5 mars 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la réforme des collectivités locales, à Paris le 5 mars 2009.

Monsieur le Président du comité pour la réforme des collectivités locales,
Messieurs les Premiers ministres,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
La tâche qu'avec le Gouvernement, je vous avais confiée le 22 octobre dernier n'était pas facile £ nous le savions tous en engageant cet exercice, sans quoi d'ailleurs nous n'aurions pas cru nécessaire de mobiliser des personnalités de votre qualité.
Difficile, l'oeuvre de modernisation de notre organisation territoriale l'est d'abord par son objet même et la complexité de la matière. Les structures des collectivités locales, la répartition de leurs compétences, la détermination de leurs ressources, tout est compliqué et tout est lié £ votre rapport le démontre parfaitement bien. J'ajoute, mais vous le savez mieux que moi, que les contraintes constitutionnelles qui cadrent la réflexion sont lourdes : une « part déterminante » de ressources propres, l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre, la notion de libre administration, la reconnaissance constitutionnelle des communes, des départements et des régions... tous ces éléments compliquent notablement toute modification de l'architecture d'ensemble.
Difficile, la réforme l'est aussi par le nombre et la puissance des intérêts en cause, et par les conservatismes ou les habitudes qu'ils génèrent. Ce n'est pas faire injure à nos élus que de constater que chacun est attaché, avec une parfaite bonne foi d'ailleurs, à l'échelon de représentation qui est le sien, dont il mesure quotidiennement l'utilité et la spécificité. Toute la question est de savoir prendre de la hauteur pour évaluer l'efficacité globale du dispositif et l'améliorer, sans pour autant nier ces réalités.
L'attachement de beaucoup d'élus aux structures actuelles fait écho, pourquoi se le cacher, à l'ambivalence des aspirations des Français eux-mêmes. Des Français qui valorisent la proximité et l'adaptation aux réalités locales, tout en dénonçant les gaspillages que génère l'empilement des structures £ des Français qui plébiscitent la démocratie locale, mais dont la passion pour l'égalité limite le goût réel pour la décentralisation £ des Français enfin qui définissent une partie de leur identité par rapport à des territoires, mais qui ont aussi conscience que la France n'est pas la simple somme de ceux-là.
Dernière difficulté, dernier défi devrais-je plutôt dire, propre celui-là à vos travaux : j'ai voulu, Monsieur le Président, et vous m'avez totalement approuvé sur ce point, que participent à votre réflexion des personnalités venues d'horizons divers, y compris sur le plan politique. Je remercie très sincèrement et très vivement Pierre Mauroy et André Vallini d'avoir accepté de participer à cette démarche et de l'avoir accompagnée jusqu'à son terme, alors même qu'ils ont été soumis à des pressions contraires. La République s'honore de compter parmi ses serviteurs des personnalités capables de s'élever au-dessus de leurs appartenances partisanes, et la remarque vaut pour l'ensemble des personnes ici présentes qui ont participé loyalement à ce travail.
Grâce à votre Président, qui a conduit les débats avec la rigueur et l'impartialité que nous lui connaissons, vous avez apporté votre contribution dans la plus parfaite clarté, chacun des membres du comité ayant été mis à même, s'il le souhaitait, de faire part, dans le rapport lui-même, de ses observations personnelles ou de ses points de désaccord.
Bien sûr, me direz-vous, vous n'avez pas pu vous mettre d'accord sur tout. Bien sûr, il ne servirait à rien de le dissimuler, vos divergences portent sur certains des éléments importants du rapport, tels que le Grand Paris ou le rapprochement entre régions et départements. Pour autant cette diversité était une chance, ou plutôt un impératif. Même lorsque vous ne vous êtes pas accordés sur une proposition, vos discussions internes ont permis d'approfondir la réflexion et finalement de mieux éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux. Et au final, je note que seize propositions sur vingt ont recueilli le consensus en votre sein.
Pour ma part, je n'entends pas fuir mes responsabilités. Cette réforme, j'y crois profondément pour une raison simple : elle est essentielle pour le pays et les Français l'attendent. Je souhaite donc qu'elle aboutisse.
Nos collectivités locales et leurs 450 000 bénévoles sont une richesse inestimable pour le pays. L'Etat ne peut pas régler tout seul tous les problèmes. Il a besoin d'une démocratie locale pour répondre aux aspirations d'identité, de proximité, de qualité de vie, de cohésion sociale des Français £ il a besoin de collectivités locales dynamiques pour répartir le développement économique du pays de manière équilibrée sur le territoire, dans le respect de sa taille et de sa diversité.
Comme l'a écrit Gérard Longuet dans ses observations personnelles, « la France est un projet collectif qui n'est pas la simple addition des projets des territoires qui la composent. Mais inversement, c'est de la mobilisation des forces locales que procède l'énergie de notre pays ». Tout le monde sait ce que l'histoire de notre pays doit à ses anciennes régions, provinces, duchés et autres comtés, et c'est le grand mérite de la décentralisation, votre grande oeuvre M. Mauroy, que d'avoir permis à ces énergies de vivre à nouveau pleinement.
C'est pourquoi, et plus que jamais en ces temps de crise, nous le voyons avec le plan de relance, il est indispensable de moderniser notre organisation locale, pour qu'elle soit plus efficace, plus réactive, plus démocratique, plus forte, et corrélativement moins complexe, moins coûteuse, moins lourde. C'est ce dont le pays a besoin et c'est ce que veulent les Français, dont chacun a pu noter la forte adhésion à la plupart des mesures proposées. C'est ainsi que nous serons fidèles à la décentralisation.
A cet effet, loin des postures simplistes consistant, par exemple, à proposer de supprimer un échelon de collectivités, votre comité a formulé des propositions ambitieuses. Il s'agit essentiellement de :
- confirmer le rôle des communes comme échelon de base de notre organisation et de notre démocratie locale - pour cette raison investies, mais elles seulement, d'une clause générale de compétence - et répondant au besoin de proximité et d'identité £
- achever la carte de l'intercommunalité, car cela n'a plus aucun sens pour une commune de gérer seule certains services de proximité, et la simplifier considérablement en cessant de créer des « pays » et en organisant la fusion, chaque fois que cela est possible, des milliers de syndicats intercommunaux (SIVOM et SIVU) dans les communautés de communes, d'agglomération ou urbaines. Vous proposez également d'encourager la transformation d'intercommunalités en communes de plein exercice £
- encourager - sur une base volontaire - la fusion de départements et de régions, car notre découpage administratif, hérité de l'histoire, passe parfois à côté de certaines synergies, et surtout certaines de nos régions sont à l'évidence trop petites pour porter les politiques économiques dynamiques dont nous avons besoin. Comme il est regrettable que cette proposition, respectueuse de la démocratie et tournée vers l'avenir, ait été à ce point déformée £
- rapprocher les départements et les régions en les dotant des mêmes conseillers, ce qui est le meilleur moyen, et au surplus le seul, de rationaliser la répartition des compétences, d'éviter que tout le monde s'occupe de tout, d'avoir des politiques plus cohérentes et de faire des économies sur les dépenses. A cet égard, je veux dire que je suis favorable à la suppression de la clause générale de compétence pour les départements et les régions, seule manière de mettre fin aux financements croisés et à l'enchevêtrement des interventions £ mais a contrario, il faudra aller au bout des compétences reconnues à ces collectivités et l'Etat devra cesser de s'en mêler et supprimer tous les services administratifs qui doublonnent les collectivités £
- enfin, dans les grandes zones urbaines, réunir les collectivités existantes dans une collectivité unique, la métropole, investie de toutes les compétences communales, intercommunales et départementales nécessaires à une prise en charge cohérente des grands problèmes de la vie en milieu urbain, en particulier le logement, le transport et la politique sociale. Ces métropoles sont également indispensables pour structurer la vie économique de notre pays de manière équilibrée, complémentaire à l'Ile-de-France, et en lien avec les autres grandes villes européennes qui nous entourent.
Sur tous ces points, une large concertation a déjà eu lieu, grâce aux nombreuses auditions auxquelles vous avez procédé, je pense notamment aux associations d'élus £ grâce aussi à l'implication, très en amont, des parlementaires qui se sont pleinement inscrits dans cet esprit de réforme et qui, très nombreux, ont travaillé et travaillent encore sur le sujet. C'est le cas dans la majorité, et je tiens en particulier à rendre hommage au rôle précieux joué par Dominique Perben et Jean-Patrick Courtois pour assurer la bonne coordination de ces démarches £ mais c'est le cas aussi de l'opposition qui participe à la mission d'information mise en place au Sénat par le président Larcher.
Cette concertation, il n'est pas question de l'interrompre.
Certaines propositions consensuelles doivent être précisées quant à leurs modalités. Le processus d'élection des futurs conseillers communs aux départements et aux régions doit faire l'objet de travaux complémentaires, et le calendrier être débattu avec l'ensemble des formations politiques. Je souhaite que se poursuive la concertation sur l'élection au suffrage universel direct des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre, qui pose à mon sens beaucoup de questions. Quant aux propositions qui font débat, il faut naturellement faire tous les efforts pour convaincre et élargir les conditions du consensus.
Mais il convient aussi d'avancer, c'est le devoir du gouvernement, et de décider, c'est le devoir de la démocratie. C'est pourquoi, à partir d'aujourd'hui, la concertation doit être orientée vers la mise en oeuvre des propositions.
Je demande donc au Premier ministre, en lien étroit avec le Parlement, de procéder d'ici l'été à l'élaboration d'un texte reprenant vos propositions. Il pourra d'ailleurs utilement partir du projet que vous m'avez aimablement transmis, Monsieur le Président. Quatre mois, c'est un bon délai pour approfondir le consensus et élaborer, sur un sujet complexe, le texte législatif nécessaire.
Les questions financières appellent un traitement spécifique, notamment parce qu'elles doivent être abordées en loi de finances. Naturellement toutefois, la réforme institutionnelle des collectivités locales et leur financement étant étroitement liés, les deux processus doivent cheminer au même rythme et parallèlement.
Je note qu'entre le rapport de votre comité et les hypothèses actuelles de travail du gouvernement, il existe un grand nombre de points de consensus : la suppression de la part de taxe professionnelle pesant sur les investissements, dont votre rapport confirme la nocivité économique £ le principe de la compensation intégrale, au profit des collectivités locales, des pertes de recettes qui en résulteront pour elles - j'en prends l'engagement solennel £ le financement de cette compensation par des dotations budgétaires et par le transfert aux collectivités d'impôts économiques, tels que la cotisation minimale sur la valeur ajoutée ou la taxe sur les conventions d'assurance, dans le respect de leur autonomie financière £ le maintien d'un lien fiscal entre les territoires et les entreprises £ la nécessité de limiter le cumul de différents pouvoirs de taux sur une même assiette d'imposition £ la délicate question de l'actualisation des bases foncières d'imposition.
Mais, en matière de fiscalité locale, quand on est d'accord sur les principes, on n'a malheureusement réglé que 20% des difficultés.
Sur tous ces points, le gouvernement travaillera donc en tenant compte de vos propositions et en liaison étroite également avec le Parlement, pour un aboutissement lui aussi à l'été. Les objectifs sont clairs et partagés : garantie de l'autonomie financière des collectivités locales, plus de responsabilité dans l'évolution des dépenses, moins de gaspillages, et l'indispensable modernisation de la fiscalité locale pour la vitalité de notre économie.
La proposition de votre comité, d'une assemblée unique dans les départements et régions d'outre-mer, sera examinée dans le cadre des Etats généraux.
Reste enfin, et je sais Monsieur le Président que vous y êtes très attaché, ainsi que le préfet Canepa, que je salue, la question du Grand Paris.
Le diagnostic que vous posez, personne ne peut sérieusement le contester, je crois d'ailleurs que personne parmi vous ne le conteste sur le fond : le mode de gouvernance de la zone dense de l'agglomération parisienne est inadapté aux enjeux et il faut impérativement trouver une association plus étroite des différents échelons de décision.
Cela étant, vous l'indiquez vous-même dans votre proposition, ce sujet appelle une concertation spécifique : un travail de conviction doit manifestement être conduit auprès des élus en place, sans jamais perdre de vue les préoccupations des populations £ il nous faut prendre en compte les propositions de Christian Blanc en matière d'aménagement et d'infrastructures, la priorité pour l'Ile-de-France, ainsi que les résultats des travaux des architectes et urbanistes qui rendront leurs conclusions dans les prochains jours £ il nous faut en réalité nous mettre d'accord sur une vision, définir un projet, avant de retenir un modèle d'administration. Il faut donc nous donner un peu plus de temps, même si je n'accepterai pas l'immobilisme.
Avancée ou recul des libertés locales ? Approfondissement de la décentralisation ou étatisation sournoise ? Renouveau de l'action publique territoriale ou mise en place de carcans ? J'entends le débat qui s'ouvre, j'entends les prises de position des uns et des autres.
Chacun est libre de ses appréciations, mais j'avoue être parfois surpris. Car très franchement : qui peut nier que de telles réformes donneraient un nouveau souffle à notre démocratie locale ? Qui peut affirmer que l'immobilisme est préférable ? Qui peut douter que les élus locaux trouveraient là de nouveaux moyens d'action ? Qui peut contester que le citoyen identifierait plus clairement les responsabilités ?
Démocratie locale consolidée £ dynamisme local encouragé £ collectivités plus efficaces, plus réactives £ organisation plus simple et moins coûteuse £ meilleure prise en compte des spécificités locales £ la décentralisation en sortira en vérité renforcée, car elle sera au fond mieux aimée.
Il me reste encore, Madame et Messieurs les membres du comité, à vous remercier très chaleureusement pour votre travail remarquable et pour votre implication. Vous comprendrez que ces remerciements s'adressent plus particulièrement à votre Président. En lui confiant cette mission, je savais qu'il en ressortirait des propositions ambitieuses, novatrices, pas toutes faciles à mettre en oeuvre, mais qui permettront une nouvelle fois à la France de prendre un temps d'avance.