10 mai 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans "Bild am Sonntag" du 10 mai 2009, notamment sur le couple franco-allemand dans la construction européenne.

1) Monsieur le Président, vous êtes à Berlin aujourd'hui (dimanche) pour une participation conjointe avec la Chancelière Angela Merkel à un meeting électoral. Pourquoi vous engagez-vous dans les européennes pour la Chancelière ?
Angela Merkel et moi partageons la même conviction : face à la crise, face à la spéculation, face aux tensions, nous avons plus que jamais besoin d'une Europe active, d'une Europe qui agit, d'une Europe qui s'affirme. Pour cela, il faut que les Européens s'engagent. La campagne européenne ne doit pas se faire sur des enjeux locaux ni même nationaux : l'enjeu est de savoir quelle Europe nous voulons.
2) Pourquoi est-ce important pour vous qu'Angela Merkel reste Chancelière au-delà de 2009 ?
Ce n'est pas à moi de me prononcer : ce sont les Allemands qui décideront. Ce qui est sûr, c'est que nous travaillons très bien ensemble et que nous formons une équipe efficace au service d'une Europe qui agit. Nous avons déjà fait beaucoup, face à la crise £ et, face au réchauffement climatique, pour que l'Europe soit exemplaire et montre le chemin.
3) Y aura-t-il une manifestation similaire avec le candidat SPD à la Chancellerie, le Ministre fédéral des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier ?
Cela n'aurait pas sens ! Si je suis ici aujourd'hui, aux côtés de la Chancelière, c'est parce que nous appartenons à la même famille politique £ c'est parce que les partis dont nous sommes issus, la CDU et l'UMP, travaillent ensemble, au quotidien, au sein du Parti populaire européen et défendent une même vision et un même projet pour l'Europe. Cela ne m'empêche pas d'avoir de la considération pour le vice-chancelier.
4) En Allemagne, l'UE est souvent perçue comme un monstre bureaucratique, qui régente la vie des citoyens et coûte cher aux Allemands. Comprenez-vous cette grogne ?
Cessons de nous plaindre et agissons. Je ne veux pas d'une Europe bureaucratique, d'une Europe impuissante, mais d'une Europe qui agit, qui défend l'intérêt de nos citoyens et de nos entreprises. Dans le monde d'aujourd'hui, face aux Etats-Unis, à la Chine, à l'Inde, à la Russie, qui peut croire que nos pays seraient plus efficaces seuls qu'unis ? L'Europe doit se battre pour que, sur son sol, se développe son industrie avec ses travailleurs et ses chercheurs, pour assurer une concurrence loyale à travers le monde. C'est une vision commune à l'Allemagne et à la France.
5) Vous intervenez à l'invitation des jeunes de la CDU. Que répondez-vous aux jeunes qui se demandent à quoi devrait ressembler l'Europe dans dix ans ?
Je leur réponds que l'Europe de demain, elle se construit dès maintenant et elle se construit avec eux. Nous avons besoin de leurs convictions, de leur énergie, de leur dynamisme. Il est fondamental que les jeunes s'engagent dans cette campagne, parce que l'enjeu de ces élections, c'est justement de décider quelle Europe nous voulons bâtir pour les prochaines années. J'ai une conviction : quand l'Europe veut, l'Europe peut. C'est ce qu'elle a montré ces derniers mois, en étant un moteur face à tous les grands défis et à toutes les grandes crises, qu'il s'agisse de la crise économique, de la crise en Géorgie, de celle à Gaza ou encore sur la question essentielle du réchauffement climatique. C'est à cette Europe là que nous croyons, Angela et moi : une Europe qui s'engage, une Europe qui agit, une Europe qui pèse. Et c'est pour elle que nous nous engageons.
6) Aura-t-on les Etats-Unis d'Europe ? ou une fédération d'Etats, allant de la Sicile à Moscou en passant par Istanbul ?
Cessons de parler d'institutions abstraites. Ce qui m'intéresse, c'est ce que l'Europe est capable de faire. Nous pesons lorsque nous sommes unis et lorsque nous savons nous décider. Cela suppose une Europe bien organisée. Voila pourquoi nous avons besoin du traité de Lisbonne. Cela suppose aussi que nous cessions de nous élargir indéfiniment. Cessons de faire des promesses vaines à la Turquie et étudions avec elle la création d'un grand espace économique et humain commun, que nous pourrions aussi proposer à la Russie.
7) Votre présence à Berlin est placée totalement sous les auspices de l'amitié franco-allemande. Qu'aimez-vous en l'Allemagne ?
J'aime le caractère chaleureux de l'hospitalité allemande. Je l'ai ressenti encore récemment à Baden-Baden, lors du Sommet de l'OTAN que nos deux pays ont organisé ensemble. J'aime la modernité de l'Allemagne, son authenticité £ j'aime son ouverture, cette capacité à se remettre en question, à se réformer, à préparer l'avenir. Et puis je me retrouve dans l'attachement de votre pays à des valeurs qui me sont particulièrement chères : le travail, l'effort, la justice et la franchise. L'amitié franco-allemande, c'est aussi la décision que nous avons prise avec Angela Merkel d'installer en France, à Strasbourg, un bataillon allemand de la Brigade franco-allemande. Les soldats allemands, nos alliés, sont les bienvenus en France.
8) La France et l'Allemagne se battent déjà côte à côte contre la crise économique et financière mondiale. Avez-vous une idée supplémentaire de ce que les deux pays pourraient mettre en oeuvre pour la combattre encore plus efficacement ?
Nous avons déjà fait énormément : en obtenant la réunion du G20, en évitant l'effondrement du système financier grâce au plan bancaire européen, en faisant des plans de relance extrêmement ambitieux et en prenant des mesures capitales pour sauver des pans entiers de notre industrie, comme l'industrie automobile. Avec Angela, nous nous sommes aussi totalement engagés au G20 de Londres, en avril, pour parvenir à des avancées absolument historiques en matière de régulation financière. Bien sûr, la crise n'est pas terminée, nous le savons, et nous sommes prêts à faire plus si la situation l'exige. Mais pour l'instant, je suis plutôt fier de tout ce que nous avons réussi à accomplir.
9) M. le Président, vous avez dit un jour « j'aime Angela Merkel », comment devons-nous comprendre cela ?
C'est tout simplement le témoignage de mon admiration pour la personnalité politique remarquable qu'elle est et, sur un plan plus personnel, de la profonde sympathie que j'ai pour elle.
10) Mme votre épouse, Carla Bruni, a même déjà invité Angela Merkel à déjeuner en petit comité dans son appartement parisien. Vous voulez bien nous dévoiler ce qui se dit lorsqu'on discute en cercle si restreint ?
Ce fut un moment exceptionnel, très amical. Nous avons pu parler de ce que nous aimons. Nous ne parlons pas toujours de politique ! Et puis, il est important de bien se connaître pour bien se comprendre. Nos parcours sont très différents et je suis fasciné par celui d'Angela : quel destin !
11) Lors du sommet de l'OTAN à Strasbourg et Baden-Baden, on a pu voir Mme Bruni et le Professeur Sauer, l'époux de la Chancelière, s'entretenir plusieurs fois de manière très animée. Est-ce que les couples Sarkozy/Bruni et Merkel/Sauer éprouvent l'un pour l'autre une amitié personnelle ?
En politique, comme au plan international, les relations humaines comptent beaucoup plus qu'on ne le croit souvent. La réconciliation franco-allemande a pu se faire parce que deux hommes d'exception, le Chancelier Adenauer et le Général de Gaulle, ont voulu surmonter les haines du passé. Puis sont venus les amitiés entre Helmut Schmidt et Valéry Giscard d'Estaing, Helmut Kohl et François Mitterrand, Gerhard Schröder et Jacques Chirac.Ma relation avec Angela Merkel s'inscrit dans cette longue et belle tradition. Il nous revient d'apporter, à notre tour, notre contribution à cette ambition sans précédent dans l'histoire de l'humanité : bâtir par la volonté librement exprimée de ses peuples, une communauté de destin associant 500 millions d'Européens. Dans cette tâche de chaque jour, la responsabilité de l'Allemagne et de la France demeure, plus que jamais, essentielle. Angela Merkel sait qu'elle peut compter sur moi comme je sais pouvoir compter sur elle.