11 novembre 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur l'amitié franco-allemande, à Paris le 11 novembre 2009.

Madame la Chancelière d'Allemagne,
Votre présence parmi nous en ce jour du 11 novembre est un geste exceptionnel d'amitié dont chaque Français mesure la portée.
Il y a quelques instants nous avons ranimé ensemble la flamme qui brûle sur le tombeau du soldat inconnu prolongeant le geste du Chancelier Kohl et du Président Mitterrand à Douaumont il y a 25 ans.
Il n'y a plus en France aucun survivant des Combattants de la Grande Guerre. Le dernier est mort l'année dernière. Il était né dans le nord de l'Italie. A dix ans, il s'était fabriqué lui-même une paire de chaussures pour partir en France, à pieds. Quand la guerre avait éclaté il avait 16 ans. Il s'était engagé en trichant sur son âge. « J'étais Italien, dira-t-il plus tard, mais je voulais défendre la France qui m'avait accueilli. C'était ma manière de dire merci ».
Son nom restera parce qu'il fut le dernier. Mais il était un parmi des millions, connus ou inconnus, qui pendant quatre ans se sont battus dans la boue infecte des tranchées, accablés de fatigue, la peur au ventre, tuant pour ne pas être tués.
Au milieu d'une folie meurtrière dont aucun n'était responsable mais qui les entraînait tous, il y eut des coeurs purs, des gestes admirables, des actes de bravoures. Ils étaient des millions d'hommes ordinaires qui se sont comportés en héros. Ils ont tenu au milieu des pires épreuves. La discipline et l'instinct de survie n'expliquent pas tout. La plupart d'entre eux avaient, chevillé au corps, l'amour de leur pays. La France ne peut pas oublier ceux qui lui ont fait le sacrifice de leur vie. Et pas simplement ceux qui sont morts au combat et dont les noms sont gravés sur le monument aux morts du plus humble de nos villages, mais aussi tous les autres, tous ceux qui sont revenus portant dans leur corps et dans leur âme la trace ineffaçable de douleurs indicibles : je pense à la foule innombrable des mutilés, des défigurés, des gazés, de ceux qui toute leur vie ont été hantés par le souvenir des morts piétinés au moment de l'assaut, des cris atroces des blessés abandonnés entre les lignes, des visages des camarades, des amis, des frères fauchés par la mitraille.
Avec le dernier poilu, s'est éteint le dernier témoin qui pouvait encore crier avec la force si grande qu'ont les vrais cris de souffrance : « plus jamais cela ! ».
C'est quand tous les témoins ont disparu qu'il faut prendre garde que l'Histoire ne tue pas le souvenir.
Si nous sommes ici, c'est parce que, pendant si longtemps, le 11 novembre a été chaque année, pour tous les survivants, la journée du souvenir, c'est parce que, chaque année, des anciens combattants, de moins en moins nombreux, sont venus se recueillir devant cette tombe, non pour célébrer leur gloire passée mais pour que nul n'oublie où peut mener la folie des hommes.
Si nous sommes ici, c'est pour continuer, continuer après eux...
Si nous sommes ici, c'est parce que nous le leur devons. C'est parce que nous le devons à nos enfants.
En ranimant ensemble la flamme du Souvenir nous avons exprimé symboliquement, Madame la Chancelière, la volonté commune de nos deux peuples de garder à jamais vivant ce souvenir dans nos coeurs. Car en ce 11 novembre nous ne commémorons pas la victoire d'un peuple contre un autre mais une épreuve qui fut aussi terrible pour l'un comme pour l'autre. Je veux dire que les orphelins allemands ont pleuré leurs pères morts au combat de la même manière que les orphelins français. Je veux dire que les mères allemandes ont éprouvé la même douleur que les mères françaises devant le cercueil de leurs fils tombés au champ d'honneur.
On mesure ce que cette guerre avait d'absurde et de suicidaire en songeant aux fils et aux mères qui ont tant pleuré de part et d'autre du Rhin, aux garçons de 20 ans fauchés dans tout l'éclat de leur jeunesse, aux fusillés pour l'exemple qui attendent encore qu'on leur rende justice, aux « malgré nous », alsaciens et lorrains, placés par les vicissitudes de l'histoire entre deux patries et qui se battaient avec un uniforme allemand et un coeur français, et dont le drame restera à jamais l'un des plus poignant de notre histoire commune.
C'est en songeant à tous ceux-là que nos deux peuples après s'être tant combattus et avoir tant souffert ont compris que pour en finir avec le malheur, ils devaient se tendre la main.
L'amitié franco-allemande est scellée par le souvenir du sang allemand et du sang français mêlés pour l'éternité à la terre de Verdun, du Chemin des Dames, ou des rives de la Meuse. Et quand on va, à Douaumont, du cimetière français au cimetière allemand, dans le lourd silence de ces lieux où dorment tant de morts, on parcourt dans sa tête le chemin qui mène de la guerre à la Paix.
Cette paix nous n'avons pas su la faire en 1918, non seulement parce que les vainqueurs manquèrent de générosité mais aussi parce qu'ils refusèrent de voir le destin tragique qui les liait aux vaincus et que l'indicible horreur de la guerre venait de révéler.
Alors cette paix nous la construisons depuis le jour où nos deux peuples ont décidé ensemble de faire l'Europe. Alors, et alors seulement, ils mirent un terme à l'engrenage fatal de la guerre civile européenne, fidèles enfin aux valeurs de civilisation qu'ils ont en partage et qui ont fait dans l'Histoire la grandeur de l'Allemagne et la grandeur de la France.
Cela fait presque un demi-siècle qu'ensemble nous construisons l'avenir, chacun d'entre nous aimant son pays d'un amour sincère et profond mais refusant désormais de confondre l'amour de son pays avec la haine de l'autre.
Nous partageons les mêmes valeurs, la même ambition pour l'Europe, la même monnaie. Dès lors il est naturel que s'organise l'association de plus en plus étroite de nos politiques allemandes et françaises.
L'amitié de l'Allemagne et de la France est un trésor. Nous devons à nos parents qui ont tant souffert de la confrontation entre nos deux pays, comme nous le devons à nos enfants, de tout faire pour préserver et faire fructifier ce trésor.
Nous le devons aussi aux peuples d'Europe. Nous le devons à tous les peuples du monde.
Quand l'Allemagne et la France proposent ensemble, agissent ensemble, l'Allemagne et la France, alors, accomplissent de grandes choses.
Les mots que le Général De Gaulle adressa jadis au Chancelier Adenauer n'ont pas vieilli : « Sans rien oublier du passé, nos deux peuples ont décidé de regarder ensemble vers l'avenir ».
Et cette petite flamme qui brûle sous cet arc n'est pas simplement pour nos deux pays la flamme du souvenir, c'est aussi, ce matin la flamme de l'espérance.
Madame La Chancelière, en acceptant l'invitation de la France, vous avez fait ce matin, un geste historique qui honore la France, qui honore les Français. Vous êtes reçue ce matin, Madame, comme une grande amie de la France.
Vive la France, vive l'Allemagne, vive l'amitié entre nos deux pays qui, plus jamais, ne devront connaître la guerre.