16 juillet 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la politique maritime de la France, Le Havre le 16 juillet 2009.


Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Je suis venu aujourd'hui au Havre réparer un oubli historique. L'oubli trop long qu'a fait la France de sa vocation maritime. Comment avons-nous pu oublier que notre pays possède le deuxième territoire maritime mondial derrière les Etats-Unis : 11 millions de km2, vingt fois le territoire métropolitain, une superficie supérieure à celle de la Chine ou du Canada tout entier ? Pourquoi avons-nous délaissé si longtemps de grands ports internationaux tels que Le Havre bien sûr, mais aussi Marseille, Bordeaux, Saint-Nazaire, Toulon, Dunkerque... tous idéalement placés pour desservir l'Europe et le monde sur plusieurs façades maritimes ? Comment est-il possible que nous ayons négligé à ce point la diversité et la richesse incomparables de nos espaces maritimes outremer ? Comment oublier plus longtemps encore notre présence stratégique sur les trois océans de la planète, dans les deux hémisphères et jusqu'au pôle sud, sur le continent Antarctique.
C'est vrai, la France a beaucoup d'intérêts sur la terre et beaucoup de liens au continent pour se tourner spontanément vers la mer. Il lui faut une volonté politique permanente pour aller vers l'océan, pour y projeter une ambition. Le Havre, qui doit sa naissance à la volonté de François Ier et son développement à celle de Richelieu, le sait bien. Je suis venu vous dire que la France devait cesser d'ignorer le formidable destin maritime qui peut être le sien.
Dans sa vocation maritime, la France a certainement souffert d'avoir une grande capitale terrestre, continentale, abritée du vent du large, et à l'écart des courants d'échange maritimes. Mais nous pouvons et nous devons faire du Grand Paris une véritable métropole maritime. Pour cela, nous devons tisser un lien nouveau à travers cette magnifique vallée de la Seine, entre une vieille capitale fluviale, Paris, dont le blason ne porte pas une nef par hasard, et ses deux ports traditionnels que sont Rouen et Le Havre. "Paris - Rouen - Le Havre, une seule ville dont la Seine est la grande rue" disait déjà Napoléon Bonaparte en 1802. Au-delà du lien fluvial, il convient d'imaginer à présent un transport rapide, un TGV, qui reliera Paris au Havre par Mantes et Rouen en une heure et quart, et qui profitera également aux deux régions Normandie. Cette liaison à grande vitesse sera l'un des axes majeurs du Grand Paris. Nous l'ajouterons donc, je le dis à Jean-Louis Borloo, au programme d'investissements ferroviaires du Grenelle de l'Environnement.
Nous devons reconstruire une politique et une ambition maritimes pour la France, autour des nouveaux enjeux, ceux d'une planète dont les ressources s'épuisent, ceux aussi d'une planète qui redécouvre ses énergies renouvelables, ceux d'une planète mondialisée qui respire par le commerce international. Notre avenir dépend de la mer, en tant que ressource, en tant qu'écosystème et en tant que lieu d'échanges. Et l'avenir de la mer sur notre planète dépend aussi de l'attitude de la France. Je veux donc que notre Nation soit désormais à la hauteur de ses responsabilités et de ses opportunités de très grande puissance maritime, pour les Français d'aujourd'hui, mais aussi pour tous les hommes et toutes les femmes de demain. Là comme sur le climat ou sur la préservation de la biodiversité, nous sommes la dernière génération qui ait la capacité pleine et entière d'agir. Agir, avant qu'il ne soit trop tard. C'est à l'aune de cette responsabilité insigne que nous serons jugés par nos enfants et par les générations à venir.
La France doit tout d'abord s'ouvrir à nouveau sur les mers qui la bordent. Elles lui offrent un accès exceptionnel aux peuples et aux richesses du monde.
Dès 2007, un mois après mon entrée en fonctions, j'ai souhaité que notre pays commence par mettre fin au déclin programmé du premier outil de son ouverture maritime : ses ports. Il était insensé qu'avec des ports comme Le Havre, le premier port d'Europe du Nord touché par les navires venant du reste du monde, et Marseille, le port le mieux placé de Méditerranée pour accéder au centre de l'Europe, la France perde constamment des parts de marché dans le trafic maritime. Insensé, qu'un pays maritime importe les deux tiers de ses conteneurs par des ports étrangers. Insensé, que le trafic mondial de conteneurs augmente chaque année de 10 % et le trafic français de 1 % seulement.
J'ai donc demandé à Dominique Bussereau de travailler, avec Jean-Louis Borloo, à une réforme en profondeur de l'organisation de nos ports. Jusqu'à présent, le docker qui déplace les boîtes horizontalement n'avait pas le même patron que le grutier qui les déplace verticalement. Je n'ai même pas besoin d'expliquer la désorganisation et les dysfonctionnements qui en résultaient. Le résultat, c'est qu'on déchargeait 4 fois plus de marchandises par mètre de quai à Anvers qu'au Havre, et que les grues étaient deux fois plus utilisées à Anvers qu'à Marseille. De surcroît, la manutention portuaire était privée des capitaux, des technologies, de la compétence industrielle des grands opérateurs qui investissaient dans tous les ports du monde, sauf en France. Je le dis aujourd'hui : cette époque est terminée. La loi du 4 juillet 2008 y a heureusement mis fin.
Les grands ports maritimes ont réformé leur gouvernance et ont tous adopté un plan stratégique ambitieux. Les outillages portuaires sont en voie de cession à des opérateurs industriels performants et le commandement sur les quais va être unifié. Un plan d'investissements d'une ampleur inégalée est en cours : 2,4 milliards d'euros d'investissements seront réalisés d'ici 2013, avec un effort de plus de 500 millions d'euros de l'Etat. Nous devons faire les plates-formes multimodales qui sont l'interface mer-fer-fleuve dont nos ports ont besoin. Nous devrons aussi faire, dans les lieux qui s'y prêtent le mieux bien sûr, les terminaux méthaniers qui sont critiques pour la sécurité énergétique européenne, car ils diversifient nos sources d'approvisionnement.
L'objectif de cet effort massif pour les ports, je le répète, c'est de doubler la part de marché des ports français dans les conteneurs, pour la porter à 12 % du marché européen. Ce n'est après tout que notre part dans les importations européennes et la même part de marché qu'en 1992. Cela n'a donc rien d'impossible.
L'avenir de nos grands ports se joue aussi à terre. Il n'est pas admissible que Le Havre n'évacue que 9 % de ses conteneurs par le fer contre 38 % à Hambourg. C'est une absurdité environnementale mais c'est aussi un frein au développement du Havre. Je veux qu'on leur donne des transports massifiés puissants, rapides et réguliers vers les marchés du centre du continent européen. Ce sont des investissements lourds : il faut réaliser une liaison fret nouvelle vers Paris et vers l'Est de la France. C'est vital pour le Havre. Il faut creuser le canal Seine-Nord-Europe - le premier canal en France depuis la seconde guerre mondiale - pour ouvrir la vallée de la Seine et le Grand Paris, vers l'Europe du Nord.
Mais nous ferons encore plus et plus vite par la qualité de service que par les investissements. Qualité de service des opérateurs de fret ferroviaire, qui doivent se réorganiser pour gagner des parts de marché, à commencer par le plus grand d'entre eux : la SNCF. Qualité de service de Réseau Ferré de France, qui ne doit plus supprimer des sillons fret à la dernière minute sans de lourdes pénalités, qui doit enfin prendre des engagements de qualité crédibles. Dans quel métier du transport supprime-t-on des liaisons sans préavis et sans indemnisation ? Comment s'étonner que le fret ferroviaire décline en France quand ni RFF ni les opérateurs ne sont capables de s'engager sur la fiabilité ?
A l'issue du Grenelle de l'Environnement, notre pays s'est donné un objectif central pour guider notre politique de transports durables : porter le transport non routier de 14 % des marchandises, où il se trouve aujourd'hui, à 25 % d'ici à 2022. L'un des combats clés, je viens de le rappeler, se livrera sur le rail et à la sortie de nos grands ports de commerce. Le transport maritime français devra aussi en prendre toute sa part, en particulier grâce aux autoroutes de la mer, auxquelles il faut donner maintenant une réalité.
Une grande réforme et un grand plan d'investissements pour les ports et les transports maritimes, ce sont des choix de priorités et des décisions politiques difficiles. Ce sont des actes qui démontrent qu'une grande ambition maritime est possible. Nous avons agi pour que la France retrouve sa présence sur les océans et son ouverture sur la mer. Et nous allons continuer.
Depuis avril dernier, Jean-Louis Borloo a lancé une démarche que je trouve absolument remarquable, celle du Grenelle de la Mer. Sur la base de la méthode originale du "dialogue à cinq", que nous avons inventée pour le Grenelle de l'Environnement, l'Etat, les collectivités locales, les syndicats, les entreprises et les ONG se sont réunis pour élaborer plus de six cents propositions concrètes en lien avec la mer. Je veux féliciter et saluer l'engagement de tous ceux qui ont participé à cette aventure, à Paris, en région, Outre-Mer. Ces propositions sont d'une extraordinaire richesse. Merci à tous. Vous n'avez pas travaillé en vain.
Nous allons nous appuyer sur les travaux du Grenelle de la Mer pour rédiger un "Livre bleu" qui définira la stratégie maritime française. Ce "Livre bleu" sera validé par un comité interministériel de la mer, un CIMER, d'ici à la fin de cette année. Il sera d'ailleurs plus que temps de réunir cette instance : le dernier CIMER s'est tenu le 16 février 2004, il y a déjà plus de cinq ans. Certes, ce ne sont pas les organes qui font les bonnes politiques, sans quoi, en France, avec tous les organismes administratifs que nous avons, nous aurions assurément les meilleurs politiques du monde. Mais la gouvernance d'un sujet aussi vaste et décisif que celui de la mer est de première importance.
Il faudra, d'ailleurs, réfléchir, sans créer pour autant une structure nouvelle, à instituer un suivi permanent de cette stratégie maritime que nous allons arrêter, en association avec tous ceux qui ont contribué à la réussite du Grenelle de la Mer. Cette instance pourra aussi poursuivre la réflexion sur certains points et sur certains espaces complexes et fragiles, comme le littoral, cette "délicate rencontre de la terre et de la mer", ainsi que le Grenelle de la Mer l'a qualifié très justement. D'ici à 2020, 70 % de la population mondiale vivra dans une bande de 100 kilomètres le long des mers. Sans une réflexion globale sur nos zones côtières, du sommet des montagnes et depuis la source des fleuves, l'attraction puissante qu'exercent les littoraux sur l'humanité conduira demain à une catastrophe écologique majeure.
Je voudrais vous livrer d'ores et déjà quelques orientations qui m'apparaissent stratégiques pour la politique maritime de notre pays, dans les décennies à venir.
Dans un monde en quête perpétuelle pour sa subsistance alimentaire, pour son approvisionnement énergétique, pour sa fourniture en matières premières, la mer concentre l'attention des hommes, sinon leur convoitise. Dans la logique d'hier, tout ce qui était protégé de toute exploitation ou sanctuarisé, était forcément retiré, soustrait aux hommes. Le développement durable auquel je crois, c'est l'inversion de cette logique folle, qui laisse finalement le choix entre la décroissance et le pillage des ressources. Je refuse l'un et l'autre, avec la même force. C'est aussi ce que je retiens du Grenelle de la Mer : non pas de protéger pour protéger, non pas d'exploiter sans borne ni mesure, sans souci du lendemain, mais protéger les ressources naturelles de la mer pour mieux les exploiter de manière durable. C'est la première orientation stratégique que je veux retenir.
C'est particulièrement vrai des ressources naturelles vivantes de nos océans. Là plus qu'ailleurs, le choix n'est pas aujourd'hui celui de pêcher ou de protéger, mais toujours de protéger pour mieux pêcher. Le compromis historique que je souhaite aujourd'hui sur l'exploitation des ressources halieutiques, ce n'est pas l'association bancale de deux demi-mesures : on pêche un peu moins et on protège à peine mieux la ressource. Car alors on mécontente tout le monde, sans rien régler pour l'avenir. La vérité, nous la devons aussi bien aux gens de mer d'aujourd'hui, qu'aux générations de demain.
Je veux défendre une pêche responsable et de haute qualité dans notre pays. C'est le sens du combat que j'ai mené avec le gouvernement dès 2007 en réponse à la flambée des prix du pétrole. En janvier 2008, j'ai annoncé la mise en place d'un plan pour une pêche durable et responsable pour ce secteur. Aujourd'hui, les engagements que j'avais pris au Guilvinec ont été tenus. Avant la fin de cette année, 300 millions d'euros auront été consacrés en deux ans au financement d'une pêche pour optimiser la gestion de la ressource halieutique, pour renforcer l'attractivité du secteur de la pêche et favoriser l'installation de jeunes marins, pour favoriser un développement économique durable de la pêche française, et renforcer la sécurité des pêcheurs. Cet effort financier au service d'une pêche durable est sans précédent.
Je veux une pêche qui fasse vivre dignement les hommes qui la pratiquent. Une pêche qui continue de procurer demain des emplois aux enfants des pêcheurs d'aujourd'hui. Une pêche qui ne soit pas une nostalgie ou une relique du passé. Une pêche qui ne soit plus le métier le plus dangereux du monde, en payant le tribut d'un mort pour mille marins. Le monde de la pêche offre, chaque jour, les plus merveilleux exemples de la solidarité, du courage et du travail humain. Les valeurs de ces hommes continueront longtemps d'inspirer le respect, bien au-delà des ports, du littoral et de nos côtes. Car chacun sait la force et le caractère qu'il faut pour quitter sa famille et s'embarquer à 4h du matin. Je n'accepterai jamais que la pêche disparaisse dans notre pays. C'est précisément pour cette raison qu'il nous faut toujours refuser de laisser disparaître les ressources naturelles de la mer.
Je veux saisir le compromis qui a pu se dégager du Grenelle de la Mer. La France protège aujourd'hui moins de 1 % de son espace maritime. D'ici à 2012, j'entends que les aires marines protégées s'étendent jusqu'à représenter 10 % de ce territoire. D'ici à 2020, ces aires marines protégées devront atteindre 20 % des 11 millions de km2 de mers placés sous la souveraineté de la France. Et j'escompte que la moitié de cette étendue soit constituée sous la forme de réserves et de cantonnements de pêche à définir avec les pêcheurs, les scientifiques et les acteurs locaux. C'est là que sera préservée la biodiversité marine. C'est là que pourront se reconstituer les ressources qui permettront demain à la pêche de se perpétuer dans notre pays.
En 2020, le réseau des aires marines protégera donc plus de 2 millions de km2 d'océans et de mers sous souveraineté française. Ce réseau de protection s'étendra aussi bien le long de ses côtes de métropole notamment en Méditerranée, qu'à travers tout l'outre-mer français : des Antilles, à la Nouvelle Calédonie et à la Polynésie. Ce réseau complétera en mer, la trame verte et bleue créée par le Grenelle de l'Environnement sur la terre, sans oublier la "trame bleue marine", si chère à Isabelle Autissier. Ce que nous allons faire avec cet objectif en matière de protection marine, aucun autre Etat dans le monde ne l'a jamais fait. Cet exemple que la France va donner, ouvrira la voie à un mouvement sans précédent de préservation des océans, de reconstitution des ressources halieutiques et de sauvegarde de tous ceux qui vivent et dépendent chaque jour de la fertilité des mers.
Des demandes de moratoires ont été exprimées au cours du Grenelle de la Mer, au nom du principe de précaution. C'est vrai, nous connaissons encore trop peu et trop mal la vie que recèlent les océans de la planète. Il est vrai aussi que les indices d'un épuisement des réserves naturelles marines s'accumulent. Enfin, il est vrai que les menaces concernant l'existence de certaines espèces comme le thon rouge ne peuvent plus être ignorées. Le principe de précaution, en l'occurrence, nous dicte surtout de renforcer très rapidement la connaissance scientifique des fonds, l'exploration des mondes marins, l'évaluation des stocks et la compréhension des écosystèmes. Le principe de précaution, c'est de renforcer puissamment notre expertise scientifique sur l'état des ressources naturelles marines. Nous y consacrerons les moyens nécessaires, j'en prends ici l'engagement le plus solennel. Je souhaite que notre pays renoue avec une grande politique océanographique, en s'appuyant bien entendu sur le réseau des compétences françaises dans les sciences de la mer, mais sans jamais négliger les initiatives nouvelles, telles que par exemple la constitution d'une station océanique internationale baptisée Sea Orbiter.
Mais je veux aller plus loin : s'il faut mieux connaître, c'est pour mieux gérer. Le temps est venu, je crois, de fonder la totalité de nos décisions publiques de gestion des ressources marines sur la base d'avis scientifiques fiables, indépendants et partagés. Je demande donc au Ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche, cher Bruno Lemaire, d'engager les prochaines négociations européennes sur la réforme de la politique commune de la pêche dans le respect des avis scientifiques rendus. Voilà une rupture fondamentale que je vous propose à tous pour les années à venir. L'un des premiers points d'application de cette méthode sera le soutien de la France à l'inscription du thon rouge à l'annexe de la convention international sur les espèces sauvages, pour en interdire le commerce. Je me réjouis que le Grenelle de la Mer ait permis d'avancer vers la protection de cette espèce emblématique de la Méditerranée, demandée si longtemps par les scientifiques.
Vous le comprenez, je souhaite que nous agissions toujours pour une exploitation raisonnée et écologiquement responsable des ressources marines, y compris les matières premières minérales. La mer peut receler des gisements considérables de matières premières qui sont une richesse que notre pays ne peut pas négliger en une époque de rareté. Mais la prospection et l'exploitation de ces ressources minérales marines devra toujours s'inscrire rigoureusement dans le cadre du développement durable, ou elle ne se fera pas.
Enfin et surtout, la mer peut également être une source d'énergies nouvelles entièrement renouvelables. Je crois, pour ma part, énormément au potentiel prodigieux des énergies marines. Depuis l'usine marémotrice de la Rance, la France possède une longue expérience, sans équivalent au monde, de ce qu'il faut faire, et aussi de ce qu'il ne faut pas faire sur le plan écologique. M'exprimant sur le défi des énergies renouvelables, le 9 juin dernier, j'ai pris l'engagement d'une parité des efforts de recherche entre le nucléaire et les énergies renouvelables. Cela revient à renforcer de près de 200 millions d'euros par an les moyens de la R&D sur les énergies renouvelables, au premier rang desquelles figurent les énergies marines.
Nous devons en particulier tout miser sur les technologies émergentes, les technologies de rupture, où la France pourra faire la différence. Je pense aux éoliennes off shore et notamment aux éoliennes flottantes qui permettront d'aller chercher le vent loin des côtes, là où il est le plus fort, sans perturber les activités côtières. Je pense à l'énergie de la houle et des courants. Je pense à l'énergie thermique des mers, si bien adaptée à nos vastes eaux tropicales et équatoriales d'outremer. Je pense aussi à la biomasse marine.
L'effort d'équipement de la France en énergies marines doit enfin décoller. Le projet de loi d'application du Grenelle en cours d'examen au Parlement apportera des simplifications essentielles pour l'installation des équipements. Il faudra que tous se mobilisent pour réaliser cet investissement majeur, plus de 6000 MW, l'équivalent de 4 EPR. Je souhaite que d'ici le début de l'année prochaine une planification stratégique ait défini les zones de déploiement, afin de sécuriser les projets et de faciliter le raccordement au réseau.
Nous devons appuyer cette stratégie d'équipement en énergies renouvelables, issue du Grenelle de l'environnement, sur une véritable politique industrielle, pour développer à partir de nos besoins nationaux des filières performantes qui exporteront ensuite nos technologies dans le monde entier. Je sais que les entreprises françaises sont prêtes et mobilisées sur ce sujet.
Voilà pourquoi je souhaite qu'une grande plate-forme technologique soit mise en place sur les énergies marines, avec pour chef de file l'IFREMER. Dans un lieu à déterminer, que j'imagine dans une région littorale, il s'agira de concentrer les moyens de recherche publics et privés, et de valoriser l'innovation au profit des entreprises françaises, les grandes comme les petites. J'attends que cette plateforme technologique unique, qui peut être la première sur le plan mondial, soit constituée d'ici à la fin de cette année.
La deuxième orientation stratégique à laquelle je tiens, c'est le développement d'une politique industrielle intégrée des métiers de la mer. Les activités maritimes, de la construction navale à la navigation elle-même, en passant par l'exploitation portuaire ou la déconstruction des navires en fin de vie, constituent des gisements d'emplois qu'il nous faut non seulement préserver mais mettre à profit.
Nous avons en France deux grands constructeurs navals, les Chantiers de l'Atlantique et DCNS, et nous avons les leaders mondiaux des navires de plaisance. C'est un patrimoine de compétences considérable, aujourd'hui menacé par la violence de la crise économique. Depuis 2004, je me suis employé à préserver cet outil industriel incomparable que représentent les Chantiers de l'Atlantique. Je mettrai demain la même énergie à mobiliser l'ensemble des acteurs navals de notre pays autour d'un programme industriel ambitieux de conception et de construction des navires du futur plus sûrs et plus économes. Dans un contexte de prix durablement élevés de l'énergie, de forte pression à la réduction des émissions de CO2 et de limitation très stricte de tous les impacts sur l'environnement, la marine marchande du monde entier va devoir profondément s'adapter. Il y a là une position concurrentielle stratégique à conquérir pour nos industriels. C'est aussi le rôle de l'Etat de créer les conditions du succès d'une telle entreprise.
Je crois enfin que la France ne pourra rester une puissance maritime sans les gens de mer, sans ces hommes et femmes courageux qui ont la passion de la mer et en font leur métier. Pêcheurs, marins de commerce ou de combat, douaniers, capitaines, pilotes, mécaniciens, océanographes, nous avons besoin de vous, nous avons besoin de votre engagement, de vos compétences, de votre amour de la mer.
Pour garder ces vocations, nous devons continuer à former aux métiers de la mer et élever toujours le niveau des qualifications. Est-il fatal que notre pays continue de disperser et de cloisonner son effort de formation aux métiers maritimes au travers de quatre écoles de la marine marchande et d'une école des Affaires maritimes ? Ma conviction, c'est que la France doit avoir une école supérieure de formation maritime, qui donnera accès à un diplôme de haut niveau, un diplôme d'ingénieur de la mer qui n'existe pas à présent, et qui valorisera ces spécialités difficiles et si nécessaires.
Enfin, face aux menaces multiples qui planent sur les mers, et pour organiser, en toute sécurité, la présence des hommes sur les océans et les mers du globe, la présence forte des Etats en mer est plus nécessaire que jamais. Ma troisième orientation stratégique sera donc de renforcer résolument l'action de l'Etat en mer. Il est peu d'endroits où sa présence est plus indispensable.
Le cadre actuel de l'action de l'Etat en mer remonte aux lendemains de la catastrophe de l'Amoco-Cadiz en 1978. Il reste, je crois, bien adapté au temps de crise et aux missions de sauvetage. Pourtant, la coopération entre la Marine nationale, les Douanes, la Gendarmerie et les Affaires maritimes, qui interviennent toutes en mer, pourrait être fortement améliorée pour mieux assumer des missions qui montent aujourd'hui en puissance : la lutte contre les pollutions, le combat contre la pêche illégale, la sécurité du transport maritime, la lutte contre l'immigration clandestine outremer et contre les narcotrafics.
En venant ici, Monsieur le Préfet maritime, j'ai constaté que vous disposiez, pour la Manche et la Mer du Nord, de 27 navires de tous types issus de 5 services différents de l'Etat, sans compter la cinquantaine de canots de la SNSM. J'ai noté aussi que le dernier arrêté interministériel définissant les missions de l'Etat en mer, en recensait pas moins de 41. Je souhaite que nous franchissions une nouvelle étape de renforcement de l'action de l'Etat en mer, en créant une fonction "garde-côtes" pour organiser la mutualisation des moyens humains et matériels de toutes les administrations de l'Etat intervenant sur la mer et le littoral, autour de priorités clairement identifiées, sous l'autorité des Préfets maritimes en métropole et des préfets de zone de défense Outre-Mer.
Entendons-nous bien, il ne s'agit pas ici d'engager la fusion de ces différentes administrations. Chacune possède sa spécificité et son savoir-faire. Mais ce qui a fonctionné, dans le domaine de la sécurité intérieure pour les GIR, où il s'agissait aussi de faire travailler ensemble des administrations qui jusque là s'ignoraient, doit pouvoir être organisé dans cet espace si spécifique et si exigeant qu'est la mer. Les moyens navals et aériens sont des équipements indispensables mais terriblement coûteux pour le contribuable. En mutualisant les moyens matériels et les hommes, nous nous donnerons les marges pour renforcer au total l'effort de l'Etat sur la surveillance du littoral et des mers, dans la profondeur.
Certaines missions réclament, à l'évidence, un investissement accru. Je souhaite tout d'abord que la lutte contre les pollutions devienne une priorité absolue pour la fonction "garde-côtes" qui verra le jour. La France parce qu'elle se trouve au bord de routes maritimes les plus fréquentées au monde, est davantage menacée par le risque de catastrophe écologique et de dégazages sauvages. L'histoire nous l'a hélas enseigné à plusieurs reprises.
Sous la Présidence française de l'Union européenne, nous avons obtenu l'adoption du paquet dit "Erika III" qui renforce les exigences de sécurité et de responsabilité à l'égard des armateurs, mais aussi des Etats qui accordent leur pavillon. Pour compléter ce dispositif, j'entends que notre pays prenne une initiative nouvelle à l'égard de ceux que le président Jacques Chirac avait qualifiés très justement de "voyous des mers". Ainsi que le Grenelle de la Mer l'a proposé, je souhaite que nous développions la recherche sur les techniques de marquage des hydrocarbures qui permettraient d'en finir avec l'impunité des pollueurs.
Je souhaite, par ailleurs, que la future "fonction garde-côtes" se donne pour objectif de lutter plus activement contre la pêche illégale, sur mer et à l'arrivée des produits à terre. Le contrôle du respect des règles des pêches est une question de crédibilité internationale de notre pays. C'est aussi et avant tout, je le comprends, une véritable question de confiance tant pour les pêcheurs que les défenseurs de la nature. Lorsque les règles sont rigoureuses pour tous, il est moins admissible encore que certains parviennent à s'en exonérer. Il n'y aura aucune faiblesse à l'égard de la pêche illégale qui écume nos océans.
Pour toutes ces raisons, la France doit étendre sa maîtrise des espaces maritimes en repoussant les limites de la connaissance et de la surveillance maritime bien au-delà de nos côtes et de nos eaux territoriales. Pour ce faire, je demande que notre pays développe une politique ambitieuse de partage ouvert et sécurisé de l'information, en particulier avec nos partenaires européens, comme je m'y suis employé lors de la Présidence française de l'Union européenne.
La mise en oeuvre de notre ambition maritime nécessite finalement des actions à tous les niveaux. L'Union pour la Méditerranée, lancée il y a un peu plus d'un an, est l'enceinte régionale pertinente pour traiter de l'un des sujets les plus forts en matière de biodiversité marine : la Méditerranée. Nous voulons en faire la Mer la plus propre de la planète, nous voulons protéger ses fonds marins, nous voulons y développer les autoroutes de la mer et nous voulons renforcer la sécurité maritime. Le 25 juin dernier, la réunion ministérielle de l'UPM a permis d'identifier plus de 100 projets permettant de réduire la pollution en Méditerranée. A l'instar de ce que nous ferons avec le "Livre bleu" de la stratégie maritime française, c'est une stratégie maritime méditerranéenne intégrée qu'il faut à présent définir. Pour avancer sur cette voie, la France appellera à la réunion des ministres en charges des affaires maritimes de l'UPM dès 2010.
Plus largement, les océans sont l'exemple même d'un bien commun à l'humanité, que nous ne pourrons gérer durablement que dans un cadre mondial renforcé. La haute mer est un espace de liberté, mais ne peut être une zone de non-droit. La liberté de la haute mer ne justifie ni la piraterie, ni les navires poubelles, ni la pêche illégale. La présence de la France dans les instances maritimes internationales doit être désormais à la hauteur de ses responsabilités et de son domaine maritime, plutôt que d'abandonner le débat et la décision aux seuls défenseurs des pavillons de complaisance et de la dérégulation systématique. Je souhaite ainsi que la France ait, enfin, un ambassadeur à l'Organisation maritime internationale. Il est tout de même étonnant que l'OMI soit la seule organisation internationale où nous n'en n'ayons aucun. La première mission que je lui assignerai, sera de poser la question de l'institution d'une police des eaux internationales destinée à garantir le respect des règles essentielles à la préservation de ce patrimoine universel que sont les océans.
"Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir, tu contemples ton âme".
Charles Baudelaire l'avait bien compris, la mer nous replace toujours face à nos contradictions, face à notre conscience, face à nos responsabilités. Ma responsabilité aujourd'hui, c'est de renouer les fils d'une histoire riche, tumultueuse et millénaire entre la France et les océans. Tracer l'avenir de la France à travers une grande politique de mer, en même temps que préserver l'avenir des mers de la planète. Voilà bien l'enjeu fondamental de la nouvelle stratégie maritime que je veux pour notre pays. J'aurai besoin de chacun d'entre vous pour l'affirmer et pour la mettre en oeuvre.