENT - Nous ne sommes pas encore complètement sortis de la crise, même si le pire est probablement derrière nous. Aujourd'hui, tous les indicateurs montrent que l'économie mondiale repart. C'est une bonne nouvelle, mais cela ne doit pas nous empêcher de tirer toutes les leçons de cette crise, pour que les mêmes causes ne produisent plus jamais les mêmes effets. Nous devons mettre définitivement fin aux comportements irresponsables qui nous ont menés au bord du gouffre. C'est pour cela que nous avons créé le G20 et c'est pour cela que nous avons engagé une réforme sans précédent du système financier international.
Dans le domaine de la régulation financière d'abord. Les sommets de Washington, Londres et Pittsburgh ont permis des avancées historiques. Les mesures que nous avons adoptées lors de ces trois sommets étaient tout simplement inimaginables il y a encore un an et demi : encadrement de tous les établissements financiers, y compris les agences de notation et les « hedge funds » qui échappaient jusque là à tout contrôle £ développement sans précédent de la lutte contre les paradis fiscaux £ encadrement des rémunérations, en particulier des bonus des traders, qui ne doivent plus encourager à une prise de risque excessive. Nous avons également lancé la réforme des normes comptables et prudentielles, qui n'avaient pas permis d'empêcher la crise et en avaient même accentué les effets.
Sur tous ces sujets, nous devons poursuivre nos efforts dans la perspective des prochains G20 à Toronto et à Séoul. D'abord, en s'assurant que les décisions qui ont été prises sont bien mises en oeuvre et que les réformes engagées sont poursuivies. Ensuite, en s'assurant que nos stratégies de croissance sont coordonnées. Cela impliquera d'avoir le courage de parler d'un certain nombre d'éléments qui renforcent aujourd'hui les déséquilibres mondiaux, je pense par exemple à la question du prix des matières premières, ou à celle du système monétaire international. Nous devons pouvoir discuter de ces sujets, mais nous devons le faire de manière ouverte, constructive, en en faisant des thèmes de coopération plutôt que de confrontation. C'est dans notre intérêt à tous. Je souhaite que la présidence française du G8 et du G20, en 2011, permette d'avancer sur toutes ces questions.
Le G20 a également engagé la rénovation des instruments de la gouvernance économique, en particulier celle des grandes institutions financières internationales que sont le FMI et la Banque mondiale. Ce mouvement aussi doit être prolongé et amplifié £ il n'est que la première étape d'une réforme plus globale de l'ensemble de la gouvernance mondiale, qui ne peut plus attendre. Nous sommes au XXIème siècle et nous fonctionnons avec les institutions du XXème siècle, tout le monde voit bien que cela ne peut plus marcher. La gouvernance mondiale doit être réformée pour tenir compte des nouvelles réalités et des nouveaux équilibres du monde, en particulier en donnant la place qu'elles méritent aux grands puissances émergentes, au premier rang desquelles la Chine, bien sûr, mais aussi l'Inde, le Brésil ou encore l'Afrique du Sud. C'est pour cela que la France a voulu la création du G20 et plaide avec force pour une réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies.
QUESTION - Au fur et à mesure de la mondialisation économique, les marchés émergents représentés par les « BRIC » jouent un rôle de plus en plus important sur la scène internationale, quelles sont vos réactions à ce phénomène exceptionnel ? Pour les Etats européens, y compris la France, la mondialisation économique représente-elle un défi ou une opportunité ?
LE PRESIDENT - Je n'ai jamais été de ceux qui craignaient l'émergence des nouvelles puissances que sont la Chine, l'Inde, la Russie ou encore le Brésil. Je crois au contraire que votre développement, comme celui de tous les grands pays émergents, est une chance pour le monde.
Je l'ai toujours dit : la Chine, l'Inde, le Brésil, vous n'êtes pas les grandes puissances de demain £ vous êtes déjà des grandes puissances. Tant mieux, car vous avez beaucoup à apporter au monde. Au XXIème siècle, il est tout simplement illusoire d'espérer pouvoir faire face aux défis immenses auxquels notre monde est confronté sans vous. Voilà pourquoi la réforme de la gouvernance mondiale est une nécessité et une urgence.
Mais le statut de grande puissance implique aussi plus de responsabilités, dans tous les domaines : politique, économique, environnemental, sécuritaire, etc. Et je fais confiance aux dirigeants de ces pays, pour prendre la pleine mesure de la responsabilité qui leur incombe désormais dans la marche du monde.